CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 17 juin 2015, n° 13/16616
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
CENTRE COMMERCIAL FRANCILIA (SNC)
Défendeur :
CREDIT LYONNAIS (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Madame Chantal BARTHOLIN
Conseillers :
Madame Brigitte CHOKRON, Madame Caroline PARANT
Avocats :
AARPI O. Z., Me Dominique C. T., SCP L. & O., Me Nicole-Marie P. G.
Suivant acte sous seing privé du 30 avril 2002, la société Centre commercial Francilia donnait à bail en renouvellement à la société Crédit Lyonnais, pour dix ans à compter du 21 mai 2002, un local n°102B, d'une superficie de 268 mètres carrés, situé au [...], moyennant un loyer de 116.660,51 euros indexé annuellement par référence à la variation de l'indice du coût de la construction publié par l'Insee ; ce loyer atteignait à l'expiration du bail le montant de 163.160,84 euros .
La destination contractuelle était limitée à l'exercice d'un commerce de banque et activités financières sous la marque 'Crédit Lyonnais'.
Par un acte extrajudiciaire du 10 novembre 2011, la société Centre commercial Francilia a fait signifier à la société Crédit Lyonnais un congé pour le 20 mai 2012, avec offre de renouvellement du bail pour une durée de dix ans à compter du 21 mai 2012, aux clauses et conditions du bail échu sauf à porter le loyer de base de renouvellement à la somme annuelle de 250.000 euros HT et HC.
La société locataire a répondu, par une lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 9 décembre 2011, qu'elle acceptait l'offre de renouvellement du bail mais non le loyer proposé.
Faute d'accord, la société Centre commercial Francilia a notifié un mémoire préalable le 21 juin 2012 et saisi, par assignation des 13 et 14 février 2013, le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Melun en fixation du loyer de renouvellement.
Par jugement contradictoire du 2 juillet 2013, le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Melun a :
-fixé à la somme de 163.160,84 euros par an en principal, le loyer du bail renouvelé à compter du 21 mai 2012,
-dit que les compléments de loyer échus et impayés porteront intérêts au taux légal à compter de chaque échéance depuis le 21 mai 2012,
-dit que les intérêts dus pour une année entière seront eux-mêmes capitalisés,
-dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,
-fait masse des dépens qui seront mis par moitié à la charge de chacune des parties.
La société Centre commercial Francilia (Snc) a relevé appel le 8 août 2013 ; elle demande à la cour, par dernières conclusions signifiées le 24 février 2014, de fixer, par infirmation du jugement déféré, le loyer de renouvellement au 21 mai 2012 à la somme annuelle de 250.000 euros hors taxes et hors charges, de condamner la société Crédit Lyonnais aux dépens de première instance et d'appel subsidiairement, de désigner un expert aux frais de la société Crédit lyonnais pour avis sur la valeur locative au regard des éléments visés par les articles L. 145-33, R. 145-2 à R. 145-8 du code de commerce et devant être recherchés dans le centre commercial 'Carré Sénart' qui constitue une unité autonome de marché .
La société Crédit Lyonnais (SA), intimée, par dernières conclusions signifiées le 26 janvier 2015, demande à la cour de confirmer le jugement entrepris sauf en ce qu'il a fixé le point de départ des intérêts sur les compléments de loyer au 21 mai 2012 et, statuant à nouveau sur ce chef, de dire que les éventuels compléments de loyer porteront intérêts à compter du 14 février 2013 ; à titre subsidiaire, si une mesure d'expertise était ordonnée, de fixer le loyer provisionnel à la somme de 163.160,84 euros ; en tout état de cause, de débouter l'appelante de ses demandes et la condamner à verser la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction.
