CA Paris, ch. com. économique et financière, 11 juin 1997, n° 97/9316
PARIS
Arrêt
Autre
PARTIES
Défendeur :
Lagardère (SCA), Hachette Filipacchi Presse (Sté), Filipacchi Médias (Sté), Nouvelles Editions Musicales Modernes (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Canivet
Conseillers :
M. Bargue, M. Carre Pierrat
Avocats :
Me Laurin, Me Martin, Me Aknin, Me Loy, Me Vassogne
Par décision du 2 avril 1997, publiée le 3 avril par avis nº 97-1107 de la Société des Bourses Françaises, le Conseil des marchés financiers (ci-après, le Conseil) a décidé d'accorder à la société LAGARDERE S.C.A. une dérogation à l'obligation de dépôt d'un projet d'offre publique sur les actions de FILIPACCHI MEDIAS, société dont les actions sont admises aux négociations du premier marché à règlement mensuel de la Bourse de Paris.
Le 5 mai 1997, M. Alain GENITEAU agissant en qualité d'actionnaire de la société FILIPACCHI MEDIAS, a formé un recours contre cette décision, priant la Cour d'en prononcer l'annulation, de décider que LAGARDERE S.C.A. devra lancer une offre publique d'achat sur les actions FILIPACCHI dans les conditions prévues au titre 5 du chapitre II du règlement général du Conseil et de condamner celui-ci à lui payer une somme de 15.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Conformément aux dispositions de l'article 12-1 de l'ordonnance du 28 septembre 1967, le président de la Commission des Opérations de Bourse a été appelé à déposer des conclusions.
Selon les éléments soumis à l'appréciation de la Cour, les faits nécessaires à la solution du litige peuvent être énoncés comme suit :
La société FILIPACCHI MEDIAS, créée en 1962 par M. Daniel FILIPACCHI et M. Franck TENOT à l'occasion du lancement de la revue "Salut les copains", a connu une croissance rapide, grâce à la création de nouveaux titres ("LUI" en 1963, "PARISCOPE" en 1965 et "PHOTO" en 1967) et au rachat du titre "PARIS MATCH" au groupe PROUVOST en 1976. En 1980, les liens entre le Groupe LAGARDERE et MM. TENOT et FILIPACCHI ont abouti à la constitution d'un des plus importants groupes de presse européen.
Le capital de FILIPACCHI MEDIAS est réparti entre la société Les Nouvelles Editions Musicales Modernes (ci-après, NEMM) (49,7 %), elle-même détenue par M. FILIPACCHI (60 %), M. TENOT (40 %), le public (46,6 %) et LAGARDERE S.C.A. (3,7 %).
La société FILIPACCHI MEDIAS possède une participation minoritaire (34 %) dans la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE (H.F.P.) détenue à 66 % par LAGARDERE S.C.A.
Des sociétés en cause, seules les sociétés FILIPACCHI MEDIAS et LAGARDERE S.C.A. sont cotées en bourse.
MM. TENOT et FILIPACCHI ayant fait part de leur intention de se retirer du groupe, il a été envisagé, avec leur partenaire LAGARDERE S.C.A., le schéma de sortie suivant :
- acquisition par LAGARDERE S.C.A. de 39 % de NEMM auprès de MM. FILIPACCHI et TENOT, ceux-ci conservant le solde de 61 % pour un prix par transparence correspondant à 1.200 francs par action FILIPACCHI MEDIAS,
- fusion de NEMM et de FILIPACCHI MEDIAS, par absorption de la première par la seconde,
- apport par LAGARDERE S.C.A. à FILIPACCHI MEDIAS de ses titres H.F.P. (étant précisé qu'un premier projet consistant en une fusion entre H.F.P. et FILIPACCHI MEDIAS par absorption de la première par la seconde a été abandonnée afin d'obtenir une optimisation fiscale de l'opération).
A l'issue de cette restructuration, il a été prévu que M. FILIPACCHI et M. TENOT reclassent sur le marché leur participation et bénéficient d'une garantie de prix correspondant au prix de 1.200 francs de leur cession de 39 % de NEMM, LAGARDERE S.C.A. s'engageant à compenser la moins-value éventuelle, mais partageant avec eux la plus-value.
Le franchissement des seuils du tiers et de 50 % du capital de FILIPACCHI MEDIAS par LAGARDERE S.C.A. devant résulter de la réalisation de cette opération, le Conseil des Marchés Financiers a été saisi, sur le fondement de l'article 5-4-6 de son règlement général, d'une demande de dérogation à l'obligation de déposer une offre publique d'achat.
C'est dans ces conditions que le Conseil a rendu la décision ci-dessus rappelée aux motifs :
- que 70 % de la valeur de FILIPACCHI MEDIAS sont constitués par sa participation dans H.F.P. dans laquelle le groupe LAGARDERE est majoritaire,
- qu'ainsi le groupe LAGARDERE exerce, depuis plus de quatre ans, la maîtrise de la part essentielle des actifs de FILIPACCHI MEDIAS,
- que les opérations se traduiront par une simplification de l'organisation des sociétés concernées.
Au soutien de son recours, M. GENITEAU fait valoir les moyens de procédure suivants :
- la société LAGARDERE S.C.A. ne pouvait valablement saisir le Conseil en adressant sa demande de dérogation à une collaboratrice des services administratifs dont la fonction de "secrétaire général adjoint" n'est pas prévue par les textes réglementaires,
- le Conseil n'a pas été régulièrement informé de la demande de modification du schéma qui lui avait été initialement soumis,
- Il n'est plus désormais un "organisme" mais une "autorité" professionnelle et en qualité d'établissement public de l'Etat il doit, en application des dispositions de la loi du 28 novembre 1983, informer le public du fait qu'il est saisi d'une demande afin de permettre à toute personne intéressée de formuler des observations sur celle-ci,
- en ne laissant pas aux actionnaires un délai suffisant pour présenter leurs observations avant toute prise de décision, le Conseil a violé le principe de la contradiction,
- il s'est prononcé comme une simple chambre d'enregistrement sans avoir procédé à une "instruction digne de ce nom avec un minimum de sérieux et de compétence",
- une décision du Conseil est obligatoirement écrite, puisque mentionnée dans un procès-verbal et ne peut être, comme en l'espèce, simplement verbale,
- l'absence de mention, dans cette décision telle que publiée par la Société des Bourses Françaises, des noms et du nombre des membres du Conseil ayant siégé et participé à l'adoption de la décision affecte celle-ci de nullité,
- il résulte de cette absence de mention un doute sérieux sur la participation à la délibération de M. Philippe CAMUS "président du comité financier de LAGARDERE" et de M. Jean-François LEPETIT, "conseiller du président" de la B.N.P., doute qui ne peut qu'entraîner l'annulation de la décision sur le fondement de l'article 30 de la loi du 2 juillet 1996,
- les motifs retenus par le Conseil ne sont pas pertinents au regard de l'obligation de motiver les actes administratifs, le texte visé étant sans rapport avec les éléments de fait venant au soutien de la demande de dérogation.
