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Décisions

CA Grenoble, ch. com., 25 septembre 2014, n° 11/03093

GRENOBLE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

ISEROISE D'INVESTISSEMENT (SCI)

Défendeur :

EDEN SHOES (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dominique ROLIN

Conseillers :

Monsieur Jean-Louis BERNAUD, Mme Fabienne PAGES

Avoués :

SCP GRIMAUD, SELARL DAUPHIN&MIHAJLOVIC

Avocats :

Me Bruno BARRILLON, Me Jean-Paul RABITCHOV

Grenoble, du 6 juin 2011

6 juin 2011

La société EDEN SHOES exploite à [...], un commerce de vente au détail de chaussures dans des locaux appartenant à la SCI ISEROISE D'INVESTISSEMENT selon bail sous-seing privé du 20 octobre 2001 d'une durée de 12 ans ayant pris effet le 22 octobre 2001.

 

Le loyer a été fixé à 6 % du chiffre d'affaires annuel hors taxes réalisé par le preneur avec un minimum garanti de 62'199,20 euros hors-taxes (408'000 fr.) qualifié de loyer de base.

 

Il a été stipulé que le loyer de base serait indexé chaque année de plein droit sur les variations de l'indice du coût de la construction et que cette indexation conventionnelle ne dérogeait pas à la révision triennale instituée par les articles L. 145-37 et L. 145-38 du code de commerce.

 

Par le jeu de l'indexation annuelle le loyer de base s'élève à la somme de 85'218,64 euros depuis le deuxième trimestre 2009.

 

Agissant par son mandataire, la société JURIPAR, la société EDEN SHOES a demandé le 23 novembre 2009 la révision du loyer à la valeur locative en application de l'article L. 145-39 du code de commerce, qui prévoit que la révision peut être demandée chaque fois que par le jeu de la clause d'échelle mobile le loyer se trouve augmenté ou diminué de plus un quart.

 

La SCI ISEROISE D'INVESTISSEMENT s'est opposée à cette demande en soutenant que la révision de l'article L. 145-39 ne pouvait être demandée lorsque le loyer comprenait une partie fixe et une partie variable.

 

Saisi par le preneur le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Grenoble, par jugement du 6 juin 2011, a dit et jugé que le bail permettait la révision de la partie fixe du loyer, a ordonné une expertise pour déterminer la valeur locative des lieux et a fixé le loyer provisionnel à la somme annuelle de 30'000 €.

 

Par ordonnance de référé du 27 juillet 2011 le premier président de cette cour a dit que le jugement était appelable sans autorisation.

 

La SCI ISEROISE D'INVESTISSEMENT a relevé appel du jugement susvisé selon déclaration reçue le 24 juin 2011.

 

Par ordonnance juridictionnelle du 10 octobre 2012 la SCI a été déboutée de sa demande de condamnation provisionnelle du preneur en paiement du loyer contractuellement exigible.

 

Vu les dernières conclusions signifiées et déposées le 27 janvier 2012 par la SCI ISEROISE D'INVESTISSEMENT qui demande à la cour, par voie de réformation du jugement, de déclarer irrecevable et inopposable la demande de révision du loyer, subsidiairement de dire et juger que les dispositions de l'article L. 145-39 du code de commerce ne sont pas applicables au loyer convenu entre les parties, plus subsidiairement de dire et juger que le loyer révisé en application du texte susvisé ne pourra en aucun cas être inférieur à la somme annuelle de 62'200 € hors charges et hors-taxes et de désigner un expert aux frais avancés de la société EDEN SHOES aux fins de déterminer la valeur locative des locaux et en tout état de cause de condamner la société EDEN SHOES à lui payer une indemnité de 3000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile aux motifs :

