CA Paris, 1re ch. sect. cbv, 27 avril 1993, n° 93/5842
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Mutuelle du Mans Assurances-vie (Sté)
Défendeur :
Office Commercial Pharmaceutique (Sté)
Statuant en application de la loi n° 88-70 du 22 janvier 1988 sur les Bourses de valeurs et du décret n° 88-603 du 7 mai 1988 relatif aux recours exercés devant la Cour d'appel de PARIS contre les décisions du Conseil des marchés à terme et du Conseil des bourses de valeurs.
Et après avoir entendu les conseils des parties et du Conseil des bourses de valeurs, le représentant du président de la Commission des opérations de bourse et le ministère public en leurs observations.
Par décision N° 93-595 du 1er mars 1993, le Conseil des bourses de valeurs (le Conseil) a déclaré recevable le projet d'offre publique d'achat visant les actions de la société Office Commercial Pharmaceutique (ci-après O.C.P.), présenté par LAZARD Frères et cie, agissant pour le compte de la société allemande GEHE AG, selon lequel l'initiateur se propose d'acquérir la totalité des 2.654.910 actions composant le capital de la société O.C.P. au prix unitaire de 800 francs, en se réservant la faculté d'y renoncer si le nombre des titres présentés était inférieur à 50,01 % du capital.
Le 11 mars 1993, la Mutuelle du Mans Assurances-Vie, actionnaire de la société O.C.P., a formé un recours en annulation contre cette décision.
M. Jacques BOURELY et la société BY-SOFT, autres actionnaires, ont, le 18 mars suivant, déposé au greffe une déclaration de recours en intervention.
Par application des dispositions de l'article 5 du décret du 7 mai 1988, ces recours ont été dénoncés à la société O.C.P. visée par l'offre, à la société GEHE AG, initiatrice, et à LAZARD Frères et Cie, établissement présentateur.
Conformément aux dispositions de l'article 12-1 de l'ordonnance du 28 septembre 1967, le président de la Commission des opérations de bourse a été appelé à déposer des conclusions.
Selon les éléments soumis à l'appréciation de la Cour, les faits nécessaires à la solution du litige peuvent être énoncés comme suit :
Société mère d'un groupe de distribution de médicaments, la société O.C.P., cotée sur le marché hors cote de la bourse de Paris, comprend pour actionnaires principaux les personnes physiques et morales ou groupes qui détiennent respectivement : BOURELY (Jacques BOURELY et BY-SOFT S.A.R.L.) 15 % du capital, Fidelity Investments 9 %, Ryeford 7,9 %, GAN 5,20 %, MACSF 3,80 %, Famille MARTIN 3,40 % et le Fonds commun de placement du Groupe O.C.P 3,11 %.
Afin de préserver son indépendance, cette société a, en 1988 et 1991, apporté l'essentiel de ses activités commerciales à deux sociétés filiales à 100 % constituées en commandite par actions, la société O.C.P. Répartition et la société EUROSANTE et Cie, lesquelles ont chacune un associé commandité unique, pour la première, la société S.G.P. S.A.R.L. à Paris et pour la seconde EUROSANTE S.A. à LUXEMBOURG.
Il s'ensuit que l'acquisition de la majorité du capital ou des droits de vote au sein de la société O.C.P. ne donne pas le pouvoir de gérer les actifs essentiels du groupe.
Président du conseil d'administration de la société O.C.P. à la date de présentation de l'offre, M. Jean Pierre DUCHE cumule les fonctions de gérant des sociétés en commandite O.C.P. Répartition et EUROSANTE et Cie et de la société S.G.P. PARIS, associée commanditée de la première.
Depuis la fin de l'année 1992, un litige oppose les dirigeants de la société O.C.P. et certains actionnaires, notamment le groupe BOURELY, à l'occasion duquel le président du tribunal de commerce de Paris, saisi par ce dernier, a, par ordonnances successives, du 18 novembre 1992, désigné un médiateur, du 7 janvier 1993, constaté l'échec de la médiation et désigné un mandataire ad hoc auprès des organes sociaux afin de s'assurer de la convocation régulière de l'assemblée générale prévue pour le 26 mars, du 1er mars 1993, étendu la mission du mandataire à l'examen des liens et contacts qui ont pu exister antérieurement à l'offre publique d'achat entre la société GEHE AG et la société O.C.P.