Critiquant ensuite la décision au fond, il soutient :
- qu'il résulte du principe à valeur constitutionnel de l'égalité des actionnaires et de la règle économique de la transparence des marchés, que l'offre publique est la règle et que les dérogations à cette règle sont l'exception,
- que le Conseil ne pouvait donc fonder sa décision sur l'alinéa a) de l'article 5-4-6 du règlement général qui soumet l'octroi d'une dérogation soit à une transmission à titre gratuit, soit à une augmentation de capital en numéraire, soit à une opération de fusion ou d'apport partiel d'actif approuvée par les actionnaires de la société dont les titres ont été acquis, alors que l'opération envisagée n'entre pas dans les prévisions de l'un des deux premiers cas et que si elle entre bien dans celles du troisième, elle n'a pas été approuvée par les actionnaires de la société FILIPACCHI MEDIAS,
- qu'au surplus, dans le montage complexe élaboré, la prise de contrôle de FILIPACCHI MEDIAS par LAGARDERE S.C.A. ne résultera pas de la fusion de FILIPACCHI MEDIAS et de NEMM et de l'apport à FILIPACCHI MEDIAS de la participation de LAGARDERE S.C.A. dans H.F.P., mais sera intervenue préalablement, lors de l'acquisition par LAGARDERE S.C.A., de 39 % de NEMM, société mère de FILIPACCHI MEDIAS,
- que bien que le taux de détention de 39 % reste inférieur au taux de 40 % visé au dernier alinéa de l'article 355-1 de la loi du 24 juillet 1966 instaurant une présomption de contrôle, il existe bien, en l'espèce, une prise de contrôle qui résulte de la volonté de MM. FILIPACCHI et TENOT de se retirer des affaires, de la convention entre eux-mêmes et LAGARDERE S.C.A. pour la suite de l'opération et de l'engagement de LAGARDERE S.C.A. de reclasser leur participation résiduelle à un prix minimal convenu avec partage de tout supplément de prix,
- que la dérogation est inopportune et que rien ne justifie que le Conseil des Marchés Financiers cesse de suivre la doctrine du Conseil des Bourses de Valeurs qui, avant d'accorder une dérogation, vérifiait que l'opération ne pouvait avoir pour effet de modifier le contrôle de la société,
- qu'il est contraire à la vérité de prétendre que le groupe LAGARDERE exerce depuis plus de quatre ans la maîtrise de la part essentielle des actifs de FILIPACCHI MEDIAS, qu'aucune des pièces du dossier ne confirme l'affirmation du Conseil selon laquelle "70 % de la valeur de FILIPACCHI MEDIAS sont constitués par sa participation dans HACHETTE FILIPACCHI PRESSE" et que face au changement radical de situation résultant de l'opération, la seule possibilité de vente sur le marché peut suffire à sauvegarder les droits des actionnaires minoritaires,
- que cette opération est particulièrement complexe et suppose, pour parvenir au niveau de contrôle annoncé de FILIPACCHI MEDIAS par LAGARDERE S.C.A. que soient effectuées des opérations de fusion et d'apport sur des bases, absolument non justifiées dans le dossier de demande et, au surplus, il n'est pas convenable que le Conseil puisse donner, même implicitement, son aval, non pas au principe, mais aux conditions financières d'une fusion ou d'un apport partiel d'actif avant même que les commissaires aux apports et à la fusion n'aient effectué leurs travaux et que les actionnaires se soient prononcés, toute approbation donnée a priori par le Conseil constituant en effet une pression inadmissible sur le vote des actionnaires.
La société LAGARDERE S.C.A. et la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE soulèvent préalablement l'irrecevabilité du recours au motif que M. GENITEAU justifie de la détention des titres de la société FILIPACCHI MEDIAS au 31 décembre 1996 et non à la date de la décision entreprise ou à la date à laquelle il a formé son recours.
