CA Paris, 1re ch. H, 4 novembre 2003, n° 2003/03267
PARIS
Arrêt
Autre
PARTIES
Défendeur :
Seat Pagine Gialle SpA (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Riffault-Silk
Conseillers :
M. Remenieras, Mme Penichon
Avoués :
SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, SCP Duboscq-Pellerin, Me Teytaud
Avocats :
Me Marchisio, Me Grollemund, Me Aknin, Me Pasturel
La Cour est saisie du recours en annulation et subsidiairement en réformation déposé le 21 février 2003 par Bernard Maurin, Dominique Labbé et Manuela Labbé née Borgia contre la décision n° 203C195 du Conseil des marchés financiers (le CMF ou le Conseil) rendue le 10 février 2003 et notifiée aux requérants le 11 février 2003, qui, statuant sur l'application de l'article 5-6-1 de son règlement général, a rejeté, en l'état, leur demande ainsi que celle de Frédéric Arnaud tendant à ce qu'il soit enjoint à la société Seat Pagine Gialle SpA (société Seat) actionnaire majoritaire de la société Consodata cotée sur le Nouveau marché d' Euronext Paris, de déposer un projet d'offre publique de retrait sur les titres de cette société, au prix plancher de 44 euros par titre.
Les requérants font valoir :
- que le Conseil n'a pas respecté son obligation de procéder à toutes les vérifications nécessaires pour l'examen de leurs demandes en n'effectuant pas le minimum de diligences requises et a commis une erreur manifeste d'appréciation en retenant des critères non pertinents pour apprécier la liquidité du marché,
- qu'il y a lieu en effet d'écarter la méthode, retenue par le Conseil, de la moyenne des volumes de titres échangés par rapport aux séances de cotation, et de privilégier une analyse fondée sur " la médiane " obtenue à partir de la répartition des séances en deux groupes égaux en prenant en compte la totalité des séances de bourse de la période, les extrêmes devant cependant être écartés de ce calcul,
- que la liquidité du titre doit être appréciée en examinant la situation de tous les actionnaires minoritaires et non pas seulement des demandeurs, et de dire que la faiblesse du flottant, soit 0,77 % du capital de la société Consodata, exclut que le marché du titre puisse être considéré comme un marché boursier permettant la réalisation de transactions dans des conditions normales de cours et de délai.
Ils prient la Cour
- d'annuler la décision du CMF en ce qu'elle a décidé de ne pas donner suite, en l'état, à leurs demandes de mise en œuvre d'une offre publique de retrait,
- de constater l'absence de liquidité du titre Consodata entre le 1er janvier 2002 et le 24 janvier 2003,
- d'ordonner la mise en oeuvre d'une offre publique de retrait et de condamner le Conseil des marchés financiers aux dépens,
La société Seat Pagine Gialle SpA issue par scission de la société Seat Pagine Gialle SPA, devenue effective le 1er août 2003, en deux nouvelles sociétés dont elle-même, demande qu'il lui soit donné acte de son intervention volontaire en reprise d'instance. ElIe prie la Cour de déclarer les requérants mal fondés dans leur recours, de les en débouter et de les condamner à lui payer 15.000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Observant que la Cour d'appel de Paris n'a pas le pouvoir d'ordonner une offre publique relevant des attributions du seul Conseil des marchés financiers, le Conseil des marchés financiers déclare qu'il a procédé aux vérifications qui lui incombaient au vu des différents éléments qui lui étaient soumis, en utilisant pour appréhender la liquidité du titre Consodata, le critère principal de la moyenne des volumes quotidiens constatés lors des séances au cours desquelles le titre a été coté depuis le 1er janvier 2002 sans retraitement des " volumes extrêmes auquel s'ajoute l'examen de la situation de l'ensemble des actionnaires minoritaires et plus particulièrement de celle des demandeurs.