SUR CE :
Les parties ne contestent pas que le bail signé en date du 30 avril 2002 est renouvelé à compter du 21 mai 2012 pour une durée de dix années aux mêmes clauses et conditions sauf en ce qui concerne le montant du loyer ; elles ne contestent pas davantage que le loyer de renouvellement doit être fixé à la valeur locative ; seule l'estimation de cette valeur locative à la date du 21 mai 2012 est en revanche litigieuse ;
La société Centre commercial Francilia critique le jugement dont appel en ce qu'il a retenu une valeur annuelle de base de 163.160,84 euros, conforme au loyer offert par la société locataire et correspondant au loyer atteint, par le jeu de l'indexation, en fin du bail expiré ; elle maintient que les références produites en première instance sont pertinentes, rien ne s'opposant à la prise en compte des loyers de boutique à titre d'éléments de comparaison, dès lors que les loyers des deux autres agences bancaires du centre commercial datent de 2002 et ne sont pas utiles dans la recherche d'une valeur locative au 21 mai 2012 ; elle précise que les baux des boutiques du centre commercial prévoient tous, à l'instar de celui de la société Crédit Lyonnais, la fixation du loyer de base à la valeur locative en cas de renouvellement de sorte qu'il n'y a pas lieu à distinction, sur ce fondement, entre les agences bancaires et les boutiques, ajoutant que les corrections qu'il convient d'opérer dans les termes de la loi ne permettent pas d'écarter des références au motif que la destination ne serait pas similaire ou que la surface du local ne serait pas identique ; elle observe enfin que si, en matière de bureau, la valeur locative équivaut sensiblement à la valeur de marché, il convient de réintégrer, après dé-capitalisation, les droits d'entrée, puisque le tout représente le prix qu'un locataire de référence a accepté de payer pour prendre à bail le local ;
Elle estime au terme de ses développements que les sept valeurs de référence soumises au premier juge justifiaient pleinement sa demande de voir fixer le loyer de renouvellement au 21 mai 2012 à la somme de 932,84 euros hors taxes et hors charges par an le mètre carré, soit pour 268 mètres carrés, un prix annuel hors taxes et hors charges de 250.000 euros, et que les deux termes de comparaison produits en cause d'appel, justifient de plus fort le prix demandé ;
La société appelante propose à l'examen de la cour les neuf références suivantes, sélectionnées au sein du centre commercial 'Carré Sénart' :
-bail de la société First Madison (prêt-à-porter hommes) à effet du 31 mars 2009 pour un local de 108 mètres carrés au niveau 1, valeur de 1.326,98 euros le mètre carré annuel HT-HC intégrant un droit d'entrée de 285.000 euros décapitalisé au coefficient 7,
-bail de la société Julien d'Orcel (bijouterie) à effet du 1er septembre 2009 pour un local de 100 mètres carrés au niveau 0, valeur de 1.354,28 euros le mètre carré annuel HT-HC intégrant un droit d'entrée de 150.000 euros décapitalisé au coefficient 7,
-bail de la société La mode est à vous (prêt-à-porter femmes) à effet du 1er avril 2011, pour un local de 150 mètres carrés au niveau 1, valeur de 1.353,20 euros HT-HC par an au mètre carré, intégrant un droit d'entrée de 300.000 euros décapitalisé au coefficient 7,
-bail de la société Geox (chaussures) à effet du 1er août 2011, pour un local de 149 mètres carrés au niveau 1, valeur de 1.429,63 euros HT-HC annuel du mètre carré, intégrant un droit d'entrée de 400.000 euros décapitalisé au coefficient 7,
-bail de la société Tempka (accessoires de mode) à effet du 1er août 2011, pour un local de 150 mètres carrés en niveau 1, valeur de 1.531,48 euros HT-HC du mètre carré par an intégrant un droit d'entrée de 375.000 euros décapitalisé au coefficient7,
-bail de la société Loding (accessoires de mode masculine) à effet du 1er septembre 2011, pour un local de 62 mètres carrés en niveau 1, valeur de 1.244,24 euros HT-HC du mètre carré par an intégrant un droit d'entrée de 120.000 euros décapitalisé au coefficient 7,
-bail de la société Kiko make-up (maquillage) à effet du 1er octobre 2011, pour un local d'une surface de 75 mètres carrés en niveau 1, valeur de 1.512,38 euros HT-HC du mètre carré par an intégrant un droit d'entrée de 220.000 euros décapitalisé au coefficient 7 ;
Sont produits nouvellement en cause d'appel :
-bail de la société SDM (téléphonie SFR) à effet du 2 janvier 2008 pour un local de 108 mètres carrés en niveau 0, au prix de 978 euros le mètre carré HT outre un droit d'entrée de 90.000 euros,
-bail de la société Thomas Cook (agence de voyages) à effet du 3 octobre 2011 pour une surface de 54 mètres carrés en niveau 0, au loyer de 1.247 euros le mètre carré outre un droit d'entrée de 100.000 euros ;
Selon les dispositions de l'article R. 145-11 du code de commerce, le prix du bail des locaux à usage exclusif de bureaux est fixé par référence aux prix pratiqués pour des locaux équivalents, sauf à être corrigés en considération des différences constatées entre le local loué et les locaux de référence ; les dispositions des deuxième et troisième alinéas de l'article R. 145-7 sont en ce cas applicables ;
En l'espèce, l'activité d'agence bancaire, qui est la destination exclusive du bail, présente la particularité de correspondre à une activité de bureaux mais exercée dans des locaux en nature de boutique, situés en pied d'immeuble et dotés de vitrines de manière à faciliter l'accès de la clientèle et à attirer le chaland, à la différence des locaux de bureaux, habituellement localisés en étage ;
