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Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 17 juin 1999, n° 1999/06430

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Paribas (SA)

Défendeur :

Banque Nationale de Paris (Sté), Conseil des Marchés Financiers, Commission des Opérations de Bourse

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Présidents :

M. Canivet, Mme Favre

Conseillers :

Mme Riffault, Mme Bregeon, M. Le Dauphin

Avoués :

SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, SCP Teytaud

Avocats :

Me Martel, Me Darrois, Me Prat, Me Morabia, Me Veil, Me Pasturel

CA Paris n° 1999/06430

16 juin 1999

Statuant en application du décret nº 96-869 du 3 octobre 1996 relatif aux recours exercés devant la Cour d'Appel de PARIS contre les décisions du Conseil des marchés financiers ;

Après avoir entendu les conseils des parties et du Conseil des marchés financiers, le représentant de la Commission des opérations de bourse et le ministère public en leurs observations ;

Le 1er février 1999, la Société Générale a déposé un projet d'offre publique d'échange (OPE) visant la totalité des actions Paribas, y compris celles résultant de l'exercice d'options de souscription, par remise, pour 8 actions Paribas, de 5 actions Société Générale à émettre. Cette offre a été déclarée recevable par le Conseil des marchés financiers (CMF) le 4 février 1999 et la Commission des opérations de bourse (COB) a apposé le 11 février 1999 son visa sur la note d'information établie conjointement par ces sociétés, en conséquence de quoi les actionnaires pouvaient apporter leurs titres à l'offre de la Société Générale pendant une durée comprise entre le 12 février et le 18 mars inclus.

Le 9 mars 1999, la Banque Nationale de Paris (BNP) a déposé un projet d'offre publique par lequel elle se propose d'acquérir la totalité des actions Paribas, y compris celles pouvant provenir de l'exercice d'options de souscription, par remise pour 8 actions Paribas présentées ex-dividende 1998 de 11 actions BNP. L'offre a été présentée sous la condition que l'assemblée générale extraordinaire de la BNP autorise l'émission des actions à remettre aux apporteurs, l'initiatrice se réservant la faculté de ne pas donner suite à son offre si le nombre d'actions présentées en réponse ne lui permet pas de détenir à l'issue de l'offre 50,01 % du capital de Paribas.

Elle a, le même jour, présenté un projet d'offre publique d'échange visant les actions de la Société Générale par remise, pour 7 actions Société Générale, de 15 actions BNP.

Par décisions nº 199C0303 et 199C0304 du 16 mars 1999, publiées le 17 mars, le CMF a déclaré recevable les offres de la BNP sur les titres de Paribas et de la Société Générale, en relevant que la concomitance de ces offres publiques et de celle en cours de la Société Générale sur les titres Paribas pourrait rendre nécessaire, le moment venu, l'ajustement de leurs calendriers dans le cadre des principes posés par l'article 5-1-1 et en application des dispositions de l'article 5-1-13 de son Règlement général.

La COB ayant apposé son visa sur les notes d'information établies par la BNP le 29 mars 1999, et après que le Comité des établissements de crédit et des entreprises d'investissement eut autorisé les prises de contrôle à 50,01 % au moins de Paribas et de la Société Générale par la BNP, les offres de celle-ci ont été ouvertes le 31 mars 1999 et, par voie de conséquence, la durée de l'offre de la Société Générale sur Paribas a été prorogée.

Le 26 mars 1999 la Société Générale et Paribas ont formé un recours en annulation contre la décision nº 199C0303 ayant déclaré recevable l'offre de la BNP sur les titres de Paribas.

Elles ont parallèlement, formé un recours en annulation contre la décision nº 199C0304 ayant déclaré recevable l'offre de la BNP sur les titres de la Société Générale.

