CA Nancy, 5e ch. com., 25 mars 2015, n° 14/01841
NANCY
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Crédit Immobilier de France Centre Est (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Meslin
Conseillers :
Mme Soulard, M. Lafosse
Vu l'appel interjeté le 21 juin 2014 par Me Hervé D. ès qualités de mandataire liquidateur de la SCI X (SCI X) à l'encontre d'une ordonnance rendue par le juge-commissaire à la procédure de liquidation judiciaire de la SCI dans l'affaire l'opposant à la SA Crédit Immobilier de France Centre Est ;
Vu l'ordonnance entreprise ;
Vu les conclusions récapitulatives déposées le 31 octobre 2014 par la SA Crédit Immobilier de France Centre Est ;
Vu les conclusions récapitulatives déposées le 12 janvier 2015 par Me D. ès qualités de mandataire de la SCI des Foulans ;
Vu l'ordonnance de clôture prononcée le 20 janvier 2015 ;
Vu l'ensemble des éléments et pièces du dossier ;
EXPOSE DU LITIGE
Le 25 mars 2004, la SCI X a acquis un immeuble sis [...], moyennant le prix de 45 735 €, financé par l'octroi d'un crédit d'un montant en capital de 77 500 € par la SA Crédit Immobilier de France Centre Est.
Le 25 octobre 2004, la même SCI a acquis deux autres immeubles, l'un sis à [...], au prix de 190 000 €, l'autre sis à [...], au prix de 60 000 €, ces deux acquisitions étant financées par des crédits respectifs de 209 500 et 69 800 €, consentis par le Crédit Immobilier de France Centre Est également.
La SCI X s'étant trouvée dans l'incapacité de faire face à ses engagements, le Crédit Immobilier de France l'a mise en demeure par lettre recommandée avec accusé de réception, adressée le 28 juillet 2008, de payer l'intégralité des mensualités impayées sous quinzaine à peine de déchéance du terme.
Un protocole d'accord est intervenu entre les parties, aux termes duquel :
- la SA Crédit Immobilier de France s'engageait à suspendre toute procédure de recouvrement
- la SCI X s'engageait pour sa part à :
mettre en vente les biens financés :
ne pas aggraver son endettement ;
payer à la SA Crédit Immobilier de France la somme mensuelle de 1200 €, correspondant à 80% du rendement locatif arrêté au 30 juin 2008.
L'immeuble sis [...], a été vendu le 1er juin 2011, tandis que les deux autres n'ont pas pu être vendus à un prix suffisant pour désintéresser la banque, de sorte que le protocole transactionnel est devenu caduc.
La SA Crédit Immobilier de France a alors engagé une procédure d'exécution forcée à l'encontre de la SCI X, lui faisant délivrer le 8 février 2012 deux commandements, valant saisie immobilière, de payer les sommes respectives de 96 763,60 et 107 668,96 € et portant sur les immeubles sis à [...] et [...].
La SCI X n'étant pas en mesure de régler ces sommes, la SA Crédit Immobilier de France l'a alors fait assigner devant le juge de l'exécution près le Tribunal de grande instance de Bar-le-Duc par acte du 7 mai 2012.
Par jugement du 19 novembre 2012, la demande tendant au sursis à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure au fond pendante devant le tribunal de grande instance de Dijon a été rejetée et la vente des immeubles par voie d'adjudication forcée a été ordonnée, la date d'adjudication étant fixée au 3 avril 2013.
Dans l'incapacité de faire face à son passif exigible, la SCI X a, par requête déposée le 21 janvier 2013, sollicité l'ouverture à son profit d'une procédure de liquidation judiciaire.
Par jugement du 7 février 2013, le Tribunal de grande instance de Bar-le-Duc a prononcé l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire de la SCI X et fixé la date de cessation des paiements au 21 janvier 2013, désignant Me D. ès qualités de mandataire liquidateur.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 8 mars 2013, la SA Crédit Immobilier de France a déclaré ses créances entre les mains de Me D. comme suit :
116 497,33 € à titre privilégié ;
130 741,78 € à titre chirographaire ;
105 872,50 € à titre privilégié.
Selon lettre du greffier du Tribunal de grande instance de Bar-le-Duc à la SA Crédit Immobilier de France en date du 26 novembre 2013, les créances susvisées ont été admises au passif de la SCI X.
