CA Montpellier, 2e ch. civ., 3 décembre 2020, n° 19/02542
MONTPELLIER
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Défendeur :
Banque CIC Sud-Ouest (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Gregori
Conseillers :
M. Jouve, Mme Sarret
EXPOSE DU LITIGE :
Suivant acte notarié en date du 30 mars 2015, la Banque CIC Sud-Ouest a consenti à la Société d'exploitation de franchise et compagnie (SEF ET CO) un prêt destiné à l'acquisition d'un fonds de commerce de terminal de cuisson de produits de boulangerie, à la réalisation de travaux et à l'achat de matériel professionnel.
Aux termes de ce même acte, Monsieur Thierry V. s'est porté caution solidaire des engagements de la société SEF ET CO à hauteur de la somme de 414 000 €.
L'acte prévoit également que le prêt est garanti par un nantissement du fonds de commerce.
Suivant jugement en date du 20 juin 2018, le tribunal de commerce de Perpignan a prononcé l'ouverture d'une procédure de sauvegarde à l'égard de la société SEF ET CO.
Le 11 octobre 2018, la Banque CIC Sud-Ouest a pris une inscription d'hypothèque provisoire auprès des services de la publicité foncière de Perpignan sur les droits détenus par Thierry V. sur les biens immobiliers suivants lui appartenant :
- sur un immeuble d'habitation sis sur la commune de [...] sur la parcelle cadastrée section AA n° 186 d'une contenance de 7a 69ca
- sur un ensemble immobilier sis sur la commune de [...] cadastré section AC n° 396, 573, 605, 637, 640, 642 et 644 d'une contenance totale de 8a 32ca (lots n° 10 et 22).
Cette hypothèque judiciaire a été dénoncée à Monsieur Thierry V. suivant exploit d'huissier en date du 15 octobre 2018.
Par exploit du 13 novembre 2018, Monsieur Thierry V. a fait assigner la Banque CIC Sud Ouest devant le juge de l'exécution du Tribunal de Grande Instance de Perpignan aux fins d'obtenir mainlevée de l'hypothèque provisoire.
Par jugement en date du 1er avril 2019, le juge de l'exécution du Tribunal de Grande Instance de Perpignan a :
- déclaré bonne et valable l'inscription d'hypothèque provisoire prise à la requête de la banque CIC Sud- Ouest le 11 octobre 2018 sur les droits détenus par M. Thierry V. sur les biens immobiliers en cause
- débouté, en conséquence, M. Thierry V. de l'intégralité de ses prétentions
- condamné M. Thierry V. à payer à la banque CIC Sud-Ouest la somme de 1.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
- condamné M. Thierry V. aux entiers dépens de l'instance.
Ce jugement a été notifié à Monsieur Thierry V. par les soins du greffe du juge de l'exécution par lettre recommandée avec demande d'avis de réception revenu signé le 5 avril 2019.
Monsieur Thierry V. a interjeté appel de cette décision par déclaration signifiée par la voie électronique le 11 avril 2019.
L'affaire a été fixée à bref délai à l'audience du 5 décembre 2019, date à laquelle elle a été renvoyée à l'audience du 18 mai 2020 puis à celle du 22 octobre 2020 en raison du mouvement de grève des avocats du Barreau de Montpellier.
Aux termes de ses dernières conclusions signifiées par la voie électronique le 24 mai 2019, auxquelles il est expressément renvoyé pour un exposé complet de ses moyens et prétentions, Monsieur Thierry V. demande à la cour de :
* infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
* débouter la BANQUE CIC DU SUD OUEST de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
* ordonner la mainlevée, aux frais de la BANQUE CIC DU SUD OUEST de la prise d'hypothèque provisoire en date du 11 octobre 2018 aux services de la publicité foncière de PERPIGNAN sur les droits qu'il détient sur les biens immobiliers suivants :
- Sur la commune de [...], immeuble d'habitation sur la parcelle cadastrée Section AA n° 186 d'une contenance de 7a 69ca ;
- Sur la commune de [...], dans un ensemble immobilier cadastré Section AC n° 396, 573, 605, 637, 640, 642, 644 d'une contenance totale de 8a 32ca (lots n° 10 et 22).
* condamner la BANQUE CIC DU SUD OUEST à lui payer la somme de 6 000,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
* condamner la BANQUE CIC DU SUD OUEST aux entiers dépens, de première instance et d'appel.