Au soutien de leur recours, elles font valoir :

1 - qu'elles sont recevables à agir, étant des "personnes intéressées" au sens de l'article 3 du décret 96-869 du 3 octobre 1996, ayant intérêt à contester la recevabilité de l'offre de la BNP qui s'oppose à la réalisation du projet qu'elles défendent en commun ; que leur recours est par ailleurs recevable car portant à l'évidence sur la structure, donc sur la recevabilité des offres, et non, comme le prétend la BNP, sur l'information que celle-ci a apportée ;

2 - que la spécificité de la démarche de la BNP qui a choisi de lancer de façon concomitante une offre publique d'échange "hostile" tant sur les actions de la Société Générale que sur celles de Paribas, à un moment où Paribas était visée par une offre "amicale" antérieure de la Société Générale, fait qu'il existe une inconnue telle sur les objectifs et les intentions de l'initiateur ainsi que sur les caractéristiques essentielles des titres proposés en échange, que l'offre n'est pas conforme :

- d'une part au droit des obligations, et plus spécialement aux articles 1108 et 1703 du Code civil relatifs à la détermination de l'objet, le contrat d'échange sous forme d'apport offert par la BNP ayant pour objet une chose future, dont la réalisation est incertaine,

- d'autre part à la réglementation boursière, et plus spécialement à l'article 5-1-9 du Règlement général fixant les critères permettant au Conseil d'apprécier la recevabilité d'une offre au regard précisément des objectifs et des intentions de l'initiateur, et à l'article 5-1-1 qui fixe les objectifs des dispositions du titre V de ce règlement général et impose le respect des principes de transparence du marché et de loyauté dans la compétition, l'offre de la BNP sur la Société Générale et parallèlement sur Paribas exprimant seulement la volonté de l'initiatrice de faire obstacle à l'offre antérieure et "amicale" de la Société Générale.

La BNP, initiatrice de l'offre, demande à la Cour de déclarer la Société Générale et Paribas irrecevables en leurs recours en annulation de la décision nº 199C0303, subsidiairement de les déclarer mal fondées, en prétendant :

- sur la recevabilité, que les requérantes ne justifient pas d'un intérêt direct et personnel à agir en annulation de la décision querellée, n'ayant pas qualité à agir afin de protéger leurs actionnaires contre l'offre de la BNP et ne pouvant légitimement reprocher au CMF de ne pas avoir contrôlé le contenu de la note d'information, ledit contrôle relevant de la compétence de la COB,

- sur le fond :

- que rien n'interdit à un initiateur de déposer en même temps deux projets d'offre publique visant des sociétés distinctes,

- que les requérantes développent une thèse factice reposant sur des postulats erronés alors que son offre porte sur des valeurs mobilières que les actionnaires seront libres d'apporter ou non en fonction des modalités et conditions de rémunération proposées, sans être tenus d'adhérer à son projet industriel qu'elle doit faire connaître dans un souci de transparence et de loyauté dans le cadre de la procédure réglementée de prise de contrôle d'une société cotée,

- qu'il n'existe en l'espèce d'incertitude quant à l'objet de l'offre ni au sens du droit des obligations ni au sens de la réglementation boursière ;

- qu'elle n'a manqué ni au principe de transparence ni au principe de loyauté, ayant rempli la première de ces obligations par les informations complètes contenues dans les notes d'information visées par la COB, et ayant un projet qui repose sur la volonté de mettre en place un partenariat entre trois grandes banques.

Le Conseil des marchés financiers indique qu'il n'a fait qu'appliquer les dispositions de sa réglementation spécifique, en décidant que l'offre de la BNP était recevable, observant que l'offre est également conforme aux dispositions du droit civil. Il indique par ailleurs, que le projet déposé par la BNP, qui ne relève d'aucun comportement illicite dans la compétition et qui a fait l'objet d'une information complète, visée par la COB et, au surplus, non contestée par les requérantes, est conforme aux principes de transparence et de loyauté.

Appelée à donner un avis, par application de l'article 12-1 de l'ordonnance du 28 septembre 1967, la COB observe que le CMF doit se prononcer sur la recevabilité d'une offre publique d'échange au regard des dispositions qui régissent celle-ci, et qui s'insèrent elles-mêmes dans le droit des obligations. Elle souligne que l'objet de l'offre est en l'espèce certain, que la spécificité de la situation créée par la double offre de la BNP, caractérisée par l'ampleur de l'aléa qui affecte la réalisation des intentions de l'initiateur, est sans incidence sur ce caractère certain, et, enfin, que le projet n'est ni entaché de manque de transparence ni "infesté de déloyauté".

Le ministère public conclut oralement au rejet des recours.