Dans ce contexte conflictuel, la société GEHE AG, société de droit allemand, qui exerce elle aussi ses activités dans le secteur de la répartition des produits pharmaceutiques, avait en effet, le 18 février 1993, fait saisir le Conseil d'un projet d'offre publique sur les actions de la société O.C.P. que le même jour le conseil d'administration de cette société avait déclaré amicale.
Lors de la présentation du projet d'offre et de la note d'information, l'initiateur et la société visée ont porté à la connaissance du Conseil et de la Commission des opérations de bourse des conventions conclues le 17 février aux termes desquelles les associés des sociétés S.G.P. et EUROSANTE S.A., respectivement associés commandités des sociétés O.C.P Répartition et EUROSANTE et Cie, filiales d'O.C.P., s'engageaient à céder 75 % de leurs titres à la société GEHE AG, sous la condition suspensive que celle-ci détienne plus de 50 % des actions de société O.C.P. à l'issue de l'offre.
Interrogé par la Commission des opérations de bourse sur les conditions dans lesquelles les associés des sociétés S.G.P. et EURSANT S.A. pourraient conclure des conventions identiques avec tout surenchérisseur éventuel, M. Jean-Pierre DUCHE a répondu par lettre du 5 mars 1993 :
«Les associés que j'ai consultés me demandent de vous rappeler que les accords conclus avec GEHE l'ont été dans le cadre d'un projet industriel organisant le rapprochement entre GEHE et l'O.C.P, de nature à permettre à cette dernière de bénéficier d'une ouverture sur le grand marché européen, et d'une forte implantation immédiate sur le marché allemand. C'est l'existence d'un tel projet qu'ils ont considérée, ainsi que l'a fait le Conseil d'Administration de la société, comme bénéfique pour l'O.C.P. et nécessaire à son expansion. Ceci les a conduits à conclure avec GEHE les accords auxquels vous faites référence.
Si d'autres personnes se présentaient pour proposer des solutions concurrentes, les associés commandités les examineraient avec la plus grande attention, afin d'apprécier, parmi les solutions proposées, celle qui leur apparaîtrait la plus conforme aux meilleurs intérêts de l'O.C.P. et ce sous réserve de la non-réalisation de la condition suspensive qui affecte les accords conclus avec GEHE.
Ils ne peuvent cependant, et ceci peut se comprendre aisément, s'engager par avance à conclure avec tout tiers indéterminé, des accords similaires, sans avoir pu apprécier le contenu de leur projet.»
Le Conseil ayant, par la décision soumise à recours du 1er mars 1993, déclaré l'offre recevable, la Commission des opérations de bourse a, le 9 mars 1993, apposé son visa sur la note d'information relative à cette opération en faisant obligation à la société GEHE AG de publier en première page l'avertissement suivant :
«La Commission des opérations de bourse attire l'attention du public sur le fait que :
La présente note d'information comporte les conventions conclues le 17 février 1993 par la société GEHE AG avec les personnes physiques associées de S.G.P. d'une part, et EUROSANTE S.A. d'autre part, respectivement associés commandités d'O.C.P. Répartition et d'EUROSANTE et Cie, filiales à 100 % d'O.C.P S.A.
Ces conventions permettent à GEHE AG d'acquérir le contrôle de ces sociétés sous condition suspensive qu'au terme de l'offre publique il soit apporté à GEHE AG plus de 50 % des actions d'O.C.P. S.A.
La publication de ces conventions obéit au règlement 89-03 qui prévoit que tous ces accords susceptibles d'avoir une incidence sur l'appréciation d'une offre publique ou sur son issue, sous réserve de l'appréciation de leur validité par les tribunaux, doivent être portés à la connaissance du public».
