Livv
Décisions

Cass. soc., 8 avril 1998, n° 96-40.062

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Merlin

Rapporteur :

M. Texier

Avocat général :

M. Terrail

Avocat :

SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez

Lyon, ch. soc., du 7 sept. 1995

7 septembre 1995

Attendu que Mme X... a été engagée en août 1984, par le cabinet de M. B..., en qualité de secrétaire;

qu'elle a été licenciée pour faute grave par lettre du 17 août 1992, et a saisi la juridiction prud'homale en paiement de diverses sommes liées à la rupture du contrat de travail ;

Sur le premier moyen :

Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt attaqué (Lyon, 7 septembre 1995), d'avoir statué au fond sur la cause de licenciement de la salariée et de l'avoir condamné à payer diverses sommes, après avoir reconnu l'inexistence du préliminaire de conciliation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes de Lyon, non saisi et d'avoir annulé le jugement du 11 février 1994;

alors, selon le moyen, que l'arrêt reconnaissant que le préliminaire de conciliation n'avait jamais eu lieu et que le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes de Lyon n'avait jamais été saisi, il en découlait que le bureau de jugement du conseil de prud'hommes de Lyon, pouvant être saisi uniquement par son bureau de conciliation, n'avait donc jamais été valablement saisi et ne pouvait juger le fond, et que donc la cour d'appel ne pouvait non plus statuer au fond sur le licenciement et condamner M. B... à payer diverses sommes avant que ledit préliminaire de conciliation n'ait eu lieu, et que le bureau de jugement du conseil de prud'hommes de Lyon ait été saisi par le bureau de conciliation du même conseil de prud'hommes ;

Mais attendu qu'ayant énoncé que, lorsque l'appel tend à l'annulation d'un jugement, la dévolution s'opère sur le tout, la cour d'appel a justement décidé d'annuler le jugement et de statuer sur le fond du litige ;

que le moyen n'est pas fondé ;

Sur les deuxième à quatrième moyens réunis :

Attendu que l'employeur fait encore grief à l'arrêt d'avoir jugé que le licenciement de la salariée était dépourvu de toute cause réelle et sérieuse, et de l'avoir condamné à lui payer diverses sommes au titre de préavis, congés payés, indemnité de licenciement, régularisation de salaire, prorata de treizième mois, et dommages-intérêts pour licenciement abusif ;

alors, selon les moyens, d'abord, qu'en statuant de la sorte, notamment en indiquant qu'il "subsistait un doute sur la réalité des griefs allégués" par l'employeur puis "un doute pesant sur les manquements" de la salariée et en tirant la conclusion qu'aucune faute grave ne pouvait être retenue à l'encontre de Mme X... ni même une cause réelle et sérieuse, sans préciser pourquoi et en quoi le doute était établi et en quoi les propos figurant sur les attestations produites par M. B... étaient imprécises et en contradiction avec les attestations de Mme X..., l'arrêt a statué par motifs dubitatifs, contradictoires, hypothétiques et par défaut de motif;

qu'il a violé les dispositions de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile et manque de base légale;

alors, ensuite qu'il résulte de la motivation que l'arrêt a dénaturé totalement les termes des éléments et pièces du dossier, ainsi que les conclusions d'appel de M. B..., en particulier les deux attestations de Mme Z..., qui étaient suffisamment précises, les deux attestations de Mme Y... qui se complétaient et étaient aussi suffisamment précises, l'attestation de Mme D... qui était aussi suffisamment précise, et l'attestation de Mme A...;

que M. B... ou son cabinet, au moment de la convocation de la salariée à l'entretien préalable du 24 juillet 1992, n'était pas inquiété par quoi que ce soit;

que le 17 août 1992, moment de l'envoi de la lettre de licenciement, rien n'avait été révélé au grand jour par la presse, l'article de presse invoqué par Mme X... étant daté du 28 août 1992, c'est-à-dire bien postérieur au licenciement intervenu le 17 août 1992;

que les erreurs volontairement commises chaque mois par l'employée sur l'établissement de ses propres fiches de paie ne portent pas sur des erreurs d'environ "un franc" comme l'indique l'arrêt, mais chaque mois sur un jour entier de congé à prendre en plus au profit de Mme X...;

que Mme X... ne contestait pas avoir établi les 5 fiches de paie litigieuses se bornant à indiquer que l'employeur s'était à la fin aperçu des erreurs et avait rectifié;

alors encore, qu'il est inexact que M. B... n'avait apporté aucune précision sur les erreurs dans le travail de son employée puisqu'il les mentionnait dans ses conclusions d'appel;

alors, encore que le cabinet n'a jamais été fermé, ce que n'avait d'ailleurs jamais prétendu Mme X...;

alors, enfin, que le fait pour l'employeur d'avoir pu vérifier et modifier les "erreurs" commises par Mme X... sur ses fiches de paie, n'enlève pas à cette faute réitérée de l'employée à son profit son caractère de faute grave ou de cause réelle sérieuse de licenciement;

alors que la cour d'appel n'a pas analysé ni répondu aux griefs invoqués par M. B... dans ses conclusions contre son employée, survenus en juillet et août 1992, concernant la violation du secret professionnel par Mme X... auprès du facteur et de Mme C..., le détournement de client vers un autre cabinet d'avocat, le signalement de licenciement aux clients du cabinet B..., le refus d'exécuter les ordres de l'employeur;

alors que l'arrêt a retenu globalement les attestations produites par Mme X... sans répondre aux moyens des conclusions de M. B..., indiquant que ces attestations étaient nulles, non pertinentes et doivent être écartées des débats car non écrites par les témoins mais par Mme X... elle-même, et sans s'expliquer sur les conclusions de M. B... indiquant que ces attestations concernaient une situation antérieure de plusieurs années au licenciement, et étaient donc sans intérêts dans le litige pour combattre les attestations invoquées par lui, qui concernaient des faits très récents survenus en juillet et août 1992;

