CA Chambéry, ch. civ. sect. 1, 13 juin 2017, n° 15/02177
CHAMBÉRY
Arrêt
Autre
Le 11/09/2013, la société LE FRENEY a donné mandat à la société ALL HOME COURCHEVEL pour une durée d'un an, d'administrer un bien consistant en un chalet de 130 m² sur 4 niveaux, sis à COURCHEVEL 1300, moyennant une rémunération de 20% HT outre TVA pour une mise en location à la semaine et 15% HT outre TVA pour une location à la saison, l'administrateur s'engageant à fournir les prestations suivantes :
- recherche de locataires ;
- établissement d'un reportage photographique ;
- référencement sur son site internet ;
- démarchage à l'étranger ;
- gestion du bien (établissement des baux, encaissement des loyers, travaux..)
Le 02/12/2013, la société LE FRENEY a donné son accord sur les tarifs à pratiquer pour la saison 2013/2014.
Le 13/01/2014, elle a écrit à la société ALL HOME COURCHEVEL pour lui demander quelles étaient les démarches effectuées, faisant dresser le 14/01/2014 un constat par huissier aux termes duquel le chalet n'est pas référencé sur le site « home-courchevel.com », mais qu'il l'est sur le site « homelidays.com ».
Le 23/01/2014, la société ALL HOME COURCHEVEL a répondu qu’elle n'avait aucune location du bien, précisant que le chalet est mis sur le site internet et celui de l'office du tourisme et précisant que le remplissage de la station était très faible en janvier ainsi que sur les vacances scolaires de février.
Le 13/06/2014, la société LE FRENEY a réclamé à titre de dommages intérêts à son mandataire la somme de 43.752,73 euros HT.
Le 25/08/2014, la société ALL HOME COURCHEVEL a répondu que le bien à louer était « atypique », en étant éloigné de la station (1,5 km du Praz, 2,8 km de la Tania), le hameau du Fréney n'étant ni desservi par les remontées mécaniques ni par les transports en commun, les tarifs pratiqués étant trop élevés.
Par acte du 12/01/2015, la société LE FRENEY a assigné devant le tribunal de commerce de Chambéry la société ALL HOME COURCHEVEL en paiement de la somme de 36.442,55 euros de dommages intérêts outre 5.000 euros au titre des frais irrépétibles visés à l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement du 16/09/2015, le tribunal a :
- dit que la société ALL HOME COURCHEVEL a commis une faute contractuelle en référençant tardivement le 15/01/2014 le chalet LE FRENEY sur son site internet ;
- dit que le préjudice en résultant est la perte de chance de louer le chalet pour la période du 21/12/2013 au 27/12/2013 ;
- condamné la société ALL HOME COURCHEVEL à payer en deniers ou quittances valables la somme de 1.000 euros de dommages intérêts outre 300 euros au titre des frais irrépétibles visés à l'article 700 du code de procédure civile.
La société LE FRENEY a relevé appel de cette décision.
Par conclusions du 06/04/2017, elle conclut à la réformation du jugement déféré et demande à la Cour de dire que la société intimée a manqué à ses obligations, qu'elle a engagé sa responsabilité et sollicite sa condamnation au paiement de la somme de 21.910,62 euros HT outre 5.000 euros au titre des frais irrépétibles visés à l'article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir en substance que :
- le chalet a été acquis au prix de 864.000 euros TTC et bénéficie d'un classement 5 étoiles ;
- elle-même a pu louer le chalet la semaine du 28/12/2013 au 04/01/2014, puis celles du 21/02/2014 et du 19/07/2014, générant un chiffre d'affaires de 11.792,90 euros ;
- la société AHC n'a jamais pu louer le chalet ;
- elle ne démontre pas avoir effectué des démarches sérieuses de recherche de locataires, alors que la saison 2013/2014 a été très bonne pour le tourisme d'hiver ;
- l'emplacement du chalet n'était pas un obstacle, puisque le chiffre d'affaires pour la saison 2014/2015 a été de 30.613 euros HT, de 17.819 euros HT en 2015/2016 et de 27.417 euros HT en 2016/2017, soit un chiffre moyen de 21.910 euros HT par an ;
- le lien entre les fautes de la société AHC et l'absence de location est ainsi établi.