Aux termes de ses dernières écritures signifiée par la voie électronique le 31 mai 2019, auxquelles il est expressément renvoyé pour un exposé complet de ses moyens et prétentions, la SA Banque CIC Sud-Ouest, demande à la cour de :
* confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
* Par voie de conséquence :
- rejeter la demande de mainlevée de l'hypothèque provisoire prise le 11 octobre 2018.
- déclarer l'hypothèque judiciaire prise par la Société BANQUE CIC SUD OUEST valable.
* Y rajoutant,
- condamner Monsieur Thierry V. au paiement de la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 28 novembre 2019.
La décision a été mise en délibéré au 3 décembre 2020.
MOTIVATION
Sur la demande de mainlevée de l'inscription d'hypothèque provisoire
L'article L 511-1 du code des procédures civiles d'exécution dispose en son premier alinéa que : 'Toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l'autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement.'
L'article L 511-2 du même code prévoit cependant qu'une autorisation préalable du juge n'est pas nécessaire lorsque le créancier se prévaut d'un titre exécutoire ou d'une décision de justice qui n'a pas encore force exécutoire.
Il n'est pas contesté, en l'espèce, par Monsieur Thierry V. que la Banque CIC Sud-Ouest dispose à son encontre d'un titre exécutoire constitué par l'acte authentique du 30 mars 2015. La Banque CIC Sud-Ouest n'était donc pas tenue de solliciter une autorisation préalable du juge pour faire inscrire l'hypothèque provisoire litigieuse.
Il ressort néanmoins des dispositions de l'article L 512-1 du code de procédure civile d'exécution que même lorsqu'une telle autorisation n'est pas requise, le juge peut donner mainlevée de la mesure conservatoire s'il apparaît que les conditions prescrites par l'article L 511-1 ne sont pas réunies, ce que confirme l'article R 512-1 du même code qui dispose que 'Si les conditions prévues aux articles R 511-1 à R 511-8 ne sont pas réunies, le juge peut ordonner la mainlevée de la mesure à tout moment, les parties entendues ou appelées, même dans le cas où l'article L 511-2 permet que cette mesure soit prise sans autorisation. '
En outre, la Banque CIC Sud-Ouest qui soutient que la prise d'hypothèque judiciaire provisoire n'est pas une mesure d'exécution mais uniquement une mesure conservatoire préventive que peuvent prendre dans le cadre d'une procédure de sauvegarde les créanciers bénéficiaires de garanties en application de l'article L 622-28 du code de commerce, ne saurait pour autant échapper aux dispositions précitées du code de procédure civile d'exécution alors qu'il ressort de la combinaison des articles L 622- 28 alinéa 2 et 3 du code de commerce et R 622-26 du même code que les créanciers ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie peuvent prendre des mesures conservatoires mais dans les conditions prévues aux articles R 511-1 et suivants du code de procédure civile d'exécution.
Dès lors, l'existence de la procédure de sauvegarde en cours concernant la société SEF ET CO et le fait que la Banque CIC Sud-Ouest est bénéficiaire de garanties ne sont pas de nature à dispenser cette dernière de prouver que les deux conditions cumulatives prévues à l'article L 511- 1 précité (apparence d'une créance fondée en son principe et existence de menaces dans le recouvrement de sa créance) sont réunies, la charge de cette preuve lui incombant conformément au dernier alinéa de l'article R 512-1 du même code.
Monsieur Thierry V. ne conteste pas l'existence d'une créance paraissant fondée en son principe selon les termes l'article L. 511-1 du code de procédure civile d'exécution.
Il conteste, en revanche, l'existence de menaces de recouvrement en faisant valoir d'une part que la procédure de sauvegarde concernant la société SEF ET CO, débitrice principale induit une absence totale d'état de cessation des paiements et d'autre part que cette procédure de sauvegarde est insuffisante pour justifier de menaces dans le recouvrement de la créance de la banque alors que celle-ci a inscrit une hypothèque provisoire sur ses biens, en sa qualité de caution et doit donc établir l'existence de telles menaces en considération de sa seule situation et non en considération de la situation de la débitrice principale.
La Banque CIC Sud-Ouest conclut à la confirmation du jugement entrepris et s'oppose à la demande de mainlevée en considérant que les menaces dans le recouvrement de sa créance sont bien caractérisées par le placement sous sauvegarde de la société SEF ET CO qui atteste des difficultés financières de cette entreprise et laissant craindre une éventuelle insolvabilité. Elle expose, au surplus, qu'une telle mesure ne cause aucun préjudice à Monsieur V., sauf s'il entendait vendre ses droits sur les immeubles, objets de la mesure conservatoire et que par son action devant le juge de l'exécution aux fins de mainlevée et par le présent appel, il démontre qu'il cherche à se libérer de l'hypothèque pour pouvoir disposer librement de ses biens et à organiser son insolvabilité.
