CA Besançon, 1re ch. civ. et com., 31 octobre 2017, n° 14/02388
BESANÇON
Arrêt
Infirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Mazarin
Conseillers :
Mme Uguen Laithier, M. Leveque
Faits, procédure et moyens des parties :
Selon marché de gré à gré signé le 6 juillet 2004, la société Euroflaco, maître de l'ouvrage, a commandé des travaux de réhabilitation d'une unité industrielle située à Chevigny-Saint-Sauveur pour un montant de 750.000 € hors taxes à la SA ETII Centre Ouest, entreprise générale, laquelle a sous-traité le lot n° 20 (charpente, béton) à la SAS Composants pré-contraints (CPCB) pour un montant de 161.000 € ht.
Reprochant à cette dernière des retards et non-conformités, la SA ETII a obtenu en référé la désignation d'un expert judiciaire en la personne de M. Michel L., remplacé par M. Gilles R., qui a déposé son rapport le 22 février 2007.
Par jugement rendu le 24 avril 2008, le tribunal de commerce de Dijon, saisi à la requête de la société ETII, a :
- prononcé la nullité du contrat de sous-traitance signé le 6 juillet 2004 entre la société ETII et la société CPCB,
- 'homologué' le rapport d'expertise,
- condamné la société ETII à payer à la société CPCB la somme de 59.417,28 € en règlement des prestations réalisées sur le chantier Euroflaco,
- ordonné la déconsignation au profit de la société ETII de la somme de 86.322,72 € du compte de M. le Bâtonnier de l'ordre des avocats de Dijon, déduction faite de la somme due à la société CPCB en vertu de la condamnation prononcée par le même jugement,
- dit toutes autres demandes, fins et conclusions des parties injustifiées et en tout cas mal fondées, et les en a déboutées,
- fait masse des dépens, comprenant les frais d'expertise et dit qu'ils seraient partagés par moitié entre la société CPCB et la société ETII.
Sur l'appel interjeté par la société CPCB le 20 mai 2008, la cour d'appel de Dijon, par arrêt rendu le 11 juin 2009, a confirmé ce jugement mais seulement en ce qu'il a prononcé la nullité du contrat de sous-traitance du 6 juillet 2004 puis, l'infirmant pour le surplus et statuant à nouveau, a :
- condamné la société ETII à payer en deniers ou quittance la somme de 28.883,40 € à la société CPCB,
- dit n'y avoir lieu à condamnation solidaire de la société Euroflaco,
- ordonné la déconsignation au profit de la société ETII de la somme de 154.750 € du compte séquestre de M. le Bâtonnier de l'ordre des avocats de Dijon,
- condamné la société CPCB à payer à la société ETII la somme de 50.000 € à titre de dommages et intérêts,
- condamné la société CPCB à payer à la société Euroflaco 3.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté les parties de leurs conclusions plus amples,
- fait masse des dépens de première instance et d'appel comprenant les frais d'expertise et dit qu'ils seraient partagés par moitié entre la société CPCB et la société ETII,
- accordé aux avoués de la cause qui pouvaient y prétendre le bénéfice des dispositions de l'article 700 (lire article 699, dans sa rédaction antérieure au décret n° 2012-634 du 3 mai 2012) du code de procédure civile.
La troisième chambre civile de la Cour de cassation, statuant sur le pourvoi formé contre cet arrêt par la société CPCB a, par arrêt prononcé le 25 juin 2013 :
- reproché à la cour d'appel de Dijon d'avoir violé les articles 14 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 et 1234 du code civil (dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016) en se déterminant au regard de la valeur de la prestation réalisée par la société CPCB pour limiter la condamnation de la société ETII à la somme de 28.883,40 €, alors que, dans le cas ou le sous-traité annulé a été exécuté, l'indemnisation du sous-traitant doit être faite sur la base du coût réel des travaux réalisés, sans que soit prise en compte la valeur de l'ouvrage,
- reproché à la cour d'appel de Dijon, au visa de l'article 1382 du code civil (dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016), d'avoir privé de base légale la disposition condamnant la société CPCB au versement de dommages et intérêts à la société ETII en s'étant abstenue de constater l'existence d'une faute en lien direct avec le préjudice,
- par conséquent, cassé l'arrêt attaqué, mais seulement en ce qu'il a condamné la société ETII à payer en deniers ou quittance la somme de 28.883,40 € à la société CPCB et condamné cette dernière à payer à la première la somme de 50.000 € à titre de dommages et intérêts,
- renvoyé les parties devant la cour d'appel de Besançon,
- condamné la société ETII aux dépens, à l'exception de ceux de la société Euroflaco qui sont supportés par la société CPCB,
- condamné, en application de l'article 700 du code de procédure civile, la société ETII à verser à la société CPCB la somme de 3.000 € et cette dernière à payer celle de 1.500 € à la société Euroflaco.
