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Décisions

Cass. crim., 10 mai 1993, n° 92-82.058

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Le Gunehec

Rapporteur :

M. Hebrard

Avocat général :

Me Libouban

Avocat :

SCP Waquet, Farge et Hazan

Montpellier, du 23 mars 1992

23 mars 1992

Sur les faits ;

Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué que Jean-Claude Z... et Evelyne A..., respectivement président du conseil d'administration et administrateur de la SA Micro Service à Saint-Clément la Rivière, sont convenus de créer une autre société anonyme ayant le même objet, Micro Service Paris ; qu'agissant au nom de cette dernière, Evelyne A... n'a déposé au compte bloqué prévu aux articles 77 et 84 de la loi du 24 juillet 1966 qu'une partie des fonds provenant des souscriptions en numéraires et libérées du quart ; qu'elle a retiré les fonds déposés sans avoir fait immatriculer la société au registre de commerce, et que les propriétaires des fonds, notamment Alain Cléon et Michel X..., n'ont pu en obtenir la restitution au mépris des dispositions des articles 83 et 84 de ladite loi ; qu'ils ont porté plainte du chef d'abus de confiance et qu'Y... Sanchez et Jean-Claude Z..., en raison de ces faits, ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel du chef d'abus de biens sociaux ;

En cet état ;

Sur le premier moyen de cassation commun aux deux demandeurs et pris de la violation des articles 6 § 3 a et b de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 388 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale, ensemble méconnaissance des règles de la saisine et violation des droits de la défense ;

"en ce que l'arrêt attaqué a requalifié d'abus de biens sociaux en abus de confiance et a déclaré Evelyne A... coupable de ce délit et Jean-Claude Z... coupable de complicité de ce délit ;

"aux motifs que cette requalification n'avait pu nuire aux droits de la défense dès lors que l'information avait été ouverte du chef d'abus de confiance dont Evelyne A... avait été inculpée ;

"alors, d'une part, que tout accusé a droit à être informé dans le plus court délai et d'une manière détaillée de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui ainsi que de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ; qu'en déclarant les prévenus coupables, l'un d'un abus de confiance, l'autre d'une complicité de ce délit, qui n'était pas visé par la prévention sans leur faire connaître au préalable la nature et la cause de l'infraction qui leur était reprochée, ni leur donner le temps nécessaire pour préparer leur défense, la cour d'appel a porté atteinte aux droits de la défense ;

"alors, d'autre part, que le fait que l'information ait été ouverte du chef d'abus de confiance et qu'Evelyne A... ait été initialement inculpée de ce délit n'est pas suffisant pour justifier une requalification en abus de confiance des faits en définitive déférés à la juridiction de jugement sous la qualification d'abus de biens sociaux, sauf à ce que les faits retenus sous l'une ou l'autre qualification soient rigoureusement identiques ; que tel n'est pas le cas en l'espèce où les faits retenus par la cour d'appel au titre de l'abus de confiance -règlement d'une facture de 176 440,57 francs, des honoraires d'Eloy A..., du montant du contrat de franchise pour 94 080 francs et des frais de déplacement, carburant et restaurant engagés par Evelyne A... pour le compte de la société en formation- n'avaient pas été appréhendés au titre de l'abus de biens sociaux ; que, dès lors, faute d'avoir fait connaître à la prévenue les faits retenus par elle au titre de l'abus de confiance, la cour d'appel a méconnu les limites de sa saisine et porté une grave atteinte aux droits de la défense" ;

Attendu que les énonciations de l'ordonnance du juge d'instruction s'appropriant les motifs du réquisitoire définitif renvoyant Y... Sanchez et Jean-Claude Z... devant le tribunal correctionnel sous la prévention d'abus de biens sociaux ainsi que les motifs de l'arrêt attaqué les condamnant pour abus de confiance et complicité de ce délit, mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que les prévenus étaient régulièrement informés, de manière détaillée, de la nature et de la cause des accusations portées contre eux, et que la cour d'appel n'a fait qu'exercer le pouvoir qui appartient aux juges du fond de restituer aux faits poursuivis, au vu des débats contradictoires, sans rien y ajouter, la qualification qu'ils comportent ;

D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;

Sur le deuxième moyen de cassation propre à Evelyne A... et pris de la violation des articles 408 du Code pénal et 593 du Code de procédure, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré la prévenue coupable d'abus de confiance ;

"aux motifs qu'elle avait détourné 85 000 francs des 125 000 francs du capital libéré en ne les versant pas au compte bloqué et qu'elle avait ensuite détourné 40 500 francs par le retrait des fonds du compte bloqué, la somme de 100 000 francs en la virant au compte de Micro Service dont elle était administrateur et directeur général adjoint, avec la complicité de Jean-Claude Z..., président-directeur général de cette dernière société, qui était également administrateur de Micro Service Paris ; que, dans les mêmes conditions de connivence, ont été réglés la facture de 176 440,57 francs, les honoraires d'Eloy A..., le montant du contrat de franchise de 94 080 francs et les frais de déplacement, carburant, restaurant, exposés par Y... Sanchez et Jean-Claude Z..., c'est-à-dire à l'insu des actionnaires, et donc sans leur accord ;

"alors, d'une part, qu'à supposer qu'aucune violation des règles de la saisine ni des droits de la défense n'ait été commise, les juges d'appel ne pouvaient entrer en voie de condamnation du chef d'abus de confiance qu'à la condition de caractériser le contrat qui aurait été violé et de préciser son objet et ses modalités ; qu'en se bornant à affirmer que la prévenue aurait détourné des fonds sans s'expliquer sur les termes du mandat par elle reçu, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à la déclaration de culpabilité ;

"alors, d'autre part, que, par l'article 56 des statuts de la société en formation, les actionnaires ont donné mandat à la prévenue de prendre pour le compte de la société, avant son immatriculation au registre du commerce, les engagements dont l'acte est annexé aux statuts ; que, dans cet acte en date du 22 mars 1952, les actionnaires, dont les parties civiles, ont donné mandat à la prévenue d'accomplir "généralement" tous les actes nécessaires à la constitution et au fonctionnement de la société en formation ; qu'il ne résulte d'aucune des énonciations sus-rapportées que les fonds prétendument détournés aient été utilisés à d'autres fins qu'à la mise en oeuvre de l'objet social tel que défini par l'article 2 des statuts, à savoir "la fabrication, le service et conseil en informatique et généralement toutes opérations industrielles et commerciales se rapportant à l'acquisition et l'exploitation d'un fonds de commerce à l'enseigne Micro Service Paris" ; que, derechef, la déclaration de culpabilité est privée de base légale ;

"alors, de troisième part, que le fait que la prévenue n'ait pas déposé au compte bloqué la somme de 85 000 francs et qu'elle ait retiré de ce compte la somme de 40 500 francs ne constitue pas un détournement dès lors que, ainsi que celle-ci le faisait valoir dans ses conclusions demeurées sans réponse, les sommes ont été utilisées pour la constitution et le fonctionnement de la société en voie de formation, c'est-à-dire au bénéfice et non au préjudice de cette dernière ; que, de même, la signature d'un contrat de franchise entrait dans l'objet de la société en formation ; qu'ainsi, c'est à tort que la cour d'appel a retenu ces opérations comme constitutives d'un abus de confiance ;

"alors, de quatrième part, que la cour d'appel ne pouvait sans se contredire, constater que la facture d'un montant de 176 440,57 francs avait fait l'objet d'un avoir (p. 7 § 2) et affirmer que cette somme avait été réglée sans s'expliquer sur la date à laquelle le paiement serait effectivement intervenu, et par quels moyens ; que, derechef, ces énonciations insuffisantes ne justifient pas la déclaration de culpabilité ;

x "alors, enfin, que le fait d'avoir fait virer la somme de 100 000 francs au compte de Micro Service ne constitue nullement un détournement de fonds au sens de l'article 408 du Code pénal mais au contraire une opération réalisée au bénéfice de cette dernière ; que, derechef encore, la déclaration de culpabilité n'est pas légalement justifiée" ;

