CA Toulouse, 2e ch., 5 octobre 2016, n° 15/00520
TOULOUSE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
ECA CNAI (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cousteaux
Conseillers :
M. Baïssus, M. Pellarin
FAITS et PROCEDURE
La SAS ECA CNAI développe, à Toulouse, une activité de bureau d'études dans le domaine industriel et notamment aéronautique. Elle a la forme juridique d'une SAS dont l'associé unique est la société ECA, filiale du groupe G..
M. Jérôme P. est nommé, le 20 décembre 2007, directeur général de la
SAS ECA CNAI avec effet rétroactif au 1er novembre 2007. Ce mandat se cumule avec l'emploi salarié de Monsieur Jérôme P. qu'il occupait jusqu'alors en tant que directeur des opérations.
Convoqué, le 27 novembre 2013, pour une réunion pour le 29 novembre 2013 par le président de la SAS ECA CNAI, Monsieur Jérôme P. se voit remettre ce jour-là une convocation en vue d'un entretien préalable à son éventuel licenciement, assorti d'une mise à pied conservatoire qui l'empêche de communiquer avec son personnel, ses clients ou fournisseurs.
Il lui est interdit de revenir dans les locaux à Toulouse. Il est révoqué le jour même par décision du conseil d'administration présidé par l'associé unique de la SAS ECA CNAI et en est avisé par courrier le 5 décembre 2013.
Estimant être victime d'une révocation brutale et vexatoire, portant atteinte à son honneur et à sa réputation, et intervenue au mépris du principe du
contradictoire, Monsieur Jérôme P. attrait la SAS ECA CNAI, le 29 avril 2014,devant le tribunal de commerce de Toulouse qui, par jugement du 26 janvier 2015 a :
- débouté Monsieur Jérôme P. de l'ensemble de ses demandes ;
- dit, en effet, que la révocation de Monsieur Jérôme P. de sa fonction de DG par la SAS ECA CNAI répond à un juste motif et qu'elle n'est pas abusive ;
- dit, néanmoins, que le principe du contradictoire n'a pas été respecté dans la forme par la SAS ECA CNAI en n'invitant pas Monsieur Jérôme P. à exprimer ses observations à la réunion du Conseil d'Administration qui a décidé sa révocation ;
- condamné la SAS ECA CNAI au paiement d'un euro symbolique
à Monsieur Jérôme P. ;
- Condamné la SAS ECA CNAI au paiement de la somme de 1 500 € à Monsieur Jérôme P. au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la SAS ECA CNAI aux entiers dépens.
M. Jérôme P. a interjeté appel le 4 février 2015.
M. Jérôme P. a transmis ses dernières écritures par RPVA le 4 mai 2016 .
La SAS ECA CNAI a transmis ses dernières écritures par RPVA le 30 mai 2016 .
L'ordonnance de clôture est intervenue le 31 mai 2016 .
MOYENS et PRETENTIONS des PARTIES
Dans ses écritures, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'énoncé du détail de l'argumentation, au visa des articles 4, 5 et 16 du Code de Procédure Civile,L 227-1 et L 227-9 du Code de Commerce,1147 du Code Civil ou à défaut 1382 du Code civil,1134 du Code Civil, M. Jérôme P. demande à la cour de :
- ANNULER le jugement entrepris et STATUANT DE NOUVEAU (ou à défaut REFORMER le jugement entrepris),
- JUGER que la révocation de M Jérôme P. de son mandat de DIRECTEUR GENERAL de la société ECA CNAI a été décidée par cette société de manière abusive, sans respect du principe de la contradiction,
- JUGER que les circonstances ayant entouré cette révocation, et notamment son caractère précipité et déloyal, ont conféré à la rupture un caractère brutal et préjudiciable;
- CONDAMNER la société ECA CNAI à payer à M Jérôme P. la somme de 200.000 € au titre de ia réparation du préjudice moral né de la révocation abusive, brutale et vexatoire dont il a fait l'objet;
-CONDAMNER la société ECA CNAI à indemniser M P. à hauteur de 6.220 € à raison de la perte de chance de réaliser la vente des actions ECA;
-CONDAMNER la société ECA CNAI à payer à M. Jérôme P. la somme de 10.000 € sur le fondement de l'article 700 du CPC.
Dans ses écritures, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'énoncé du détail de l'argumentation, au visa des articles, la SAS ECA CNAI demande à la cour d'appel de :
- débouter Monsieur P. de l'ensemble de ses demandes ;
- condamner Monsieur P. à payer à la société ECA CNAI la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner Monsieur P. aux entiers dépens.
L'intimée fait essentiellement valoir que :
- le principe du contradictoire est respecté dès lors que le mandataire a été informé que sa révocation était envisagée et a pu s'expliquer à ce sujet devant tout représentant légal de la société, avant que la décision ne soit prise.
- il est totalement inopérant que le mandataire n'ait pas pu s'expliquer devant l'organe délibérant
- loin de caractériser des circonstances brutales et vexatoires, la société a pris soin de ne délivrer à l'extérieur à l'intention des tiers qu'une information minimale pour ne pas nuire aux intérêts, à la réputation et à l'honneur de Monsieur P..
MOTIFS de la DECISION
Tout d'abord, par combinaison des articles L227-1 et L225-55 du code de commerce, le directeur général est révocable à tout moment par le conseil d'administration ou le président d'une société par actions simplifiée (S.A.S.).