II demande à la Cour de déclarer en conséquence les requérants mal fondés en leur recours, de le rejeter et de condamner les requérants aux dépens.
Invitée à présenter des observations en application de l'article 12-1 de l'ordonnance du 28 septembre 1967, la Commission des opérations de bourse conclut au rejet du recours, en observant qu'il ne peut être reproché aucune erreur manifeste d'appréciation au Conseil, qui a apprécié la liquidité du titre Consodata au vu d'un critère objectif, pour ensuite déterminer au vu des caractéristiques du marché, le délai nécessaire aux actionnaires requérants pour céder leurs titres.
Le Ministère Public a conclu oralement au rejet des recours.
SUR CE,
Considérant que les requérants demandent que soit ordonnée la mise en œuvre d'une offre de retrait fondée sur les dispositions de l'article 5-6-1 du règlement général des marchés financiers, par la société Seat qui détient de concert avec le groupe fondateur de la société Consodata plus de 95 % du capital et des droits de vote de la société ; qu'ils font valoir que l'illiquidité du titre Consodata, jointe à l'existence d'une convention conclue entre la société Seat actionnaire majoritaire et le " groupe fondateur " le 26 juillet 2002, stipulant d’une option de vente au profit des fondateurs exerçable sur le mois de février 2003 au prix de 44 euros par action, justifie que cette opération soit effectuée à un prix qui ne saurait être inférieur à 44 euros par action ;
Considérant que l'article 5-6-1 du règlement général des marchés financiers énonce que " lorsque le ou les actionnaires majoritaires détiennent de concert au sens de l'article L. 233-10 du Code de commerce (ancien article 356-1-333 de la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales), au moins 95 % des droits de vote d'une société dont les actions sont admises sur un marché réglementé ou ont cessé de l'être, le détenteur de titres conférant des droits de vote n'appartenant pas au groupe majoritaire peut demander au Conseil de requérir du ou des actionnaires majoritaires le dépôt d'un projet d'offre publique de retrait.
Considérant qu'il n'est pas contesté qu'à la suite de sa prise de contrôle de la société Consodata intervenue en 2001, et en application de conventions d'actionnaires conclues successivement avec les actionnaires fondateurs de la société Consodata, la dernière le 26 juillet 2002 et traduisant une action de concert entre eux, la société Seat détient de concert avec les fondateurs de la société Consodata 99,27 % du capital et des droits de vote de la société, le seuil requis par les dispositions de l'article 5-6-1 du règlement général étant atteint ;
Mais considérant que ces dispositions, qui ont pour finalité de permettre à l'actionnaire d'une société dont le titre a perdu sa liquidité sur un marché rendu étroit par le poids relatif des majoritaires, de céder ses titres dans des conditions normales de cours et de délai, n'ont pas pour effet de rendre obligatoire la mise en œuvre d'une offre publique de retrait du seul fait que les conditions formelles qu'elles prévoient sont réunies ;
Qu'il convient de rechercher, dans chaque cas d'espèce, si cette mesure est justifiée par les caractéristiques du marché considéré et par la situation particulière des minoritaires qui en font la demande ;
Considérant que le Conseil a procédé à l'analyse de la liquidité du marché du titre Consodata en recherchant quelle a été la moyenne des titres échangés pendant une période de référence de janvier 2002 au 24 janvier 2003, seuls étant retenus les jours de cotation effective ; qu'il résulte de cette analyse que le titre a été coté au cours de 204 séances de bourse, soit en moyenne 15 séances de bourse par mois, au cours desquelles ont été échangées en moyenne 550 actions ; qu'un mois calendaire comprend en moyenne un nombre total de 20 séances de bourse soit 5 jours de bourse par semaine ; qu'il est ainsi établi par ce critère objectif que le titre Consodata a fait l'objet de transactions de manière quasi-quotidienne sur l'ensemble de la période et pour un nombre de titres significatif ;