Par conclusions du 31/03/2017, la société AHC pour conclure à l'infirmation du jugement entrepris et réclamer 7.000 euros au titre des frais irrépétibles visés à l'article 700 du code de procédure civile, fait valoir que la preuve d'une faute contractuelle n'est pas établie, que le préjudice allégué n'est pas démontré, et que n'est pas rapportée la preuve du lien de causalité entre les prétendues fautes qu'elle aurait commises et le préjudice.
MOTIFS DE LA DECISION
Le mandataire est tenu d'accomplir la mission qui a été confiée, tant qu'il en demeure chargé, en temps voulu et au lieu fixé, en l'accomplissant correctement et en bon professionnel , l'inexécution ou la mauvaise exécution entraînant la responsabilité du mandataire, étant précisé qu'il est tenu non seulement des obligations expressément prévues par le code civil pour le mandat et de celles qui ont donné lieu à des stipulations particulières dans son contrat, mais de toutes les obligations afférentes à l'existence de liens contractuels.
En conséquence, le mandataire doit exécuter le contrat fidèlement, dans le respect de la confiance du mandant en respectant les instructions données par le mandant et en faisant toutes les diligences auxquelles il s'était engagé.
En l'occurrence, il résulte du dossier que la société ALL HOME COURCHEVEL a adressé des propositions à des clients potentiels, a référencé le chalet sur son site internet, a entamé des démarches auprès de la clientèle étrangère, a établi un album photographique, même s'il peut lui être reproché un manque de réactivité pour proposer une grille tarifaire et un référencement sur son site internet seulement à compter du 15/04/2014.
Toutefois, lorsque, comme c'est le cas en l'occurrence, le mandataire est un professionnel, il est tenu d'un devoir de conseil, certes allégé lorsque le mandant est lui-même particulièrement compétent..
Or, si le gérant et principal associé de la société LE FRENEY gère d'autres biens, il ne peut être considéré comme un professionnel de la location de biens immobiliers en montagne, le seul fait qu'il soit propriétaire d'un appartement à Crans Montana étant insuffisant pour démontrer qu'il avait une parfaite connaissance du marché immobilier de COURCHEVEL.
La société ALL HOME COURCHEVEL se devait donc de l'informer des spécificités de cette station, en faisant état de manière précise à son mandant des difficultés qui pouvaient normalement être attendues pour louer le bien, à savoir principalement une localisation dans la partie la moins touristique de COURCHEVEL, le chalet étant situé dans le bas de la station, et par ailleurs, éloignée des remontées mécaniques, des commerces et d'un centre de vie commerciale et touristique.
Faute d'avoir suffisamment insisté auprès de la société LE FRENEY sur les particularités du chalet, la grille tarifaire adoptée s'est avérée beaucoup trop optimiste, décourageant la clientèle potentielle. Ainsi, la société LE FRENEY a pu s'estimer fonder à proposer un prix de 10.000 euros pour une location de 3 semaines en février, alors que les clients intéressés n'offraient que 7.500 euros, ce qui a généré un échec de la location, les clients choisissant finalement les environs de la station de Kitzbuhel.
La société LE FRENEY a subi un préjudice consistant en la perte de chance d'avoir pu mieux louer le chalet dont elle est propriétaire.
Les chiffres d'affaires qu'elle a réalisé, par des clients extérieurs au cercle des associés, ont été les suivants :
2013 : 7.250 euros
2014 : 21.185 euros
2015 : 15.727 euros
2016 : 17.253 euros
soit une moyenne 2014/2016 de 18.055 euros.
La première année d'une mise en location d'un bien étant toujours plus délicate, la Cour trouve dans le dossier les éléments suffisants pour fixer le préjudice imputable à la société ALL HOME COURCHEVEL à la somme de 5.000 euros.
Par ailleurs, l'équité ne commande qu'une application modérée des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La Cour, statuant publiquement et contradictoirement,
REFORME le jugement entrepris,
STATUANT A NOUVEAU et y ajoutant,
CONDAMNE la société ALL HOME COURCHEVEL à payer à la société LE FRENEY les sommes suivantes :
- 5.000 euros à titre de dommages intérêts ;
- 2.000 euros au titre des frais irrépétibles visés à l'article 700 du code de procédure civile exposés en première instance et en cause d'appel,
LA CONDAMNE aux dépens de première instance et d'appel,
AUTORISE Me L., avocate, à recouvrer directement les dépens dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision.