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Décisions

CRE, cordis, 2 juillet 2012, n° 05-38-12

COMMISSION DE RÉGULATION DE L'ÉNERGIE

Arrêt

sur le différend qui oppose la société Ateliers de Construction Mécanique de Marigny (ACMM) à la société Électricité Réseau Distribution France (ERDF) relatif aux conditions de raccordement d’une installation de production photovoltaïque au réseau public de distribution d’électricité

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Racine

Rapporteur :

M. Delarocque

Avocats :

Me Coussy, Me Granjon

CRE n° 05-38-12

1 juillet 2012

Le comité de règlement des différends et des sanctions,

Vu la demande de règlement de différend, enregistrée le 28 février 2012, sous le numéro 05-38-12 présentée par la société Ateliers de Construction Mécanique de Marigny, société par actions simplifiée, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Troyes sous le numéro B 632 880 597, dont le siège social est situé, rue Edouard Herriot, 10350 Marigny le Chatel, représentée par son président, Monsieur Philippe THIRIOT, ayant pour avocat, Maître Benoît COUSSY, 4, rue de la Tour des Dames, 75009 Paris.

La société Ateliers de Construction Mécanique de Marigny (ci-après désignée « ACMM ») a saisi le comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l’énergie du différend qui l’oppose à la société Électricité Réseau Distribution France (ci-après désignée « ERDF »), sur les conditions de raccordement au réseau public de distribution d’électricité d’un projet de centrale photovoltaïque.

Il ressort des pièces du dossier que la société ACMM développe, sur le territoire de la commune de Marigny le Chatel (Aube), un projet de centrale photovoltaïque intégré au bâti, d’une puissance de production installée de 141,93 kWc. La société ERDF est le gestionnaire du réseau public de distribution d’électricité sur le territoire de cette commune.

Le 30 août 2010, la société Solareo, agissant pour le compte de la société ACMM, a adressé à la société ERDF une demande complète de raccordement et d’achat de l’électricité produite par les installations utilisant l’énergie radiative du soleil.

Le 3 septembre 2010, la société ERDF a accusé réception de la demande de raccordement et a confirmé la complétude du dossier au 31 aout 2010.

Le 18 novembre 2010, la société ERDF a communiqué à la société ACMM une offre de raccordement composée d’une convention de raccordement et d’une convention d’exploitation.

Le 3 décembre 2010, la société ACMM a renvoyé un exemplaire signé le 30 novembre 2010, des conventions de raccordement et d’exploitation, ainsi qu’un chèque d’acompte de 1.809,96 euros TTC.

Le 31 décembre 2010, la société ERDF a informé la société ACMM que la « proposition technique et financière » de raccordement ainsi que le chèque d’acompte ayant été envoyés le 3 décembre 2010, son projet était concerné par les dispositions du décret du 9 décembre 2010 suspendant l’obligation d’achat de l’électricité produite par certaines installations utilisant l’énergie radiative du soleil.

La société ERDF a, également, retourné l’acompte et les pièces du dossier de la société ACMM et l’a invitée à faire une nouvelle demande lorsque les nouvelles dispositions d’obligation d’achat seraient connues.

Estimant que les conditions de raccordement au réseau public de distribution de son installation de production n’étaient pas satisfaisantes, la société ACMM a saisi le comité de règlement des différends et des sanctions d’une demande de règlement du différend qui l’oppose à la société ERDF.

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Dans ses observations, la société ACMM considère que la société ERDF se méprend sur la nature du document envoyé le 3 décembre 2010 en le qualifiant de proposition technique et financière dans son courrier du 31 décembre 2010.

Elle estime qu’à la différence d’une proposition technique et financière, une convention de raccordement définit le tracé, le coût et les délais de raccordement conformément à l’article 9.1.1 du référentiel technique. 

La société ACMM considère en conséquence que la convention de raccordement n’a pas la nature d’une simple proposition technique et financière qui, en vertu de l’article 4.5 du référentiel technique, peut être sujette à des aléas auxquels la convention de raccordement échappe.

Elle expose que la société ERDF est, ainsi, malvenue de lui opposer les dispositions du décret du 9 décembre 2010 lequel n’édicte aucune mesure de suspension à l’égard des conventions de raccordement.

La société ACMM considère que la convention de raccordement, signée avant l’entrée en vigueur du décret du 9 décembre 2010 et avant l’expiration du délai de validité de trois mois conformément aux dispositions de l’article 9.1.4 du référentiel technique applicable en l’espèce, n’est pas concernée par les dispositions du décret du 9 décembre 2010, et doit être exécutée par la société ERDF.

Elle soutient par ailleurs que le délai de dix-huit mois prévu par l’article 4 du décret du 9 décembre 2010 n’a jamais commencé à courir.

La société ACMM considère que le délai d’exécution des travaux nécessaires au raccordement de l’installation doit être fixé en tenant compte d’un délai raisonnable pour raccorder l’installation et que la durée de la procédure devant le comité de règlement des différends et des sanctions doit suspendre le cours de ce délai.

La société ACMM demande en conséquence au comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l’énergie :

- d’ordonner à la société ERDF de poursuivre la procédure de raccordement et d’exécuter notamment la convention de raccordement et la convention d’exploitation passée avec la société ACMM ;

- de fixer le délai imparti à la société ERDF pour exécuter les travaux nécessaires au raccordement de l’installation de production de la société ACMM et à cette dernière pour mettre en service son installation de production.

Vu les observations en défense, enregistrées le 22 mai 2012, présentées par la société Électricité Réseau Distribution France (ERDF), société anonyme, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Nanterre sous le numéro B 444 608 442, dont le siège social est situé 102, terrasse Boieldieu, 92085 Paris La Défense Cedex, représentée par la présidente du directoire, Madame Michèle BELLON, et ayant pour avocat, Maître Romain GRANJON, cabinet ADAMAS, 55, boulevard des Brotteaux, 69006 Lyon.

La société ERDF soutient que la convention de raccordement, qui n’est juridiquement qu’une simple proposition de convention, est assimilable à une proposition technique et financière au sens de l’article 3 du décret du 9 décembre 2010, et que dans ce cas, toute convention non retournée avant le 2 décembre 2010 fait entrer le projet dans le champ d’application du moratoire.

Elle estime donc qu’en application des dispositions combinées des articles 1er et 5 du décret du 9 décembre 2010, elle était fondée à refuser d’exécuter la convention de raccordement retournée le 3 décembre 2010.

La société ERDF indique que la société ACMM n’avait pas conclu de contrat d’obligation d’achat à la date du 9 décembre 2010.

Elle considère qu’il y a lieu d’assimiler la proposition de convention de raccordement à une proposition technique et financière pour l’application de la dérogation instituée par l’article 3 du décret du 9 décembre 2010.

La société expose que par le jeu combiné des articles 4.5 et 9.1.2. de la procédure de traitement des demandes de raccordement ERDF-PRO-RAC_14E, la convention de raccordement vaut offre de raccordement au même titre que la proposition technique et financière.

Elle fait, également, valoir que l’intention des auteurs du décret du 9 décembre 2010 a été d’exclure du champ d’application du moratoire les projets dont les auteurs avaient exprimé par leur signature et le règlement de l’acompte, leur accord sur la proposition technique et financière.

La société ERDF rappelle que la procédure de traitement des demandes de raccordement prévoit que cet accord se matérialise par l’acceptation d’une proposition technique et financière ou l’adhésion à une convention de raccordement.

Elle soutient que seuls les projets dont les auteurs avaient retourné une proposition ou une convention acceptée avant le 2 décembre 2010 pouvaient bénéficier de la dérogation prévue par l’article 3 du décret du 9 décembre 2010.

La société ERDF constate qu’en l’espèce, la société ACMM a retourné la convention acceptée accompagnée du chèque d’acompte le 3 décembre 2010.

Elle en conclut que la société ACMM ne pouvait, donc, pas bénéficier de la dérogation prévue par l’article 3 du décret du 9 décembre 2010.

La société ERDF soutient, en tout état de cause et à supposer qu’une convention de raccordement ne serait pas assimilable à une proposition technique et financière, qu’il résulte clairement du décret du 9 décembre 2010 qu’un producteur qui non titulaire d’un contrat d’achat d’électricité avant le 10 décembre 2010 voyait sa demande suspendue et devait présenter une nouvelle demande complète de raccordement auprès de la société ERDF.

La société ERDF demande, en conséquence, au comité de règlement des différends et des sanctions de rejeter les demandes de la société ACMM.

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Vu les observations en réplique, enregistrées le 12 juin 2012, présentée par la société ACMM.

La société ACMM soutient, de plus fort, que la convention de raccordement échappe aux dispositions du décret du 9 décembre 2010.

Elle considère que si l’article 3 du décret du 9 décembre 2010 prévoit un régime dérogatoire pour les propositions techniques et financières, cependant ce régime n’est pas applicable à une convention de raccordement pour laquelle, à la différence d’une proposition technique et financière, le tracé, le coût et les délais de raccordement sont définitifs.

