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Décisions

Cass. crim., 13 octobre 1999, n° 96-80.774

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gomez

Rapporteur :

M. Schumacher

Avocat général :

Mme Commaret

Avocats :

SCP Piwnica et Molinié, SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, SCP Peignot et Garreau, Me Capron

Nancy, ch. d'acc. et Colmar, ch. d'acc.,…

1 janvier 1999

Sur le premier moyen de cassation, proposé pour X... et pris de la violation des articles 40 et 593 du Code de procédure pénale, L. 81 du Livre des procédures fiscales, 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, défaut de motifs, manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué de la chambre d'accusation, en date du 23 novembre 1995, a rejeté la requête de X... tendant à ce que soit prononcée la nullité de la procédure résultant des investigations irrégulières de l'administration fiscale et en ce que l'arrêt attaqué du 14 novembre 1997 a déclaré X... coupable de complicité et recel d'abus de biens sociaux et l'a condamné à verser des dommages-intérêts à Me Mauhin, ès qualités de liquidateur de la société C... ;

" aux motifs qu'aux termes de l'article 40, alinéa 2, du Code de procédure pénale "toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs" ; qu'ainsi, il n'y a eu aucun détournement de procédure, les fonctionnaires de la direction générale des Impôts, en dénonçant au procureur de la République les infractions qu'ils avaient constatées dans le cadre du contrôle fiscal de la société C..., n'ayant fait qu'obéir à l'obligation qui leur est imposée en application de l'article 40, alinéa 2, du Code de procédure pénale ; que X... et A... soutiennent que la dénonciation faite par le directeur des Impôts est nulle dans la mesure où elle s'appuie sur des auditions recueillies irrégulièrement par l'Administration dans le cadre du contrôle fiscal, faute d'avoir avisé les personnes ainsi entendues de leur droit de ne pas répondre aux questions posées alors qu'il s'agissait de salariés de l'entreprise non soumis au droit de communication ; que, d'une part, les renseignements fournis au procureur de la République dans le cadre de l'article 40, alinéa 2, du Code de procédure pénale ne sont astreints à aucune condition de forme ; que, d'autre part, en application du principe de l'indépendance du contentieux pénal et du contentieux administratif englobant le contentieux fiscal, les nullités affectant la procédure fiscale sont sans incidence sur la procédure pénale ; que la seule exception à ce principe concerne la violation de l'article 1649 septies du Code général des impôts devenu l'article L. 47 du Livre des procédures fiscales, dans la mesure où cet article concerne la garantie des droits de la défense dont il appartient à la juridiction répressive d'assurer le respect ; que, cependant, tel n'est pas le cas en l'espèce, puisque la nullité des auditions réalisées dans le cadre de la procédure fiscale est demandée au motif de l'exercice irrégulier par l'Administration de son droit de communication auprès des salariés de l'entreprise non soumis au droit de communication qui ne concerne pas l'article L. 47 du Livre des procédures fiscales ; qu'or, la jurisprudence de la Cour de Cassation limite le recours à la violation des droits de la défense au seul cas d'irrégularité fondée sur l'article L. 47 du Livre des procédures fiscales ; qu'ainsi, elle a jugé, le 9 mai 1983, que "la conséquence tirée par les tribunaux judiciaires de l'inobservation de l'article 47 nouveau du Code général des impôts (Livre des procédures fiscales), en ce qu'elle déroge au principe général de la séparation des autorités administratives et judiciaires, est d'interprétation stricte et ne saurait, dès lors, être étendue au-delà des cas où la loi a entendu expressément la limiter" ;

" alors que la poursuite ayant trouvé son fondement du fait même de l'application de l'article 40 du Code de procédure pénale dans les auditions de tiers induits en erreur par l'administration fiscale quant à leur droit de ne pas répondre aux questions posées par celle-ci, la chambre d'accusation ne pouvait, comme elle l'a fait, refuser de prononcer la nullité de ces auditions et de la procédure pénale subséquente " ;

