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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5-7, 8 décembre 2015, n° 2012/13997

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

E-Premier (SAS), Evysem (EURL)

Défendeur :

Arkeon Finance (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Michel-Amsellem

Conseillers :

Mme Luc, Mme Faivre

T. com. Paris, 1re ch. A, du 19 juin 201…

19 juin 2012

La société Alternative Post, filiale du groupe de sociétés réunies par la société holding Démeter (le groupe Demeter), était une société privée de distribution postale, créée dans le cadre de l'ouverture à la concurrence du marché des services postaux en France. Elle a souhaité procéder à une augmentation de capital et à cette fin, a, au début de l'année 2009, confié à la société Arkeon Finance, entreprise d'investissement agrée, membre du marché Euronext Paris, un mandat pour réaliser, en sa qualité de prestataire de services d'investissement, le placement privé de titres à émettre auprès d'investisseurs qualifiés.

La société E-Premier, dénommée à l'origine Evysem Entrepreneurs et Capital, fondée le 17 avril 2008, sous la forme d'une société en commandite par actions, a pour objet d'investir dans des PME non cotées et propose d'accueillir les investissements de redevables de l'ISF souhaitant bénéficier de la loi dite TEPA de 2007. Elle avait pour gérant, en 2008 et 2009, la société Evysem, associé commandité.

Le 10 juin 2009, sur la proposition de son gérant, la société E-Premier a souscrit pour 115 017,80 euros, par l'intermédiaire de la société d'Arkeon Finance, à l'augmentation de capital de la société Alternative Post, laquelle était présentée comme devant être introduite très rapidement au second marché. Le 11 juin 2009, la société Evysem a signé avec la société Alternative Post un contrat d'apporteur d'affaires en vertu duquel celle-ci s'engageait à lui payer une rétrocommission de 15 000 euros en contrepartie de l'investissement d'E-Premier dans son capital.

Le 25 juin 2009, le tribunal de commerce de Villefranche-Tarare a prononcé la mise en redressement judiciaire de la société Mailing Process, autre filiale du groupe Demeter. Puis, le 25 novembre 2009, le tribunal de commerce de Lyon a prononcé la liquidation judiciaire de la société Alternative Post.

Estimant que la société Arkeon Finance avait gravement manqué à ses obligations professionnelles à l'occasion de l'augmentation de capital d'Alternative Post, la société E-Premier l'a fait assigner devant le tribunal de commerce de Paris, par acte du 7 décembre 2010.

Le 18 mars 2011, la société Arkeon a fait assigner en intervention forcée la société Evysem, en sa qualité de gérante de la société E-Premier, aux fins de la garantir contre toute condamnation qui serait prononcée à son encontre. Les deux instances ont été jointes.

Par jugement du 19 juin 2012, le tribunal de commerce de Paris a débouté les sociétés E-Premier et Evysem ainsi que la société Arkeon Finance de l'intégralité de leurs demandes respectives, au motif que chacune des parties étaient responsables de légèretés blâmables compte tenu de leur qualité de professionnels.

SUR CE

Vu l'appel interjeté le 23 juillet 2012, par les sociétés E-Premier et Evysem contre ce jugement ;

Vu les dernières conclusions récapitulatives signifiées par le RPVA, le 16 septembre 2015, par lesquelles la société E-Premier demande à la cour de :

- Confirmer le jugement déféré en ce qu'il a jugé que la société Arkeon Finance a commis des fautes à l'égard de la société E-Premier et en ce qu'il a rejeté les demandes de la société Arkeon Finance contre la société E-Premier ;

En conséquence,

Dire et juger que la société Arkeon Finance a méconnu :

- La réglementation relative à l'offre au public de titres financiers, en procédant à une offre illicite au public des actions de la société Alternative Post sans la soumettre au visa de l'Autorité des Marchés Financiers, et à du démarchage interdit ;

- La réglementation et le code des bonnes pratiques attachés à son statut de prestataire de services d'investissement en diffusant des informations inexactes, incomplètes et trompeuses sur la société Alternative Post, en liquidation judiciaire ;

- Infirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté la société E-Premier de sa demande en réparation du préjudice subi ;

Statuant à nouveau,

- Dire et juger que ces manquements ont causé à la société E-Premier un préjudice financier qu'il appartient à la société Arkeon Finance de réparer intégralement,

- Condamner la société Arkeon Finance à payer à la société E-Premier la somme de 115.018 euros à titre de dommages-intérêts, avec intérêts de droit à compter de l'assignation du 7 décembre 2010 et leur capitalisation en application de l'article 1154 du code civil ;

- Condamner la société Arkeon Finance à rembourser à la société E-Premier le coût de la publication du dispositif de la décision à intervenir, in texto ou par extraits, dans trois publications de son choix, à concurrence d'une somme totale de 15.000 euros HT et ce, à titre de réparation complémentaire du préjudice subi ;