La société ACMM en conclut que la société ERDF ne pouvait lui opposer les dispositions du décret du 9 décembre 2010 pour refuser d’exécuter la convention de raccordement.

Elle demande, également, au comité de règlement des différends et des sanctions d’ordonner la poursuite du raccordement pour qu’il soit effectif au plus tôt afin de ne pas être pénalisé par le décret du 9 décembre 2010, ou par d’éventuelles règles à venir qui seraient de nature à perturber l’exécution de la convention de raccordement.

La société ACMM demande, en conséquence, au comité de règlement des différends et des sanctions :

- de dire la société ACMM recevable en sa demande ;

- d’ordonner à la société ERDF de poursuivre la procédure de raccordement et d’exécuter, notamment, la convention de raccordement et la convention d’exploitation passée avec la société ACMM ;

- de fixer le délai imparti à la société ERDF pour exécuter les travaux nécessaires au raccordement de l’installation de production de la société ACMM et à cette dernière pour mettre en service son installation de production ;

- et, d’ordonner la poursuite du raccordement pour qu’il soit effectif au plus vite de manière à ne pas être pénalisé à tort par le décret du 9 décembre 2010, ou par d’éventuelles règles à venir qui seraient de nature à perturber l’exécution de la convention de raccordement.

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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de l’énergie, notamment ses articles L. 134-19 et suivants ;

Vu le décret n° 2000-894 du 11 septembre 2000 modifié, relatif aux procédures applicables devant la Commission de régulation de l’énergie ;

Vu le décret n° 2010-1510 du 9 décembre 2010, suspendant l’obligation d’achat de l’électricité produite par certaines installations utilisant l’énergie radiative du soleil ;

Vu la décision du 20 février 2009, relative au règlement intérieur du comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l’énergie ;

Vu la décision du 28 février 2012 du président du comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l’énergie, relative à la désignation d’un rapporteur et d’un rapporteur adjoint pour l’instruction de la demande de règlement de différend enregistrée sous le numéro 05-38-12 ;

Vu la décision du 26 avril 2012 du comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l’énergie, relative à la prorogation du délai d’instruction de la demande de règlement de différend introduite par la société ACMM ;

Vu la décision numéro 344972 et autres du 16 novembre 2011 du Conseil d’État, société Ciel et Terres et autres.

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Les parties ayant été régulièrement convoquées à la séance publique du comité de règlement des différends et des sanctions, qui s’est tenue le 25 juin 2012, en présence de :

Monsieur Pierre-François RACINE, président du comité de règlement des différends et des sanctions, Madame Dominique GUIRIMAND, Madame Sylvie MANDEL et Monsieur Roland PEYLET, membres du comité de règlement des différends et des sanctions,

Monsieur Olivier BEATRIX, directeur juridique et représentant le directeur général empêché,

Monsieur Thibaut DELAROCQUE, rapporteur et Monsieur Didier LAFFAILLE, rapporteur adjoint,

Les représentants de la société ACMM, assistés de Maître Benoît COUSSY,

Les représentants de la société ERDF, assistés de Maître Romain GRANJON.

Après avoir entendu :

- le rapport de Monsieur Thibaut DELAROCQUE, présentant les moyens et les conclusions des parties ;

- les observations de Maître Benoît COUSSY pour la société ACMM ; la société ACMM dans ses moyens et conclusions ;

- les observations de Maître Romain GRANJON pour la société ERDF ; la société ERDF persiste dans ses moyens et conclusions ;

Aucun report de séance n’ayant été sollicité ; 

Le comité de règlement des différends et des sanctions en ayant délibéré le 2 juillet 2012, après que les parties, le rapporteur, le rapporteur adjoint, le public et les agents des services se sont retirés.

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Sur la validité de la convention de raccordement signée par la société ACMM 

La société ACMM soutient que l’acceptation d’une convention de raccordement ne doit pas être soumise aux dispositions du décret du 9 décembre 2010 qui n’édicte pas de suspension d’exécution de raccordement, contrairement à ce que prétend ERDF.

La société ERDF estime, au contraire, que l’accord sur l’offre de raccordement matérialisé par la convention de raccordement n’ayant été envoyé que le 3 décembre 2010, le projet d’installation de production développé par la société ACMM entre dans le champ d’application du décret du 9 décembre 2010.