Attendu que le demandeur a sollicité l'annulation de la procédure aux motifs que le procureur de la République avait été informé par des fonctionnaires de l'Administration sur la base d'auditions irrégulières de salariés de l'entreprise et qu'un détournement de procédure aurait été ainsi commis en vue d'établir les éléments de preuve permettant l'ouverture d'une information judiciaire des chefs de complicité et recel d'abus de biens sociaux ;

Attendu que, pour écarter cette exception, la chambre d'accusation énonce que les fonctionnaires des Impôts n'ont fait qu'appliquer les dispositions de l'article 40 du Code de procédure pénale et que, en dehors de l'inobservation des prescriptions de l'article L. 47 du Livre des procédures fiscales touchant aux droits de la défense, dont le domaine d'application est d'interprétation stricte, les nullités pouvant affecter la procédure fiscale sont sans incidence sur la procédure pénale ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations la chambre d'accusation a justifié sa décision sans méconnaître aucun des textes visés au moyen, lequel doit être écarté ;

Sur le deuxième moyen de cassation, proposé pour X... et pris de la violation des articles 100, 591 et 593 du Code de procédure pénale, 6.1 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, défaut de motifs, manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué de la chambre d'accusation, en date du 23 novembre 1995, a rejeté la requête de X... tendant à ce que soit prononcée la nullité de la procédure résultant de l'irrégularité des commissions rogatoires prescrivant les écoutes téléphoniques et des écoutes téléphoniques elles-mêmes et en ce que l'arrêt attaqué du 14 novembre 1997 a déclaré X... coupable de complicité et recel d'abus de biens sociaux et l'a condamné à verser des dommages-intérêts à Me Jean-Denis M..., ès qualités de liquidateur de la société C... ;

" aux motifs que X... estime que les deux commissions rogatoires en date du 20 janvier 1994 (D 1144/1145 et D 1151/1152) ordonnant des écoutes téléphoniques et les actes subséquents doivent être frappés de nullité, lesdites commissions rogatoires se bornant à reproduire une phrase type ne justifiant pas suffisamment le recours à une telle mesure dérogatoire au respect de la vie privée ; que l'examen des commissions rogatoires contestées montre que celles-ci sont parfaitement conformes aux dispositions des articles 100 et suivants du Code de procédure pénale (caractère écrit de la décision mention de tous les éléments d'identification de la liaison à intercepter mention de l'infraction motivant le recours à l'interception ainsi que la durée de celle-ci) ; que le juge d'instruction qui, en application de l'article 81 du Code de procédure pénale procède, conformément à la loi, à tous les actes d'information qu'il juge utiles à la manifestation de la vérité, n'a pas à motiver spécialement sa décision de placement sous écoutes téléphoniques ; que, s'il estime que les nécessités de l'information justifient le recours à cette mesure, il lui appartient uniquement de se conformer aux dispositions des articles 100 et suivants du Code de procédure pénale qui ne prévoient pas que les nécessités de l'information soient spécialement motivées, ce qu'il a fait en l'espèce ;

" alors qu'il résulte des dispositions combinées des articles 100 du Code de procédure pénale, 6.1 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des principes généraux du droit que les décisions du magistrat instructeur ordonnant des interceptions de correspondances émises par la voie des télécommunications doivent, à peine de nullité, comporter les motifs qui permettent à la Cour de Cassation de s'assurer que les nécessités de l'information exigeaient cette mesure attentatoire aux libertés individuelles " ;

Attendu que, pour rejeter la demande d'annulation d'actes de la procédure fondée sur l'irrégularité de commissions rogatoires prescrivant des écoutes téléphoniques, faute pour le juge d'instruction d'avoir indiqué les raisons nécessitant cette mesure, la chambre d'accusation énonce que le juge d'instruction peut procéder à tous les actes d'information qu'il juge utiles sans avoir à motiver spécialement sa décision ;

Attendu qu'en cet état la chambre d'accusation a fait l'exacte application des articles 81, 100 et suivants du Code de procédure pénale ;

D'où il suit que le moyen ne peut être admis ;

III. Sur les pourvois contre l'arrêt du 14 novembre 1997 :

Sur le troisième moyen de cassation, proposé pour X... et pris de la violation des articles 53 et 247 de la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales, 6 et 8 du Code de procédure pénale :

" en ce que l'arrêt attaqué, en date du 14 novembre 1997, a refusé de constater la prescription des délits d'abus de biens sociaux, de complicité d'abus de biens sociaux et de recel de ce délit antérieurs au 10 décembre 1990 ;

" aux motifs que c'est un contrôle fiscal de M. B... qui a révélé en 1993 que deux salariés de la société C... étaient inconnus du personnel d'exécution et d'encadrement alors même que l'un deux, X..., percevait des rémunérations spécialement élevées ; que, sur le fondement de l'article 40 du Code de procédure pénale, il a dénoncé cette situation au ministère public qui a pris des réquisitions d'enquête le 10 décembre 1993 ; que, dans ces conditions, la prescription invoquée par Y... ne pourrait pas de toute façon couvrir la totalité des faits, puisque X... et Z... ont perçu des salaires jusqu'au 31 décembre 1991 et que les faits postérieurs au 10 décembre 1990 resteraient susceptibles d'être poursuivis, à supposer que la prescription en la matière n'obéisse pas à un régime particulier ; que, cependant, en matière d'abus de biens sociaux, il est actuellement admis que le point de départ de la prescription court du jour où les faits ont été constatés dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique ; qu'il n'est pas exact, par ailleurs, que les faits dénoncés en 1993 par l'administration fiscale aient eu le caractère de notoriété publique que leur prête Y... puisque l'emploi des deux personnes en cause était inconnu de la quasi totalité des salariés de l'entreprise et que celles-ci n'apparaissent pas sur l'organigramme du personnel ; que, de son aveu, le commissaire aux comptes n'a fait aucune vérification quant à la réalité des emplois rémunérés par la société ;

" alors que la prescription de l'action publique du chef d'abus de biens sociaux et, par voie de conséquence, de la complicité et du recel de ce délit, court, sauf dissimulation, à compter de la présentation des comptes annuels par lesquels les dépenses litigieuses ont été mises indûment à la charge de la société et que les salaires de X... ayant été régulièrement déclarés aux organismes sociaux et à l'administration fiscale et portés au bilan de la société, il n'existait aucune dissimulation qui autorise la cour d'appel à reporter le point de départ de la prescription au jour où des réquisitions d'enquête avaient été prises au vu de la communication au parquet opérée par l'administration fiscale " ;

Sur le moyen unique de cassation, proposé pour Y... et pris de la violation des articles 53 et 247, 425. 4°, et 437.3°, de la loi du 24 juillet 1966, 6, 8, 591 et 593 du Code de procédure pénale :

" en ce que l'arrêt attaqué a condamné Y... à 18 mois d'emprisonnement avec sursis et 100 000 francs d'amende pour abus de biens sociaux et à payer une indemnité de 2 447 645 francs à Jean-Denis M..., pris en sa qualité de liquidateur de la société C... ;

" aux motifs que "c'est un contrôle fiscal de M. S... qui a révélé, en 1993, que deux salariés de la société C... étaient inconnus du personnel d'exécution et d'encadrement alors même que l'un d'eux, X..., percevait des rémunérations spécialement élevées" (cf. arrêt attaqué, p. 4, 6e attendu) ; "que, sur le fondement de l'article 40 du Code de procédure pénale, il a dénoncé cette situation au ministère public qui a pris des réquisitions d'enquête le 10 décembre 1993" (cf. arrêt attaqué, p. 4, 7e attendu) ; "que, dans ces conditions, la prescription invoquée par Y... ne pourrait, de toute façon, pas couvrir la totalité des faits, puisque X... et Z... ont perçu des salaires jusqu'au 31 décembre 1991 et que les faits postérieurs au 10 décembre 1990 resteraient susceptibles d'être poursuivis, à supposer que la prescription en la matière n'obéisse pas à un régime particulier" (cf. arrêt attaqué, p. 4, 8e attendu) ; "qu'en matière d'abus de biens sociaux, il est actuellement admis que le point de départ de la prescription court du jour où les faits ont été constatés dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique" (cf. arrêt attaqué, p. 4, 9e attendu) ; "que, dans une espèce assez comparable, la chambre criminelle a décidé, le 27 juillet 1993, que la prescription ne courait qu'à compter de la dénonciation des faits par l'administration fiscale au ministère public" (cf. arrêt attaqué, p. 5, 1er attendu) ; "que les faits ont été dénoncés en 1993 par l'administration fiscale" (cf. arrêt attaqué, p. 5, 2e attendu) ; "qu'il n'est pas exact, par ailleurs, qu'ils aient eu le caractère de notoriété publique que leur prête Y... puisque l'emploi des deux personnes en cause était inconnu de la quasi totalité des salariés de l'entreprise et que celles-ci n'apparaissent pas sur l'organigramme du personnel" (cf. arrêt attaqué, p. 5, 3e attendu) ; "que, de son aveu, le commissaire aux comptes n'a fait aucune vérification quant à la réalité des emplois rémunérés par la société" (cf. arrêt attaqué, p. 5, 4e attendu) ; "qu'il convient donc de confirmer le rejet du moyen de prescription proposé par l'un des prévenus" (cf. arrêt attaqué, p. 5, 5e attendu) ;