Entre-temps, par deux jugements en date du 24 avril 2013, le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Bar-le-Duc a constaté l'interruption des procédures de saisie immobilière par l'effet du jugement d'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire de la SCI [...].
Par requêtes en date du 27 janvier 2014, la SA Crédit Immobilier de France a saisi le juge-commissaire de deux demandes d'autorisation de reprendre les procédures de saisie interrompues et de procéder à la vente forcée des deux immeubles sis à [...] d'une part, [...] d'autre part.
Par une première ordonnance du 12 juin 2014, le juge-commissaire du Tribunal de grande instance de Bar-le-Duc a :
- autorisé la SA Crédit Immobilier de France à reprendre la procédure de saisie immobilière des biens figurant au commandement de payer délivré à la SCI X le 8 février 2012 à la requête de la SA Crédit Immobilier de France et enregistré à la conservation des hypothèques de Bar-le-Duc volume S 0009 ;
- dit que la procédure de saisie immobilière reprendra là où elle a été interrompue par jugement du juge de l'exécution en date du 24 avril 2013 ;
- renvoyé l'affaire devant le juge de l'exécution du Tribunal de grande instance de Bar-le-Duc pour procéder aux opérations de vente forcée ;
- fixé la date de la vente forcée à l'audience du juge de l'exécution du 3 septembre 2014 ;
- rappelé que la mise à prix a d'ores et déjà été fixée par le cahier des conditions de vente déposé au greffe du juge de l'exécution de Bar-le-Duc à la somme de 37 000 € ;
- rappelé que l'ordonnance à intervenir devra faire l'objet d'une publication auprès de la Conservation des hypothèques ;
- débouté Me D. ès qualités de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;
- dit que les dépens seront compris dans les frais de vente soumis à taxe.
Par acte du 21 juin 2014 , Me D., ès qualités de mandataire liquidateur de la SCI X, a interjeté appel de cette première ordonnance.
Par une seconde ordonnance du 12 juin 2014, le juge-commissaire du Tribunal de grande instance de Bar-le-Duc a :
- autorisé la SA Crédit Immobilier de France à reprendre la procédure de saisie immobilière des biens figurant au commandement de payer délivré à la SCI X le 8 février 2012 à la requête de la SA Crédit Immobilier de France et enregistré à la conservation des hypothèques de Bar-le-Duc volume S 00010 ;
- dit que la procédure de saisie immobilière reprendra là où elle a été interrompue par jugement du juge de l'exécution en date du 24 avril 2013 ;
- renvoyé l'affaire devant le juge de l'exécution du Tribunal de grande instance de Bar-le-Duc pour procéder aux opérations de vente forcée ;
- fixé la date de la vente forcée à l'audience du juge de l'exécution du 3 septembre 2014 ;
- rappelé que la mise à prix a d'ores et déjà été fixée par le cahier des conditions de vente déposé au greffe du juge de l'exécution de Bar-le-Duc à la somme de 69 800 € ;
- rappelé que l'ordonnance à intervenir devra faire l'objet d'une publication auprès de la Conservation des hypothèques ;
- débouté Me D. ès qualités de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;
- dit que les dépens seront compris dans les frais de vente soumis à taxe.
Par acte du 21 juin 2014 , Me D., ès qualités de mandataire liquidateur de la SCI X, a interjeté appel de cette seconde ordonnance.
Le 17 septembre 2014, le Président de chambre a ordonné la jonction de la procédure 14/01842 à celle portant le numéro 14/01841.
Me D., ès qualités, demande à la cour de :
- déclarer son appel recevable et bien fondé ;
y faisant droit,
- infirmer les ordonnance entreprises en toutes leurs dispositions ;
et statuant à nouveau,
- surseoir à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure actuellement pendante devant le Tribunal de grande instance de Dijon entre la SCI X et la SA Crédit Immobilier de France ;
- débouter la SA Crédit Immobilier de France de l'ensemble de ses demandes ;
- condamner la SA Crédit Immobilier de France à lui payer la somme de 1500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- la condamner aux entiers dépens, qui seront recouvrés par Me Alain C., avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Au soutien de ses prétentions, il fait valoir que :
- une procédure en responsabilité pour manquement au devoir de mise en garde, dirigée contre la SA Crédit Immobilier de France par la SCI X, est actuellement pendante devant le Tribunal de grande instance de Dijon et a été fixée pour plaider le 1er décembre 2014, la décision devant être rendue le 9 mars 2015, de sorte qu'il est d'une bonne administration de la justice de surseoir à statuer, les chances de succès de cette action étant très sérieuses ;
- au fond, l'article L. 643-2 du code de commerce n'autorise le créancier privilégié à exercer son droit de poursuite individuelle qu'en cas d'inaction du liquidateur pendant plus de trois mois suivant l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire, condition qui n'est pas remplie en l'espèce.