Elles concluent, en toute hypothèse, au rejet du recours et à la condamnation de M. GENITEAU à leur payer la somme de 50.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, en soulignant :
- que les griefs fondés sur la saisine irrégulière du Conseil sont inopérants dès lors qu'aucun texte n'impose de respecter un formalisme particulier,
- qu'en ce qui concerne le grief tiré d'une violation du principe de la contradiction, le Conseil a pour seule obligation de publier un avis dans l'hypothèse où il accorde la dérogation demandée et que cette publication fait courir un délai pour permettre aux personnes concernées de faire valoir, le cas échéant, leurs droits dans le cadre d'une procédure contradictoire,
- que les reproches relatifs à l'instruction de la demande relèvent d'un procès d'intention, le Conseil n'étant pas investi d'un pouvoir d'enquête et n'ayant pas à se prononcer sur les modalités financières de l'opération qui lui étaient présentées pour son information et qui sont soumises à l'appréciation des seuls organes compétents (commissaires aux apports, assemblées générales extraordinaires) sous le contrôle de la Commission des Opérations de Bourse,
- qu'en la forme, la décision n'encourt aucun reproche, la mention de la composition du Conseil ne constituant pas en soi une irrégularité,
- que sous couvert de grief de défaut de motivation, le requérant critique en réalité la pertinence de la motivation,
- que contrairement à ce que soutient le requérant, c'est l'obligation de déposer une offre publique qui constitue une exception et qui est d'interprétation stricte,
- que M. GENITEAU ne démontre nullement le caractère "inadéquat" du fondement juridique retenu par le Conseil et que non seulement la sécurité juridique mais aussi le principe de la contradiction et de la transparence du marché, justifient que le Conseil se prononce avant la tenue de l'assemblée, étant souligné que la décision précise que la dérogation est accordée "dans ces conditions et sur les bases des informations qui lui ont été transmises",
- que la cession de la participation de 39 % du capital de NEMM ne constitue, ni en fait ni en droit, un transfert de contrôle dans la mesure où ce transfert ne pourrait résulter que de l'approbation par les actionnaires des sociétés FILIPACCHI MEDIAS, NEMM et H.F.P. de la fusion et de l'apport partiel d'actif et en aucun cas de la cession préalable d'une participation minoritaire de 39 % dans le capital de NEMM,
- que le contrôle d'une société est une notion de droit et non de fait et qu'en l'espèce, aucun des critères fixés par l'article 355-1 de la loi du 24 juillet 1966 n'est caractérisé, la société LAGARDERE S.C.A. ne disposant directement ou indirectement ni d'une détention majoritaire du capital ou des droits de vote, ni d'un accord lui permettant de disposer seule de la majorité des droits de vote, ni du pouvoir de déterminer en fait par les droits de vote dont elle dispose les décisions des assemblées générales, ni de la détention d'une fraction supérieure à 42 %, sans qu'aucun autre actionnaire ne dispose d'une fraction supérieure,
- qu'en ce qui concerne l'opportunité de l'opération, M. GENITEAU procède par voie d'affirmation et, qu'en tout état de cause, eu égard aux chiffres des comptes de résultat pour 1994 et 1995 des sociétés FILIPACCHI MEDIAS et de H.F.P., il ne saurait sérieusement contester le fait que la société LAGARDERE S.C.A. a la maîtrise de la part essentielle des actifs de FILIPACCHI MEDIAS.
La société FILIPACCHI MEDIAS, la société NEMM, M. Daniel FILIPACCHI et M. Franck TENOT demandent à la Cour de déclarer irrecevable le recours qui, s'il a été formé dans le délai de rigueur de dix jours, n'était pas accompagné de la copie de la décision attaquée.
Ils concluent, subsidiairement au rejet du recours en invoquant des moyens de défense de même nature que la société LAGARDERE S.C.A. et demandent la condamnation du requérant à leur payer la somme de 15.000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Concluant au rejet du recours, le Conseil des Marchés Financiers fait observer :
- que la procédure de saisine est parfaitement conforme aux textes applicables,
- que la mention du nom des personnes ayant participé à la délibération n'a pas à être portée sur la décision, et qu'en tout état de cause, il est établi que M. CAMUS n'était pas présent à la réunion du Conseil du 2 avril,
- que la participation de M. LEPETIT était parfaitement régulière dans la mesure où la B.N.P. n'intervient à aucun titre dans cette opération pour laquelle le groupe LAGARDERE a choisi CLINVEST comme banquier,
- que M. GENITEAU dénature la mission du Conseil à qui il n'appartient ni de se prononcer sur la "validité" d'une parité de fusion et des valorisations des sociétés parties à l'opération, ni de procéder à des investigations en vue de l'examen de la recevabilité d'une offre publique, ni de considérer a priori que les informations qui lui sont données sont inexactes, tronquées ou déloyales,
- que la décision attaquée est motivée en fait comme en droit,
- que le Conseil demeure un organisme professionnel comme l'était le Conseil des bourses de valeurs, le terme "autorité" qui le qualifie dans la loi du 2 juillet 1996 étant utilisé en vue d'une mise en conformité avec la terminologie de la directive européenne, et qu'il ne suffit pas à lui attribuer la qualité d'établissement public,
- que sur le fond l'argument selon lequel l'opération n'a pas été d'ores et déjà approuvée par une assemblée générale est totalement artificiel car, de deux choses l'une, soit l'assemblée générale à venir approuve ladite opération de fusion et d'apport partiel d'actif et la dérogation est effectivement octroyée pour une opération entrant dans les prévisions de l'article 5-4-6 a) du règlement général, soit l'assemblée n'approuve pas l'opération et la dérogation accordée devient caduque et ce d'autant plus que LAGARDERE S.C.A. ne franchira pas les seuils qui lui imposent de déposer une offre publique.
