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Décisions

Cass. crim., 1 avril 2020, n° 19-83.631

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme de la Lance

Avocat :

SCP Bouzidi et Bouhanna

Reims, du 7 mars 2019

7 mars 2019

1. M. I... W... a porté plainte et s'est constitué partie civile devant le doyen des juges d'instruction du tribunal de grande instance de Reims des chefs de faux et usage.

2. Il faisait notamment valoir que le compte-rendu d'hospitalisation établi le 31 août 2009 par le docteur M..., à la suite de son hospitalisation à la clinique Courlancy de Reims (51), constituait un faux en écriture privé, dès lors qu'il mentionnait à tort que l'électrophorèse ne montrait pas de dysglobulinémie, ce qui avait retardé à son préjudice le diagnostic de myélome de stade 1.

3. Il énonçait également que, dans le cadre de l'instance civile l'opposant à plusieurs médecins ayant eu à connaître de sa situation médicale, il avait demandé la communication de son dossier médical et qu'après avoir obtenu avec difficulté les divers dossiers, avait constaté que certains courriers étaient des faux.

4.Il en était ainsi d'un courrier du docteur B... daté du 10 janvier 2010 à l'attention des docteurs P..., V... et X..., alors que le docteur B... avait écrit pour la première fois au docteur X... le 28 juillet 2010, et que la partie civile n'avait jamais rencontré ce médecin en janvier 2010.

5. Il en était de même d'un courrier qui aurait été adressé aux docteurs P..., V... et X... le 28 juillet 2010, alors que cette correspondance figurait dans un autre dossier médical avec une pagination différente et certains éléments rédactionnels modifiés, tandis que cette lettre apparaissait une troisième fois mais avec pour seuls destinataires les docteurs P... et V....

6. Enfin, la partie civile précisait que le docteur B... lui avait écrit le 12 avril 2012 pour mettre en avant les résultats du bilan médical qu'il avait demandé en mai 2010, alors que c'était son généraliste et non ce médecin qui avait demandé ce bilan biologique à l'origine de la découverte de sa maladie.

7. Le 23 octobre 2013, le procureur de la République de Reims a pris des réquisitions aux fins d'informer contre personne non dénommée des chefs de faux et usage.

8. Le 5 janvier 2018, le juge d'instruction a rendu une ordonnance de non-lieu, considérant que les investigations portant sur l'ensemble des documents médicaux ou courriers dénoncés ainsi que les auditions avaient mis en évidence l'absence de faits pénalement répréhensibles, soit par défaut d'élément matériel corroborant les déclarations de la partie civile, soit en l'absence d'intention délictuelle.

9. La partie civile a interjeté appel de la décision.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche et sur le second moyen, pris en sa première branche

10. Les griefs sont réunis.

11. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Mais sur le premier moyen, pris en ses première, troisième et quatrième branches

Enoncé du moyen

12. Le moyen est pris de la violation des articles 441-1 et suivants, 121-3, alinéa 1er du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale.

13. Le moyen critique l'arrêt en ce qu'il a confirmé l'ordonnance de non-lieu entreprise, alors :

« 1°/ que constitue un faux toute altération frauduleuse de la vérité, de nature à causer un préjudice et accomplie par quelque moyen que ce soit, dans un écrit qui a pour objet ou qui peut avoir pour effet d'établir la preuve d'un droit ou d'un fait ayant des conséquences juridiques ; qu'en se bornant à relever, pour conclure que la lettre du Dr B... datée du 12 janvier 2010 ne pouvait être constitutive de l'élément matériel de faux, que cet écrit n'a pas eu pour effet d'établir la preuve d'un droit ou d'un fait ayant une quelconque conséquence juridique, sans nullement rechercher si un tel courrier, produit devant le juge civil dans le cadre de l'action en responsabilité dirigée contre ce médecin, n'était pas susceptible de produire un quelconque effet probatoire ou créateur de droits, s'agissant de l'absence ou de l'atténuation de responsabilité de ce médecin, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des textes susvisés ;

3°/ que le faux matériel est caractérisé dès lors que l'altération frauduleuse de la vérité dans un écrit a occasionné un préjudice, peu important qu'il ait eu ou non pour objet ou pour effet d'établir la preuve d'un droit ou d'un fait ayant des conséquences juridiques ; que l'exposant avait précisément fait valoir et offert de démontrer que les différentes lettres du docteur B... arguées de faux avaient été à l'origine de différents préjudices qu'il avait subi (conclusions p 8 et 9) ; qu'en retenant que la lettre du Dr B... du 12 janvier 2010 ne peut être constitutive de l'élément matériel de faux dès lors que cet écrit n'a pas eu pour effet d'établir la preuve d'un droit ou d'un fait ayant une quelconque conséquence juridique et ce « sans qu'il y ait lieu de se pencher sur l'existence d'un préjudice », la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des textes susvisés ;

4°/ qu'en retenant tour à tour que le courrier du 12 janvier 2010 ne peut être constitutif de l'élément matériel d'un faux « en l'absence de toute conséquence juridique y attachée » tout en admettant, s'agissant de l'élément intentionnel de l'infraction, qu'il pourrait être retenu « que le Dr B... a menti pour tenter de s'exonérer de sa responsabilité civile, au moins en ce qui concerne le courrier du 12 janvier 2010 » la cour d'appel s'est prononcée par des motifs contradictoires et a privé sa décision de motifs en violation des textes susvisés. »

Réponse au moyen

Vu l'article 441-1 du code pénal :

14. Il résulte de ce texte que constitue un faux toute altération frauduleuse de la vérité, de nature à causer un préjudice et accomplie par quelque moyen que ce soit, dans un écrit ou tout autre support d'expression de la pensée, qui a pour objet ou qui peut avoir pour effet d'établir la preuve d'un droit ou d'un fait ayant des conséquences juridiques.

15. Pour confirmer l'ordonnance attaquée, l'arrêt retient que le courrier du 12 janvier 2010 ne peut être constitutif de l'élément matériel d'un faux en l'absence de toute conséquence juridique y attachée. Les juges ajoutent que, quand bien même il serait retenu que le docteur B... aurait menti pour tenter de s'exonérer de sa responsabilité civile, il n'en demeure pas moins qu'en l'absence d'élément matériel, l'infraction de faux ne pourrait être caractérisée. Ils en concluent que, sans qu'il y ait lieu de se pencher sur l'existence d'un préjudice, l'élément matériel des faux imputés au docteur B... manque en fait.

16. En statuant ainsi, alors que la lettre du 12 janvier 2010 arguée de faux était susceptible d'avoir été créée pour être produite en justice afin d'obtenir le rejet des demandes de M. W... dans l'instance l'opposant au docteur B..., la chambre de l'instruction a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.

17. La cassation est par conséquent encourue.

Et sur le second moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

18. Le moyen est pris de la violation des articles 85 et 86 du code de procédure pénale, 313-1 et 121-5 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale.

19. Le moyen critique l'arrêt en ce qu'il a confirmé l'ordonnance de non-lieu entreprise, alors :

« 2°/ que constitue une tentative d'escroquerie le fait pour une partie de présenter sciemment en justice un document mensonger destiné à tromper la religion du juge et susceptible, si la machination n'est pas déjouée, de faire rendre une décision de nature à préjudicier aux intérêts de l'adversaire ; que dans sa plainte avec constitution de partie civile, l'exposant avait précisément dénoncé le fait que différents courriers censés avoir été adressés par le docteur B... (lettre datée du 12 janvier 2010 prétendument adressée au docteur X..., lettre du 28 juillet 2010 apparaissant à trois reprises sous des formes sensiblement différentes et adressées à des destinataires variables, lettre du 12 avril 2012) et qui font partie du dossier médical produit dans le cadre de la procédure civile tendant à voir engager la responsabilité notamment de ce médecin, ne pouvaient procéder que de faux ; qu'il ajoutait que « Eu égard à la mise en cause de la responsabilité du Docteur B... dans la prise en charge thérapeutique de M. W..., on ne peut que s'interroger sur ces différents courriers, leurs destinataires, et surtout si l'ensemble a été réellement adressé aux médecins concernés. En effet, cette accumulation laisse à penser que ces correspondances ont été établies a postériori pour étayer le dossier. Ces différents documents produits en justice auront pour effet d'établir la preuve d'un droit ou d'un fait ayant des conséquences juridiques, la responsabilité médicale du Docteur B... étant recherchée. Elle cause préjudice à M. W... dans la mesure où elles sont susceptibles de dédouaner le docteur B... et démontrer une implication sans faille dans la prise en charge de M. W..., ce qui est contesté et lui cause un préjudice moral, alors même qu'il n'a cessé de demander des explications qui ne lui sont jamais parvenues et qu'il a eu le sentiment d'être abandonné, les médecins pensant que son décès arriverait vite... Les documents produits vont à l'encontre de ce qui s'est réellement produit. » et encore, s'agissant du courrier du docteur B... du 12 avril 2012, qu'il s'agit d'un faux intellectuel dans lequel ce médecin s'attribue à tort le bilan biologique qui est à l'origine de la découverte du diagnostic de myélome et que une fois encore ce courrier « va à l'encontre de ce qui a été dénoncé par M. W... dans le cadre de la procédure civile et lui porte préjudice dans la mesure où il vise une fois encore à rapporter la preuve du professionnalisme du docteur B... » ; qu'en énonçant que c'est à juste titre que le procureur général a écarté l'éventuelle qualification de tentative d'escroquerie au jugement, « parce qu'il est de jurisprudence constante qu'un simple mensonge ne suffit pas à caractériser les manoeuvres frauduleuses élément constitutif essentiel de l'escroquerie », sans rechercher si la production en justice desdits documents mensongers n'étaient pas destinés à tromper la religion du juge, saisi d'une action en responsabilité dirigé contre des médecins, notamment en accréditant la thèse d'une absence de toute faute de ces derniers dans la prise en charge de leur patient, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des textes susvisés. »

Réponse au moyen

Vu l'article 313-1 du code pénal :

20. Il se déduit de ce texte que constitue une tentative d'escroquerie le fait pour une partie de présenter sciemment en justice un document mensonger destiné à tromper la religion du juge et susceptible, si la machination n'est pas déjouée, de faire rendre une décision de nature à préjudicier aux intérêts de l'adversaire.

21. Pour confirmer l'ordonnance attaquée, l'arrêt retient que c'est à juste titre que le procureur général a écarté l'éventuelle qualification de tentative d'escroquerie au jugement, d'une part parce que le juge d'instruction n'a pas été saisi de tels faits, mais aussi parce qu'il est de jurisprudence constante qu'un simple mensonge ne suffit pas à caractériser les manoeuvres frauduleuses, élément constitutif essentiel de l'escroquerie.

22. En statuant ainsi, alors que la production d'un document simplement mensonger est susceptible de caractériser l'élément matériel du délit de tentative d'escroquerie au jugement, la chambre de l'instruction a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.

23. La cassation est par conséquent de nouveau encourue.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Reims, en date du 7 mars 2019, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nancy, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Reims et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le premier avril deux mille vingt.