Saisi d'une demande de révision de sa décision du 1er mars 1993 par le C.C.F. et la société BUE Finance et développement, mandatés par la société COOPER pour l'élaboration d'une offre concurrente, le Conseil a estimé par un communiqué publié le 22 mars :
«qu'il n'y avait pas lieu de la modifier, le projet en cause réunissant les conditions nécessaires à sa recevabilité.
La société GEHE AG bénéficie d'une cession sous condition suspensive de la majorité des parts sociales et actions des deux sociétés commanditées S.G.P. et EUROSANTE SA qui contrôlent l'essentiel de l'activité opérationnelle de l'O.C.P.
Le Conseil estime que le respect de la règle de libre compétition en matière d'offres publiques, définie notamment par l'article 3 alinéa 3 du Règlement 89-03 de la Commission des Opérations de Bourse, ne serait pas assuré si une disposition similaire n'était pas consentie aux initiateurs d'une éventuelle offre concurrente déclarée recevable par le Conseil des Bourses de Valeurs.»
Avant la publication de la note d'information et du communiqué susvisé, la Mutuelle du Mans Assurances-Vie a, le 11 mars 1993, introduit un recours visant à contester la validité de la décision de recevabilité prise par le Conseil au regard des dispositions de l'article 3 du règlement n° 89-3 de la Commission des opérations de bourse relatif aux offres publiques et aux acquisitions de blocs de contrôle.
Elle soutient à cette fin :
- que sont indissociables de la procédure d'offre et ne peuvent de ce fait être soustraits à la réglementation boursière les accords conclus entre la société GEHE AG et les associés des sociétés commanditées qui préparent et complètent l'opération de bourse lancée par la société GEHE AG en lui garantissant le transfert du pouvoir sur les actifs de la société cible à un prix d'acquisition des parts des sociétés S.G.P. et EUROSANTE SA lié à celui de l'offre sur les actions de la société O.C.P.,
- que lesdits accords sont contraires aux dispositions de l'alinéa 1 de l'article 3 du règlement susvisé en ce qu'ils ont été décidés sans que la société O.C.P. associée commanditaire ait été préalablement consultée ni même informée alors qu'elle seule était habilitée à apprécier la conformité à son intérêt social du projet d'offre publique ;
- qu'ils sont également contraires à l'alinéa 3 de l'article 3 du même règlement, en ce qu'ils confèrent à la société GEHE AG un avantage décisif sur toute contre-offre, rompant ainsi l'égalité entre les compétiteurs et dissuadant toute opération concurrente, dans la mesure où elle est la seule, en cas de succès de son offre, à être assurée d'acquérir le contrôle sur les sociétés en commandite détentrices des actifs de la société visée.
La requérante en déduit que le Conseil devait assortir sa décision de la réserve prévoyant qu'en cas d'offre concurrente, la société GEHE AG renoncerait à l'accord litigieux ou produirait une déclaration de son co-contractant s'engageant à transférer le contrôle de la S.A.R.L. S.G.P. au compétiteur qui l'emporterait et qu'en omettant de le faire, il a méconnu les dispositions du règlement précité de la Commission des opérations de bourse.
A titre subsidiaire la requérante conclut que si le Conseil s'est prononcé sur la recevabilité de l'offre sans que lui aient été révélés les accords litigieux, sa décision est nulle puisqu'elle aurait été prise dans l'ignorance d'un élément déterminant.
Enfin, la Mutuelle du Mans Assurances-Vie soutient que si la Cour estimait qu'il n'est pas du pouvoir du Conseil d'assortir sa décision de réserves, il lui appartiendrait d'en reconsidérer l'opportunité dès lors que cette décision ne prive pas les accords de cession litigieux de leurs effets contraires au règlement de la Commission des opérations de bourse.
Aux termes de leur recours dit «en intervention», M. Jacques BOURELY et la société BY-SOFT soutiennent que la décision du Conseil est nulle en ce qu'elle a été rendue :
- dans l'ignorance par le Conseil de la mesure d'instruction ordonnée par le président du tribunal de commerce sur les relations entre les sociétés GEHE et O.C.P. ;
- en violation du principe d'égalité entre les compétiteurs résultant tout à la fois de la réglementation boursière et des principes généraux du droit des sociétés.