Régulièrement saisie sur renvoi par M. Alain François S., mandataire liquidateur de la société CPCB, la présente cour a, par arrêt rendu le 15 septembre 2015 :
- rappelé que sont définitives les dispositions de l'arrêt de la cour d'appel de Dijon du 11 juin 2009 qui ont :
confirmé le jugement rendu le 24 avril 2008 par le tribunal de commerce de Dijon en ce qu'il a prononcé la nullité du contrat de sous-traitance du 6 juillet 2004,
dit n'y avoir lieu à condamnation solidaire de la société Euroflaco,
ordonné la déconsignation au profit de la société ETII de la somme de 154.750 € du compte séquestre de M. le Bâtonnier de l'ordre des avocats de Dijon,
- sursis à statuer sur le surplus et, avant dire droit, ordonné une expertise confiée à M. Jean-Marie B. avec mission de proposer à la cour, compte tenu de l'état d'avancement des travaux et au vu des pièces comptables de la société CPCB, une évaluation, actualisée à la date de son rapport, du coût réel de cette prestation selon les usages de la profession, sans tenir compte des stipulations du contrat de sous-traitance annulé ni des éventuelles malfaçons ayant pu affecter les travaux litigieux,
- condamné la société ETII à payer à M. Alain François S., en sa qualité de mandataire liquidateur de la société CPCB, la somme prévisionnelle de cinquante mille euros hors taxes (50.000 € ht) à valoir sur l'indemnisation du juste prix devant lui revenir.
L'expert a déposé son rapport au greffe le 27 décembre 2016.
Au dernier état de ses écrits transmis le 13 juillet 2017, M. Alain François S., ès qualités de mandataire liquidateur de la SAS CPCB demande à la cour 'd'homologuer' le rapport d'expertise de M. B., de 'débouter' la société ETII de ses demandes reconventionnelles de règlement de malfaçons à hauteur de 108.458,06 € et de dommages-intérêts à hauteur de 50.000 € faute pour elle d'avoir déclaré ses créances prétendues au passif de la liquidation judiciaire de la SAS CPCB, et de la condamner à lui payer, après déduction de l'acompte de 28.883,40 €, la somme de 225.261,38 € et celle de 4.500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens comprenant les frais d'expertises de Messieurs B. et R. dont distraction au profit de son conseil.
La SA ETII a répliqué en dernier lieu le 10 août 2017.
Contestant les conclusions de l'expert judiciaire, elle demande à la cour de débouter M. S. ès qualités de ses demandes, subsidiairement de juger que le coût réel des prestations réalisées est de 158.683,58 € ttc dont à déduire les acomptes de 50.000 € et de 28.883,40 € et la somme de 108.458,06 € correspondant au coût des prestations achetées aux autres maçons pour pallier la carence de la société CPCB de sorte que le compte entre les parties dégagerait un solde de 28.657,88 € en sa faveur.
Elle conclut enfin à la condamnation de M. S. ès qualités à payer les frais d'enlèvement des panneaux qui sont toujours la propriété de la société CPCB, et à lui payer 25.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la Cour se réfère à leurs dernières conclusions ci-dessus rappelées conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 5 septembre 2017.
Motifs de la décision
Ainsi que la cour l'a déjà rappelé dans son arrêt avant dire droit du 15 septembre 2015, sont définitives les dispositions de l'arrêt de la cour d'appel de Dijon du 11 juin 2009 qui ont confirmé le jugement rendu le 24 avril 2008 par le tribunal de commerce de Dijon en ce qu'il a prononcé la nullité du contrat de sous-traitance du 6 juillet 2004, dit n'y avoir lieu à condamnation solidaire de la société Euroflaco et ordonné la déconsignation au profit de la société ETII de la somme de 154.750 € du compte séquestre de M. le Bâtonnier de l'ordre des avocats de Dijon.
