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Décisions

CA Paris, Pôle 4 ch. 8, 24 mai 2018, n° 17/10643

PARIS

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Lebée

Conseillers :

M. Malfre, M. Gouarin

CA Paris n° 17/10643

24 mai 2018

Par une sentence arbitrale du 16 juillet 2015, la cour internationale d'arbitrage de la chambre de commerce internationale à Paris a condamné «'conjointement et solidairement'» M. Albadi A. et la société Icapital Llc à payer à la société Cerner Middle East une somme totale d'une contre-valeur de 51 088 308,75 euros, outre les intérêts de retard. Le 23 mai 2016, cette sentence a été exequaturée. La sentence et l'ordonnance d'exequatur ont été signifiées à M. Albadi A. le 19 août 2016. Un recours en annulation formé contre cette sentence, le 16 septembre 2016, est pendant. Par ordonnance du 9 février 2017, le conseiller de la mise en état de la cour d'appel de Paris a suspendu l'exécution provisoire de cette sentence arbitrale.

Se fondant sur cette sentence arbitrale, la société Cerner Middle East a pratiqué les mesures conservatoires suivantes :

- une saisie conservatoire sur les parts sociales de la Sci Conseiller Collignon Land Company, le 20 juillet 2016, dénoncée à M. Albadi A. le 26 juillet 2016 ;

- un nantissement provisoire des parts sociales de cette Sci, le 20 juillet 2016, dénoncé à M. Albadi A. le 26 juillet 2016 ;

- une saisie conservatoire des biens meubles corporels au 5 rue du conseiller Collignon à Paris 16ème, le 19 août 2016.

Par jugement du 1er mars 2017, le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Paris a ordonné la distraction des objets suivants de la saisie conservatoire mobilière : une paire de lampes de table avec 7 feux en cristal et un téléviseur Samsung, a débouté M. Albadi A. et Mme Al S. du surplus de leurs demandes et a condamné M. Albadi A. à payer à la société Cerner Middle East la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles.

M. Albadi A. et Mme Al S. ont relevé appel de ce jugement, selon déclaration du 26 mai 2017.

Dans leurs dernières conclusions signifiées le 14 mars 2018, les appelants poursuivent l'infirmation du jugement et sollicitent qu'il soit ordonné la caducité de la saisie conservatoire des parts sociales et du nantissement provisoire de ces parts sociales, outre la nullité de la saisie conservatoire mobilière, tous les biens étant distraits au profit de Mme Al S.. Subsidiairement, ils demandent à la cour d'ordonner la mainlevée de la saisie conservatoire des parts sociales et du nantissement provisoire de ces parts sociales et de prononcer la caducité de la saisie conservatoire mobilière, tous les biens étant distraits au profit de Mme Al S.. Á titre infiniment subsidiaire, les appelants sollicitent la mainlevée de la saisie conservatoire mobilière. Dans tous les cas, ils concluent au débouté des demandes de l'intimée et entendent qu'elle soit condamnée à leur payer, chacun, la somme de 20 000 euros de dommages-intérêts, outre les sommes de 8 370 euros et de 7 860 euros au titre des frais irrépétibles, respectivement à M. Albadi A. et Mme Al S..

Par conclusions signifiées le 20 mars 2018, la société Cerner Middle East demande à la cour de confirmer le jugement, de débouter les appelants de leurs demandes et de les condamner à lui payer la somme de 20 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

SUR CE

Les appelants poursuivent, de première part, la mainlevée de la saisie conservatoire des parts sociales de la Sci Conseiller Collignon Land Company, du nantissement provisoire des parts sociales de cette Sci et de la saisie conservatoire mobilière au motif que le saisissant ne dispose d'aucune décision de justice, a fortiori de titre exécutoire, ou ne justifie pas d'un principe de créance.

A cet égard, il est rappelé qu'en application de l'article L. 511-2 du code des procédures civiles d'exécution, une autorisation du juge de l'exécution de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur n'est pas nécessaire lorsque le créancier dispose d'une décision de justice qui n'a pas encore force exécutoire. Tel est le cas en l'espèce, la saisissante disposant d'une sentence arbitrale exequaturée dont l'exécution provisoire a été suspendue et qui constitue une décision de justice non exécutoire au sens de l'article susvisé, étant par ailleurs rappelé qu'il n'appartient au juge de l'exécution d'apprécier les mérites du recours en annulation pendant contre cette sentence. Ce moyen sera par conséquent rejeté.

D'autre part, M. Albadi A. et Mme Al S. poursuivent la caducité des trois mesures conservatoires en ce qu'elles auraient dû être dénoncées à leur domicile à Abu Dabi.

La saisie conservatoire des parts sociales de la Sci Conseiller Collignon Land Company et le nantissement provisoire des parts sociales de cette Sci ont été dénoncées à M. Albadi A. au [...], par actes du 26 juillet 2016 remis à l'étude de l'huissier de justice, le gardien ayant à cette occasion confirmée qu'il s'agissait du domicile du destinataire des actes. De même, lors de la signification du procès-verbal de saisie conservatoire mobilière, l'huissier instrumentaire indique avoir rencontré M. Pierre R., employé de maison, qui a certifié le domicile et a accepté de recevoir une copie de l'acte, M. Albadi A. étant absent lors de ces opérations de saisie conservatoire mobilière. Ces différentes mentions, dans les deux actes de dénonciation et dans l'acte de signification de la saisie conservatoire mobilière, font foi jusqu'à inscription de faux et attestent que M. Albadi A. dispose d'un domicile parisien à l'adresse en question. Ce domicile est d'ailleurs mentionné dans ses déclarations d'impôt de la solidarité sur la fortune déposée en 2013, 2014 et 2015. En outre, l'extrait Kbis de la Sci Conseiller Collignon Land Company au 6 septembre 2016 indique que son gérant est M. Albadi A. et que son domicile personnel est à Abu Dhabi, dans une boîte postale, mais avec la précision « (inconnu) », de sorte qu'il ne saurait être reproché à l'intimée d'avoir délivré ses différents actes au domicile parisien du débiteur.

Il n'y a dès lors pas lieu de prononcer la caducité de la saisie conservatoire des parts sociales de la Sci et du nantissement provisoire des parts sociales de cette Sci, la dénonciation de ces deux mesures étant régulière.

Il ne saurait de même être soutenu que le procès-verbal de saisie conservatoire mobilière devait être dénoncé à M. Albadi A. au motif que cette mesure aurait été pratiquée chez un tiers, la Sci Conseiller Collignon Land Company. En effet, ce moyen manque en fait dès lors, ainsi qu'il a été dit plus haut, que la saisie a été pratiquée au domicile du débiteur et lui a été dénoncée à cette même adresse.

De plus, sur la mainlevée de la saisie conservatoire mobilière, M. Albadi A. fait plaider qu'il n'était pas joint à cet acte le titre ou l' autorisation permettant de pratiquer la mesure, que cet acte ne reprend pas les mentions obligatoires prévues à l'article R. 522-1 4° du code des procédures civiles d'exécution, outre que, d'une manière irrégulière, le conseil du saisissant a participé aux opérations de saisie et a signé le procès-verbal, en violation des dispositions de l'article R. 141-3 du code des procédures civiles d'exécution qui précise que : « La personne qui a requis une mesure d'exécution forcée ou une mesure conservatoire ne peut assister aux opérations d'exécution si ce n'est avec l' autorisation du juge de l'exécution lorsque les circonstances l'exigent ».

Ainsi que cela a été précédemment rappelé, la société Cerner Middle East était fondée à pratiquer une mesure conservatoire sans autorisation préalable du juge de l'exécution. L'article R.'522-1 1° du code des procédures civiles d'exécution impose uniquement que le saisissant mentionne le titre en vertu duquel la saisie est pratiquée, sans qu'il lui soit fait obligation de le joindre, formalité respectée au cas d'espèce.

Par ailleurs, l'acte de saisie reprend les mentions obligatoires prévues à l'article R. 522-1 4° du code des procédures civiles d'exécution.

En outre, sur le fait que le conseil du saisissant a participé aux opérations de saisie, l'intimée justifie que par une ordonnance du 27 juillet 2016, le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Paris a autorisé, à l'occasion de cette saisie mobilière, le conseil de la saisissante à assister l'huissier de justice instrumentaire. Aucune nullité n'est dès lors encourue de ce chef.

Enfin, M. Albadi A. soutient que les biens visés dans l'acte de saisie conservatoire mobilière ne lui appartiennent pas mais sont la propriété de Mme Al S., son épouse, tandis que cette dernière poursuit la distraction de 14 biens mentionnés dans cet acte de saisie, s'en revendiquant propriétaire. Ces deux demandes sont similaires et il ne sera statué que sur celle en distraction, étant logiquement supposé que les biens dont la distraction est demandée par l'épouse correspondent à ceux pour lesquels M. Albadi A. sollicite la nullité de la mesure.

Le premier juge doit être approuvé en ce qu'il a distrait de la saisie les deux biens suivants : une paire de lampes de table avec 7 feux en cristal et un téléviseur Samsung, étant observé que cette distraction n'est pas contestée par l'intimée puisqu'au dispositif de ses conclusions elle poursuit la confirmation du jugement entrepris.

Pour les 11 autres biens, aucune pièce justificative n'est produite s'agissant de l'ordinateur «'mac book air’ » et quant aux autres biens, la facture établie par la maison Beys le 11 juillet 2004 ne mentionne aucun nom et les autres pièces ne permettent pas d'associer les biens qui y sont décrits avec ceux saisis, soit que la description diffère, soit que la pièce ne soit pas suffisamment lisible. Il n'y a par conséquent pas lieu à distraction de biens supplémentaires.

Les saisies conservatoires pratiquées étant validées, à l'exception des deux biens précédemment distraits de la saisie conservatoire mobilière, les appelants seront déboutés de leur demande de dommages-intérêts.

Le jugement mérite donc confirmation, les mesures conservatoires pratiquées n'étant pas autrement contestées.

Au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, les appelants seront condamnés in solidum à payer une somme de 7 000 euros.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement ;

Rejette toute autre demande ;

Condamne in solidum M. Ahmed S. M. A. A. et Mme Dalal A. M. Al S. à payer à la société de droit des Iles Caïmans Cerner Middle East Ltd la somme de 7 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne in solidum M. Ahmed S. M. A. A. et Mme Dalal A. M. Al S. aux dépens d'appel.