Reprenant à leur compte le moyen du recours principal visant à soutenir que la décision déférée devait être assortie de réserves, ils estiment en outre que, si le Conseil n'avait pas ce pouvoir, il lui incombait de déclarer l'offre litigieuse irrecevable en l'état de ses modalités contraires à l'égalité des compétiteurs.
La société GEHE AG, initiatrice de l'offre publique, invoque d'abord des moyens d'irrecevabilité en prétendant :
- d'une part que le recours de Jacques BOURELY et de la société BY-SOFT, faussement qualifié «d'intervention» - voie de procédure non prévue par le décret du 7 mai 1988 - est en fait un recours principal formé hors le délai de dix jours à compter de la publication de la décision du Conseil prévu par l'article 3 du décret du 7 mai 1988 ;
- d'autre part, qu'en l'absence d'offre concurrente les requérantes, qui ne peuvent prétendre être privées d'une chance d'obtenir une meilleure valorisation de leurs actions, n'ont aucun intérêt pour agir.
Insistant sur la qualité de son projet industriel de rapprochement avec la société O.C.P., la société GEHE AG fait valoir pour conclure au rejet du recours :
- qu'aux termes de son règlement général, le Conseil n'a pas le pouvoir de déclarer une offre recevable sous condition et que les réserves dont les requérantes prétendent voir assortie sa décision sont contraires à la liberté contractuelle ;
- que l'appréciation de la validité et l'opposabilité des conventions de droit privé conclues entre elle-même et les associés des sociétés S.G.P. et EUROSANTE S.A. échappent à la compétence du Conseil, aucun texte de la réglementation boursière, notamment l'article 3 du règlement 89-3 de la Commission des opérations de bourse, ne permettant de limiter les effets d'accords passés avant l'ouverture d'une offre publique, même si elles ont un effet sur son déroulement ;
- que les conventions conclues entre les deux groupes ne font pas obstacle à la libre compétition, dès lors qu'elles sont expressément soumises à la condition qu'à l'issue de l'offre l'initiateur recueille plus 50 % des actions et que les associés des deux sociétés associées commanditées, parties à ces conventions, ont déclaré qu'ils examineraient les offres concurrentes avec bienveillance, à la lumière de l'intérêt social de la société O.C.P ;
- qu'en outre lesdites conventions, qui ne contiennent aucune clause d'exclusivité concernant les actions O.C.P., n'aliènent pas la liberté des contractants d'apporter leurs titres à l'offre ;
- que l'article 3 du règlement 89-03 de la Commission des opérations de bourse tend avant tout, de préférence au principe d'égalité entre compétiteurs, à assurer le respect de l'intérêt social de la société cible et que par conséquent, les associés des sociétés S.G.P. et EUROSANTE S.A. ne peuvent être autorisés ou contraints à s'engager par avance à céder leurs parts à tout compétiteur sans s'assurer de la conformité de sa proposition avec l'intérêt de la société O.C.P. ;
- qu'enfin, en l'absence d'offre concurrente, le Conseil et la Cour n'ont aucune compétence pour apprécier, au moment où ils statuent, une hypothétique atteinte au principe de libre compétition, alors que les autorités boursières, et notamment la Commission des opérations de bourse, disposent des moyens de la faire cesser si elle se révélait pendant le déroulement de l'offre.
LAZARD Frères et Cie, établissement présentateur de l'offre, conclut dans le même sens que la société initiatrice tant sur les fins de non-recevoir que sur le fond, invoquant en particulier :
- sur la procédure, que le recours de M. Jacques BOURELY et de la société BY-SOFT est irrecevable notamment au regard de l'article 554 du nouveau Code de procédure civile qui ne permet pas aux parties d'intervenir en cause d'appel.