SUR CE, LA COUR

1) Sur la recevabilité

Considérant que, selon l'article 3 du décret nº 96-869 du 3 octobre 1996, le délai de recours contre les décisions à caractère individuel prises par le CMF est de dix jours. Il court, pour les personnes qui ont fait l'objet de la décision à compter de sa notification et pour les autres personnes intéressées à compter de sa publication ;

Considérant, en l'espèce, que la Société Générale et Paribas ont décidé leur rapprochement au moyen d'une offre publique d'échange déposée par la Société Générale portant sur les titres de Paribas ; que l'offre de la BNP, déposée alors que celle de la Société Générale sur Paribas était en cours, se présente comme un projet concurrent dont Paribas est la cible ; que les requérantes justifient ainsi avoir, au jour de l'introduction de leurs recours, un intérêt légitime, né et actuel à contester la recevabilité de l'offre publique de la BNP visant les titres de Paribas ;

Qu'il s'ensuit que tant la Société Générale que Paribas doivent être regardées comme des personnes intéressées au sens du texte précité ;

Considérant par ailleurs que les recours tendent à l'annulation de la décision de recevabilité, et non à remettre en cause l'information donnée aux actionnaires de la Société Générale et visée par la Commission des opérations de bourse ;

Considérant en conséquence que la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité et du défaut d'intérêt à agir des sociétés requérantes, soulevée par la BNP, doit être rejetée ;

2) Sur le fond

a) Sur l'objet de l'offre publique d'échange

Considérant que les requérantes font valoir que les deux offres de la BNP, indubitablement liées, sont contraires au droit des obligations, faute d'avoir un objet certain, en prétendant qu'est offert aux actionnaires, "un projet de banque à trois" dont nul ne sait quel sera le profit en fin d'opération, de sorte que, si l'objet de l'offre peut être déterminé ou déterminable, il n'en est pas pour autant certain ;

Considérant que, pour l'exécution des missions de service public qui lui sont confiées par la loi nº 96-597 du 2 juillet 1996, le CMF est tenu au respect de l'ensemble des règles légales qui s'y rattachent ; qu'appelé à apprécier la recevabilité d'une offre publique d'acquisition, il est tenu d'appliquer les dispositions du titre V de son règlement général, lesquelles intègrent les exigences du droit civil relatives à la détermination de l'objet de l'offre ;

Qu'il convient donc de rechercher si l'objet de l'offre visée par le recours est déterminé ou déterminable et certain ;

Considérant que, selon l'article 5-1-3 du règlement, l'offre publique peut consister en une offre unique proposant l'achat des titres visés ou l'échange contre des titres émis ou à émettre ou un règlement en titres et en numéraire ; que s'agissant d'une offre d'échange, l'objet est l'obligation réciproque liant les parties de remettre une chose réelle, déterminée ou du moins déterminable ;

Considérant que la BNP offre d'acquérir la totalité des actions Paribas par remise, pour 8 actions Paribas, de 11 actions BNP à émettre portant jouissance au 1er janvier 1999 ; que l'objet de la chose remise en échange, spécifié tant par l'indication de sa nature que par celle de sa quantité, est ainsi clairement désigné comme étant des actions à émettre, c'est-à-dire des valeurs mobilières ;

Que, contrairement à ce qui est soutenu par les requérantes, l'objet du contrat ne doit pas être compris comme "l'association à une future activité économique dont la réalisation est incertaine" ; qu'en effet le principe de la personnalité morale fixé par l'article 5 de la loi du 24 juillet 1966 s'oppose à ce que soit reconnu à l'associé un quelconque droit de propriété sur les actifs sociaux ; que le moyen tiré de l'absence de "consistance réelle des titres à émettre, fonction du projet industriel" pour prétendre que l'objet de l'offre est incertain, est donc inopérant ;

Que la condition suspensive de l'autorisation par l'assemblée générale extraordinaire de la BNP de l'émission des actions à remettre aux apporteurs d'actions de la Société Générale, qui s'est au demeurant réalisée, est à cet égard sans importance ;