L’article 1er du décret du 9 décembre 2010 dispose que l’« obligation de conclure un contrat d’achat de l’électricité produite par les installations mentionnées au 3° de l’article 2 du décret du 6 décembre 2000 susvisé est suspendue pour une durée de trois mois courant à compter de l’entrée en vigueur du présent décret. Aucune nouvelle demande ne peut être déposée durant la période de suspension ».

L’article 3 du décret du 9 décembre 2010, prévoit que les « dispositions de l’article 1er ne s’appliquent pas aux installations de production d’électricité issue de l’énergie radiative du soleil dont le producteur a notifié au gestionnaire de réseau, avant le 2 décembre 2010, son acceptation de la proposition technique et financière de raccordement au réseau ».

Toutefois, à la différence d’une proposition technique et financière, une convention de raccordement définit  le tracé, le coût et les délais de raccordement en application de l’article 9.1.1 de la procédure de traitement des demandes de raccordement applicable en l’espèce. La distinction entre proposition technique et financière et convention de raccordement est d’ailleurs faite à plusieurs reprises dans le texte même de la procédure de traitement. 

Dès lors, la convention de raccordement, quand bien même elle vaudrait, dans certains cas, offre de raccordement, au sens de l’article 9.1.2 de la procédure de traitement des demandes de raccordement en tant qu’elle inclut les éléments devant figurer dans une proposition technique et financière, ne se résume pas à une simple proposition technique et financière mais se situe à un stade contractuel plus avancé. 

Cette convention, qui a été signée par la société ERDF, s'inscrit dans un dispositif contractuel plus complexe par lequel la société ERDF s'engage sur les conditions techniques, juridiques et financières permettant à une installation de production d'être raccordée au réseau public de distribution géré par la société ERDF.

En conséquence, les dispositions précitées de l’article 3 du décret du 9 décembre 2010 ne permettent pas à la société ERDF, quelles qu’en soient les conséquences sur l’obligation d’achat, laquelle soulève une question distincte, de refuser d’exécuter une convention de raccordement signée et notifiée avant le 10 décembre 2010, date d’entrée en vigueur du décret précité.

La lettre de décembre 2010 de la direction générale de l’énergie et du climat se borne à définir quelle est la date à prendre en compte pour apprécier si la notification de la proposition technique et financière est intervenue avant le 2 décembre 2010 et ne peut, donc, être utilement invoquée compte tenu de ce qui précède.

Dans ces conditions, la société ERDF ne pouvait invoquer le décret du 9 décembre 2010 pour refuser d’exécuter la convention de raccordement signée et notifiée par la société ACMM.

Sur le délai d’exécution des travaux nécessaires au raccordement et à l’exploitation de l’installation de la société ACMM

La société ACMM demande au comité de règlement des différends et des sanctions que soit écartée l’application de l’article 4 du décret du 9 décembre 2010.

L’article 4 du décret du 9 décembre 2010 dispose que le « bénéfice de l’obligation d’achat au titre de l’article 3 est subordonné à la mise en service de l’installation dans un délai de dix-huit mois à compter de la notification de l’acceptation de la proposition technique et financière de raccordement au réseau ou, lorsque cette notification est antérieure de plus de neuf mois à la date d’entrée en vigueur du présent décret, à la mise en service de l’installation dans les neuf mois suivant cette date. Les délais mentionnés au premier alinéa sont prolongés lorsque la mise en service de l’installation est retardée du fait des délais nécessaires à la réalisation des travaux de raccordement et à condition que l’installation ait été achevée dans les délais prévus au premier alinéa ».

Les dispositions de l’article 3 du décret du 9 décembre 2010 n’étant pas opposables à la société ACMM, les dispositions de l’article 4 ne lui sont pas non plus applicables.

La convention de raccordement prévoit que les travaux de raccordement devaient être réalisés dans un délai de quatorze semaines à compter de la date de signature de la convention de raccordement.

Dans ces conditions, il appartiendra à la société ERDF, dès notification de la présente décision, d’exécuter les travaux de raccordement dans le délai de quatorze semaines que cette convention prévoit.

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 DÉCIDE :

 Article 1er. – La société Électricité Réseau Distribution France exécutera la convention de raccordement

Article 2. – La société Électricité Réseau Distribution France exécutera les travaux de raccordement dans le délai de quatorze semaines à compter de la notification de la présente décision.

Article 3. – La présente décision sera notifiée à la société Ateliers de Construction Mécanique de Marigny et à la société Électricité Réseau Distribution France. Elle sera publiée au Journal Officiel de la République française.