Considérant que les requérants contestent comme non pertinent le critère retenu par le Conseil en faisant valoir qu'il convenait de se référer à une analyse non pas de " la moyenne " des échanges constatés sur le marché, mais de " la médiane " du volume des titres échangés au cours de la période, seule à même de permettre une appréciation objective de cette liquidité ; qu'ils ajoutent qu'auraient dû être prises en compte les séances où le titre n'a pas été coté et exclues de ce calcul cinq séances intervenues en septembre, octobre et novembre 2002 qu'ils qualifient d'extrêmes, au cours desquelles 31,97 % du volume des transactions constatées pendant la période de référence a été réalisé ;
Mais considérant que ce dernier critère soit " la médiane des titres échangés après retraitement et exclusion d'une part significative des transactions, ne peut donner qu'une valeur d'observation partielle puisqu'il exclut par définition les valeurs extrêmes des données traitées alors que ces valeurs permettent au contraire d'apprécier la capacité d'un marché à absorber un volume important de titres sans influer sur le cours et ainsi le délai nécessaire pour sortir de la société ; qu'il est notable à cet égard de relever que les cours constatés à l'occasion des cinq séances dont il demandé qu'elles n'entrent pas dans l'appréciation de la liquidité du titre, ne s'écartent pas des moyennes habituellement relevées sur l'ensemble de la période ; qu'enfin les requérants ne peuvent sans contradiction exiger que soient prises en compte les séances de bourse où le titre n'a pas été coté, alors qu'indépendamment du nombre de séances de cotation, seules les séances de bourse où le titre a été coté permettent de constater les volumes échangés et la fourchette de cours dans laquelle les transactions ont été effectuées et ainsi d'apprécier la capacité du marché à absorber les titres offerts ;
Considérant que l'existence d'un flottant égal à 0,77 % du capital de la société ne saurait remettre en cause ce constat ; qu'en effet, il y a lieu de relever que ce flottant représente 103.875 actions, l'illiquidité alléguée du titre Consodata ne pouvant être caractérisée par la quantité de titres restant en circulation ; que lors de la demande présentée au Conseil les titres détenus par les requérants auxquels s'était joint un quatrième minoritaire, Frédéric Arnaud, s'élevaient au total à 7.293 actions soit 0,7 % de ce flottant ; que ce pourcentage doit être réduit à 3,6 % si l'on exclut les titres détenus par Frédéric Arnaud qui n'a formé aucun recours contre la décision du Conseil et dont il est justement observé que la position a été constituée par des achats massifs de titres en septembre et octobre 2002 au cours des séances dont il est demandé par les requérants de ne pas tenir compte, dans des conditions paraissant contraires à l'esprit des dispositions de l'article 5-6-1 du règlement général ; qu'il est justement observé par le Conseil, au vu des transactions réalisées au cours de la période, qu'en admettant une absorption par le marché des actions des minoritaires, à hauteur de 25 % du volume moyen des échanges, le délai nécessaire pour solder les positions cumulées des requérants, sans décalage important des cours, s'élèverait à trois mois, soit un mois et demi en ne tenant compte que des titres détenus par Bernard Maurin et les époux Labbé, seuls requérants devant la Cour ;
Qu'il s'ensuit que la preuve n'est pas rapportée d'une impossibilité pour les requérants, compte tenu des caractéristiques du marché, de céder leurs titres dans des conditions normales de cours et de délai, la liquidité de ce marché apparaissant, en l'état satisfaisante ;
Considérant qu'il convient de rejeter le recours :
Considérant que ni l'équité, ni les circonstances de l'espèce ne justifient le prononcé d'une condamnation sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
Donne à la société Seat Pagine Gialle SpA l'acte requis,
Déclare recevable le recours,
Le déclare mal fondé,
Déboute Bernard Maurin, Dominique Labbé et Manuela Labbé née Borgia de toutes leurs demandes,
Les condamne aux dépens.