- sur le fond, que l'impossibilité de surenchère alléguée par les requérantes est inhérente à la structure du groupe O.C.P. laquelle, étant parfaitement licite, ne peut être privée de ses effets.
L'assemblée générale de la société O.C.P. réunie le 26 mars 1993 a décidé le remplacement des membres du conseil d'administration dont M. BOURELY est désormais le président.
Après avoir déposé des conclusions successivement les 25 mars et 5 avril, la société O.C.P. a, le jour de l'audience, renoncé à toutes ses demandes en raison de la stricte neutralité qu'elle entend adopter à l'égard de l'offre publique en cours.
Le même jour, le Conseil d'administration de cette société a fait publier un communiqué indiquant que, disposant de la légitimité affirmée à l'occasion de l'assemblée générale du 26 mars 1993 et seul détenteur de l'intérêt social de l'entreprise,
«[il] examinera dans le cas où une nouvelle offre d'achat irrévocable était déposée, l'ensemble des conditions de cette proposition. Dans la mesure où il se prononcerait favorablement sur cette nouvelle offre, le Conseil fera alors savoir qu'il lui semble naturel, nécessaire et raisonnable que les conditions de cessions des sociétés commanditées telles qu'elles ont été publiées dans la note d'information de GEHE soient étendues à un nouvel offreur.»
Au soutien de sa décision, le Conseil des bourses de valeurs fait valoir :
- qu'en l'absence d'offre concurrente de celle de la société GEHE AG, les recours sont irrecevables, faute par leurs auteurs de faire la preuve d'un intérêt légitime, né et actuel, à faire annuler la seule offre existante, alors surtout que, par son communiqué du 22 mars 1993, il a envisagé l'éventualité d'une nouvelle offre, estimant qu'en ce cas la règle de la libre compétition ne serait pas assurée si n'était pas consentie à ses initiateurs, par les actionnaires des sociétés commanditées S.G.P. et EUROSANTE S.A., une convention similaire à celle dont bénéficie la société GEHE AG ;
- que les accords existant entre la société GEHE AG et les associés des sociétés commanditées, filiales de l'O.C.P., ainsi que la mission du mandataire désigné par le président du tribunal de commerce lui ont été révélés par le projet de note d'information qui lui a été communiqué, mais que les conditions dans lesquelles il se prononce sur la recevabilité d'une offre publique, telles que déterminées par les articles 5-2-6 et 5-2-7 de son règlement général, ne lui permettent pas de prendre en compte des accords de droit privé non plus que les litiges en cours opposant les actionnaires de la société visée ;
- qu'il ne dispose pas du pouvoir d'assortir ses décisions relatives à la recevabilité d'une offre publique de réserves portant sur des éléments autres que ceux visés par l'article 5-2-7 de son règlement général et qui le conduiraient à émettre des injonctions ou à apprécier des conventions entre particuliers.
Pour les raisons avancées par le Conseil, le Président de la Commission des opérations de bourse estime les recours non fondés mais il considère que le libre jeu des offres serait assuré si le bénéfice de l'accord avec la société GEHE AG était étendu à l'initiateur d'une offre concurrente déclarée recevable.
Le ministère public a oralement conclu à la recevabilité des recours mais à leur rejet au motif que le Conseil ne dispose pas du pouvoir de s'immiscer dans des relations contractuelles de droit privé au-delà du rappel de l'égalité de traitement entre les divers acteurs financiers.