Il s'ensuit que ne reste qu'à évaluer le 'juste prix' de la prestation réalisée par la société CPCB, dû à celle-ci par la SA ETII suite à l'annulation, après son exécution au moins partielle, du contrat de sous-traitance.
Les sommes dues par l'entrepreneur principal au sous-traitant suite à l'annulation du sous-traité sont une restitution en équivalent de la prestation exécutée sur le fondement du contrat annulé. Le montant de la restitution est calculé en fonction des dépenses réellement engagées par le sous-traitant et ne prend en compte, notamment, ni la valeur de l'ouvrage, ni la qualité de la prestation effectuée.
Si cela ne fait cependant pas obstacle à ce que l'entrepreneur principal obtienne réparation des dommages causés par d'éventuels désordres affectant les travaux réalisés par le sous-traitant (Cass., 3e civ., 14 décembre 2011, n° 10-28.149, Bull. n° 213), en l'espèce, faute pour la société ETII d'avoir déclaré une créance au passif de la liquidation judiciaire de la société CPCB, elle n'est pas recevable à vouloir déduire de la somme qu'elle lui doit au titre du coût réel des travaux exécutés représentant 'le juste prix', une quelconque créance résultant du retard apporté dans l'exécution du marché ou du coût des travaux rendus nécessaires pour remédier aux éventuelles malfaçons affectant les ouvrages réalisés, lesquels ne peuvent avoir aucune incidence sur le montant dû à la société CPCB, ni sur le fondement délictuel, ni sur le fondement de la restitution.
Pour les mêmes raisons, elle n'est pas recevable en sa demande tendant à voir M. S. ès qualités condamné à payer les frais d'enlèvement des panneaux litigieux toujours stockés sur le site.
La société ETII oppose plusieurs contestations aux calculs effectués par l'expert judiciaire M. Jean-Marie B. qu'il convient de reprendre successivement :
- le nombre de panneaux préfabriqués :
Il est constant que sur les 27 panneaux de façade commandés, seuls 12 ont été livrés sur le chantier et 3 ont été posés par la société CPCB, les 9 autres étant encore en dépôt sur le site de l'usine Euroflaco depuis 2004.
Néanmoins, sur la preuve de la fabrication des 15 panneaux non livrés, l'expert s'est expliqué en page 110 de son rapport en rappelant qu'après examen des plannings de fabrication communiqués en pièces 26 et 28, il avait pu en conclure que tous les éléments en béton ont été fabriqués en série avec notamment, une durée totale de fabrication de 4 jours pour les panneaux de façade, ce qui correspond aux techniques de préfabrication des pièces en béton.
Cette contestation sera donc écartée et la cour retiendra que la société CPCB a bien fabriqué les 27 panneaux commandés.
- le compte prorata :
La société CPCB n'ayant jamais justifié avoir payé un compte prorata, sa réclamation de ce chef sera rejetée.
- le coefficient de marge :
La cour retiendra le coefficient de marge de 15 % proposé par l'expert conformément aux usages de la profession.
- la mise en place des longrines :
La société ETII a justifié (sa pièce n° 39) avoir payé, selon facture du 12 octobre 2004, la somme de 9.416,45 € ht à la société C3B qui a mis en place les longrines de sorte qu'elle est fondée à demander que cette somme soit déduite de celle due à la SAS CPCB qui n'a pas effectué cette prestation.
- frais de bureau d'études Cade Ingénierie :
La société ETII conteste ce poste retenu par l'expert sur la base des usages de la profession alors que la SAS CPCB ne lui a jamais communiqué les factures correspondantes qu'elle aurait acquittées.
Cependant il est incontestable que de tels frais ont été engagés et la société ETII ne démontre pas l'existence d'usages de la profession différents de ceux appliqués par l'expert de sorte que sa contestation sera rejetée sur ce point.
