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Décisions

Cass. com., 6 juin 2012, n° 11-12.893

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Mas

Avocats :

SCP Gadiou et Chevallier, SCP Gatineau et Fattaccini

Cass. com. n° 11-12.893

6 juin 2012

Attendu, selon attaqué (Besançon, 1er décembre 2010), que par acte du 30 novembre 1987, la société Coopérative immobilière de l'Isle-sur- le-Doubs (la société) a conclu avec M. et Mme X... un bail commercial et un bail d'habitation ; que le bail commercial comportait un pacte de préférence suivant lequel dans l'hypothèse d'une vente des locaux loués, "le bailleur devra choisir comme acquéreur le preneur de préférence à tous autres amateurs" ; que le 29 novembre 2004, sans en informer les bénéficiaires du pacte, la société a vendu l'immeuble au prix de 300 000 euros à la société Logissim habitat ; que celle-ci a, le 23 octobre 2007, notifié un projet de vente de la totalité de l'immeuble au prix de 400 000 euros à M. et Mme X... qui l'ont accepté et ont assigné la société et la société Logissim habitat en réparation de leur préjudice ;

Sur le moyen unique :

Attendu que la société fait grief à l'arrêt de la condamner au paiement de dommages-intérêts pour violation du pacte de préférence, alors, selon le moyen :

1°/ que le pacte de préférence, qui constitue une exception au principe du libre choix du cocontractant, est d'interprétation stricte ; qu'il se renferme dans son objet et ne peut être étendu au-delà des limites dans lesquelles il a été contracté ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé, d'une part, qu'il résultait du bail commercial conclu le 30 novembre 1987 qu'un pacte de préférence était stipulé, au profit des preneurs, "pour le cas où le bailleur déciderait de vendre les locaux présentement loués", d'autre part, que ce bail portait sur un local commercial au rez-de-chaussée d'un immeuble ; qu'en affirmant que le bailleur avait violé ce pacte en s'abstenant de notifier aux locataires le projet de vente de l'ensemble de l'immeuble dans lequel se trouvaient les locaux loués, après avoir pourtant relevé que la vente projetée était d'une nature différente de celle des locaux loués, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil ;

2°/ que le refus du bénéficiaire d'un pacte de préférence d'acquérir le bien qui en est l'objet met fin à l'engagement souscrit par le promettant, en l'absence de fraude de ce dernier ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que le promettant avait proposé le 3 mars 2004 aux bénéficiaires du pacte de préférence la vente du local commercial et de l'appartement loué, que des pourparlers s'étaient engagés et qu'ils n'avaient pas abouti faute d'accord sur le prix ; que l'arrêt attaqué n'a relevé aucune fraude du promettant ; qu'en retenant néanmoins que ce dernier aurait dû notifier aux bénéficiaires, postérieurement au refus d'acquérir exprimé par ceux-ci, le projet de vente de l'ensemble de l'immeuble dans lequel se trouvaient les locaux loués, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil ;

3°/ que le juge ne peut dénaturer les termes du litige tels qu'ils résultent des conclusions des parties ; qu'en l'espèce, M. et Mme X... se bornaient à soutenir que la circonstance que la société Coopérative immobilière de l'Isle-sur-le-Doubs avait omis de leur proposer la vente de l'immeuble litigieux leur avait causé un préjudice certain, tenant à la survaleur du coût d'acquisition ultérieur de l'immeuble, au montant des droits de mutation complémentaires sur le différentiel entre le prix proposé à la société Logissim habitat et le prix payé par eux in fine, au versement de loyers à fonds perdus et aux charges liées à l'obligation d'acquérir l'immeuble en son entier ; qu'en condamnant ladite société au titre de la perte d'une chance, que M. et Mme X... n'invoquaient pas, d'acquérir l'immeuble à un prix moindre, de payer des droits de mutation inférieurs et de jouir des lieux loués en qualité de propriétaires, la cour d'appel a dénaturé les termes du litige, en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;

4°/ que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'en l'espèce, en relevant d'office le moyen tiré de la perte d'une chance d'acquérir l'immeuble à un prix moindre, de payer des droits de mutation inférieurs et de jouir des lieux en qualité de propriétaires, sans inviter au préalable les parties à formuler leurs observations, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;

5°/ que seule l'existence d'une perte de chance certaine et en relation de causalité avec la faute retenue peut donner lieu à réparation ; qu'en l'espèce, pour affirmer que le non respect du pacte de préférence avait fait perdre aux bénéficiaires une chance d'acquérir à la fin de l'année 2004 l'immeuble au prix de 300 000 euros, de payer des droits de mutation inférieurs et de jouir des lieux en qualité de propriétaires, la cour d'appel a retenu qu'ils avaient eu le projet d'acquérir les lieux loués en mars 2004, qu'un établissement bancaire pouvait alors leur prêter des fonds dans la limite de 165 000 euros et que le prix proposé en mars 2004 pour les lieux loués de 260 000 euros avait été jugé excessif par eux ; qu'en statuant par de tels motifs inopérants, sans rechercher, comme elle y était invitée, si les bénéficiaires auraient été en mesure d'acquérir l'immeuble litigieux si le projet de vente de celui-ci leur avait été proposé fin 2004 pour un prix de 300 000 euros, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil ;

Mais attendu qu'ayant souverainement retenu que le pacte de préférence ne distinguait pas l'hypothèse de la vente de la totalité de l'immeuble de celle de la vente des seuls locaux loués et que, si les pourparlers faisant suite à la proposition de vente du local commercial et de l'appartement loués n'avaient pas abouti faute d'accord sur le prix, le promettant n'était pas dispensé de notifier le projet de vente concernant l'immeuble entier, la cour d'appel, qui n'a pas modifié les termes du litige et n'était pas tenue de procéder à des recherches qui ne lui étaient pas demandées, a pu en déduire que la société avait manqué à son obligation contractuelle et fait perdre à M. et Mme X... une chance d'acquérir l'immeuble au meilleur prix, de payer des droits de mutation inférieurs et d'être exonérés du paiement du loyer ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Coopérative immobilière de l'Isle-sur-le-Doubs aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Coopérative immobilière de l'Isle-sur-le-Doubs à payer à M. et Mme X... la somme de 2 500 euros, rejette la demande de la société Coopérative immobilière de l'Isle-sur-le-Doubs ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du six juin deux mille douze.