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Cass. 1re civ., 18 février 2015, n° 11-11.054

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

Paris, du 15 oct. 2010

15 octobre 2010

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 15 octobre 2010), que soutenant être titulaires des droits d'artistes-interprètes et/ ou de producteurs sur divers enregistrements, fixés en Jamaïque entre 1964 et 1985, M. D... X... né E..., dit Jimmy Y..., M. Z..., dit Dennis A..., M. B..., dit F..., et M. C...ont assigné en contrefaçon les sociétés Culture Press et Emi Music France, leur reprochant d'avoir commercialisé en France, sans leur autorisation, plusieurs phonogrammes reproduisant ces enregistrements ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la société Culture Press fait grief à l'arrêt de faire application de la loi française, de dire que la fabrication et la commercialisation en France des phonogrammes litigieux caractérisent une atteinte aux droits d'artistes-interprètes et, le cas échéant, de producteurs de MM. D... X..., Z..., B... et C..., de la condamner à réparation à leur profit et à garantie au profit de la société Emi Music France et de prononcer diverses mesures d'injonction et d'interdiction, alors, selon le moyen :

1°/ que l'article 19 du Copyright Act de 1911 dispose que « la personne qui est propriétaire des bandes mères à la date où elles ont été réalisées sera considérée comme étant le titulaire des droits » ; qu'en affirmant qu'il ne pouvait être déduit de la généralité des termes de ce texte que le propriétaire des bandes mères était initialement investi de l'ensemble des droits voisins du droit d'auteur sur les enregistrements dont elles constituaient le support, la cour d'appel a dénaturé le droit étranger applicable, violant l'article 3 du code civil, ensemble le texte précité ;

2°/ qu'en retenant en outre, pour contester que les propriétaires des bandes mères aient pu être investis à titre originaire de l'ensemble des droits voisins sur les prestations qui s'y trouvaient fixées, que les artistes-interprètes revendiquaient la qualité de coproducteurs de certains des enregistrements en litige et que cette qualité leur avait été reconnue par les premiers juges, la cour d'appel, qui a statué par un motif inopérant, a de nouveau violé l'article 3 du code civil, ensemble l'article 19 du Copyright Act de 1911 ;

3°/ qu'il incombe au juge français qui reconnaît applicable un droit étranger d'en rechercher, soit d'office, soit à la demande d'une partie qui l'invoque, la teneur, avec le concours des parties et personnellement s'il y a lieu, et de donner à la question litigieuse une solution conforme au droit positif étranger ; que la cour d'appel, qui a admis que le Copyright Act de 1911 était applicable au litige, a néanmoins retenu, pour l'évincer au profit de l'article L. 212-3 du code de la propriété intellectuelle, que ses dispositions étaient équivoques ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu son office et violé l'article 3 du code civil ;

4°/ que la Convention de Rome du 26 octobre 1961 prévoit, en son article 20, qu'elle ne porte pas atteinte aux droits acquis dans un Etat contractant avant qu'elle n'y entre en vigueur ; qu'il s'en déduit qu'elle n'a pu remettre en cause ni les droits des producteurs d'origine sur les prestations fixées en Jamaïque avant le 27 janvier 1994, ni la validité des chaînes de contrats subséquentes ; qu'en affirmant que les sociétés Culture Press et Emi Music France, qui tenaient leurs droits d'utilisation des producteurs d'origine des prestations litigieuses, enregistrées en Jamaïque entre 1964 et 1985, auraient néanmoins dû solliciter l'autorisation de Jimmy Y..., Dennis A..., F... et Boris C..., en application du principe conventionnel du traitement national, la cour d'appel a violé le texte précité par refus d'application ;