En réplique, la SA Crédit Immobilier de France prie la cour de :
- confirmer les ordonnances entreprises en toutes leurs dispositions ;
- ce faisant et statuant à nouveau, fixer la date de la vente forcée des immeubles sis [...] et [...] à telle audience du juge de l'exécution de Bar-le-Duc qu'il plaira à la cour de bien vouloir déterminer ;
- condamner Me D. ès qualités à lui payer la somme de 5000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner Me D. ès qualités aux entiers dépens de l'instance d'appel.
A cet effet, elle fait valoir que :
- il n'y a pas lieu à sursis à statuer, le juge de l'exécution ayant déjà tranché cette problématique, par deux décisions définitives ayant autorité de chose jugée, en considérant qu'il ne relevait pas d'une bonne administration de la justice de surseoir à statuer dans l'attente de la décision du Tribunal de grande instance de Dijon ; que la procédure au fond, qui tend à voir consacrer la responsabilité de la banque pour manquement à son devoir de mise en garde et non pas à l'annulation des titres exécutoires sur le fondement desquels les saisies immobilières sont poursuivies, a d'ailleurs un fondement différent de celle pendante devant la présente cour ;
- au fond, elle ne disconvient pas de ce que le texte de l'article L. 643-2 du code de commerce n'exige pas que le liquidateur ait réalisé les ventes dans le délai de trois mois suivant le jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire, mais qu'il ait procédé à un commencement d'exécution ; que néanmoins les démarches dont se prévaut en l'espèce le mandataire liquidateur (dresser l'inventaire des biens ; établir son rapport prévu par l'article L. 641-7 ; demande d'estimation de la valeur des immeubles ; demande de renseignements hypothécaires) sont loin de caractériser le commencement d'exécution requis ;
- bien au contraire, l'appelant n'a cessé de revendiquer qu'il n'entendait pas poursuivre la vente des deux immeubles.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 20 janvier 2015.
MOTIFS
Sur la demande de sursis à statuer
Me D. ès qualités sollicite qu'il soit sursis à statuer dans l'attente d'une décision définitive sur la procédure introduite au fond devant le tribunal de grande instance de Dijon par les époux M., à laquelle est intervenue la SCI, et tendant à voir consacrer la responsabilité de la SA CIF pour manquement au devoir de mise en garde. Il fait valoir que si la responsabilité de la banque était retenue par le tribunal de grande instance de Dijon, une telle issue procurerait à la SCI une créance d'un montant équivalent à celle dont se prévaut le CIF à son égard.
Cependant, le moyen développé par l'appelant se heurte à l'autorité de la chose jugée s'attachant aux jugements rendus par le juge de l'exécution de Bar-le-Duc le 19 décembre 2012 et déboutant expressément la SCI X de sa demande tendant au sursis à statuer, fondée sur les mêmes causes, à savoir l'introduction de la procédure au fond devant le tribunal de grande instance de Dijon.
A titre surabondant, le succès de l'action en responsabilité de la banque pour manquement au devoir de mise en garde, et l'octroi de dommages et intérêts sanctionnant la perte de chance de n'avoir pas contracté, ne serait pas de nature à faire échec aux jugements, devenus définitifs, rendus par le tribunal de grande instance de Bar-le-Duc le 19 décembre 2012, constatant que les conditions des articles L. 311-2 et L. 311-6 du code des procédure civiles d'exécution étaient réunies et ordonnant la vente forcée sur saisie immobilière des biens litigieux.