La valeur locative pour des locaux à usage bancaire n'est dès lors pas comparable à celle de simples bureaux en étage ni à celle de boutiques de commerce de détail et doit être, au regard des dispositions précitées, recherchée d'abord, par référence aux prix pratiqués pour des locaux équivalents, c'est-à-dire pour des locaux en nature de boutique mais dans lesquels est exercée une activité de bureaux ;
Ainsi qu'il est prescrit à l'article R. 145-7, auquel renvoie l'article R. 145-11, ce n'est qu'à défaut d'équivalence qu'il y aurait lieu d'utiliser, à titre indicatif, les loyers des boutiques du voisinage, sauf à être corrigés en considération des différences constatées entre le local loué et les locaux de référence ;
Or, la société Crédit Lyonnais relève à juste titre que sur les neuf valeurs de références fournies par la bailleresse, huit concernent des boutiques de commerce de détail, et, seule, celle concernant l'agence de voyages 'Thomas Cook', présente à l'instar de l'agence bancaire la spécificité de s'apparenter à une activité de bureaux exercée dans des locaux en nature de boutique ;
Pas davantage qu'en première instance, la société Centre commercial Francilia, qui avance pourtant à juste titre, et sans être contredite sur ce point, que les valeurs de référence doivent être recueillies au sein du entre commercial 'Carré Sénart', unité autonome de marché, et qui ne dément pas être propriétaire de l'ensemble des locaux du centre cédés à bail, ne se prévaut d'une absence de locaux équivalents ; bien au contraire, elle ne dément pas la présence dans le centre commercial des enseignes Crédit Mutuel, Carrefour Banque, Carrefour Voyages, Nouvelles Frontières, qui recouvrent des activités de bureaux exploitées en boutique, mais se garde de justifier des loyers quittancés ; elle produit même, en cause d'appel, un congé avec offre de renouvellement délivré à la Société Générale pour le 1er juillet 2012 et un acte de notification de l'exercice d'un droit de repentir délivré à la Caisse d'épargne et de prévoyance de l'Ile de France le 3 septembre 2013, sans toutefois justifier des loyers correspondants, fixés amiablement ou judiciairement;
Par ailleurs, au regard des autres éléments d'appréciation de l'équivalence des locaux, énoncés aux articles R. 145-3 à R. 145-6 du code de commerce, force est de constater que les termes de comparaison proposés par la bailleresse concernent pour trois d'entre eux, des locaux en rez-de-chaussée, et, pour les six autres, des boutiques situées, ainsi qu'il ressort du plan versé aux débats, au niveau 1 du centre commercial, mais en bordure du mail principal et dans sa partie centrale, à la différence de l'agence du Crédit Lyonnais qui est excentrée, implantée en extrémité de la structure en forme de fer à cheval sur laquelle se développe l'ensemble commercial ; en outre, les surfaces des boutiques de références, de l'ordre de 100 m2, 75m2, 62m2, 108 m2, 150 m2 et, en particulier, la surface de l'agence de voyages Thomas Cook, de 54 mètres carrés, sont des petites ou moyennes surfaces dont le prix unitaire est toujours nettement supérieur à celui de locaux plus vastes, tels ceux loués à la société Crédit Lyonnais, de 268 mètres carrés ;
Enfin, l'article R. 145-7 du code de commerce prescrit de se référer, pour déterminer la valeur locative, aux prix couramment pratiqués dans le voisinage, lesquels comprennent des prix de marché, des prix de renouvellement amiable et des loyers fixés judiciairement, or, la société bailleresse ne produit en la cause que des loyers appliqués à de nouveaux locataires entrants, correspondant aux prix de marché, dont la valeur est nécessairement plus élevée que celle observée pour les loyers en renouvellement, amiables ou judiciaires ;
Il s'infère de l'ensemble de ces observations que la société Centre commercial Francilia ne produit aucun élément de comparaison pertinent de nature à fonder sa prétention à voir fixer la valeur locative unitaire à 932,84 euros par an, hors taxes et hors charges, soit 250.000 euros pour 268 mètres carrés, ou à tout autre montant supérieur au loyer en cours ;
Il n'y a pas lieu de faire droit à la mesure d'expertise qu'elle sollicite alors qu'elle est parfaitement en mesure, en tant que bailleresse de l'ensemble des locaux du centre commercial, de fournir les références que l'expert devra, ainsi qu'elle l'indique elle-même, ' rechercher au sein du centre commercial qui constitue une unité autonome de marché' et qu'elle vise en définitive, avec une telle mesure, à pallier sa carence dans l'administration de la preuve ;
Le jugement entrepris mérite en conséquence confirmation en ce qu'il l'a déboutée de sa demande et fixé le prix du bail renouvelé à la somme de 163.160,84 euros ;
Les intérêts de retard sur les compléments de loyer porteront intérêts, par application de l'article 1155 du code civil, à compter de la demande en justice soit le 14 février 2013 ; le jugement sera réformé sur ce seul point ;
L'équité commande de condamner la société appelante à payer à la société Crédit Lyonnais une indemnité de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles ;
La société appelante succombant à l'appel en supportera les dépens.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement dont appel sauf sur les intérêts de retard,
Le réformant sur ce seul point,
Dit que les compléments de loyer échus et impayés porteront intérêts au taux légal à compter de chaque échéance depuis le 14 février 2013,
Y ajoutant,
Déboute de toute demande contraire aux motifs de l'arrêt,
Condamne la société Centre commercial Francilia à payer à la société Crédit Lyonnais une indemnité de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles et aux dépens de la procédure d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.