5°/ que les effets des contrats conclus antérieurement à une loi nouvelle dépourvue d'effet rétroactif demeurent régis par les dispositions antérieures, même s'ils continuent à se réaliser postérieurement ; que l'autorisation d'utiliser la prestation d'un artiste-interprète régulièrement obtenue avant l'entrée en vigueur de l'article L. 212-3 du code de la propriété intellectuelle continue à produire ses effets après le 1er janvier 1986, sans que la poursuite de l'exploitation soit subordonnée à la délivrance d'une nouvelle autorisation écrite de l'artiste-interprète ; que les sociétés Culture Press et Emi Music France, qui tiennent leurs droits d'utilisation des producteurs d'origine, régulièrement investis, avant le 1er janvier 1986, de l'ensemble des droits de propriété intellectuelle sur les enregistrements litigieux, n'avaient pas à solliciter l'autorisation écrite des artistes-interprètes ; qu'en décidant du contraire, la cour d'appel a violé l'article 2 du code civil, ensemble le texte précité par fausse application et le principe de sécurité juridique qui découle de l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Mais attendu que la règle de conflit de lois applicable à la détermination du titulaire initial des droits d'artiste-interprète et de producteur de phonogrammes désigne la loi du pays où la protection est réclamée ; que la cour d'appel a relevé qu'elle était saisie des atteintes qui auraient été portées, à compter de novembre 1996, aux droits de MM. D... X..., Z..., B... et C...du fait de la fabrication et de la commercialisation, en France, des enregistrements litigieux ; qu'il en résulte que, suivant la règle de conflit applicable, le litige est soumis à la loi française ; que par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués dans les conditions de l'article 1015 du code de procédure civile, la décision déférée se trouve légalement justifiée ;

Sur le second moyen :

Attendu que la société Culture Press fait grief à l'arrêt de la condamner aux dépens de première instance et d'appel et au paiement de frais irrépétibles au profit de M. C..., alors, selon le moyen, que la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie ; que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; qu'il s'en déduit que la condamnation de la partie qui n'a pas succombé aux dépens et au paiement des frais irrépétibles doit être assortie d'une motivation spéciale ; qu'en condamnant la société Culture Press, au profit de M. C..., aux dépens et frais irrépétibles de première instance et d'appel, sans assortir sa décision d'une motivation spéciale, bien que M. C...ait été débouté de toutes ses demandes à l'encontre de la société Culture Press, la cour d'appel a violé les articles 696 et 700 du code de procédure civile ;

Mais attendu que la société Culture Press n'a pas obtenu la condamnation qu'elle réclamait, à l'encontre de M. C..., sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ; que, dès lors qu'elle succombait partiellement en ses prétentions, la cour d'appel n'a fait qu'user de son pouvoir discrétionnaire en mettant à sa charge les dépens ainsi qu'une indemnité au titre des frais irrépétibles ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Culture Press aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit février deux mille quinze.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour la société Culture Press

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir infirmé le jugement entrepris en ce qui concerne la détermination de la loi applicable, d'avoir dit que la fabrication et la commercialisation en France des phonogrammes en litige reproduisant, sans leur autorisation, les interprétations de Jimmy Y..., F..., Dennis A... et Boris C...caractérisaient une atteinte à leurs droits d'artistes-interprètes et, le cas échéant, de producteurs, d'avoir condamné la société Culture Press à réparation à leur profit et à garantie au profit de la société Emi Music France et d'avoir prononcé diverses mesures d'injonction et d'interdiction,