- quantité d'acier dans les panneaux de façade :
La contestation opposée par la société ETII quant au nombre de torons sur chaque panneau pour contester le poids d'acier utilisé pour la fabrication des-dits panneaux n'apparaît pas fondée dès lors qu'en réponse au dire qu'elle lui a adressé le 28 novembre 2016, l'expert judiciaire a inséré dans son rapport définitif les photographies qu'il avait réalisées contradictoirement lors de la réunion sur site et qui montrent que les panneaux de façade en dépôt comptent bien 34 torons.
Il n'y dès lors pas lieu de rectifier les calculs de l'expert sur ce point.
En conclusion de ce qui précède, la cour retiendra les calculs effectués par l'expert judiciaire, soit la somme ht de 209.787,32 € + 7.317,68 € au titre de la fourniture et de la pose des prédalles de plancher, soit un total ht de 217.105 € sauf à déduire 2.077,87 € ht au titre du compte prorata et 9.416,45 € ht au titre des longrines de sorte que le 'juste prix' représentant le coût réel des travaux réalisés sans référence aucune avec la valeur de l'ouvrage devant revenir à la SAS CPCB s'élève à la somme de 205.610,68 € ht.
Aux termes de l'article L.111-10 du code des procédures civiles d'exécution, l'obligation de restitution de sommes perçues en vertu d'une décision assortie de l'exécution provisoire résulte de plein droit de sa réformation (Chambre civile 1ère 31 mars 2016, n ° de pourvoi : 14-20.193), l'arrêt infirmatif constituant le titre exécutoire ouvrant droit à cette restitution et les sommes restituées portant intérêts au taux légal à compter de la notification, valant mise en demeure, de l'arrêt infirmatif.
Ainsi, il n'y a pas lieu de 'faire le compte entre les parties' en fonction de ce qui a ou aurait dû être payé en exécution des décisions infirmée ou annulée et seuls doivent venir en déduction des sommes dues par la société ETII l'acompte de 24.150 € ht payé à la signature du contrat annulé et la provision de 50.000 € ht, allouée par l'arrêt de cette cour en date du 15 septembre 2015.
Le jugement déféré sera par conséquent réformé et la société ETII condamnée à payer à M. S. ès qualités la somme résiduelle hors taxe de :
205.610,68 € - 24.150 € - 50.000 € = 131.460,68 €
Il sera en revanche confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et il sera également fait masse des dépens d'appel qui seront supportés par moitié par chaque partie.
Aucune considération tirée de l'équité ne commande qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur de cour.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant contradictoirement, après débats en audience publique et en avoir délibéré conformément à la loi,
Vu l'arrêt de la cour d'appel de Dijon en date du 11 juin 2009 en ses dispositions non atteintes par la cassation,
Vu l'arrêt rendu le 25 juin 2013 par la troisième chambre civile de la Cour de cassation,
Vu l'arrêt avant dire droit rendu par cette cour le 15 septembre 2015,
Infirme le jugement rendu le 24 avril 2008 par le tribunal de commerce de Dijon en ce qu'il a 'homologué' le rapport d'expertise et condamné la société ETII à payer à la société CPCB la somme de 59.417,28 € en règlement des prestations réalisées sur le chantier Euroflaco.
Statuant des chefs infirmés et y ajoutant,
Fixe à la somme de deux cent cinq mille six cent dix euros et soixante-huit centimes (205.610,68 €) hors taxes le coût réel des prestations réalisées par la SAS CPCB sur le chantier Euroflaco.
Condamne en conséquence la SA ETII Centre Ouest à payer à M. Alain François S. ès qualités de mandataire liquidateur de la SAS Composants pré-contraints, en deniers ou quittance, la somme résiduelle hors taxes de cent trente et un mille quatre cent soixante euros et soixante-huit centimes (131.460,68 €), soit celle de cent cinquante-sept mille sept cent cinquante-deux euros et quatre-vingt-deux centimes toutes taxes comprises (157.752,82 € ttc).
Déclare la SA ETII Centre Ouest irrecevable en sa demande tendant à la condamnation de M. S. ès qualités à payer les frais d'enlèvement des panneaux.
Rejette les demandes formées en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Fait masse des dépens d'appel comprenant les frais d'expertise de M. Jean-Marie B. et dit qu'ils seront supportés par moitié par chaque partie.
Accorde à Maître E., avocat, le droit de se prévaloir des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.