Considérant enfin que rien n'interdit à une société de présenter concomitamment deux offres publiques sous-tendues par un seul et même projet économique ou industriel, dès lors que les deux offres ne sont pas liées, le succès de l'une n'étant pas conditionné par la réussite de l'autre ; que tel est le cas en l'espèce dans la mesure où la BNP a indiqué dans son projet déposé le 15 mars 1999, que, dans l'hypothèse où il n'y aurait pas de suite positive à l'offre sur la Société Générale, elle entendait mettre en œuvre avec Paribas un plan industriel alternatif ;

Que cette particularité rend l'aléa, inhérent à toute offre publique d'échange, plus grand pour l'investisseur au moment de sa prise de décision, mais n'affecte en rien le caractère certain de l'objet de chaque offre ;

b) Sur les principes de transparence et de loyauté

Considérant que les requérantes font valoir, d'une part, que les deux offres liées de la BNP ne sont pas conformes à l'exigence de transparence dès lors que les actionnaires de la Société Générale et de Paribas ne peuvent arbitrer en toute connaissance de cause entre la solution de conserver leurs titres ou celle de les apporter aux offres puisqu'il existe une "inconnue totale sur les caractéristiques essentielles des titres proposés en échange, à savoir la substance et la valeur qu'ils représentent", d'autre part, qu'elles ne sont pas loyales dans la mesure où la BNP a choisi de les déposer un mois après l'ouverture de celle "amicale" de la Société Générale sur Paribas dans l'unique but de perturber le projet de la Société Générale et non dans une volonté de conquête ;

Mais considérant que les principes de transparence et de loyauté dans la compétition, énoncés par l'article 5-1-1 du Règlement général du CMF, s'inscrivent, selon ce texte, dans le processus général de conduite d'une offre publique en vue d'un déroulement ordonné des opérations au mieux des intérêts des investisseurs et du marché ;

Qu'il s'ensuit que, dans le cadre de l'examen de la recevabilité d'une offre, qu'il effectue en prenant en compte les critères énumérés à l'article 5-1-9, le Conseil n'a pas à examiner l'opportunité du projet industriel ou économique, mais seulement à en apprécier la cohérence, au regard des dispositions de l'article 5-1-1 de son Règlement général, c'est-à-dire sa conformité avec l'opération de prise de contrôle qui lui est soumise ;

Considérant, en l'espèce, que la BNP a assumé le risque de lancer une opération dont les objectifs, mêmes aléatoires, sont définis en leurs grandes lignes dans le projet d'offre publique déposé lequel précise, conformément à l'article 5-1-4 du règlement général, outre ses objectifs et intentions, la nature et les caractéristiques de la procédure qui conduit à sa réalisation de sorte que la transparence du projet est assurée ; que l'aléa affectant la réalisation du projet industriel, lié au fait que l'objectif poursuivi repose aussi sur le succès de l'offre déposée le même jour sur les titres Paribas, ressort lui-même sans ambiguïté de l'exposé des intentions de l'initiateur, et participe lui aussi de la transparence de l'information ;

Considérant, par ailleurs, que la déloyauté s'entend comme une entrave au libre jeu des offres et des surenchères par le recours à des manoeuvres ou moyens détournés mis en œuvre dans des conditions illicites, occultes ou frauduleuses ; que le fait de déposer simultanément deux offres distinctes dont l'une vise à acquérir les titres d'une société elle-même initiatrice d'une offre concurrente ne porte pas atteinte au principe du libre jeu des offres et des surenchères et que présenter un projet "hostile" n'est pas en soi déloyal ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'offre de la BNP sur les titres de la Société Générale est conforme à la réglementation sur les offres publiques ; que c'est donc à juste titre que le Conseil des marchés financiers l'a déclarée recevable ;

Que les recours formés par la Société Générale et Paribas doivent en conséquence être rejetés ;

Considérant enfin qu'il n'est pas inéquitable de laisser à la BNP la charge des frais par elle exposés et non compris dans les dépens ;

PAR CES MOTIFS

Dit recevables mais non fondés les recours formés par la Société Générale et par la société Paribas à l'encontre de la décision du Conseil des marchés financiers nº 199C0303 du 16 mars 1999 ;

Rejette en conséquence lesdits recours ;

Rejette la demande présentée par la BNP sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Condamne les requérantes aux dépens.