AUX MOTIFS QU'il est constant que tous les enregistrements en cause ont été fixés pour la première fois en Jamaïque entre 1964 et 1985 ; que la société Culture Press et la société Emi Music France soulignent qu'à cette période, la loi jamaïcaine applicable était le Copyright Act de 1911 dont l'article 19 disposait que : « le copyright sur les enregistrements ¿ sera de cinquante années et ¿ la personne qui est propriétaire des bandes mères à la date où elles ont été réalisées sera considérée comme étant le titulaire des droits » ; que la cession des droits des artistes-interprètes au bénéfice du producteur n'était dès lors pas subordonnée à l'établissement d'un contrat de cession ; qu'elles ajoutent que la Convention de Rome entrée en vigueur en Jamaïque le 27 janvier 1994 impose (article 20) « le respect des droits acquis dans l'un quelconque des Etats contractants antérieurement à l'entrée en vigueur pour cet Etat de la Convention... » ; que, bien plus, lors de son entrée en vigueur, le Copyright Act de 1993 qui a succédé à celui de 1911, énonce : « Si, au jour d'entrée en vigueur désigné, des droits de copyright subsistent en vertu de l'article 19 du Copyright Act de 1911... ces droits de copyright continueront d'avoir la même étendue et les mêmes effets que ceux qu'ils auraient eus si la présente loi n'avait pas été votée » ; que les sociétés Culture Press et Emi Music France en déduisent que les producteurs d'origine des enregistrements en cause, titulaires des droits d'exploitation, selon le Copyright Act de 1911, les ont ainsi régulièrement cédés et/ ou licenciés à la société Culture Press ; mais qu'il peut difficilement être déduit de la généraIité des termes de l'article 19 du Copyright Act de 1911- selon la traduction produite-, que le propriétaire des bandes mères fût, du fait même de leur détention à l'époque où elles furent réalisées, titulaire de tous droits nés ou à naître et plus spécialement des droits voisins, sans avoir à justifier de l'accord des artistes ; qu'en l'espèce, plusieurs des intimés revendiquent d'ailleurs la qualité de co-producteurs de certains enregistrements, qualité reconnue par les premiers juges qui fait obstacle à la reconnaissance d'une présomption de titularité de tous droits d'exploitation liée à la seule détention originaire des bandes mères ; que la cour est saisie des atteintes qui auraient été portées, à compter de novembre 1996, aux droits des intimés du fait de la fabrication et de la commercialisation en France des enregistrements litigieux ; que les actes incriminés sont donc intervenus postérieurement à l'entrée en vigueur des textes conventionnel-Convention de Rome-et législatif-loi du 3 juillet 1985- dont les appelantes revendiquent le bénéfice ; que la France et la Jamaïque sont signataires de la Convention de Rome qui érige en principe, en son article 4, que chaque Etat accordera le bénéfice du traitement national aux ressortissants des autres Etats signataires ; que, si les dispositions nouvelles n'ont en effet pas vocation à rétroagir comme le prévoit l'article 20. 2 de la Convention de Rome, en revanche, elles ont vocation à régir l'appréciation des atteintes éventuellement portées aux droits des artistes-interprètes en raison d'actes de reproduction et de commercialisation commis, comme en l'espèce, postérieurement à l'entrée en vigueur de celle-ci ; qu'il suit que les intimés sont bien fondés à solliciter le bénéfice de la protection de la loi française du 3 juillet 1985 qui énonce que la reproduction et la communication au public de l'enregistrement de la prestation de l'artiste-interprète sont soumises à l'autorisation écrite de ce dernier (article L. 212-3 du code de la propriété intellectuelle) ; que la société Culture Press ne peut donc se limiter à alléguer qu'elle viendrait aux droits du propriétaire initial des bandes mères pour prétendre être investie du droit d'exploiter les enregistrements incriminés ; qu'en fabriquant et en commercialisant en France, après le 22 novembre 1996, des CD, sans avoir recueilli, comme précisé ci-après, l'accord des intimés, elle a porté atteinte aux droits voisins dont ceux-ci sont respectivement investis ;

1°/ ALORS QUE l'article 19 du Copyright Act de 1911 dispose que « la personne qui est propriétaire des bandes mères à la date où elles ont été réalisées sera considérée comme étant le titulaire des droits » ; qu'en affirmant qu'il ne pouvait être déduit de la généralité des termes de ce texte que le propriétaire des bandes mères était initialement investi de l'ensemble des droits voisins du droit d'auteur sur les enregistrements dont elles constituaient le support, la cour d'appel a dénaturé le droit étranger applicable, violant l'article 3 du code civil, ensemble le texte précité ;

2°/ ALORS QU'en retenant en outre, pour contester que les propriétaires des bandes mères aient pu être investis à titre originaire de l'ensemble des droits voisins sur les prestations qui s'y trouvaient fixées, que les artistes-interprètes revendiquaient la qualité de coproducteurs de certains des enregistrements en litige et que cette qualité leur avait été reconnue par les premiers juges, la cour d'appel, qui a statué par un motif inopérant, a de nouveau violé l'article 3 du code civil, ensemble l'article 19 du Copyright Act de 1911 ;