Sur le troisième moyen de cassation propre à Jean-Claude Z... et pris de la violation des articles 59, 60, 408 du Code pénal et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le prévenu Jean-Claude Z... coupable de complicité d'abus de confiance ;

"aux motifs qu'il avait, avec connaissance, aidé, assisté Evelyne A... dans les faits qui ont préparé, facilité et consommé les détournements, notamment avec Micro Service de Saint-Clément la Rivière, société en activité depuis le 13 novembre 1981, et dont il doit être rappelé qu'il était le président-directeur général du conseil d'administration et Evelyne A... administrateur et directeur général adjoint ; qu'il avait d'ailleurs déclaré devant le juge d'instruction qu'il était tout à fait d'accord sur le principe du retrait des fonds au compte bloqué et qu'il avait participé à l'opération ;

"alors, d'une part, que la cassation qui interviendra sur le fondement des moyens précédents aura pour conséquence nécessaire de priver de fondement légal la déclaration de culpabilité de ce chef ;

"alors, d'autre part, que l'aide et l'assistance constitutives du délit de complicité ne peuvent résulter que d'un acte positif antérieur ou concomitant à l'infraction ; que la constatation que le prévenu ait été d'accord sur le principe du retrait des fonds du compte bloqué ne caractérise pas un fait positif d'aide ou assistance ; que, de même, l'énonciation que le prévenu avait participé à l'opération sans préciser par quel fait matériel qui lui soit imputable aurait été réalisée cette participation, la cour d'appel n'a pas justifié la déclaration de culpabilité" ;

Les moyens étant réunis ;

Sur la première branche du deuxième moyen :

Attendu qu'après avoir constaté que la SA Micro Service Paris, non immatriculée au registre du commerce, ne jouissait pas de la personnalité morale, de telle sorte que la qualification d'abus des biens de cette société ne pouvait être envisagée, l'arrêt attaqué relève qu'il résulte des statuts régulièrement signés qu'Evelyne A... avait été désignée en qualité de président du conseil d'administration et de directeur général, et qu'ainsi elle exerçait des fonctions de mandataire dans les conditions prévues à la loi du 24 juillet 1966 ;

Attendu qu'en l'état de ces constatations, la cour d'appel, qui a fait l'exacte application des articles 5, 73, 75, 77, 83 et 84 de la loi qualifiant de "mandataire de la société" celui qui est chargé de déposer les apports, a, sans insuffisance ni erreur de droit, établi l'existence entre les parties d'un contrat entrant dans les prévisions de l'article 408 du Code pénal réprimant l'abus de confiance ;

Qu'ainsi le grief n'est pas fondé ;

Sur les autres branches du même moyen et sur le troisième moyen ;

Attendu qu'en l'état des énonciations de l'arrêt attaqué, la cour d'appel qui a souverainement apprécié, sans insuffisance ni contradiction, le sens et la portée du mandat donné, et établi l'existence d'agissements frauduleux, a caractérisé en tous leurs éléments constitutifs, tant matériels qu'intentionnel, le délit d'abus de confiance et la complicité de ce délit retenus contre les prévenus ;

Que s'il est vrai que le mandataire des souscripteurs d'une société anonyme en formation est fondé à engager les dépenses nécessaires à sa constitution, dans la mesure de l'autorisation donnée, les fonds de souscription, qui doivent être bloqués, sont indisponibles jusqu'à l'immatriculation au registre du commerce ; que, dans le cas où il en est autrement, comme en l'espèce, ils doivent être restitués, sous la seule déduction des frais de répartition ;

Qu'ainsi les moyens ne sont pas fondés ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois.