CA Basse-Terre, 1re ch. civ., 30 juillet 2018, n° 17/00355
BASSE-TERRE
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Défendeur :
Société Immobilière de la Guadeloupe
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Grua-Siban
Conseillers :
M. Grammont, Mme Sauvage
FAITS ET PROCÉDURE
Selon marché de travaux notifié le 24 juin 2005 pour un montant de 126 656,11 euros, la SAEM société immobilière de la Guadeloupe, SIG a confié à la SARL société G. travaux publics, GTP, des travaux de confortement du talus dans le cadre de la réhabilitation de l'ancienne clinique Les Colibris à Trois-Rivières, 971.
Le cahier des clauses administratives particulières, CCAP, prévoit en son article 2, que constitue une pièce constitutive du marché le cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux, CCAG Travaux, approuvé par le décret n°76-87 du 21 janvier 1976 modifié par le décret n°81-271 du 18 mars 1981, l'article 10 - Résiliations, prévoyant que les stipulations des articles 46, 47 et 48 du CCAG Travaux sont seuls applicables.
Par ordonnance du 3 avril 2013, le juge des référés du tribunal administratif de Basse-Terre s'est déclaré incompétent pour connaître de la demande en paiement de la société GTP.
Par acte d'huissier délivré le 30 avril 2014, elle a assigné la SIG en résiliation du marché de travaux, paiement, aux termes de ses dernières écritures, de la somme de 573 401,03 euros et d'une indemnité de procédure.
Elle soutenait la faute commise par la SIG en interrompant les travaux sans respecter l'article 48 du CCAG Travaux et sans explication alors qu'elle ne justifiait pas de la force majeure.
Par jugement rendu le 2 février 2017, le tribunal de grande instance de Pointe-à-Pitre a prononcé au 11 septembre 2012 la résiliation du marché aux torts de la SIG, rejeté la demande de dommages-intérêts de la société GTP, la condamnant au paiement des dépens et d'une indemnité de procédure de 1 500 euros.
Il retenait que la société GTP était en droit d'obtenir la résiliation du marché du fait de son interruption pendant plus d'une année ; elle ne démontrait pas que cette obligation entraîne l'obligation de lui payer le solde du marché ; pour ce qui concerne l'indemnité d'attente, elle ne prouvait pas avoir immobilisé son matériel sur le chantier du 31 octobre 2005 au 11 septembre 2012, d'autant qu'elle avait sous-traité le marché à la société TSA Sogetras.
Selon déclaration reçue au greffe de la cour le 15 mars 2017, la société GTP a relevé appel de cette décision.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 24 avril 2018.
PRÉTENTIONS ET MOYENS
Les dernières conclusions, reçues au greffe de la cour les 26 avril 2017 par l'appelante, 20 juin 2017 par l'intimée, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé de leurs moyens et prétentions, peuvent se résumer ainsi qu'il suit.
La société GTP demande de réformer la décision, sauf en ce qu'elle prononce la résiliation du marché, condamner la SIG au paiement des sommes de 76 735,03 euros au titre du solde du marché et 496 666 euros au titre de l'indemnité d'attente et d'une indemnité de procédure de 6 000 euros.
La SIG demande d'infirmer la décision en ce qu'elle prononce la résiliation du marché à ses torts, statuant à nouveau, débouter la société GTP de sa demande de résiliation, subsidiairement, si la décision était confirmée sur la résiliation du marché à ses torts, la confirmer en ce qu'elle déboute la société GTP de ses autres demandes, confirmer la décision sur le solde du marché et l'indemnité d'attente, débouter la société GTP de ses demandes et la condamner au paiement d'une indemnité de procédure de 6 000 euros.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Contestant que la résiliation du marché lui soit imputable, la SIG fait valoir que les conditions d'application de l'article 48 du CCAG Travaux ne sont pas applicables, l'appelante ayant attendu de longues années avant d'ester en justice pour revendiquer une résiliation alors qu'il lui appartenait de la solliciter dans les délais, de procéder aux constatations contradictoires et d'élaborer le décompte général.
Aux termes de l'article 48 du CCAG Travaux :
Ajournement et interruption des travaux
48.1 L'ajournement des travaux peut être décidé. Il est alors procédé, suivant les modalités indiquées à l'article 12, à la constatation des ouvrages et parties d'ouvrages exécutés et des matériaux approvisionnés.
L'entrepreneur qui conserve la garde du chantier a droit à être indemnisé des frais que lui impose cette garde et préjudice qu'il aura éventuellement subi du fait de l'ajournement.
Une indemnité d'attente de reprise des travaux peut être fixée dans les mêmes conditions que les prix nouveaux, suivant les modalités prévues à l'article 14.
48.2. Si, par suite d'un ajournement ou de plusieurs ajournements successifs, les travaux ont été interrompus pendant plus d'une année, L'entrepreneur a le droit d'obtenir la résiliation du marché, sauf si, informé par écrit d'une durée d'ajournement conduisant au dépassement de la durée d'un an indiquée ci-dessus, il n'a pas, dans un délai de quinze jours. demandé la résiliation.