En tout état de cause :

- Débouter la société Arkeon Finance de l'ensemble de ses demandes, fins, moyens et appel incident ;

- Condamner la société Arkeon Finance à payer à la société E-Premier la somme de 20.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la société Arkeon Finance aux entiers dépens de première instance et d'appel, ces derniers étant recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

La société E. Premier oppose à la fin de non-recevoir soulevée par la société Arkeon Finance, que la réduction de son capital n'a pas opéré de transfert sur ses actionnaires de la perte subie par elle au titre de son investissement dans la société Alternative Post, mais seulement qu'elle a constaté les effets de cette perte sur le niveau des engagements des actionnaires. Elle soutient qu'ayant perdu son investissement dans la société Alternative Post, elle avait bien un intérêt personnel, actuel et certain à la date de son assignation et était recevable à agir contre l'intimée.

Concernant les fautes qu'elle impute à la société Arkeon Finance, la société E-Premier fait valoir qu'elle a méconnu les règles applicables en matière d'offre au public de titres financiers en effectuant un démarchage illicite, en manquant à son devoir de vérification de la qualité d'investisseur qualifié des personnes physiques ayant souscrit à l'augmentation de capital d'Alternative Post et en manquant à son devoir de vérification de la situation personnelle et du profil risques des clients. Elle soutient, par ailleurs, que la société Arkeon Finance a méconnu les règles applicables aux prestataires de services d'investissement en manquant à son devoir d'information concernant les difficultés financière avérées de la société Mailing Process et concernant la liquidation judiciaire de la société Cylcom, mais aussi en donnant une information trompeuse de l'inscription d'Alternative Post sur le Marché Libre, ainsi que sur ses perspectives économiques, et enfin, en manipulant délibérément les données pour travestir l'importance des besoins financiers réels de la société.

Concernant son préjudice, la société E-Premier soutient que son investissement dans la société Alternative Post résulte directement et uniquement des informations et recommandations qu'a délivrées la société Arkeon Finance. Elle indique que sans ces informations erronées elle n'aurait pas investi dans le capital d'Alternative Post mais dans l'une des autres sociétés qui ont été sélectionnées, puis retenues, par son comité d'investissement, de sorte que les manquements de la société Arkeon Finance aux obligations professionnelles qui lui incombaient sont à l'origine de son investissement et sont donc la cause de son préjudice.

Vu les dernières conclusions récapitulatives, signifiées par le RPVA le 14 septembre 2015, par lesquelles la société Arkeon Finance demande à la cour de':

- Déclarer les sociétés E-Premier et Evysem mal fondées en leur appel et les en débouter.

- Déclarer la société Arkeon Finance recevable et bien fondée en son appel incident.

- Constater :

- que la société E-Premier ne justifie d'aucun intérêt légitime au succès d'une prétention ;

- que la société E-Premier a délibérément tenté d'abuser la juridiction sur le cadre juridique du litige ou, à tout le moins, a agi sur le fondement d'une série impressionnante de dispositions légales et réglementaires inapplicables à la cause ;

- que la société Arkeon Finance n'a commis aucun manquement ;

- qu'il n'existe aucun lien de causalité entre les manquements et le préjudice allégués par la société E-Premier ;

- que la société E-Premier ne justifie, ni ne fonde juridiquement l'existence d'un préjudice et, en tout état de cause, qu'elle n'en établit pas le quantum ;

- que la société Evysem a commis, outre un fait délictuel, une faute d'une exceptionnelle gravité, incompatible avec l'exercice normal de son mandat de gérant et de ses obligations légales et professionnelles ;

- que l'action de la société E-Premier et la défense de la société Evysem sont abusives ;

En conséquence, infirmant partiellement le jugement dont appel :

- Déclarer la société E-Premier irrecevable en son action et la débouter de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- Débouter la société Evysem de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- Condamner in solidum les sociétés E-Premier et Evysem à payer à la société Arkeon Finance la somme de 15 000 euros chacune à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive au visa de l'article 32-1 du code de procédure civile ;

- Condamner les sociétés E-Premier et Evysem à payer respectivement à la société Arkeon Finance les sommes de 20 000 euros et de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner solidairement les sociétés E-Premier et Evysem aux entiers dépens de première instance et d'appel, ces derniers étant recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

Subsidiairement :

- Condamner la société Evysem à garantir la société Arkeon Finance de l'intégralité des condamnations prononcées à son encontre, en capital, intérêts et frais ;

- Condamner la société Evysem à payer à la société Arkeon Finance la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour défense abusive au visa de l'article 32-1 du code de procédure civile ;

- Condamner la société Evysem à payer à la société Arkeon Finance la somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la société Evysem aux entiers dépens de première instance et d'appel, ces derniers étant recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.'»

La société Arkeon Finance soutient que la société E-Premier est irrecevable en son action, au motif qu'au jour de l'introduction de l'instance elle ne justifiait d'aucun intérêt légitime, l'intégralité de la perte de son investissement dans Alternative Post ayant été transférée aux actionnaires de la société le 28 septembre 2010, à la suite à la décision de l'assemblée générale mixte de réduire le capital social par absorption des pertes. À titre subsidiaire, elle soutient qu'en l'absence de préjudice démontré par la société E. Premier, les conditions de l'engagement de la responsabilité d'Arkeon Finance ne sont pas satisfaites.

La société Arkeon Finance soutient encore que sa demande de garantie formée contre la société Evysem est recevable car son intérêt à agir résulte des agissements et des manœuvres d'Evysem qui lui ont causé un tort certain et constituent la cause unique de l'action dirigée par E-Premier à son encontre.

L'intimée fait aussi valoir qu'elle n'a commis aucune faute. Elle affirme, à ce sujet qu'elle s'est conformée aux règles applicables en matière de placement privé réservé à des investisseurs qualifiés, l'augmentation de capital d'Alternative Post échappant au régime de l'offre au public de titres financiers à raison du montant total de l'offre et de la qualité des souscripteurs à l'opération en cause. Elle ajoute que les fautes d'E-Premier et d'Evysem sont la cause unique du préjudice allégué. Notamment, elle affirme qu'en négligeant une part essentielle de ses diligences et en se soustrayant à ses obligations, Evysem a causé la décision non éclairée d'investir dans Alternative Post.

La société Arkeon Finance soutient que le dommage allégué par E-Premier a été causé par ses propres fautes et celles de son gérant Evysem et qu'en tout état de cause, l'existence d'un préjudice n'est pas justifiée. Elle estime que les sociétés Evysem et E-Premier sont irrecevables à invoquer sa responsabilité contractuelle et que s'agissant de sa responsabilité délictuelle, les appelantes ne démontrent pas l'existence d'un préjudice, ni celle d'un lien de causalité entre les manquements reprochés et le dommage allégué.

Elle fait enfin valoir que la demande de la société E-Premier et la défense de la société Evysem ont un caractère abusif .

Vu les dernières conclusions récapitulatives notifiées par le RPVA, le 14 septembre 2015, par la société Evysem qui demande à la cour :

- D'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a jugé que la société Evysem a commis des fautes en sa qualité de gérant de la société E. Premier ;

Statuant à nouveau,

- de constater que la société Evysem n'a toujours eu qu'un rôle de simple gérant de la société E. Premier et d'associé en commandite à l'exclusion de tout autre ;

- de constater que l'AMF a validé le fonctionnement et la gouvernance de la société E. Premier en attribuant à cette dernière le 14 avril 2009 son visa n°09.090 pour une offre au public de titres financiers ;

- de dire et juger que la société Evysem ne doit aucune garantie quelle qu'elle soit, légale ou conventionnelle, à la société Arkéon Finance ;

- de dire et juger que l'action en garantie comme les demandes de la société Arkéon Finance à l'encontre de la société Evysem sont irrecevables ;

- Subsidiairement, de dire et juger que la société Evysem n'a commis aucune faute dans le cadre de l'investissement réalisé en juin 2009 par la société E. Premier , dans le capital de la société Alternative Post ;

- de dire et juger que l'article L. 223-22 du code de commerce ne saurait être appliqué à l'égard de la société Evysem ;

- de dire et juger en tout état de cause que la société Arkéon Finance ne justifie d'aucun préjudice ;

- Condamner la société Arkéon Finance à verser à la société Evysem la somme de 15 000 euros de dommages-intérêts pour procédure abusive ;

- débouter la société Arkéon Finance de l'ensemble de ses demandes, fins, moyens et appel incident ;

- Condamner la société Arkéon Finance à payer à la société Evysem la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

La société Evysem soutient que l'action de la société Arkéon Finance à son encontre est irrecevable, puisqu'elle n'a communiqué aucun document dont il résulterait qu'elle se serait engagée à la garantir. Elle ajoute qu'aucune garantie légale ne peut lui être opposée.

Sur le fond, la société Evysem oppose que la société Arkéon Finance ne démontre aucune faute de sa part qui serait détachable de ses fonctions de gérante. Elle ajoute que les fautes qui lui sont imputées par la société Arkéon Finance sont dépourvues de fondement. Elle fait voir à ce sujet que les actionnaires de la société E-Premier étaient parfaitement informés du contrat d'apporteur d'affaire conclu avec la société Alternative Post, qui n'avait en outre rien d'illicite. Elle ajoute qu'elle a effectué toutes les diligences prévues par le processus d'investissement décrit dans le prospectus visé par l'AMF qui ne prévoyait pas la rédaction d'une analyse financière des sociétés cibles et elle précise qu'elle a en revanche effectué cette étude après la décision de participation de la société E-Premier à l'augmentation de capital du 15 juin 2009, afin d'informer ses actionnaires sur les investissements réalisés.

