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Décisions

CA Paris, Pôle 4 ch. 8, 14 mai 2020, n° 19/13572

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Ateliers Jean Nouvel (SAS), 2M & Associés (Selarl), MJA (Selafa)

Défendeur :

SNC R4

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Lebée

Conseillers :

M. Malfre, M. Gouarin

JEX Paris, du 24 juin 2019, n° 19/80922

24 juin 2019

Le 1er décembre 2011, la société R4, maître d'ouvrage, a confié à la société Ateliers Jean Nouvel (la société AJN) la maîtrise d'oeuvre complète de la construction d'infrastructures culturelles sur l'île Seguin à Boulogne-Billancourt, moyennant des honoraires d'un montant total de 4 425 000 euros.

Le 2 mai 2017, en exécution de l'article G.8.3 du contrat liant les parties, la société AJN informait la société R4 de la résiliation dudit contrat à son initiative compte tenu de la perte de confiance envers le maître de l'ouvrage, auquel elle reprochait de souhaiter poursuivre le projet avec un autre architecte et lui adressait une facture d'un montant de 852 212,67 euros.

Par jugement du 4 octobre 2016, le tribunal de commerce de Paris a ordonné l'ouverture d'une procédure de sauvegarde à l'égard de la société AJN. Au terme de la période d'observation, cette même juridiction a, par jugement du 28 décembre 2017, arrêté un plan de sauvegarde, la société 2 M & associés étant désignée comme commissaire à l'exécution du plan et la SELAFA MJA comme mandataire judiciaire.

Suivant ordonnance du 27 octobre 2017, le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Paris a autorisé la société AJN à faire pratiquer une saisie conservatoire sur les comptes bancaires de la société R4 en garantie du recouvrement de sa créance évaluée provisoirement à la somme de 852 012,67 euros.

Le 25 janvier 2018, la société AJN a fait pratiquer entre les mains de la BNP Paribas une saisie conservatoire sur les comptes bancaires de la société R4 en garantie du recouvrement de sa créance évaluée provisoirement à la somme de 852 012,67 euros. Cette saisie a été dénoncée le 30 janvier 2018.

Le 22 février 2018, la société AJN a fait assigner au fond la société R4 devant le tribunal de grande instance de Paris, cette instance étant actuellement en cours.

Par acte d'huissier du 5 avril 2019, la société R4 a fait assigner la société AJN, la société 2 M & associés ès qualités de commissaire à l'exécution du plan et la SELAFA MJA ès qualités de mandataire judiciaire de la société AJN devant le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Paris aux fins, notamment, de voir prononcer la nullité de la saisie conservatoire.

Par jugement du 24 juin 2019, le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Paris a ordonné la mainlevée de la saisie conservatoire du 25 janvier 2018, a débouté la société R4 de ses demandes tendant à voir prononcer la nullité de l'acte de dénonciation du 30 janvier 2018, constater la caducité de la saisie conservatoire du 25 janvier 2018 et condamner la société AJN à lui verser la somme de 97 488,55 euros de dommages-intérêts et a condamné la société AJN à payer à la société R4 la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Par déclaration du 4 juillet 2019, la société AJN, son commissaire à l'exécution du plan et son mandataire judiciaire ont interjeté appel de cette décision.

Par dernières conclusions du 29 novembre 2019, la société AJN, son commissaire à l'exécution du plan de sauvegarde et son mandataire judiciaire demandent à la cour, outre des demandes de «'constater'» ne constituant pas des prétentions sur lesquelles il y a lieu de statuer, d'infirmer le jugement attaqué sauf en ce qu'il a débouté la société R4 de ses demandes tendant à voir prononcer la nullité de l'acte de dénonciation du 30 janvier 2018, constater la caducité de la saisie conservatoire du 25 janvier 2018 et condamner la société AJN à lui verser la somme de 97 488,55 euros de dommages-intérêts, statuant à nouveau, d'ordonner le maintien de la saisie conservatoire pratiquée le 25 janvier 2018 et de condamner l'intimée à payer à la société AJN la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel ainsi qu'aux entiers dépens.