Il convient de rappeler que c'est le créancier qui a la charge de la preuve des circonstances mettant en péril le recouvrement de sa créance.
C'est à tort, en l'espèce, que l'intimée soutient que la procédure de sauvegarde concernant la société SEF ET CO, débitrice principale suffit à justifier l'existence de menaces de recouvrement de sa créance alors que cette société n'est pas la débitrice visée par la mesure conservatoire prise le 11 octobre 2018, l'inscription de l'hypothèque provisoire ayant été prise sur les biens immobiliers appartenant à Monsieur Thierry V., en sa qualité de caution de la société SEF ET CO. La Banque CIC Sud-Ouest ne fait état que des difficultés de cette société, du fait de la procédure de sauvegarde en cours, mais ne caractérise à aucun moment les menaces dans le recouvrement de sa créance à l'encontre de Monsieur V. lui-même et ne produit d'ailleurs strictement aucune pièce à cet égard.
Il n'y a pas lieu non plus de présumer chez Monsieur V. une intention d'organiser son insolvabilité du seul fait de la saisine par ce dernier du juge de l'exécution aux fins de mainlevée de la mesure conservatoire et de l'appel formé à l'encontre de la décision entreprise, s'agissant de l'exercice de voies de droit légitimes et à défaut pour la Banque d'apporter la preuve d'actes matériels préparatoires manifestant une telle intention ou constituant la tentative d'un tel comportement.
En conséquence, c'est à tort que le premier juge, pour valider l'inscription de l'hypothèque provisoire en cause et rejeter la demande de mainlevée formée par Monsieur V., s'est fondé sur les difficultés financières de la société SEF ET CO résultant de son placement en sauvegarde pour en déduire qu'elles constituaient une circonstance susceptible de peser sur le recouvrement de la créance de la banque, alors qu'il convenait de ne prendre en considération que la seule situation financière de Monsieur V. à l'encontre duquel la mesure conservatoire a été pratiquée.
Enfin l'existence ou non d'un préjudice causé à l'appelant par la réalisation de la mesure conservatoire est totalement indifférente pour apprécier le bien-fondé de la demande de mainlevée de cette mesure.
Il convient donc d'infirmer l'ensemble des dispositions du jugement entrepris et statuant à nouveau d'ordonner, aux frais de la banque CIC Sud-Ouest, la mainlevée de l'inscription d'hypothèque provisoire prise par elle le 11 octobre 2018 auprès des services de la publicité foncière de Perpignan sur les droits détenus par Thierry V. sur les biens immobiliers lui appartenant, ainsi qu'il sera précisé au dispositif du présent arrêt.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
Il est inéquitable de laisser à la charge de Thierry V. les sommes non comprises dans les dépens. La Banque CIC Sud-Ouest sera condamnée à lui verser la somme de 2000 € en vertu de l'article 700 du code de procédure civile.
La demande formée sur le fondement des mêmes dispositions par la Banque CIC Sud-Ouest, qui succombe en ses prétentions, sera rejetée.
Pour les mêmes motifs, la Banque CIC Sud-Ouest sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Et statuant à nouveau :
Ordonne, aux frais de la Banque CIC Sud-Ouest, la mainlevée de l'inscription d'hypothèque provisoire prise le 11 octobre 2018 par cette dernière auprès des services de la publicité foncière de Perpignan sur les droits détenus par Thierry V. sur les biens immobiliers suivants lui appartenant :
- sur l'immeuble d'habitation sis sur la commune de [...] sur la parcelle cadastrée section AA n° 186 d'une contenance de 7a 69ca
- sur l'ensemble immobilier sis sur la commune de [...] cadastré section AC n° 396, 573, 605, 637, 640, 642 et 644 d'une contenance totale de 8a 32ca (lots n° 10 et 22),
Et y ajoutant,
- condamne la Banque CIC Sud-Ouest à payer à Thierry V. la somme de 2000 € en vertu de l'article 700 du code de procédure civile,
- rejette la demande formée par la Banque CIC Sud-Ouest au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamne la Banque CIC Sud-Ouest aux dépens de première instance et d'appel.