" 1° alors que la prescription de l'action publique du chef d'abus de biens sociaux court, sauf dissimulation, à compter de la présentation des comptes annuels par lesquels les dépenses litigieuses sont mises indûment à la charge de la société ; qu'en fixant, dans l'espèce, le point de départ du délai de la prescription de l'action publique à la date à laquelle l'administration des Impôts a saisi le ministère public, quand Y... faisait valoir que la dépense correspondant aux contrats de travail de X... et de Z... avait été ostensiblement relatée dans les comptes de la société C... qui ont été présentés au cours de l'année 1986, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

" 2° alors que le délit d'abus de biens sociaux est un délit instantané ; qu'il était constitué dans tous ses éléments, en l'espèce, du jour où la société C... a conclu avec X... et Z... des contrats de travail qui ne mettaient à la charge des salariés aucune obligation de fournir une prestation de travail correspondant à la rémunération qu'ils stipulaient du jour, autrement dit, où la société C... s'est trouvée juridiquement tenue de payer un salaire à X... et à Z... ; qu'en considérant, dès lors, contrairement aux termes mêmes de la prévention, que le délit d'abus de biens sociaux a été réitéré à chaque fois que X... et Z... ont perçu des salaires, la cour d'appel a violé les textes susvisés " ;

Et sur le même moyen, relevé d'office en faveur des autres demandeurs ;

Les moyens étant réunis ;

Vu l'article 593 du Code de procédure pénale ;

Attendu que tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier la décision ; que les juges sont tenus de répondre aux chefs péremptoires des conclusions dont ils sont saisis ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué qu'entre 1986 et 1991, A... et Y..., dirigeants de la société C... ont engagé, par contrats de travail, X... et Z... auxquels ont été versées des rémunérations sans contrepartie ; que tous quatre sont poursuivis des chefs susvisés ;

Attendu qu'après avoir relevé que le procureur de la République avait prescrit une enquête le 10 décembre 1993, les juges écartent la prescription des faits antérieurs au 10 décembre 1990, en relevant que ceux-ci n'étaient pas notoires, les emplois en cause ayant été inconnus des salariés de l'entreprise et le commissaire aux comptes n'ayant fait aucune vérification de leur réalité ; qu'ils retiennent que la dénonciation des actes reprochés n'a été faite par l'administration des Impôts qu'en 1993, époque à laquelle leur découverte a permis l'exercice de l'action publique ;

Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, sans répondre aux chefs péremptoires des conclusions déposées par Y... faisant valoir que les salaires reprochés figuraient dans les bilans des exercices concernés, notamment ceux de l'année 1986, et que, faute de dissimulation, la prescription avait commencé à courir à compter de la date de présentation des comptes annuels, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

D'où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens proposés, portant tant sur l'action publique que sur l'action civile ;

I. Sur les pourvois de X... contre l'ordonnance du 24 mai 1996 et contre l'arrêt du 23 novembre 1995 :

Les REJETTE ;

II. Sur les pourvois contre l'arrêt du 14 novembre 1997 :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, ledit arrêt de la cour d'appel de Colmar, en date du 14 novembre 1997, et pour qu'il soit jugé à nouveau, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Besançon.