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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 28 mai 2014, n° 12/13605

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

MONTAGNE, MAINGAULT épouse VILLARD, SCI DU [...]

Défendeur :

DIESEL FRANCE (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Madame Chantal BARTHOLIN

Conseillers :

Madame Odile BLUM, Monsieur Christian BYK

Paris, du 21 juin 2012

21 juin 2012

Par acte du 27 septembre 2002 , la société Diesel France a pris à bail commercial, pour une durée de neuf années à compter du 1er octobre 2002, des locaux situés [...] (3ème étage) à Paris 2ème, moyennant un loyer annuel en principal de 122.000 €, stipulation étant faite que ce loyer :

"sera automatiquement modifié à la hausse seulement, à effet du premier jour de chaque période annuelle en proportion des variations de l'indice du coût de la construction publié par l'Insee, sans qu'il soit nécessaire de procéder à une quelconque notification. L'indice de base à retenir est celui du 1er trimestre 2002, soit : 1159. L'indice servant de calcul de chaque modification périodique sera celui du même trimestre de chaque année".

Par lettre recommandée avec avis de réception du 30 novembre 2009, la société Diesel France a demandé la révision du loyer à la somme de 64.020 € HT, en application de l'article L 145-39 du code de commerce, au motif que le loyer s'élève à 153.078,88 € HT suite à la dernière indexation du 10 juillet 2009 ce qui représente une augmentation de 25,47 %.

Le 23 juin 2010, la société Diesel France a assigné Mme Montagne, Mme Villard et la SCI du [...], ses bailleresses, en fixation du loyer révisé devant le juge des loyers commerciaux qui s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de grande instance.

Par jugement rendu le 21 juin 2012, le tribunal de grande instance de Paris a :

- constaté que le montant du loyer, par l'effet de l'application de la clause d'échelle mobile, se trouve augmenté de plus du quart par rapport au prix précédemment fixé,

- dit que la demande en révision est recevable au regard des dispositions de l'article L 145-39 du code de commerce,

- pour le surplus, avant dire droit au fond, tous droits et moyens des parties demeurant réservés à cet égard, désigné un expert sur la valeur locative au 30 novembre 2009,

- ordonné l'exécution provisoire,

- réservé les éventuelles demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens,

Mme Pauline Montagne, Mme Christine Maingault épouse Villard et la SCI du [...] ont relevé appel de cette décision le 18 juillet 2012. Par leurs dernières conclusions du 6 janvier 2014, elles demandent à la cour, au visa des articles L 145-9, L 145-39, L 145-60, R 145-20, R 145-24 à R 145-26 du code de commerce, 177 et 122 du code de procédure civile, d'infirmer le jugement et de :

- dire la société Diesel France tant irrecevable que mal fondée en sa demande de révision du loyer et en restitution du trop-perçu allégué et en toutes ses demandes,

- leur allouer la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Diesel France aux dépens, avec distraction.

Par ses dernières conclusions du 7 février 2014, la SAS Diesel France demande à la cour, au visa des articles L 145-29, R 145-24 à R 145-26 du code de commerce et 114 du code de procédure civile, de :

- la déclarer recevable et bien fondée en ses demandes,

- constater que les conditions d'application des dispositions de l'article L 145-39 du code de commerce sont réunies,

- dire valable la demande de révision du loyer qu'elle a formulée,

- en conséquence, rejeter la demande en nullité formulée par les appelantes, les débouter de l'ensemble de leurs demandes, confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

- condamner chacune des appelantes à lui verser la somme de 10.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile et les condamner conjointement et solidairement aux dépens, avec distraction.

SUR CE,

Considérant qu'en premier lieu, les appelantes soulèvent, pour la première fois devant la cour, l'irrecevabilité de la demande de la société Diesel France au motif que la lettre recommandée avec avis de réception visée à l'article R145-20 du code de commerce a été adressée, non pas aux bailleresses elles-mêmes, mais à leur mandataire, qu'elle est donc affectée d'une irrégularité de fond et que la demande de révision est en conséquence nulle sur le fondement de l'article 117 du code civil ;

Mais considérant que les appelantes procèdent à tort par analogie avec la délivrance du congé, étant au surplus relevé qu'en vertu de l'article L 145-10 du code de commerce, la demande de renouvellement peut valablement être adressée par le locataire au gérant, mandataire du bailleur ;

Considérant qu'en l'espèce, la société Gestion et transactions de France Gtf, mandataire des bailleresses, a été leur représentante pour la conclusion du contrat de bail qui stipule à son article 22.2 que "pour l'exécution des présentes et notamment la signification de tous les actes ... le propriétaire fait élection de domicile au cabinet de son mandataire tel qu'indiqué en tête des présentes" ;

Que la demande de révision lui a été régulièrement adressée le 30 novembre 2009 par lettre recommandée avec avis de réception, avec l'indication du montant du loyer demandé dans l'entier respect des dispositions de l'article R 145-20 du code de commerce ; qu'ensuite, la procédure s'est régulièrement poursuivie conformément aux articles R 145-24 et suivants, la société Diesel France ayant notifié ses mémoires successifs à chacune des appelantes ;

Que le moyen d'irrecevabilité n'est pas fondé ; que la demande de révision est valable et la procédure régulière ;

Considérant que reprenant ensuite leurs moyens de première instance, les appelantes font valoir successivement :

- que les parties sont convenues, fin 2008/début 2009 de limiter à la somme de 153.078,87 € l'augmentation du loyer porté par le jeu de la clause d'indexation à la somme de 157.578,88 € à effet du 1er octobre 2008, que c'est ce loyer de 153.078,87 € qui est appelé et quittancé, qu'il y a bien eu un accord sur un prix différent de celui résultant de l'évolution automatique de l'indice du coût de la construction, qu'aucune évolution supérieure à 25% n'est survenue depuis, que les conditions posées par l'article L 145-39 du code de commerce ne sont donc pas remplies ;

- que les premiers juges ont commis une erreur de droit en retenant que la société Diesel France ne soutenait pas la nullité de clause d'échelle mobile et ils se sont livrés à une interprétation erronée de l'article L 145-39 ;

- que la clause d'échelle mobile ne prévoit en effet qu'une variation à la hausse, qu'elle ne revêt donc pas l'exigence d'une variation positive ou négative posée par l'article L 145-39 de sorte que ce texte, dérogatoire et d'interprétation stricte, se trouve sans application ; que la clause d'échelle mobile stipulée uniquement à la hausse est une modalité de fixation du loyer purement contractuelle qui échappe au statut des baux commerciaux comme le loyer binaire, ces modalités assurant dans les deux cas la stabilité réciproque du loyer ;

- qu'elles sont bien fondées à opposer à leur locataire la clause d'indexation uniquement à la hausse car en tout état de cause la société Diesel France serait prescrite à en soulever la nullité, le délai de prescription biennale de l'article L 145-60 du code de commerce courant à compter de la signature du bail ou de la clause litigieuse ;

Mais considérant que c'est par des motifs pertinents que la cour approuve que les premiers juges, relevant exactement que la nullité de la clause stipulant l'indexation du loyer uniquement à la hausse n'était pas soutenue, ont dit que la demande en révision est recevable au regard des dispositions de l'article L 135-39 du code de commerce, estimé que les conditions d'application de l'article L 145-39 du code de commerce sont réunies pour voir fixer le loyer révisé à la valeur locative et désigné un expert pour déterminer cette valeur locative ;

Que les premiers juges ont à juste titre retenu que, contrairement à ce que soutiennent les bailleresses, la limitation à la hausse qu'elles ont consentie le 21 janvier 2009, acceptant ainsi que le loyer au 1er octobre 2008 ne subisse pas une hausse supérieure à 5% alors que l'application de l'indice aurait entraîné une hausse de 8,09 %, ne constitue pas une modification contractuelle du montant du loyer mais seulement un aménagement des conséquences de la clause d'échelle mobile et qu'admettre le contraire aboutirait à une paralysie totale de l'article L 145-39 ;

Qu'ils ont également à bon droit rappelé que les dispositions de l'article L 145-39 sont des dispositions d'ordre public auxquelles les parties ne peuvent déroger et que ce texte vise de façon alternative et non cumulative les hypothèses de variations de plus du quart à la baisse ou des hypothèses de variation de plus du quart à la hausse, ce qui est le cas en l'espèce ; qu'ils ont pertinemment dit que la limitation de la variation aux seules hypothèses où l'indice augmente, si elle peut ouvrir un débat sur le licéité de la clause, ne suffit pas à lui enlever sa nature de clause d'échelle mobile au sens de l'article L 145-39, que cette clause ne constitue pas contrairement aux clauses recettes dont il est acquis qu'elles ne sont pas des clauses d'échelle mobile, une modalité de fixation du loyer et que la clause d'échelle mobile, quand bien même elle ne jouerait qu'à la hausse, ne saurait faire obstacle à la révision du loyer afin qu'il soit fixé à la valeur locative ;

Considérant qu'il suffit d'ajouter que la prescription est opposée à une demande de nullité qui n'est pas formée ; que le débat sur ce point est sans objet, ce d'autant que la prescription de l'action en fixation du loyer révisé n'est pas acquise, la société Diesel France ayant notifié son mémoire en demande le 28 avril 2010 puis saisi le juge avant l'expiration du délai de prescription biennale ;

Considérant que le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions ;

Considérant que les appelantes qui succombent sur leur recours, supporteront les dépens d'appel ; que vu l'article 700 du code de procédure civile, elles seront condamnées, solidairement, à payer à la société Diesel France la somme de 4.000 € pour ses frais irrépétibles ;

PAR CES MOTIFS

Déclare valable la demande de révision du loyer formée le 30 novembre 2009 par la société Diesel France ;

Confirme le jugement ;

Déboute Mme Montagne, Mme Villard et la SCI du [...] de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les condamne solidairement à payer à ce titre à la société Diesel France la somme de 4.000 € ;

Rejette toute autre demande ;

Condamne solidairement Mme Montagne, Mme Villard et la SCI du [...] aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.