CA Bastia, ch. civ. sect. 2, 4 novembre 2020, n° 19/00386
BASTIA
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Rocca (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gilland
Conseillers :
Mme Deltour, Mme Molies
EXPOSÉ DES FAITS
Par ordonnance sur requête du 22 janvier 2019, le juge de l'exécution du tribunal de grande instance d'Ajaccio a autorisé M. François R. et Mme Jacqueline R. à :
- pratiquer une saisie conservatoire sur tous comptes bancaires détenus par la S.A.S. Rocca et ce pour une sûreté et garantie de la somme de 1 237 000 euros à laquelle ils évaluaient provisoirement leur créance en principal, intérêts, et frais.
Par acte d'huissier du 18 février 2019, la S.A.S. Rocca a fait assigner à jour fixe M. François R. et Mme Jacqueline R. par-devant le juge de l'exécution du tribunal de grande instance d'Ajaccio aux fins de :
'Vu notamment les articles R. 121-11 à R. 121-18 du Code des procédures civiles d'exécution, et les dispositions de l'article L511-1 du même code,
Vu l'article L 121-2 du Code des procédures civiles d'exécution, l'article 1240 du Code Civil, l'article L 512-2 du Code des procédures civiles d'exécution,
Prononcer la nullité des actes de significations en date du 12 février 2019,
Rétracter en toute hypothèse 1''ordonnance prononcée le 22 janvier 2019 par le Juge de l'Exécution du Tribunal de Grande Instance d'Ajaccio ayant autorisé Monsieur R. François Julien et Madame R. Jacqueline à pratiquer au préjudice de la SAS ROCCA des saisies conservatoire en garantie d'une créance de 1.237.000 €,
En conséquence,
Ordonner la mainlevée des saisies conservatoires qui ont été pratiquées selon procès-verbaux du l2 février 2019 à la requête de Monsieur R. François Julien et Madame R. Jacqueline au préjudice de la SAS ROCCA entre les mains de la CAISSE CREDIT MUTUEL et de la CAISSE D'EPARGNE, aux frais de Monsieur R. François Julien et Madame R. Jacqueline,
Condamner solidairement Monsieur R. François Julien et Madame R.
Jacqueline à payer à la SAS ROCCA la somme de 50.000 € à titre de dommages et intérêts,
Condamner solidairement Monsieur R. François Julien et Madame R.
Jacqueline à payer à la SAS ROCCA la somme de 5.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Rappeler que la décision à intervenir est exécutoire de plein droit par provision, Condamner solidairement Monsieur R. François Julien et Madame R.
Jacqueline aux entiers dépens de l'instance.
Sous toutes réserves'
Par jugement du 4 avril 2019 le juge de l'exécution du tribunal de grande instance d'Ajaccio a :
'Rejeté les demandes tendant à la nullité de la requête, de l'ordonnance et à la signification des actes de saisie ;
Rejeté les demandes en dommages et intérêts ainsi que celle tendant à la consignation entre les mains d'un séquestre,
Condamné la SAS ROCCA à payer à la somme de trois MILLE € (3.000) en application des dispositions de l'article 700 du code de Procédure Civile.
Laissé les dépens à la charge du demandeur.'
Par déclaration au greffe du 18 avril 2019, la S.A.S. Rocca a interjeté appel du jugement prononcé et ce qu'il a :
'Rejeté les demandes tendant à la nullité de la requête, de l'ordonnance et à la signification des actes de saisie ;
Rejeté les demandes en dommages et intérêts ainsi que celle tendant à la consignation entre les mains d'un séquestre,
Condamné la SAS ROCCA à payer à la somme de trois MILLE € (3.000) en application des dispositions de l'article 700 du code de Procédure Civile.
Laissé les dépens à la charge du demandeur.'
Par conclusions déposées au greffe le 6 juin 2019, la S.A.S. Rocca a demandé à la cour de :
'Réformer le Jugement rendu par Monsieur le Juge de l'Exécution près le Tribunal de Grande instance d'Ajaccio le 4 avril 2019 (sous RG N ° 19/00051 -N° PortalisDBXH - W - B7D - CKNB Minute N°31) en ce qu'il a dit et jugé :
- Rejette les demandes tendant à la nullité de la requête, de l'ordonnance et à la signification des actes de saisie ;
- Rejette la demande en dommages et intérêts formée par la SAS ROCCA
- Condamne la SAS ROCCA à payer à la somme de trois milles € (3.000) en application des dispositions de l'article 700 du code de Procédure Civile.
