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Décisions

CA Lyon, 8e ch., 10 janvier 2012, n° 10/04171

LYON

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

GERARD DANNEMULLER ENTREPRISE GENERALE DE TRAVAUX PUBLICS (SA)

Défendeur :

LES HAUTS DE CHATILLON (SCI)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. VENCENT

Conseillers :

M. DEFRASNE, Mme ZAGALA

Avocats :

Me ROBERT, Me LOUVIER

T. com. Bourg-en-Bresse, du 21 mai 2010

21 mai 2010

Selon contrat du 10 avril 2001, la SCI RESIDENCE CHAMP FLEURI a confié à la société GERARD DANNENMULLER le soin de réaliser des opérations de terrassement et de viabilisation et d'enrobage pour un lotissement intitulé "Les Hauts de Châtillon" sur la commune du même nom.

Les travaux ont été étalés dans le temps et finalement exécutés entre septembre 2007 et septembre 2008.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 2 avril 2008, la SCI LES HAUTS DE CHATILLON a mis en demeure la société GERARD DANNENMULLER de terminer les travaux d'enrobé. Il restait alors à titre de solde du marché la somme de 41.196,95 euros HT.

Toutefois, la société GERARD DANNENMULLER a émis le 30 septembre 2008 une facture d'un montant de 71.469 euros HT, soit 85.476,92 euros TTC contrevenant au marché au motif que son ancienneté impliquait forcément une réévaluation.

La SCI LES HAUTS DE CHATILLON s'y est opposé et a rappelé à monsieur DANNENMULLER le caractère définitif de ses prix, même fixés plus de six ans auparavant.

Par courrier recommandé avec accusé de réception, en date du 21 avril 2009, l'entreprise a mis en demeure la SCI LES HAUTS DE CHATILLON de régler la somme de 85.476,92 euros TTC.

Cette sommation est demeurée infructueuse.

Suivant exploit introductif d'instance en date du 2 juin 2009, la société GÉRARD DANNENMULLER a assigné par devant le tribunal de commerce de Bourg en Bresse, la SCI LES HAUTS DE CHATILLON aux fins de l'entendre condamner à lui payer la somme de 85.476,92 euros TTC outre intérêts de retard majorés à 1,5 fois le taux légal à compter du 21 avril 2009, la somme de 3.000 euros à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive et celle de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens de l'instance.

Par jugement en date du 21 mai 2010, le tribunal de commerce de Bourg en Bresse a débouté la société GÉRARD DANNENMULLER de l'ensemble de ses demandes, constaté le règlement de la somme de 41.196,95 euros HT par la SCI LES HAUTS DE CHATILLON et a condamné l'entreprise à lui payer la somme de 1.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

La société GERARD DANNENMULLER a relevé appel de cette décision et persiste à revendiquer le paiement des mêmes sommes.

Il est ainsi soutenu que conformément à une jurisprudence constante de la Cour de cassation lorsque la seule construction prévue au marché est celle d'un réseau d'assainissement des eaux usées, de voies de communication et de places publiques dans un lotissement, ces travaux en raison de leur nature même sont étrangers à la construction d'un bâtiment et l'article 1793 du code civil ne peut recevoir application, ce qui exclut donc le caractère global et forfaitaire du marché et par voie de conséquence permet une revalorisation du prix légitime puisque entre 2001 et 2008 le prix des travaux d'enrobés du fait de l'augmentation du prix du baril de pétrole, aurait augmenté de 40 % alors même que l'entreprise serait totalement étrangère au fait d'avoir dû terminer son chantier, seulement en 2008.

Enfin se serait en toute bonne foi et à seule fin de débloquer la situation que l'entreprise aurait accepté d'établir une facture d'un peu plus de 49.000 euros de manière à obtenir le paiement par la banque du débiteur, le solde devant être payé ultérieurement directement par la SCI. Le manquement à la parole donnée est ainsi dénoncé.

Mais l'intitulé même de cette facture "Demande d'acompte sur travaux de finition" serait elle même la preuve de ce que l'entreprise n'avait pas renoncé à obtenir le complément litigieux.

Enfin c'est à tort que le tribunal de commerce aurait également débouté la SAS DANNENMULLER de sa demande au titre des versements des pénalités de retard, en application des dispositions de l'article L.441-6 du code de commerce car il serait de jurisprudence désormais bien établie que les pénalités de retard pour non paiement des factures sont dues de plein droit, sans rappel et sans avoir à être indiquées dans les conditions générales des contrats.

 

A l'opposé, la SCI LES HAUTS DE CHATILLON conclut à la confirmation du jugement demandant à la cour de constater qu'elle a procédé au règlement de la somme de 41.196,95 euros HT + TVA en cours d'instance.

Il lui est demandé de condamner la société GERARD DANNENMULLER à lui verser la somme complémentaire de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Il est affirmé à cette occasion que l'article 3 de l'acte d'engagement dispose : "Les prix unitaires figurant au bordereau de décomposition du prix global et forfaitaire ont un caractère ferme et définitif, sans actualisation ni révision".

Au surplus, l'émission de la facture no 06.09.091 d'un montant de 41.196,95 euros HT constituerait bien la facture définitive pour solde de tout compte nonobstant le libellé "demande d'acompte sur travaux de finition" qu'aurait cru opportun d'inscrire la société GERARD DANNENMULLER.

Aucun argument ne mériterait d'être retiré de la jurisprudence accompagnant l'article 1793 du code civil puisqu'il resterait de toute façon loisible aux parties de se soumettre expressément à un prix forfaitaire et définitif.

Tel serait bien le cas en l'espèce puisque dans l'acte d'engagement signé par la société GERARD DANNENMULLER, en ce qui concerne les prix, il est indiqué clairement : " Les prix unitaires figurant au bordereau de décomposition du prix global et forfaitaire ont un caractère ferme et définitif sans actualisation ni révision".

En toute hypothèse, le temps mis par la société GERARD DANNENMULLER pour réaliser les travaux de VRD ne pourrait pas être opposé à la SCI LES HAUTS DE CHATILLON car celle-ci pouvait parfaitement faire ces travaux de voirie et de viabilisation au moment où elle le souhaitait.

Enfin la thèorie du "bouleversement de l'économie générale du marché" pour justifier une révision de ses prix ne serait pas applicable en l'espèce car cette construction jurisprudentielle considère que le dit bouleversement ne peut porter que sur les travaux mêmes à réaliser ou sur les conditions matérielles de leur réalisation, mais non sur l'évolution de leur coût.

En ce qui concerne les pénalités de retard, elles ne pourraient être dues car il ne serait pas justifié de leur existence et encore moins qu'elles aient été connues et acceptées par la SCI LES HAUTS DE CHATILLON. En outre, pour que des pénalités de retard puissent s'appliquer, encore faut-il que le débiteur soit en retard. Or, ce n'est qu'à partir du 30 juin 2009 que la société GERARD DANNENMULLER a émis la facture sur la base correcte, c'est-à-dire correspondant au bordereau de prix global et unitaire.

SUR QUOI LA COUR

Il est de jurisprudence constante que les travaux de voiries dans un lotissement ne peuvent être assimilés à l'édification d'un bâtiment et échappent comme tels aux dispositions de l'article 1793 du code civil sur les marchés à forfait.

Il n'en demeure pas moins que même dans ce cas les parties peuvent de convention expresse convenir que de tels travaux seront également soumis à ce même forfait.

C'est donc légitimement que les parties en présence ont pu convenir dans l'acte d'engagement signé par la société GERARD DANNENMULLER, que "Les prix unitaires figurant au bordereau de décomposition du prix global et forfaitaire ont un caractère ferme et définitif sans actualisation ni révision".

C'est nécessairement en toute connaissance de cause que les deux professionnels de la construction signataires ont pris cet engagement dérogatoire au droit commun et il ne peut être tiré aucun argument du fait que ce caractère dérogatoire n'ait pas été expressément visé dans la convention litigieuse.

Il convient simplement d'en prendre acte et de leur faire application à tous deux des dispositions de l'article 1134 du code civil sur la caractère intangible des contrats dans les rapports entre cocontractants.

En l'absence de tout avenant portant sur une révision de prix due au temps passé et au renchérissement de la matière première, force est de constater que l'on ne peut invoquer utilement une augmentation de la facture finale, la novation en droit ne se présumant pas.

Si l'on veut bien admettre que la société DANNENMULLER est la victime financière de cette clause, il y a lieu de constater qu'elle est la seule responsable de son dommage pour n'avoir pas limité dans le temps une telle absence de révision de prix alors que l'histoire économique la plus récente lui avait appris l'extrême volatilité des prix en matière de produits pétroliers.

Ainsi, même sur la base de la théorie du bouleversement de l'économie du marché afin d'obtenir indirectement une révision de prix, en admettant qu'une telle théorie puisse s'appliquer en ce cas alors que les travaux sont restés les mêmes ainsi que les conditions de leur réalisation, force serait de ne pouvoir l'appliquer au cas d'espèce tant la société DANNENMULLER a délibérément fermé la porte contractuellement à toute augmentation de prix en convenant bien que celle-ci n'interviendrait pas, même dans le cadre d'une "actualisation" c'est-à-dire, en clair, à l'occasion d'une augmentation conjoncturelle intempestive et incontrôlé des matières premières utilisées.

Compte tenu des demandes inconsidérées formulées par la société DANNENMULLER, on doit admettre comme légitime la résistance de la SCI à payer le solde reconnu comme du par elle, ce qui aurait pu apparaître au moins dans un premier temps comme un acquiescement aux prétentions de l'entreprise et comme un simple acompte à valoir sur la totalité des sommes dues. La résistance était à la mesure du caractère démesuré des demandes.

Il est constant que cette résistance a été de courte durée puisque finalement la somme de 41.196,95 euros outre TVA a été payée par l'intermédiaire d'un organisme bancaire en cours d'instance ce qui exclut définitivement la condamnation au paiement de pénalités de retard.

PAR CES MOTIFS

Confirme en toutes ses dispositions la décision déférée,

Y ajoutant,

Condamne la société GERARD DANNENMULLER à payer à la SCI LES HAUTS DE CHATILLON la somme complémentaire de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, pour ceux des mandataires des parties qui en ont fait la demande.