CA Paris, 1re ch. H, 7 avril 1998, n° 97/24825
PARIS
Arrêt
Autre
PARTIES
Demandeur :
Parfival (SA)
Défendeur :
Cauval Industries (SA), Viel et Cie Finance (Sté), Conseil des Marchés Financiers, Commission des Opérations de Bourse
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Canivet
Conseillers :
Mme Riffault, M. Le Dauphin
Avoués :
SCP Valdelièvre-Garnier, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay
Avocats :
Me du Granrut, M. de Poix, Me Dompe, Me Faugerolas
Statuant en application du décret nº 96-869 du 3 octobre 1996 relatif aux recours exercés devant la Cour d'Appel de PARIS contre les décisions du Conseil des marchés financiers ;
Après avoir entendu les conseils des parties et du Conseil des marchés financiers, le représentant de la Commission des opérations de bourse et le Ministère public en leurs observations ;
Le 8 octobre 1997, le Conseil des marchés financiers (le Conseil) a, en application des dispositions de l'article 5-5-2 du règlement général du Conseil des bourses de valeur, et sur la demande d'un actionnaire minoritaire de la société CAUVAL INDUSTRIES (société CAUVAL), décidé de requérir le dépôt par la société PARFIVAL d'un projet d'offre publique de retrait visant les actions de la société CAUVAL non détenus par le groupe majoritaire et libellé à des conditions qui puissent être jugées recevables.
Le 21 novembre 1997, la société PARFIVAL a régulièrement formé un recours en annulation et en réformation contre cette décision qui lui a été notifiée le 14 novembre 1997. Ce recours a été dénoncé à la société CAUVAL et la société VIEL est intervenue à la procédure.
Il convient de rappeler les éléments suivants :
Les actions de la société CAUVAL sont inscrites à la cote du marché au comptant de la Société des bourses françaises.
En septembre 1991, le contrôle de la société CAUVAL a été cédé par la société ALTUS FINANCE à la société SOGAMUR laquelle a, en mars 1994, cédé ses actions CAUVAL à la société PARFIVAL, dont l'actionnariat est identique à celui de la société SOGAMUR.
Les sociétés PARFIVAL et SOGAMUR détenaient, respectivement, au 30 septembre 1997, 95,45 % et 1,36 % des droits de vote de la société CAUVAL, soit au total 96,81 %.
La société VIEL et Cie FINANCE (société VIEL) possède, depuis 1989, 177.545 actions CAUVAL, cette participation représentant 2,94 % du capital.
Cette société ayant demandé au Conseil de requérir le dépôt par le groupe majoritaire constitué autour de la société PARFIVAL d'une offre publique de retrait portant sur les actions CAUVAL, le Conseil a rendu la décision précitée.
Au soutien de son recours, la société PARFIVAL fait essentiellement valoir :
- que la liquidité du titre CAUVAL, qui est garantie par un contrat de liquidité, est suffisante en l'état du marché, étant observé qu'il n'est pas soutenu que la société VIEL ait vainement essayé de céder ses titres sur le marché ; qu'en tout état de cause des mesures de restructuration, d'où résultera une amélioration de la liquidité du titre, sont soit réalisées, comme les fusions-absorptions des sociétés civile YVON et SUFFREN, sociétés-holdings du groupe, soit en cours de réalisation, comme la fusion-absorption de la société PARFIVAL par la société CAUVAL, opération à l'issue de laquelle la société de droit néerlandais BEHER-EN BELEGGINGSMAATSCHAPPIJ VERDOSO BV (société BEHER), actionnaire de la société PARFIVAL, détiendra une participation de 12 % dans le capital de la société CAUVAL, ladite participation étant destinée à être cédée sur le marché ; que, de plus, selon un protocole d'accord signé le 7 août 1996 entre la société CAUVAL et la société CONSORTIUM DE REALISATION (le CDR), dont l'exécution est actuellement soumise au tribunal de commerce de Paris, le CDR s'est engagé à prendre, à la faveur d'une augmentation du capital de la société CAUVAL, une participation suffisante pour qu'à l'issue des opérations de fusion, il possède 25 % de ce capital ;
- que l'actionnaire minoritaire, qui a refusé d'apporter ses titres à la garantie de cours mise en oeuvre en 1991, à qui une possibilité de sortie a été de nouveau offerte en 1996, et qui ne peut se plaindre d'aucune rupture du pacte social, l'actionnariat de la société CAUVAL étant stable depuis septembre 1991, ne vise, en l'espèce, qu'à détourner la finalité de la procédure puisqu'il ne recherche qu'une valorisation maximale du prix de ses actions ; que sa mauvaise foi est constituée ;
- que le contexte dans lequel évolue l'action CAUVAL résulte de la position de la Commission des opérations de bourse, laquelle n'a toujours pas donné son visa à l'augmentation du capital de la société CAUVAL prévue en décembre 1994, ni d'ailleurs fait opposition à cette opération qui aurait accru la liquidité du marché des actions.
La société PARFIVAL ajoute que l'offre publique de retrait serait à l'origine de difficultés financières dont il appartient à la cour de tenir compte dans son appréciation du bien-fondé de la demande du minoritaire.
Le Conseil des marchés financiers présente des observations à l'appui de sa décision.
Il estime que cette décision est justifiée par l'impossibilité pour les actionnaires minoritaires de la société CAUVAL de sortir de celle-ci à des conditions normales compte tenu de l'étroitesse et de l'inadéquation du marché et de l'absence de perspectives d'évolution de la liquidité des titres CAUVAL en raison de l'incertitude existant quant au fait que les opérations de concentration envisagées pourront soit être menées à bien, soit permettre l'amélioration de la liquidité des titres, cette observation valant en particulier pour la fusion-absorption de la société PARFIVAL par la société CAUVAL.
Il ajoute que la bonne foi de la société VIEL ne peut être contestée et que les autres arguments de la société requérante sont inopérants en droit et inexacts en fait.
Le Conseil sollicite l'allocation de la somme de 50.000 francs en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La Commission des opérations de bourse a déposé des observations tendant au rejet du recours.
Elle fait valoir que les conditions formelles attachées à la requête de l'actionnaire minoritaire sont satisfaites, que cet actionnaire justifie être dans l'impossibilité de sortir de la société dans des conditions normales et qu'aucun détournement de la procédure d'offre publique de retrait n'a été commis.
La société VIEL, partie intervenante, conclut au rejet du recours.
Elle expose :
- que le marché du titre CAUVAL ne lui permet pas de négocier ses actions dans des conditions normales de délai et de cours, les mesures de restructuration et les prises de participation invoquées par la société PARFIVAL étant des promesses de liquidité virtuelle,
- qu'elle est un actionnaire minoritaire de bonne foi, qui ne sollicite qu'une sortie au juste prix, déterminé sous le contrôle du Conseil des marchés financiers et sur la base de critères pertinents,
- que les moyens tirés des difficultés financières de PARFIVAL et de l'attitude de la Commission des opérations de bourse sont dépourvus de valeur.
La société VIEL réclame la somme de 100.000 francs sur la base de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société CAUVAL intervient au soutien des prétentions de la société PARFIVAL.
Elle relève que les opérations de fusion et les acquisitions réalisées ou envisagées sont indéniablement de nature à permettre l'accroissement de la capitalisation du groupe et l'augmentation de la liquidité de ses titres tandis qu'inversement, une offre de retrait, laquelle l'exposerait à une radiation de la cote, affaiblirait l'actionnaire majoritaire et compromettrait le développement du groupe.
La société PARFIVAL a répliqué, en développant l'argumentation ci-dessus exposée, aux observations de la société VIEL, du Conseil des marchés financiers et de la Commission des opérations de bourse.
Le ministère public a conclu oralement au rejet du recours formé par la société PARFIVAL.
CELA ETANT EXPOSE, LA COUR :
Sur la demande d'annulation de la décision du Conseil :
Considérant que la société PARFIVAL ne développe aucun moyen de nature à entraîner l'annulation de la décision déférée ; qu'il s'ensuit que cette prétention ne peut qu'être rejetée ;
Sur la demande de réformation de ladite décision :
Considérant que les actions de la société CAUVAL sont inscrites à la cote officielle (marché au comptant) de la Bourse de Paris ; que la société PARFIVAL détient 95,45 % des titres de cette société conférant des droits de vote ; que la société VIEL, qui détient 2,94 % des titres de ladite société conférant des droits de vote, a demandé au Conseil de requérir le dépôt par la société PARFIVAL d'un projet d'offre publique de retrait ;
Qu'ainsi se trouvent satisfaites les conditions préalables d'application des dispositions de l'article 5-5-2 du règlement général du Conseil des bourses de valeurs, applicables en la cause ;
Considérant, cependant, que ces dispositions, ayant pour finalité de permettre à l'actionnaire dont le titre a perdu sa liquidité sur un marché rendu étroit par le poids relatif des majoritaires, de sortir de la société dans des conditions normales de cours et de délai, n'ont pas pour effet de rendre obligatoire la mise en oeuvre de l'offre publique de retrait du seul fait que les conditions ci-dessus mentionnées sont réunies ;
Qu'il convient en conséquence de rechercher si, eu égard aux caractéristiques du marché du titre en cause et au volume de la cession envisagée, la société VIEL a la possibilité de céder sa participation dans des conditions normales de cours et de délai ;
Considérant que le capital de la société CAUVAL est représenté par 6.032.726 actions ; que le capital flottant est limité à 191.550 actions, soit 3,17 % du total, dont 177.545 sont la propriété de la société VIEL, le nombre de titres répartis dans le public étant d'environ 12.000 ;
Qu'il résulte des relevés des transactions journalières relatives aux actions de la société CAUVAL établis par la Société des bourses françaises qu'au cours des deux années 1996 et 1997 plus de 80 % des transactions enregistrées sont des "achetés-vendus" d'une action, effectués par la société de bourse spécialiste de la valeur afin de faire coter le titre en exécution d'un contrat de liquidité, et que le total des titres échangés pendant cette période est minime au regard de la quantité d'actions détenue par la société VIEL ;
Qu'aucune amélioration significative de la liquidité de ce titre ne peut être attendue de la mise en oeuvre du contrat de liquidité ci-dessus mentionné, la somme affectée au syndicat de liquidité aux termes de ce contrat, plafonnée à 1.000.000 francs, étant manifestement insuffisante pour lui permettre d'acquérir les actions de la société VIEL ;
Considérant qu'il est ainsi établi que le marché n'a pas, en l'état, la capacité de traiter, dans des conditions normales, la participation de la société VIEL, peu important que cette dernière n'ait pas antérieurement tenté de procéder à une telle cession ;
Considérant, toutefois, que la requérante fait à juste titre observer qu'il convient, pour apprécier le mérite de la demande de l'actionnaire minoritaire, de prendre en compte les perspectives d'évolution des titres en cause ;
Qu'elle soutienne, à cet égard, qu'une augmentation notable de leur liquidité résultera des opérations de restructuration du groupe CAUVAL, accomplies ou en cours de réalisation ;
Mais considérant, en premier lieu, que l'absorption par la société PARFIVAL de la société civile YVON, puis de la société civile SUFFREN, certes réalisée en 1997, n'a eu aucune incidence sur la fluidité du marché des titres émis par la société CAUVAL, étant observé que les sociétés absorbées n'étaient pas titulaires d'actions CAUVAL ;
Considérant, en second lieu, que l'aléa qui affecte sinon le principe de la fusion par voie d'absorption de la société PARFIVAL par la société CAUVAL, du moins le délai de sa réalisation ainsi que ses effets sur l'élargissement du marché des actions de cette dernière, alors même que la société BEHER déclare, aux termes d'une attestation de son président, avoir l'intention de procéder, "dans un délai de neuf mois à compter de leur détention", à la cession de la participation d'environ 12 % qu'elle devrait détenir dans le capital de la société issue des fusions successives, ne permet pas à la cour de considérer que la mesure invoquée répond à la demande exprimée par la société VIEL ; que cette conclusion vaut pareillement pour l'accord - litigieux - conclu entre les sociétés CAUVAL et CDR ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société VIEL n'a pas la possibilité, au regard du volume de la transaction envisagée, de céder ses titres dans des conditions normales de délai et de cours ;
Considérant que la requérante fait encore valoir que l'actionnaire minoritaire, qui a pour seul objectif la valorisation maximale de sa participation, détourne de sa finalité la procédure d'offre publique de retrait après avoir artificiellement créé la situation d'illiquidité du titre qu'il invoque à son profit ;
Considérant que ces circonstances, si elles étaient établies, caractériseraient un abus du droit de se prévaloir de la procédure d'offre publique de retrait instituée en cas de dépassement du seuil de 95 % des droits de vote par le groupe majoritaire ;
Mais considérant qu'un tel abus n'est nullement démontré en l'espèce ;
Considérant, d'abord, que l'ancienneté de la prise de participation de la société VIEL, laquelle remonte à 1989, et sa stabilité, excluent que cet actionnaire ait acquis ses titres à seule fin de se constituer une position significative justifiant sa requête ultérieure ;
Considérant, ensuite, que la société PARFIVAL fait vainement grief à la société VIEL de ne pas avoir présenté ses titres à la garantie de cours mise en oeuvre par la société PARFIVAL en 1991 et de ne pas avoir répondu favorablement à l'offre d'achat de gré à gré de ces mêmes titres formulée en 1996 par la société CAUVAL, à des conditions que la société VIEL a pu tenir pour non conformes à ses intérêts patrimoniaux alors surtout que la société CAUVAL lui faisait part du projet de dépôt par le groupe majoritaire d'une offre publique de retrait suivie d'un retrait obligatoire, qui aurait conduit à la fixation du prix des actions sous le contrôle de l'autorité de marché ;
Et considérant qu'est inopérante l'argumentation fondée sur le litige opposant la société CAUVAL à la Commission des opérations de bourse en raison de la non-délivrance du visa de cette dernière sur le document préalable à une opération d'augmentation du capital de la société CAUVAL envisagée en 1994 ;
Que pas davantage, il n'y a lieu de prendre en considération les difficultés financières dont fait état la requérante, sans d'ailleurs en rapporter la preuve, non plus que l'éventualité d'une radiation de la cote des valeurs émises par la société CAUVAL après réalisation de l'offre publique de retrait ;
Qu'est, enfin, sans portée l'invocation par l'actionnaire majoritaire de l'absence de rupture du "pacte social", cette notion étant étrangère aux dispositions applicables en la cause ;
Considérant, en conséquence, que le recours doit être rejeté ;
Que les circonstances de la cause ne justifient pas qu'il soit fait application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS,
Rejette le recours formé par la société PARFIVAL contre la décision du 8 octobre 1997 du Conseil des marchés financiers, publiée le 5 décembre 1997 sous le numéro 97-4043 ;
Rejette les demandes formées sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Condamne la société PARFIVAL aux dépens.