- Laisse les dépens à la charge du demandeur
Et statuant à nouveau :
Vu notamment les articles R. 121-11 à R. 121-18 du Code des procédures civiles d'exécution, et les dispositions de l'article L511-1 du même code,
Vu l'article L 121-2 du Code des procédures civiles d'exécution, l'article 1240 du Code Civil, l'article L 512-2 du Code des procédures civiles d'exécution,
Prononcer la nullité des actes de significations en date du 12 février 2019,
Rétracter en toute hypothèse l'ordonnance prononcée le 22 janvier 2019 par le Juge de l'Exécution du Tribunal de Grande Instance d'Ajaccio ayant autorisé Monsieur R. François Julien et Madame R. Jacqueline à pratiquer au préjudice de la SAS ROCCA des saisies conservatoire en garantie d'une créance de 1.237.000 €,
En conséquence, Ordonner la mainlevée des saisies conservatoires qui ont été pratiquées selon procès-verbaux du 12 février 2019 à la requête de Monsieur R. François Julien et Madame R. Jacqueline au préjudice de la SAS ROCCA entre les mains de la CAISSE CREDIT MUTUEL et de la CAISSE D'EPARGNE, aux frais de Monsieur R. François Julien et Madame R. Jacqueline,
Condamner solidairement Monsieur R. François Julien et Madame R. Jacqueline à payer à la SAS ROCCA la somme de 50.000 € à titre de dommages et intérêts,
Condamner solidairement Monsieur R. François Julien et Madame R. Jacqueline à payer à la SAS ROCCA la somme de 7.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,19Dire et Juger en tout cas Monsieur R. François Julien et Madame R. Jacqueline irrecevables et en tous cas les mal fondés en toutes demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires aux présentes, et les en débouter,
Condamner solidairement Monsieur R. François Julien et Madame R. Jacqueline aux entiers dépens de première instance et d'appel DONT DISTRACTION AU PROFIT DE Maître D..
Sous toutes réserves'
Par conclusions déposées au greffe le 1er juillet 2019, M. François R. et Mme Jacqueline M., épouse R., ont demandé à la cour de :
'Vu les articles R 523-3, L 511-1 et L 131-1 du code des procédures civiles d'exécution,
Vu les articles 493 et 495 du CPC,
Vu l'article 700 du CPC,
Vu le jugement rendu par le Juge de l'exécution du Tribunal de Grande Istance d'Ajaccio du 4 avril 2019,
Vu les pièces versées au débat,
CONFIRMER en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance d'Ajaccio du 4 avril 2019,
DIRE ET JUGER que la dénonciation de la saisie conservatoire au débiteur est régulière,
A titre subsidiaire, sur la nullité, DIRE ET JUGER qu'il s'agit d'une nullité de forme nécessitant la preuve d'un grief ;
Et DIRE ET JUGER que la SAS ROCCA ne rapporte pas la preuve que la nullité invoquée lui cause grief,
En tout état de cause,
DIRE ET JUGER que la créance de Monsieur François-Julien R. et de Madame Jacqueline R. parait fondée en son principe
DIRE ET JUGER qu'il existe des circonstances susceptibles de menacer le recouvrement de leur créance,
En conséquence :
DIRE ET JUGER régulière et bien fondée la procédure de saisie attribution des comptes de la SAS ROCCA pour la somme de 1.237.000 euros.
DÉBOUTER la SAS ROCCA toutes ses demandes, fins et conclusions,
Reconventionnellement :
ORDONNER à la SAS ROCCA de consigner auprès de Monsieur le Président de la CARPA d'Ajaccio, compte séquestre, la somme de 3 millions d'euros représentant le prix de cession des actions de la société R. sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard dans les 8 jours de la signification de la décision à intervenir.
DIRE ET JUGER que la somme de 3 000 000 d'euros restera séquestrée jusqu'à présentation d'une décision de justice exécutoire ayant autorité de chose jugée.
DIRE ET JUGER que Monsieur R. François-Julien, et Madame R. Jacqueline donneront mainlevée de la saisie conservatoire dès justification de la consignation des fonds.
CONDAMNER la SAS ROCCA à payer à Monsieur R. François- Julien, et Madame R. Jacqueline :
- La somme de 50.000 euros à titre de dommages-intérêts au titre de la procédure abusive,
- La somme de 1.055,72 au titre des frais de l'huissier CATTANEO
- La somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du CPC
CONDAMNER la SAS ROCCA aux entiers dépens de première instance et d'appel.
SOUS TOUTES RESERVES'
Par ordonnance du 29 janvier 2020, la procédure a été clôturée et fixée à plaider à l'audience du 7 mai 2020.
Le 7 mai 2020, compte tenu de l'état d'urgence sanitaire, en application de l'article 8 de l'ordonnance du 25 mars 2020, et de l'absence de tenue d'audience, la présente procédure a renvoyé à l'audience du 3 septembre 2020 en accord avec les conseils des parties.
Le 3 septembre 2020, l'affaire a été mise en délibéré pour être rendue par mise à disposition au greffe le 4 novembre 2020.
La cour, pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, fait expressément référence à la décision entreprise ainsi qu'aux dernières conclusions notifiées par les parties.
SUR CE
* Sur les nullités invoquées
Il est facile pour l'appelante de faire valoir que le premier juge dans son jugement a répondu a un moyen qu'elle n'avait pas soulevé mais qui relevait d'une autre procédure, alors qu'elle-même dans les pièces qu'elle produit, joint la procédure relative à l'action de Mme Marie-France R. épouse P. et non celle lié à ses adversaires en ce qui concerne les actes de signification !
Ce moyen qui n'a aucune incidence sur la présente procédure est écarté.
La S.A.S. Rocca fait aussi valoir que la signification de l'ordonnance sur requête du 22 janvier 2019 n'est pas conforme aux prescriptions des articles 493, 495 et R 523-3 du code de procédure civile.
En effet, selon l'appelante, dans le cadre de la signification, il n'aurait pas été joint à l'acte d'huissier de justice la minute de l'ordonnance et les pièces visées à l'appui de la requête.
Cependant, dans le cadre de la signification, il est constant qu'une simple copie de l'ordonnance peut être produite à défaut, pour la partie appelante, de rapporter l'existence du moindre grief résultant pour elle de l'absence de production d'un original.
De même, contrairement à ce que plaide l'appelante, il n'y a aucun non-respect du principe du contradictoire en l'absence de production des pièces listées à l'appui de la requête quand la liste de celles-ci a été présentées au juge de l'exécution compétent, cette seule production étant, de manière constante, suffisante, comme en l'espèce, pour que le dit principe soit respecté.
Il convient donc de rejeter les nullités soulevées.
* Sur le caractère fondé de la demande
L'article L 511-1 du code des procédures d'exécution dispose que 'Toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l'autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement. La mesure conservatoire prend la forme d'une saisie conservatoire ou d'une sûreté judiciaire .
En l'espèce, M. François R. et Mme Jacqueline M. font valoir que leur créance envers l'appelante paraît fondée en son principe, les parties ayant conclu une vente parfaite s'étant accordées sur la chose et le prix, ainsi que sur les modalités de paiement du prix par mensualités de 100 000 euros.
Le fait qu'une instance commerciale soit pendante pour dol à l'initiative de l'appelante et qu'une enquête préliminaire pour escroquerie ait été engagée par le procureur de la République n'a aucune incidence sur l'apparence fondée de la créance, ces procédures étant d'une issue incertaine et admettre le raisonnement présentée par l'appelante reviendrait à inverser les termes mêmes de l'article L 511-1 du code des procédures d'exécution en acceptant l'apparence d'absence de fondement de la créance.
Reste qu'il est nécessaire au-delà de l'apparence de fondement de la créance qu'il soit justifié de circonstances susceptibles de menacer le recouvrement de cette créance.
Pour cela, les intimés font valoir une baisse très significative du résultat de la S.A.S. Rocca depuis l'année 2014 à 2016, qu'elle n'a pas publié ses comptes pour les années 2017 et 2018, que les provisions saisies s'élèvent à la somme globale de 53 265,46 euros pour une créance de plus de 1,2 million d'euros et qu'une saisie au bénéfice d'un autre créancier a été réalisée pour un montant de 521 881 euros et après refus par la S.A.S. Rocca de séquestrer la somme qui lui est réclamée.