Par dernières conclusions du 31 octobre 2019, la société R4 demande à la cour, outre des demandes de «'dire'» et «'dire et juger'» ne constituant pas des prétentions sur lesquelles il y a lieu de statuer, de confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a ordonné la mainlevée de la saisie conservatoire du 25 janvier 2018, de l'infirmer en ce qu'il l'a déboutée de sa demande tendant à voir condamner la société AJN à lui verser la somme de 97 488,55 euros de dommages-intérêts, statuant à nouveau de ce chef, de condamner la société AJN à lui payer la somme de 126 452 euros de dommages-intérêts «'à parfaire au jour de la décision'» et de condamner la société AJN à lui verser la somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de son conseil.

Pour plus ample exposé du litige, il est référé aux dernières écritures des parties.

SUR CE

Aux termes de l'article L. 511-1 du code des procédures civiles d'exécution, toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l'autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement. La mesure conservatoire prend la forme d'une saisie conservatoire ou d'une sûreté judiciaire.

Il résulte de ces dispositions que le juge de l'exécution apprécie souverainement si la créance invoquée est fondée en son principe, sans avoir à rechercher l'existence d'un principe certain de créance et encore moins à établir la preuve d'une créance existante.

En vertu de l'article L. 512-1 du même code, même lorsqu'une autorisation préalable n'est pas requise, le juge peut donner mainlevée de la mesure conservatoire s'il apparaît que les conditions prescrites à l'article L. 511-1 ne sont pas réunies. À la demande du débiteur, le juge peut substituer à la mesure conservatoire initialement prise toute autre mesure propre à sauvegarder les intérêts des parties.

L'article R. 512-1 du même code dispose qu'il incombe au créancier de prouver que les conditions requises sont réunies.

S'agissant des menaces pesant sur le recouvrement de sa créance, la société AJN soutient que l'intimée a refusé de payer la somme réclamée, qu'elle s'est transformée en société en nom collectif en cours d'exécution de contrat, que la société chargée de la consolidation des comptes de l'intimée est située à Malte, paradis fiscal, que des poursuites pénales sont engagées à Monaco contre l'ancien gérant de la société R4, que celle-ci a contesté tardivement la saisie conservatoire, que le capital social de la société R4 n'est qu'une «'vitrine'», que ses capitaux propres ont diminué en 2018, que cette société a souscrit d'importants prêts et que les associés de cette société en nom collectif ne peuvent être considérés comme ses co-obligés, de sorte que ses garanties financières sont insuffisantes.

Pour ordonner la mainlevée de la saisie conservatoire, c'est à juste titre que le premier juge a retenu que le seul fait de refuser de payer la créance ne pouvait constituer une menace sur son recouvrement s'agissant d'un refus fondé sur une contestation juridique de son principe, que l'argument tiré des accusations d'escroquerie portées contre un ancien associé de la société R4 était dénué de pertinence s'agissant précisément d'un ancien associé, que la société R4 présentait des garanties financières compte tenu de son capital social d'un montant de 10 687 354 euros ainsi que de son absence d'endettement démontrée au 20 mai 2019 et que la tardiveté de la contestation de la saisie conservatoire litigieuse ne démontrait pas davantage un péril sur le recouvrement de la créance.

En effet, comme le soutient justement l'intimée, il est établi que ses capitaux propres sont de 7 508 314 euros en 2018, que leur diminution d'environ 500 000 euros s'explique par les coûts induits par la poursuite normale du projet immobilier concerné, que ses liquidités bancaires s'élevaient à la somme de 16 000 000 euros en 2016, que les nouveaux emprunts souscrits à hauteur de la somme de 39 630 000 euros sont destinés à financer l'acquisition des terrains sur l'île Seguin et ont accru son actif immobilier à hauteur de 31 747 917 euros, que le montant total de ses actifs est supérieur à 50 000 000 euros, que son état d'endettement ne porte mention d'aucun nantissement ou privilège, que la somme saisie figure toujours au crédit de ses comptes bancaires et que si ses associés ne sont pas ses co-obligés suite à sa transformation en société en nom collectif en 2018, ils sont ses garants légaux susceptibles d'être plus aisément mis en cause que des associés d'une société civile immobilière.

Ainsi, à supposer établi le principe de créance, la société AJN ne rapporte pas la preuve, qui lui incombe, de l'existence de menaces pesant sur son recouvrement.

Le jugement entrepris sera donc confirmé en toutes ses dispositions.

Succombant, la société AJN sera condamnée aux dépens d'appel et à payer à la société R4 la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Rejette toute autre demande ;

Condamne la société AJN aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés selon les modalités prévues à l'article 699 du code de procédure civile et à payer à la société R4 la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.