La révocation d'un directeur général n'est abusive que si elle a été accompagnée de circonstances ou a été prise dans des conditions qui portent atteinte à la réputation ou à l'honneur du dirigeant révoqué ou si elle a été décidée brutalement sans respecter le principe de la contradiction.
Or, les premiers juges ont jugé que la révocation de M. Jérôme P. de sa fonction de directeur général par la SAS ECA CNAI répondait à un juste motif et qu'elle n'était pas abusive .
En se prononçant de la sorte, alors même que les parties à l'instance n'avaient nullement conclu sur la question du juste motif, le tribunal de commerce a violé les dispositions des articles 4, 5 et 16 du code de procédure civile . Mais, la violation du principe de la contradiction ne constitue pas un excès de pouvoir pouvant justifier l'annulation d'une décision. Dès lors, il n'y a pas lieu à prononcer la nullité du jugement entrepris comme le demande l'appelant.
Ensuite, les statuts de la SAS ECA CNAI stipulent que sur proposition du président, le conseil d'administration peut nommer un directeur général qui peut bénéficier d'un contrat de travail au sein de la société, que la révocation du directeur général peut intervenir à tout moment et n'a pas à être justifiée, et que a révocation, ne donnant droit à aucune indemnité, est prononcée par le conseil d'administration .
Or, le président de la SAS ECA CNAI a adressé le mercredi 27 novembre 2013 à 11h28 un message électronique à M. Jérôme P., qui exerçait depuis le 1er novembre 2007 les fonctions de directeur général, lui demandant de se rendre de Toulouse à Toulon, où il se trouvait, deux jours plus tard, message dans lequel il lui indique qu'il aimerait le voir suite au risque pris sur le WPA ATR .
L'après-midi même du vendredi 29 novembre, sans que l'horaire ne soit précisé sur le procès-verbal, le conseil d'administration a décidé à l'unanimité de révoquer avec effet immédiat M. Jérôme P.. Le procès-verbal mentionne que ce dernier a été reçu par le président de la société à 11h pour lui présenter les fautes reprochées, entendre ses arguments et obtenir tout éclairage sur les fautes ou les manquements constatés .
Ce déroulement des faits caractérise une violation du principe de la contradiction, M. Jérôme P. n'ayant pas été informé de la raison de sa convocation à bref délai et n'ayant pas pu faire utilement valoir des observations compte tenu de la brièveté de l'entretien et du court délai entre cet entretien et la décision prise par le conseil d'administration. Ainsi le caractère abusif de la révocation est établi du fait de sa brutalité .
En revanche, le caractère abusif de la révocation en raison d'une atteinte à la réputation ou à l'honneur de M. Jérôme P. n'est pas démontré. En effet, si M. Jérôme P. n'a pas pu se présenter dans l'entreprise postérieurement à la décision de révocation, c'est en raison de la procédure de licenciement concomitante dont il a fait l'objet avec mise à pied conservatoire, notifiée le même jour . De plus, M. Jérôme P. ne rapporte pas la preuve de la diffusion d'informations par la SAS ECA CNAI tant au sein qu'à l'extérieur de la société sur les raisons de sa révocation de ses fonctions de directeur général .
Dès lors, le caractère abusif de la révocation n'étant établi que du fait de sa brutalité, en raison de la violation du principe de la contradiction, il sera alloué à M. Jérôme P. des dommages et intérêts à hauteur de 7 500 euros .
Enfin, M. Jérôme P. sollicite la condamnation de la société ECA CNAI à l'indemniser à hauteur de 6 220 euros à raison de la perte de chance de réaliser la vente des actions ECA.
Mais, M. Jérôme P. a bénéficié en décembre 2009 de l'autorisation donnée par l'assemblée générale de la société mère ECA en date du 17 juin 2008 au conseil d'administration de désigner des bénéficiaires d'options de souscription d'actions à hauteur de 5 000 actions en sa qualité de mandataire social des filiales de la société ECA. Or, il est précisé dans les conditions d'exercice des options de souscription qu'étant exclusivement réservés à certains salariés et mandataires sociaux, elles deviendront caduques dès la perte de cette qualité par les bénéficiaires, à l'exception des cas prévus par la loi ou dérogation accordée par le conseil d'administration. Dès lors qu'il a été révoqué, M. Jérôme P. a perdu le bénéfice des options de souscription d'actions en l'absence d'exception légale ou de dérogation accordée par le conseil d'administration qu'il ne justifie pas avoir saisi d'une telle demande . En conséquence, il doit être débouté de sa demande relative à la vente des actions ECA.
Il convient en conséquence de confirmer le jugement entrepris sauf sur le montant des dommages et intérêts alloués à M. Jérôme P. .
Enfin, la SAS ECA CNAI qui succombe sera condamné aux dépens d’appel.
PAR CES MOTIFS :
La Cour,
- dit n'y avoir lieu à annulation du jugement du tribunal de commerce,
- confirme le jugement du tribunal de commerce à l'exception du montant des dommages-intérêts alloués à M. Jérôme P.,
Et, statuant à nouveau de ce seul chef,
- condamne la SAS ECA CNAI à payer à M. Jérôme P. la somme de 7.500 euros à titre de dommages et intérêts,
Y ajoutant,
Vu l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute la SAS ECA CNAI de sa demande de ce chef,
Condamne la SAS ECA CNAI à payer à M. Jérôme P. la somme de 1 500 euros sur ce fondement,
Condamne la SAS ECA CNAI aux dépens d'appel dont distraction par application de l'article 699 du code de procédure civile.