- qu'en outre, compte tenu des éléments portés à sa connaissance, la décision du Conseil est parfaitement opportune.
La Commission des Opérations de Bourse estime que la décision ne paraît pas devoir être annulée, étant observé essentiellement :
- que le franchissement du seuil du tiers dans le capital de FILIPACCHI MEDIAS n'est réalisé qu'à compter de la décision de l'assemblée générale se prononçant sur l'apport partiel d'actif et que la condition posée par l'article 5-4-6 a) est donc remplie,
- que le conseil ne s'est pas limité au seul examen du capital ou des droits de vote mais a pris en compte la réalité économique du contrôle de la société cotée.
Le Ministère public a conclu oralement à la recevabilité du recours et à l'annulation de la décision motif pris de ce que l'article 5-4-6 a) du règlement général du Conseil des Marchés Financiers exige que l'opération ait été préalablement approuvée par les actionnaires de la société.
Autorisées, à l'audience, à répondre par écrit avant le 3 juin 1997 à 17 heures, aux observations du Ministère public, les parties et le Conseil des Marchés Financiers ont déposé des notes en délibéré.
SUR CE, LA COUR
Sur la recevabilité du recours :
Considérant, d'abord, que la société LAGARDERE S.C.A. et la société H.F.P. font valoir que M. GENITEAU, qui s'estime en droit de parler au nom des autres actionnaires minoritaires lesquels n'ont cependant formé aucun recours, ne justifie de sa qualité d'actionnaire de la société FILIPACCHI MEDIAS ni à la date de la décision litigieuse, ni à la date à laquelle il a formé son recours ;
Mais considérant, en droit, que tout actionnaire dispose d'un droit propre à exercer un recours contre les décisions à caractère individuel prises par le Conseil des marchés financiers autres que celles prises en matière disciplinaire à la condition de justifier de sa qualité à la date de la décision qu'il conteste et qu'aucun texte n'exige qu'il soit titulaire d'un nombre minimum de titres du capital ;
Or considérant, en l'espèce, que M. GENITEAU produit une attestation de la B.N.P., succursale de Brest, établissant qu'au 14 mai 1997, il détenait de façon continue depuis, au moins le 31 décembre 1996 5 actions FILIPACCHI MEDIAS sous la forme nominative ; que la décision attaquée ayant été publiée le 3 avril 1997, le moyen manque en fait ;
Considérant, ensuite, que la disposition de l'article 4 du décret nº 96-869 du 3 octobre 1996 prescrivant que le demandeur au recours joigne une copie de la décision attaquée n'est pas prescrite à peine de nullité ; que le moyen d'irrecevabilité du recours formé par M. GENITEAU, tiré par la société FILIPACCHI, NEMM, M. Daniel FILIPACCHI et M. Franck TENOT du non respect de cette formalité, dont ils ne soutiennent pas qu'il leur ferait grief, n'est donc pas fondé ;
Sur la régularité procédurale de la décision attaquée :
Considérant que M. GENITEAU soutient, d'abord, que la lettre de demande de dérogation étant adressée non au président, ni au secrétaire général du Conseil, mais nominativement à une collaboratrice des services administratifs dont la fonction de secrétaire général adjoint n'est pas prévue par les textes, n'a pu valablement saisir le Conseil et qu'il convient, en outre, de s'interroger sur les conditions de l'annonce d'une modification substantielle du schéma envisagé (substitution du schéma actuel au projet initial d'absorption de H.F.P. par FILIPACCHI MEDIAS), intervenue le jour même de la décision du Conseil, par simple appel téléphonique du conseil de LAGARDERE S.C.A. à la même collaboratrice des services administratifs et confirmée à celle-ci par une lettre, dont rien ne permet d'établir qu'elle est effectivement parvenue au Conseil avant la tenue de sa séance ;
Mais considérant, d'une part, que l'acte saisissant le Conseil, tant en cas de détention de plus du tiers des titres de capital ou plus du tiers des droits de vote d'une société française dont les titres sont cotés (articles 5-4-1 et 5-4-4 du règlement général), qu'en cas de demande de dérogation (article 5-4-6), n'est soumis à aucune condition particulière de forme ;
Que d'autre part, l'article 1-1-9 de ce même règlement, homologué par arrêté ministériel du 3 mars 1997, dispose que "pour l'accomplissement de sa mission, et notamment pour préparer ses décisions et assurer les contrôles qui lui incombent, le Conseil dispose d'un secrétariat général" et que "en vue d'assurer le fonctionnement du Conseil, le président peut, en cas d'empêchement, confier au secrétaire général, ainsi qu'à tout autre collaborateur du secrétariat général, le soin de signer pour son compte et son lieu et place les actes relevant de ses pouvoirs" ; que la demande a donc pu être valablement adressée à un collaborateur du secrétariat général du Conseil ;
Qu'enfin il n'est pas contesté que le Conseil a bien statué sur le projet qui lui était soumis, dans le dernier état de celui-ci portant sur une opération de fusion des sociétés NEMM et FILIPACCHI MEDIAS, puis d'apport à celle-ci par le groupe LAGARDERE de sa participation de 66 % dans H.F.P. ;
Qu'en conséquence, le moyen doit être rejeté ;
Considérant que le requérant fait valoir, en deuxième lieu, que toute personne concernée par une décision du Conseil, qui n'est plus désormais un "organisme" mais une "autorité" professionnelle ayant qualité d'établissement public de l'Etat, investi à ce titre de prérogatives de puissance publique et prenant des décisions de nature administrative qui doivent être motivées, doit pouvoir, en application des dispositions de la loi du 28 novembre 1983, être informée du fait que le Conseil est saisi d'une demande et avoir la possibilité de formuler des observations sur celle-ci ; que selon M. GENITEAU la décision est critiquable dès lors que, comme en l'espèce, les actionnaires de FILIPACCHI MEDIAS ont appris, par la décision attaquée, simultanément le montage devant aboutir au changement de contrôle et l'octroi d'une dérogation ;
Mais considérant que, le Conseil est une autorité de tutelle professionnelle de droit privé auquel la mission de service public dont il est investi, ne saurait conférer la nature de service de l'Etat ni d'établissement public ;
Que les dispositions de l'article 8 du décret du 28 novembre 1983 concernant les relations entre l'administration et les usagers, applicables aux services administratifs de l'Etat et des établissements publics de l'Etat ne pouvant régir les relations entre le Conseil des marchés financiers et les actionnaires, le moyen ne peut qu'être écarté ;
Considérant que le requérant prétend, en troisième lieu, qu'aucune instruction sérieuse n'a été menée, et que le Conseil qui ne saurait être une simple chambre d'enregistrement, a statué dans un délai de sept jours sur la seule base d'une demande formée par une lettre de six pages sans annexe et d'un rapport de deux pages non daté et non signé ;
Mais considérant que le Conseil, qui n'est investi d'aucun pouvoir d'enquête, n'est pas tenu d'instruire autrement sa décision que par l'examen des demandes, pièces et mémoires qui lui sont adressés ou dont il peut demander la production et, le cas échéant, par l'audition de toute personne intéressée ;
Qu'en l'espèce, saisi, non de la recevabilité d'une offre publique, mais d'une demande de dérogation au dépôt d'une telle offre, il lui appartenait de s'assurer que les opérations d'apport partiel d'actifs et de fusion susceptibles de faire franchir le seuil de 33 % et 50 % du capital et des droits de vote de la société FILIPACCHI MEDIAS, entraient dans les cas de dérogation prévus à l'article 5-4-6 du règlement général ;
Qu'il ne saurait, dès lors, lui être reproché de n'avoir vérifié ni la valorisation des sociétés parties à l'opération, ni la validité de la parité de fusion envisagée, ni l'exactitude du prix convenu entre LAGARDERE S.C.A. et MM. FILIPACCHI et TENOT, ni, encore, les perspectives de reclassement des titres résiduels de FILIPACCHI MEDIAS détenus par eux ;
Que, disposant des informations concrètes nécessaires pour statuer sur la demande de dérogation, notamment des documents sociaux régulièrement publiés par la société FILIPACCHI MEDIAS desquels il résulte que 70 % de la valeur de cette société sont constitués par sa participation dans H.F.P., le Conseil n'encourt pas le grief qui lui est fait ;
Considérant que la décision attaquée est critiquée, en quatrième lieu, en ce qu'elle est purement verbale et qu'elle ne comporte ni les noms, ni le nombre des membres du Conseil ayant siégé et participé à son adoption, de sorte que la Cour n'est pas mise en mesure de vérifier si la séance s'est effectivement tenue avec la présence physique des membres du Conseil, si les règles de quorum (article 4 du décret 96-868 du 3 octobre 1996) ont bien été respectées et si se sont abstenus de siéger les membres du Conseil ayant un intérêt dans la question soumise à celui-ci (article 30 de la loi 96-597 du 2 juillet 1996) ; que M. GENITEAU estime qu'en tout état de cause, il existe un doute sérieux sur la participation à la délibération, de M. Philippe CAMUS "président du comité financier de LAGARDERE" et de M. Jean-François LEPETIT, "conseiller du président" de la B.N.P., doute qui ne peut qu'entraîner l'annulation de la décision sur le fondement de l'article 30 de la loi du 2 juillet 1996.
Mais considérant, d'abord, que la décision du Conseil, délibérée lors de la séance du 2 avril 1997 ainsi qu'il résulte de l'extrait du procès-verbal, paraphé du président, et produit aux débats, n'est pas irrégulière, en l'absence d'une disposition spéciale, du seul fait que la publication qui en a été faite le lendemain par avis de la S.B.F. ne mentionne pas la composition dans laquelle cet organisme a délibéré ;
Qu'en tout état de cause, les noms des membres présents lors de cette séance, au nombre de neuf et satisfaisant ainsi au quorum fixé à l'article 4 du décret nº 96-868 du 3 octobre 1996, sont consignés au procès-verbal précité qui répond aux exigences de l'article 5 du même texte ; qu'il est établi que M. Philippe CAMUS n'était pas présent à la réunion ;
Considérant, ensuite, en droit, qu'aux termes de l'article 30 de la loi du 2 juillet 1996, aucun membre du Conseil ne peut délibérer dans une affaire dans laquelle lui-même ou, le cas échéant, une personne morale au sein de laquelle il exerce des fonctions ou détient un mandat, a un intérêt ;
Qu'en l'espèce, le fait que la B.N.P., au sein de laquelle M. LEPETIT exerce des fonctions, est un des actionnaires de LAGARDERE S.C.A., ne suffit pas à établir que cette banque, dont il n'est pas contesté qu'elle n'intervient à aucun titre dans l'opération concernée, a un intérêt dans l'affaire au sens du texte précité ;
Considérant, en dernier lieu, que, selon M. GENITEAU, ne répond pas aux exigences légales la motivation de la décision qui ne comporte pas des éléments de fait importants permettant d'en comprendre le sens et la portée, tels qu'en l'espèce la mention du contrôle de fait de H.F.P. par MM. FILIPACCHI et TENOT à travers un mandat de gestion, ainsi que le visa de l'article 5-4-6 (a) du règlement général, dépourvu de rapport avec l'opération ;