3°/ ALORS QU'en toute hypothèse, il incombe au juge français qui reconnaît applicable un droit étranger d'en rechercher, soit d'office, soit à la demande d'une partie qui l'invoque, la teneur, avec le concours des parties et personnellement s'il y a lieu, et de donner à la question litigieuse une solution conforme au droit positif étranger ; que la cour d'appel, qui a admis que le Copyright Act de 1911 était applicable au litige, a néanmoins retenu, pour l'évincer au profit de l'article L. 212-3 du code de la propriété intellectuelle, que ses dispositions étaient équivoques ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu son office et violé l'article 3 du code civil ;

4°/ ALORS QUE la Convention de Rome du 26 octobre 1961 prévoit, en son article 20, qu'elle ne porte pas atteinte aux droits acquis dans un Etat contractant avant qu'elle n'y entre en vigueur ; qu'il s'en déduit qu'elle n'a pu remettre en cause ni les droits des producteurs d'origine sur les prestations fixées en Jamaïque avant le 27 janvier 1994, ni la validité des chaînes de contrats subséquentes ; qu'en affirmant que les sociétés Culture Press et Emi Music France, qui tenaient leurs droits d'utilisation des producteurs d'origine des prestations litigieuses, enregistrées en Jamaïque entre 1964 et 1985, auraient néanmoins dû solliciter l'autorisation de Jimmy Y..., Dennis A..., F... et Boris C..., en application du principe conventionnel du traitement national, la cour d'appel a violé le texte précité par refus d'application ;

5°/ ALORS QU'en toute hypothèse, les effets des contrats conclus antérieurement à une loi nouvelle dépourvue d'effet rétroactif demeurent régis par les dispositions antérieures, même s'ils continuent à se réaliser postérieurement ; que l'autorisation d'utiliser la prestation d'un artiste-interprète régulièrement obtenue avant l'entrée en vigueur de l'article L. 212-3 du code de la propriété intellectuelle continue à produire ses effets après 1er janvier 1986, sans que la poursuite de l'exploitation soit subordonnée à la délivrance d'une nouvelle autorisation écrite de l'artiste-interprète ; que les sociétés Culture Press et Emi Music France, qui tiennent leurs droits d'utilisation des producteurs d'origine, régulièrement investis, avant le 1er janvier 1986, de l'ensemble des droits de propriété intellectuelle sur les enregistrements litigieux, n'avaient pas à solliciter l'autorisation écrite des artistes-interprètes ; qu'en décidant du contraire, la cour d'appel a violé l'article 2 du code civil, ensemble le texte précité par fausse application et le principe de sécurité juridique qui découle de l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt d'attaqué d'avoir confirmé le jugement entrepris en ce qu'il avait condamné la société Culture Press aux dépens et au paiement de frais irrépétibles au profit de Boris C...et d'avoir condamné la société Culture Press aux dépens d'appel et au paiement de frais irrépétibles au profit du même Boris C...,

AUX MOTIFS, ADOPTES DES PREMIERS JUGES, QU'aucune considération d'équité ne commande de faire application de l'article 700 du code de procédure civile à d'autres parties que les demandeurs ;

ET AUX MOTIFS PROPRES QUE l'équité commande de condamner la société Culture Press à verser à chacun des demandeurs la somme de 1. 500 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel ;

ALORS QUE la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie ; que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; qu'il s'en déduit que la condamnation de la partie qui n'a pas succombé aux dépens et au paiement des frais irrépétibles doit être assortie d'une motivation spéciale ; qu'en condamnant la société Culture Press, au profit de M. C..., aux dépens et frais irrépétibles de première instance et d'appel, sans assortir sa décision d'une motivation spéciale, bien que Boris C...ait été débouté de toutes ses demandes à l'encontre de la société Culture Press, la cour d'appel a violé les articles 696 et 700 du code de procédure civile.