Si cela est audible, il ressort cependant des conclusions mêmes des intimées que 'le groupe ROCCA est déjà activement présent dans le secteur du BTP en Corse à travers différentes entités et notamment :
- la société P. TP, laquelle a généré en 2016 un chiffre d'affaires de 10 millions d'euros, et de 19,5 millions en 2017 ;
- la société SAE, laquelle a généré& en 2016 un chiffre d'affaires de 7 millions d'euros, et de 16,2 millions en 2017 ;
- la société SUD électricité dont le dernier bilan, publié en 2014, affiche un chiffre d'affaires de 2,4 millions d'euros , -page 5 des dernières écritures déposées- que 'le groupe R. détenait, en actif immobilier, dans les zones à forte constructibilité et en plein développement, une réserve foncière de 2,5 hectares, valorisée à plus de 6 millions d'euros -page 6 des mêmes écritures- et que 'les seuls actifs immobiliers sont supérieurs au prix de cession -page 23 des dernières conclusions déposées, et ce alors
qu'il leur appartient de rapporter la preuve de l'existence d'une menace réelle et pertinente sur le recouvrement de la créance, ce qui à la lecture des écritures déposées n'est pas réalisé, bien au contraire.
De plus, la surface financière de la S.A.S. Rocca rapportée par les intimés et la valeur avancée par ces derniers eux-mêmes de l'actif immobilier de la société dont ils ont vendue leurs parts par rapport au montant de leur créance - 6 000 000 d'euros contre 1 200 000 euros, ne permet pas retenir l'existence d'une menace sur le recouvrement de leur créance.
Par conséquent, à défaut de démonstratif de la seconde condition cumulative prévue par l'article L 511-1 du code des procédures d'exécution, à savoir la réalité d'une menace dans le recouvrement de la créance des intimés, il convient de recevoir l'appel interjeté et d'infirmer le jugement entrepris en rétractant l'ordonnance sur requête du 22 janvier 2019 et, par conséquent, de prononcer la main-levée des saisies conservatoires pratiquées, selon des modalités définies dans le dispositif de la présente décision.
* Sur les demandes de dommages et intérêts
Il n'est nullement démontré que les actions tant des intimés que de l'appelante constituent un abus de droit, chacun ayant exercé son action en fonction de ce qui lui semblait être son intérêt.
De même, il n'est nullement démontré que la procédure engagé par les intimés a engendré un quelconque dommage à l'appelante, qui affirme, sans aucune démonstration, avoir subi un préjudice, s'arrêtant à une pétition de principe que la cour ne peut recevoir.
Il convient de confirmer le jugement entrepris sur ce point et de rejeter la demande reconventionnelle présentée à ce titre par les intimés.
* Sur la demande de consignation et de séquestre
Il ressort des dispositions applicables au présente litige et notamment de l'article L 512-1 du code des procédures d'exécution que, si le juge peut substituer à la mesure conservatoire initialement prise tout autre mesure propre à sauvegarder les intérêts des parties, il ne le peut qu'à la demande du débiteur.
Or, en l'espèce la débitrice -la S.A.S. Rocca- n'est nullement demanderesse d'une telle substitution au profit d'une consignation ou d'un séquestre, demande qui émane des créanciers et qui de ce seul fait doit être rejetée.
* Sur les demandes relatives aux frais irrépétibles et les dépens
S'il est équitable de laisser à la charge des intimés les frais irrépétibles qu'ils ont engagés, il n'en a pas de même pour l'appelante à laquelle il y a lieu d'allouer à ce titre la somme de 7 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Les intimés, partie succombante, supporteront la charge des dépens tant d'appel que de première instance, dont distraction au profit du conseil de l'appelante.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Infirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a rejeté les demandes en nullité des actes de signification du 12 février 2019, de dommages et intérêts de la S.A.S. Rocca et les demandes de consignation et de séquestre de M. François R. et de Mme Jacqueline M.,
Statuant à nouveau,
Rétracte l'ordonnance du 22 janvier 2019 prononcée par le juge de l'exécution du tribunal de grande instance d'Ajaccio ayant autorisé M. François R. et Mme Jacqueline M., épouse R., à pratiquer au préjudice de la S.A.S. Rocca des saisies conservatoires en garantie d'une créance de 1 237 000 euros,
Ordonne la main-levée des saisies conservatoires pratiquées selon procès-verbaux du 12 février 2019 à la requête de M. François R. et de Mme Jacqueline M., épouse R., au préjudice de la S.A.S. Rocca entre les mains de la Caisse crédit mutuel et de la Caisse d'épargne, aux frais de M. François R. et de Mme Jacqueline M.,
Déboute M. François R. et Mme Jacqueline M. de leur demande de dommages et intérêts,
Condamne in solidum M. François R. et Mme Jacqueline M. à payer à la S.A.S. Rocca la somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne in solidum M. François R. et Mme Jacqueline M. au paiement des entiers dépens, tant d'appel que de première instance, dont distraction au profit de Me Raphaële D., avocate.