Au fond
Selon les dispositions de l'article L. 643-2 du code de commerce, les créanciers titulaires d'une hypothèque peuvent, dès lors, qu'ils ont déclaré leurs créances et même s'ils ne sont pas encore admis, exercer leur droit de poursuite individuelle si le liquidateur n'a pas entrepris la liquidation des biens grevés dans le délai de trois mois à compter du jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire. Lorsqu'une procédure de saisie immobilière a été engagée avant le jugement d'ouverture, le créancier titulaire d'une hypothèque est dispensé, lors de la reprise des poursuites individuelles, des actes et formalités effectués avant ce jugement.
En l'espèce, le CIF Centre Est est titulaire, sur chacun des deux immeubles considérés, de deux sûretés immobilières prises en la forme, d'une part, d'un privilège du prêteur de deniers et, d'autre part, d'une hypothèque conventionnelle.
Me D., ès qualités de liquidateur de la SCI, prétend avoir procédé à un commencement d'exécution de la liquidation des biens grevés, suffisant, au regard de la jurisprudence de la Cour de cassation (Com, 28 mai 1991, n°89-20.532), pour faire échec à la reprise des poursuites individuelles par le CIF. Il invoque à cet effet avoir fait dresser l'inventaire des biens de la SCI, avoir établi son rapport conformément aux dispositions de l'article L. 641-7 du code de commerce , avoir sollicité dès le 22 avril 2013, soit avant l'expiration du délai de trois mois suivant le jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire en date du 7 février 2013, deux notaires et deux agences immobilières, afin qu'ils procèdent à une estimation des immeubles appartenant à la SCI X, enfin avoir effectué une demande de renseignements hypothécaires auprès des services de la Publicité Foncière.
Le texte précité n'exige pas, en effet, que le liquidateur judiciaire ait vendu les biens grevés d'un privilège dans le délai de trois mois pour faire échec au droit de reprise des poursuites individuelles des créanciers privilégiés, mais seulement qu'il ait « entrepris la liquidation des biens grevés dans le délai de trois mois».
Cependant les deux premières démarches invoquées s'inscrivent strictement dans la mission confiée au mandataire liquidateur par le jugement le désignant et ne s'analysent nullement en un commencement d'exécution de la liquidation des biens immobiliers dont s'agit. Par ailleurs les seules demandes d'estimation auprès de notaires et agents immobiliers remontent aujourd'hui à deux ans environ et ne traduisent nullement la volonté du mandataire liquidateur de procéder à la vente des biens, celui-ci s'y étant, au contraire, expressément refusé tant par lettre du 29 mars 2013, versée aux débats, que lors du débat contradictoire organisé devant le juge-commissaire le 15 mai 2014, enfin dans ses conclusions justificatives d'appel.
Dans ces conditions, la Cour ne retient pas le commencement d'exécution de la liquidation allégué par le mandataire liquidateur de la SCI.
Au surplus, les estimations reçues de l'agence immobilière Friedrich en date du 30 avril 2013 et de Me Séverine R.-M., notaire, en date du 7 juillet 2013, mettent en évidence la dévaluation des biens considérés à raison de leur état très dégradé, qui n'a pu que s'aggraver avec les années écoulées et alors que, ainsi que le souligne la partie intimée, les biens ne sont plus assurés.
En conséquence, il y a lieu de confirmer en tous points les ordonnances entreprises et de renvoyer l'affaire devant le juge de l'exécution aux fins de fixation de la date de la vente forcée des immeubles dont s'agit.
Sur les dépens et l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
L'issue de la procédure commande de condamner l'appelant, qui succombe en ses prétentions, aux dépens d'appel, ainsi qu'au paiement d'une indemnité réduite à 1000 € en raison de la procédure collective dont bénéficie la SCI X.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par arrêt contradictoire en dernier ressort prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
CONFIRME les ordonnances entreprises en toutes leurs dispositions à l'exception de la fixation de la date de la vente forcée des immeubles appartenant à la SCI X, sis respectivement [...] et [...] ;
RENVOIE l'affaire devant le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Bar-le-Duc aux de fixation de la date de vente forcée des immeubles susvisés ;
CONDAMNE Me Hervé D., ès qualités de mandataire liquidateur de la SCI [...], à payer à la SA Crédit Immobilier de France Centre Est la somme de mille euros (1000 €) en application de l'article 700 du code de procédure civile, en compensation des frais irrépétibles exposés par celle-ci à hauteur de cour ;
CONDAMNE Me Hervé D., ès qualités de mandataire liquidateur de la SCI [...], aux dépens d'appel.