SUR QUOI, LA COUR
Considérant qu'aux termes de l'article 3 du décret du 7 mai 1988, le délai de recours contre une décision du Conseil relative à une offre publique est de dix jours ; que ce délai court à compter de la publication en ce qui concerne les personnes intéressées que sont M. Jacques BOURELY et la société BY-SOFT ;
Que la décision du Conseil déclarant recevable le projet d'offre publique de la société GEHE AG sur les actions de la société O.C.P., prise le 1er mars 1993, a été publiée le 8 mars 1993, dans le numéro 9 (correspondant à la semaine du 1er au 5 mars), du recueil des décisions et avis diffusé par la société des Bourses françaises ;
Qu'il s'ensuit qu'est recevable le recours formé par M. Jacques BOURELY et la société BY-SOFT par déclaration déposée au greffe le 18 mars 1993 ;
Qu'il importe peu que ce recours soit intitulé «en intervention», dès lors qu'indépendamment du recours initial formé par la Mutuelle du Mans Assurances-Vie et pour la protection d'intérêts distincts, il vise par des moyens et prétentions propres, à l'annulation de la décision susvisée du Conseil ;
Considérant que les auteurs des deux recours, actionnaires de la société O.C.P., ont un intérêt légitime, né et actuel, à poursuivre l'annulation d'une décision autorisant une offre publique sur les actions de la dite société dans des conditions qu'ils estiment contraires à la libre compétition des offres permettant une meilleure valorisation de leurs avoirs ;
Que l'absence d'offre concurrente à la date des débats ne les prive pas d'intérêt pour agir, la décision contestée étant, selon ce qu'ils prétendent, en elle-même de nature à faire obstacle à la présentation d'une surenchère sur les actions qu'ils possèdent ;
Considérant que pour l'exécution des missions de service public qui lui sont déléguées par la loi du 22 janvier 1988, le Conseil est tenu au respect de l'ensemble des règles qui s'y rattachent et en particulier des règlements concernant le fonctionnement des marchés de valeurs mobilières pris par la Commission des opérations de bourse conformément aux dispositions de l'article 4-1 de l'ordonnance du 28 septembre 1967 ;
Considérant qu'aux termes de l'alinéa 3 de l'article 3 du règlement n° 89-03, relatif aux offres publiques et aux acquisitions de blocs de contrôle, pris par ladite Commission, «la compétition que peut impliquer une offre publique s'effectue par le libre jeu des offres et de leurs surenchères» ;
Considérant que, le 18 février 1993, la société GEHE AG a déposé un projet d'offre publique d'achat portant sur la totalité des actions composant le capital de la société O.C.P. en se réservant la faculté de renoncer à son opération si le nombre de titres présentés était inférieur à la majorité ;
Que par les accords conclus entre le 15 et le 17 février 1993 les détenteurs du capital des sociétés S.G.P. et EUROSANTE S.A., associés commandités respectifs des sociétés O.C.P. Répartition et EUROSANTE et Cie, filiales de la société O.C.P., se sont engagés à céder 75 % de leur participation à la société GEHE AG, sous la condition suspensive que celle-ci détienne plus de 50 % des actions de la société visée à l'issue de l'opération ;
Qu'il n'est pas contesté que les deux sociétés en commandite, O.C.P. Répartition et EUROSANTE et Cie, exercent l'essentiel de l'activité opérationnelle de la société O.C.P et qu'une prise de contrôle de celle-ci n'a d'intérêt qu'à la condition d'acquérir la majorité des parts des sociétés qui sont les associés commandités de ses deux filiales ;
Que les accords susvisés permettront à la société GEHE AG de contrôler la gestion de la société O.C.P. en cas de succès de son opération, ce qu'aucun autre compétiteur n'est assuré d'obtenir et qu'ainsi l'offre publique de cette société bénéficie en l'état d'un avantage évident de nature à priver toute éventuelle contre-offre d'égalité dans la compétition et par conséquent à en dissuader la présentation ;
Qu'en effet, aucun opérateur ne peut envisager de mobiliser un crédit de plus de 2 milliards de francs sans être certain de contrôler les actifs essentiels de la société dont il vise à acquérir la majorité du capital, étant au surplus confronté à un compétiteur qui bénéficie de cette possibilité ;