 

que la demande de révision, qui doit émaner de l'une ou l'autre des parties au contrat de bail, a été faite par un prétendu mandataire( la société JURIPAR ) dépourvu d'intérêt et de qualité à agir à défaut de disposer d'un mandat ayant date certaine,

que la demande de révision lui est par ailleurs inopposable comme ayant été adressée à une société CITI, qui est totalement étrangère à la convention des parties et à laquelle elle n'avait consenti aucun mandat de gestion,

que le loyer convenu, qui comporte une partie fixe et une partie variable, présente un caractère unitaire et indivisible, en sorte que l'indexation de la partie fixe ne peut constituer une clause d'échelle mobile au sens de l'article L. 145-39 du code de commerce, l'évolution du loyer échappant ainsi aux dispositions statutaires en matière de baux commerciaux,

qu'aux termes d'une jurisprudence constante la fixation du loyer révisé, dans le cas d'un loyer binaire, échappe au statut et n'est régie que par la convention des parties,

qu'il ressort par ailleurs clairement de l'article 5 du contrat, qui ne vise que les articles L. 145-37 et L. 145-38, que les parties ont entendu exclure les dispositions de l'article L. 145-39 du code de commerce,

qu'en toute hypothèse le loyer ne saurait être inférieur au loyer contractuel plancher de 62'200'€, tandis que la révision ne peut être ordonnée sur la base d'une expertise non contradictoire.

Vu les dernières conclusions signifiées et déposées le 28 novembre 2011 par la SA EDEN SHOES qui demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré recevable son action en révision du loyer, de fixer en conséquence le loyer annuel à compter du 23 novembre 2009 à la somme de 26'000 € hors taxes et hors charges et d'ordonner le remboursement du trop-perçu avec intérêts de droit, subsidiairement en cas de maintien de l'expertise judiciaire de confirmer le jugement en ce qu'il a fixé le loyer provisionnel à la somme annuelle de 30'000 € hors taxes et hors charges et en tout état de cause de condamner la société ISEROISE D'INVESTISSEMENT à lui payer une indemnité de 7000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile aux motifs :

 

que l'article L. 145-37 du code de commerce n'interdit nullement la présentation d'une demande de révision par un mandataire,

que la société JURIPAR était investie d'un mandat écrit du 22 mars 2009 lui conférant le pouvoir d'agir en son nom en matière de renouvellement du bail, de résiliation et de fixation du prix du loyer,

que la société CITI était parfaitement habilitée à recevoir la demande de révision, alors que l'adresse de son siège social est la même que celle de la société bailleresse, que toutes les discussions ayant été menées avec son dirigeant, M. SERVAL, il existait un mandat apparent et que la SCI ISEROISE D'INVESTISSEMENT n'a émis aucune réserve quant à sa qualité à l'occasion de sa réponse du 15 décembre 2009,

que nonobstant le caractère mixte du loyer le bail a expressément prévu le maintien du mécanisme de révision légale du loyer de base, ce qui rend applicable l'article L. 145-39 du code de commerce qui est le corollaire des articles précédents,

que par rapport au prix initialement fixé le loyer a augmenté de plus de 33 %, ce qui doit conduire à sa fixation à la valeur locative,

que sur la base des loyers de comparaison analysés par son expert le prix du mètre carré de surface pondérée ne saurait excéder la somme annuelle de 585 €, d'où une valeur locative de 26'000 € hors taxes pour 43,25 m²,

que le loyer de base de 62'200 € a été fixé pour la première période triennale seulement, puisque le bail prévoit expressément qu'il sera susceptible d'être révisé au début de chacune des autres périodes dans les conditions prévues par la législation en vigueur,

qu'il appartient à la cour de fixer la valeur locative à partir notamment des conclusions de l'expertise amiable, alors que la société ISEROISE D'INVESTISSEMENT s'est opposée à la réalisation de l'expertise judiciaire ordonnée par le premier juge.

MOTIFS DE L'ARRET

 

La société EDEN SHOES produit aux débats le mandat écrit sous-seing privé qu'elle a consenti le 22 mars 2009 à la SAS JURIPAR , avec pour mission de gérer et d'administrer le contrat de bail dont elle est titulaire portant sur les locaux litigieux situés à [...], et plus particulièrement d'accomplir tous actes relatifs au renouvellement, à la résiliation et à la fixation du prix du loyer et de conduire toute procédure en découlant.

 

Pour contester la qualité à agir de la société JURIPAR la SCI ISEROISE D'INVESTISSEMENT soutient que cet acte n'aurait pas date certaine à défaut d'enregistrement.

 

Le mandat conclu entre deux sociétés commerciales par la forme portant sur la gestion du contrat de bail afférent aux locaux d'exploitation de la société mandante constitue toutefois un acte de commerce qui n'est pas soumis aux exigences de l'article 1328 du Code civil.