La SIG ne peut contester que c'est à sa demande que le marché de travaux a été interrompu le 31 octobre 2005 et le reconnaît d'ailleurs dans sa réponse faite le 25 mars 2009 à la demande de la société GTP quant à la poursuite des travaux, 'nous vous confirmons que la SIG est en pleine démarche pour régler un problème de foncier. Par ce fait, l'avancée des travaux est bloquée. Toutefois, sachez que nous donnerons suite à cette affaire qui vous sera évidemment communiquée.'
Les travaux étant arrêtés depuis près de 9 années à la date de l'assignation, c'est à raison que le premier juge a fait droit à la demande de résiliation de la société GTP et en a imputé la responsabilité à la SIG, laquelle a arrêté les travaux, rompant ainsi ses engagements contractuels, en méconnaissance des dispositions de l'ancien article 1134 du code civil, aucune des parties n'ayant respecté la procédure spéciale prévue par l'article 48, le maître de l'ouvrage pour n'avoir notifié par écrit aucun ajournement à l'entrepreneur, aucune des parties n'ayant pris ensuite l'initiative de demander à l'autre que soit établi le décompte général contradictoire des travaux.
L'appelante fait plaider que les règles de résiliation du marché à forfait doivent s'appliquer et considère être seule en mesure de solliciter le solde du marché, soit 76 735,03 euros, et non la marge lui revenant, sauf à faire ensuite le compte avec son sous-traitant. Elle estime aussi avoir droit à l'indemnité d'attente puisque si le chantier s'était réalisé, elle n'aurait pas eu à supporter les pertes liées à l'immobilisation du matériel sur site du 31 octobre 2005 au 11 septembre 2012, date de la résiliation, soit 2 411 jours pendant lesquels elle a supporté une valeur journalière de 206 euros pour son matériel, le marché étant susceptible de reprendre à tout moment.
Aux termes de l'article 1794 du code civil, le maître peut résilier, par sa seule volonté, le marché à forfait, quoique l'ouvrage soit déjà commencé, en dédommageant l'entrepreneur de toutes ses dépenses, de tous ses travaux, et de tout ce qu'il aurait pu gagner dans cette entreprise.
Il est certain que le maître de l'ouvrage doit indemniser l'entrepreneur de la perte de marge sur les travaux qu'il n'a pu réaliser mais l'indemnité allouée doit comprendre les frais d'amortissement du matériel non inclus dans les autres dépenses ainsi que le trouble né de la désorganisation de l'entreprise.
Le montant du marché étant de 126 656,11 euros sur lequel la société GTP avait sous-traité à la société TSA Sogetras des travaux d'un montant de 118 580,19 euros, soit une perte de marge pour la première de 8 075,92 euros. La SIG sera condamnée au paiement de cette somme.
Par ailleurs, le courrier précité du 25 mars 2009 fait apparaître que la SIG a laissé miroité, pendant plusieurs années, à la société GTP l'espoir d'une reprise des travaux et lui a même demandé l'établissement, dans les meilleurs délais, d'un devis de travaux supplémentaires sur cette même opération, 'Toutefois, sachez que nous donnerons suite à cette affaire qui vous sera bien évidemment communiquée. Par ailleurs, nous souhaiterions vous consulter pour des travaux supplémentaires sur cette même opération car nous envisageons d'extraire un rocher... Nous vous demandons donc de nous présenter un devis dans les meilleurs délais pour l'évacuation de ce rocher. Ainsi, nous vous invitons à vous rapprocher de M. Jérôme R. en charge de cette opération au...' Le devis de travaux supplémentaires a été adressé à la SIG le 8 avril 2009.
Si la décision doit être approuvée en ce qu'elle retient que la société GTP ne justifie pas avoir immobilisé un compresseur, une camionnette et du matériel de signalisation sur le chantier alors que les travaux étaient sous-traités, il n'en demeure pas moins que la SIG a commis une faute causant préjudice à l'entrepreneur en laissant penser que les travaux allaient pouvoir être repris et en réclamant même un devis de travaux supplémentaires auquel elle n'a pas donné suite.
La vaine attente de la société GTP ayant duré 7 ans, il convient de condamner la SIG à l'indemniser de son préjudice par le paiement de dommages-intérêts de 7 000 euros.
La SIG qui succombe sera condamnée au paiement des entiers dépens d'appel et d'une indemnité de procédure de 3 000 euros.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par décision contradictoire mise à disposition au greffe ;
Confirme le jugement déféré, uniquement en ce qu'il prononce la résiliation au 11 septembre 2012 du marché de travaux du 24 juin 2005, aux torts de la société immobilière de la Guadeloupe ;
L'infirme pour le surplus ;
Statuant à nouveau ;
Condamne la société immobilière de la Guadeloupe à payer à la société G. travaux publics des dommages-intérêts de 8 075,92 euros au titre de la perte de marge et de 7 000 euros au titre de l'attente ;
Rejette toute autre demande ;
Condamne la société immobilière de la Guadeloupe au paiement des entiers dépens d'appel, lesquels seront recouvrés en application de l'article 699 du code de procédure civile, et d'une indemnité de procédure de 3 000 euros en faveur de la société G. travaux publics au titre de l'article 700 de ce code.