alors que l'arrêt n'a pas statué sur la demande de M. B..., qui réclamait que soit ordonnée la production par Mme X... des justificatifs de ses recherches d'emploi, inscription à l'ANPE, déclaration de revenus, des mensualités de crédits immobiliers pris en charge par l'assurance chômage et le montant des indemnités Assedic perçus, tous éléments nécessaires pour établir le préjudice éventuel, tous documents que Mme X... se refusait à verser au débat malgré les demandes officielles faites par lettre et conclusions;

alors que l'arrêt devait analyser les attestations des griefs produites par M. B... et les attestations en défense produites par Mme X... et dire précisément en quoi elles se contrediraient, ce qui n'a pas été fait, alors que c'était nécessaire pour les prendre en considération ou les rejeter et pour apprécier l'existence des fautes de la salariée;

alors que, l'arrêt devait dire pourquoi les attestations produites par M. B... étaient très imprécises sur les dates et propos tenus, et les conséquences à en tirer afin de motiver sa décision et permettre à la Cour de Cassation de vérifier qu'il ne dénaturait pas les termes desdites attestations;

que l'arrêt a violé les dispositions des articles L. 122-9, L. 122-14-3 du Code du travail, de l'article 1353 du Code civil et de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile, et a statué par défaut de motif, défaut de réponse à conclusions, manque de base légale ;

Mais attendu que, sous le couvert de griefs non fondés de violation de la loi, de dénaturation et de défaut de réponse à conclusions, les moyens ne tendent qu'à remettre en discussion, devant la Cour de Cassation, les éléments de fait et de preuve qui ont été souverainement appréciés par les juges du fond;

qu'ils ne sauraient être accueillis ;

Sur le cinquième moyen :

Attendu que l'employeur fait encore grief à l'arrêt d'avoir décidé qu'il appartient au juge du fond d'apprécier la nécessité d'un serment décisoire et d'avoir rejeté la demande de serment décisoire présentée par lui;

alors, selon le moyen, que Mme X... n'a jamais prétendu que le serment décisoire portait sur des éléments de sa vie privée, et que M. B... demandait que soit déféré le serment décisoire à Mme X... sur la réalité des faits qui lui étaient reprochés dans la lettre de licenciement;

alors que l'arrêt aurait du s'expliquer, analyser et détailler les éléments du serment proposé qui auraient concerné la vie privée de Mme X...;

alors que le serment décisoire n'a pas pour objet de suppléer à la carence de la partie défenderesse dans l'administration de la preuve et peut être déféré en tout état de cause, même s'il n'existe aucun commencement de preuve de la demande;

alors que l'arrêt attaqué, devait dire si le déféré de serment décisoire réclamé par M. B... était admissible, pertinent et nécessaire, ce que celui-ci prétendait, puisque portant uniquement sur la réalité des faits professionnels imputés à Mme X... par la lettre de licenciement;

alors, enfin que l'arrêt ayant indiqué "qu'il subsiste un doute sur la réalité des griefs allégués..." et "compte tenu du doute pesant sur les manquements" de la salariée, le serment décisoire était nécessaire et pertinent pour lever lesdits doutes ;

que l'arrêt a ainsi violé les dispositions des articles 317 et 455 du nouveau Code de procédure civile et 1357, 1358, 1359 et 1360 du Code civil, a dénaturé les faits sur lequels le serment devait être déféré et a statué par défaut de motifs et n'a pas donné de base légale à sa décision ;

Mais attendu que par une décision motivée et une appréciation souveraine de la nécessité et de la pertinence de déférer le serment décisoire demandé par l'employeur, la cour d'appel a estimé qu'il n'y avait pas lieu de l'ordonner;

que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le sixième moyen :

Attendu que l'employeur fait enfin grief à l'arrêt, de l'avoir condamné à payer des intérêts à compter de la convocation de l'employeur devant le conseil de prud'hommes de Grenoble, sur les indemnités de préavis, de congés payés, les salaires et primes;

alors, selon le moyen, que Mme X... n'avait pas demandé la condamnation de M. B... à payer des intérêts sur ces indemnités;

alors, que la créance de réparation ne peut produire d'intérêts moratoires que du jour où elle est allouée judiciairement;

que les intérêts alloués à compter d'une date antérieure, constituent une réparation complémentaire faisant partie intégrante des dommages-intérêts accordés à titre principal lesquels ne peuvent excéder la demande;

alors, que Mme X... demandait la confirmation du jugement du conseil de prud'hommes de Lyon, donc demandait seulement les sommes mentionnées par ce jugement, lesquelles ont été reprises intégralement par la cour d'appel, après annulation du jugement, de sorte que l'arrêt ne pouvait accorder des intérêts sur ces sommes pour une date antérieure audit arrêt, faute d'avoir été demandé par Mme X... ni accordé par le conseil de prud'hommes et donc a statué ultra petita;

alors qu'en accordant des intérêts non réclamés pour une période antérieure à la date de fixation des sommes principales, l'arrêt a accordé un complément de réparation qui n'était pas réclamé, en portant de ce fait les sommes allouées à un montant supérieur à ce qui avait été réclamé et a donc statué ultra petita;

que l'arrêt a violé les dispositions des articles 1153-1 du Code civil, 4 et 5 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que les indemnités de préavis, de congés payés et les salaires constituent des créances que le juge ne fait que constater et sur lesquels les intérêts légaux courent de plein droit à compter de la demande valant mise en demeure;

que la cour d'appel a justement décidé que les intérêts devaient courir à compter de la saisine par la salariée du conseil de prud'hommes de Grenoble;

que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.