Mais considérant que la décision attaquée énonce que pour accorder la dérogation demandée, le Conseil "a constaté que 70 % de la valeur de FILIPACCHI MEDIAS sont constitués par sa participation dans H.F.P. dans laquelle le groupe LAGARDERE est majoritaire ; qu'ainsi le groupe LAGARDERE exerce depuis plus de quatre ans, la maîtrise de la part essentielle des actifs de FILIPACCHI MEDIAS ; que les opérations se traduiront par une simplification de l'organisation des sociétés concernées." ;
Qu'ainsi, M. GENITEAU critique en réalité le bien fondé de la décision, sous couvert d'un grief de défaut de motifs qui manque en fait au regard de la nature de la demande dont était saisi le Conseil ;
Au fond :
Considérant, en droit, que selon l'article 5-4-6 du règlement général du Conseil des marchés financiers, "le Conseil peut accorder une dérogation à l'obligation de déposer un projet d'offre publique, si la ou les personnes visées aux articles 5-4-1 et 5-4-4 justifient auprès de lui de la réalisation d'une des conditions suivantes :
a) l'acquisition résulte (...) d'une opération de fusion ou d'apport partiel d'actif approuvée par les actionnaires de la société dont les titres ont été acquis" ;
Qu'il résulte clairement de la rédaction de ce texte l'exigence d'une chronologie des formalités devant aboutir à l'octroi d'une dérogation à l'obligation de déposer une offre publique et que la demande formée à cet effet ne peut être soumise au Conseil qu'après que le projet d'opération de fusion et d'apport partiel d'actif ait été soumis à l'approbation des actionnaires, dans les conditions et formes prévues, notamment, aux articles 372 al. 2, 374 et 376 de la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales ;
Qu'il ne saurait être donné d'autre interprétation à ce texte, tant en ce qui concerne la possibilité alléguée, pour des motifs de pure opportunité, d'inverser l'ordre des opérations, fût-ce dans le souci d'une meilleure information supposée des actionnaires, qu'en ce qui concerne une quelconque faculté, non prévue par le texte, de prononcer une décision conditionnelle laquelle deviendrait caduque en cas de rejet du projet par l'assemblée des actionnaires ;
Considérant, en l'espèce, que le Conseil a exactement constaté que l'opération projetée par la société LAGARDERE S.C.A., consistant en la fusion des sociétés NEMM et FILIPACCHI MEDIAS puis en l'apport à celle-ci par le groupe LAGARDERE de sa participation de 66 % dans H.F.P., entrait dans les prévisions du texte précité ;
Mais considérant qu'en accordant la dérogation sollicitée alors que l'opération projetée n'avait pas fait l'objet de l'approbation exigée, le Conseil a méconnu les dispositions dudit texte ;
Qu'en conséquence et sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens du recours, la décision attaquée doit être annulée ;
Sur la demande formée par M. GENITEAU :
Considérant que la Cour n'a pas le pouvoir d'ordonner une offre publique d'achat relevant des attributions du seul Conseil des marchés financiers ;
Que la demande de M. GENITEAU, tendant à ce qu'il soit fait injonction à la société LAGARDERE S.C.A. de déposer une offre publique, est, en conséquence, irrecevable ;
Considérant que l'équité commande de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS :
Déclare recevable le recours formé par M. Alain GENITEAU à l'encontre de la décision nº 97-1107 du Conseil des Marchés Financiers, publiée le 3 avril 1997 ;
Annule ladite décision ;
Décide qu'il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
Rejette toutes autres demandes ;
Met les dépens à la charge du Trésor public.