 

À défaut de tout élément pouvant laisser penser qu'il a été antidaté, le mandat confié à la société JURIPAR est par conséquent opposable à la bailleresse.

 

La demande de révision du loyer a donc été régulièrement formée par un mandataire dûment habilité, dont la qualité et l'intérêt à agir ne sont pas sérieusement discutables, dès lors d'une part qu'aucune disposition des articles L. 145-37 et suivants du code de commerce n'impose à l'une ou l'autre des parties d'agir personnellement sans intermédiaire, et d'autre part qu'il résulte sans ambiguïté des termes du courrier du 23 novembre 2009 que la demande est faite au nom et pour le compte de la société EDEN SHOES .

 

La demande a toutefois été adressée à une société tierce dénommée CITI (compagnie d'investissements tertiaires et industriels), qui bien que domiciliée à la même adresse n'a pas le même dirigeant que la SCI bailleresse, ni le même objet social, et dont il est établi qu'elle constitue une entité juridiquement distincte de cette dernière, étant précisé que la preuve n'est pas même rapportée de l'existence d'associés communs.

 

Sans prétendre rapporter la preuve d'un mandat de gestion conclu entre ces deux sociétés, la société EDEN SHOES se fonde sur l'existence d'un mandat apparent pour affirmer que sa demande de révision aurait néanmoins produit ses effets à l'égard de la SCI ISEROISE D'INVESTISSEMENT .

 

Elle ne fait pas toutefois état de circonstances qui auraient pu légitimement la conduire à croire aux pouvoirs du prétendu mandataire et à ne pas vérifier lesdits pouvoirs.

 

Elle n'apporte en effet nullement la preuve de ce que antérieurement à l'acte litigieux la gestion du bien loué aurait été effectuée par la société CITI, qui n'a pas facturé les loyers au nom et pour le compte de la SCI et dont il n'est pas établi qu'elle aurait engagé des pourparlers en vue de la fixation du loyer révisé.

 

À cet effet la cour observe que l'attestation de Monsieur Stéphane RUMANI, directeur juridique salarié de la société JURIPAR , selon laquelle un processus de négociation aurait été engagé avec M.SERVAL représentant la société CITI en vue de la fixation amiable du loyer, n'est pas probante, alors qu'elle émane de son propre mandataire ayant intérêt à dégager sa responsabilité et qu'elle ne dit pas que ces prétendues discussions ont précédé la demande de révision du 23 novembre 2009 ( le témoin indique seulement sans mentionner de dates qu'il a parlé à M. SERVAL à plusieurs reprises «' sur la demande que nous formulions'», ce qui laisse penser que ces entretiens sont postérieurs à la demande) .

 

Le fait que la SCI ait elle-même répondu le 15 décembre 2009 sur le fond à la demande de révision du loyer ne constitue pas davantage une circonstance de nature à fonder la croyance légitime de la société locataire dans les pouvoirs du prétendu mandataire.

 

Il s'agit en effet d'un événement postérieur à l'acte qui ne permet pas à lui seul d'affirmer que la bailleresse avait laissé créer à l'égard des tiers une apparence de mandat, étant observé que la ratification des actes faits par le mandataire au delà de ses pouvoirs suppose la preuve rapportée d'un mandat effectif.

 

Par voie d'infirmation du jugement déféré il sera par conséquent dit et jugé que la demande de révision du loyer adressée à une personne n'ayant pas qualité pour la recevoir est irrecevable et partant inopposable à la SCI ISEROISE D'INVESTISSEMENT .

 

L'équité ne commande pas toutefois de faire application en cause d'appel de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la société appelante.

 

PAR CES MOTIFS

 

LA COUR

 

Statuant contradictoirement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et après en avoir délibéré conformément à la loi,

 

Infirme le jugement déféré et statuant à nouveau :

 

Déclare irrecevable et inopposable à la SCI ISEROISE D'INVESTISSEMENT la demande de révision du loyer formée par la SA EDEN SHOES le 23 novembre 2009,

 

Dit et juge par voie de conséquence que cette demande ne produira aucun effet,

 

Dit n'y avoir lieu en cause d'appel à application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'une ou l'autre des parties,

 

Condamne la SA EDEN SHOES aux entiers dépens .

 

SIGNE par Madame ROLIN, Président et par Madame COSNARD, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.