Que le fait que les accords litigieux soient assortis de la condition suspensive de l'acquisition de plus de 50 % du capital de la société cible, et même s'ils ne contiennent aucun engagement d'exclusivité d'achat sur les parts des sociétés S.G.P. et EUROSANTE S.A. ou sur les actions O.C.P., n'atténue en rien l'avantage déterminant en l'état octroyé à la société GEHE AG pendant le déroulement de l'offre ;
Considérant qu'il ne peut être soutenu pour écarter l'application de la disposition susvisée du règlement de la Commission des opérations de bourse que les accords litigieux sont antérieurs à l'ouverture de l'offre publique, dès lors qu'ils sont indissociables du projet d'opération de bourse sans lequel ils seraient sans objet et auquel ils renvoient expressément par la condition suspensive dont ils sont assortis ;
Considérant qu'au surplus lesdits accords, à la fois indispensables à l'offre publique sur les actions de la société O.C.P. et dissuasifs de toute initiative concurrente qui n'aurait pas acquis les mêmes avantages, ont pour effet d'interdire le libre jeu des offres et des surenchères pendant le déroulement de l'offre publique initiée par la société GEHE AG ;
Considérant qu'il ne peut davantage être invoqué que ledit règlement ne s'applique que s'il existe une offre concurrente, dès lors que, telle qu'elle se présente actuellement, l'offre publique en cours empêche a priori toute possibilité d'égalité dans la compétition ;
Considérant que si, afin de protéger son indépendance, le groupe O.C.P. s'est doté d'une structure juridique dont la licéité ne peut être discutée dans la présente instance, le dispositif mis en place ne saurait pour autant, sans violer la réglementation boursière, donner aux associés des deux sociétés, associées commanditées de ses filiales opérationnelles, la faculté discrétionnaire de concéder à tel compétiteur de leur choix un avantage déterminant par avance le succès de son offre publique en faussant le jeu des offres et surenchères ;
Que la déclaration d'intention comprise dans la lettre adressée par M. Jean-Pierre DUCHE à la Commission des opérations de bourse le 5 mars 1993 et publiée avec la note d'information n'est pas de nature à rétablir l'égalité, dès lors qu'elle ne contient aucun engagement précis et qu'elle réserve la faculté d'un choix entre les compétiteurs alors qu'en outre, depuis l'assemblée générale de la société O.C.P. du 26 mars dernier, il n'existe plus de convergence entre les organes de direction de celle-ci et le gérant ses filiales en commandite sur l'intérêt de la société visée par l'opération de bourse dont le conseil d'administration se proclame désormais seul garant ;
Considérant en conséquence que, tel qu'il a été présenté au Conseil le 18 février 1993, en l'état des conventions signées par la société initiatrice avec les associés des sociétés S.G.P. et EUROSANTE S.A., le projet d'O.P.A. ne permet pas l'exercice d'une libre compétition sur les actions de la société O.C.P. par le libre jeu des offres et de leurs surenchères ;
Considérant que le principe de liberté des conventions interdit au Conseil, dans la limite des pouvoirs qui lui sont délégués par la loi, d'assortir sa décision de recevabilité d'une offre publique de réserves qui obligeraient les opérateurs concernés à contracter contre leur volonté ou à renoncer à des accords conclus ;
Mais considérant qu'il ne pouvait pour autant admettre un projet d'offre publique assorti de conventions empêchant par avance le libre jeu des offres et surenchères ;
Que dès lors, en déclarant recevable le projet d'offre publique de la société GEHE AG sur les actions de la société O.C.P., le Conseil a méconnu les dispositions de l'alinéa 3 du règlement 89-03 de la Commission des opérations de bourse ;
Considérant que, si le recours de la Mutuelle du Mans Assurances-Vie ne vise à l'annulation de la décision du Conseil qu'en ce qu'il ne l'a pas assortie des réserves qu'elle revendique, celui de M. Jacques BOURELY et de la société BY-SOFT ne contient pas une telle restriction ;
Qu'en conséquence, la décision du Conseil doit être annulée ;
Par ces motifs
Reçoit chacun des recours ;
Annule la décision du Conseil des bourses de valeurs du 1er mars 1993 déclarant recevable le projet d'offre publique d'achat visant les actions de la société Office Central Pharmaceutique, présenté par LAZARD Frères et Cie, agissant pour le compte de la société allemande GEHE AG ;
Met les dépens à la charge du Conseil des bourses de valeurs.