La société Evysem soutient enfin que l'appel en garantie de la société Arkéon Finance à son égard est abusive car elle a échafaudé une argumentation purement artificielle ne reposant sur aucun fondement juridique.

LA COUR

Sur les fins de non recevoir

Sur l'irrecevabilité de l'action de la société E-Premier contre la société Arkéon

La société Arkéon Finance oppose que la perte constatée par la société E-Premier, du fait de son investissement dans la société Alternative Post, a été transférée à ses actionnaires. Elle explique que la société E-Premier a par une délibération de son assemblée générale mixte tenue le 28 septembre 2010, décidé de réduire son capital par absorption de ses pertes qui incluaient celle résultant de l'investissement en cause.

Cependant, ainsi qu'il sera précisé dans les développements ultérieurs, le préjudice invoqué par la société E-Premier n'est pas la perte des fonds qu'elle a investis, mais la perte de chance d'utiliser ceux-ci à d'autres placements que celui en cause. En conséquence, la réduction de capital par absorption des pertes invoquée n'a pas eu pour effet de transférer le préjudice subi aux actionnaires de la société E-Premier, laquelle demeure recevable à agir en réparation du dommage qu'a pu lui causer la société Arkéon Finance à l'occasion de sa participation à l'augmentation de capital dans la société Alternative Post.

Il s'en déduit que, par ce motif substitué à celui du tribunal, le jugement doit être confirmé en ce qu'il a déclaré recevable l'action de la société E-Premier contre la société Arkéon Finance.

Sur l'irrecevabilité de l'action en garantie de la société Arkéon contre la société Evysem

La société Evysem soutient que la société Arkéon Finance qui l'a attraite en garantie à la procédure ne serait pas recevable à défaut de produire un acte par lequel elle lui aurait concédé une garantie.

Toutefois, l'action en garantie formée par une partie poursuivie dans le cadre d'une action en responsabilité n'est pas soumise à l'existence d'une convention de garantie. Il résulte des pièces du dossier que la société Evysem est, en sa qualité de gérante, intervenue dans la procédure qui a abouti à la souscription de la société E-Premier à l'augmentation de capital de la société Alternative Post, ce dont elle se prévaut, notamment, dans le cadre du contrat d'apporteur d'affaire conclu avec cette dernière. En conséquence, l'appel en garantie formé par la société Arkéon Finance à l'encontre la société Evysem est parfaitement recevable.

Le jugement sera donc confirmé sur ce point.

Sur le fond

Sur les diverses fautes reprochées à la société Arkéon Finance

Il n'est pas contesté que l'offre au public des titres de la société Alternative Post, réservée à des investisseurs qualifiés ou à un cercle restreint d'investisseurs, pouvait en tant que telle être effectuée sans le visa de l'AMF par l'application combinée des articles L. 227-2 du code de commerce et L. 411-2 II du code monétaire et financier.

Démarchage illicite

Relevant différents éléments démontrant, selon elle, que la société Arkéon Finance aurait procédé à des actes de démarchage, afin de proposer les titres de la société Alternative Post, la société E. Premier soutient qu'elle aurait dû, dans ces conditions, solliciter un visa de l'AMF pour réaliser l'augmentation de capital et que si elle avait demandé ce visa elle n'aurait pas pu commettre les manipulations comptables auxquelles elle s'est livrée.

La combinaison des articles L. 227-2 du code de commerce et L. 411-2 II du code monétaire et financier autorise l'offre au public d'actions d'une société par actions simplifiée dès lors que cette offre est réservée à des investisseurs qualifiés ou à un cercle restreint d'investisseurs, sous réserve que ceux-ci agissent pour leur propre compte, ce dont il se déduit que le démarchage de particuliers pour leur offrir d'acquérir des actions d'une société par actions simplifiée est interdit.

Cependant, la société E-Premier n'est pas fondée à prétendre que la société Arkéon Finance aurait commis une faute en la démarchant, dans la mesure où elle était, à l'époque des faits reprochés, un investisseur qualifié, au sens de la définition qu'en donnait l'article D. 411-1, 3° et 12°, du code monétaire et financier, dans sa version alors applicable.

En effet, le prospectus établi par elle à l'occasion d'une OPA au mois d'avril 2009 et visé par l'AMF indique qu'elle est une société d'investissement et précise son objet comme étant «(...) La prise de participation dans toutes sociétés cotées ou non cotées dans tous les secteurs, la gestion de ces participations, la réalisation de toutes opérations sur les titres de participation qu'elle aura constitué, le placement de ses liquidités la réalisation de prestations de conseils pour le compte de tiers». Dans ce même document, elle énonce dans le développement consacré aux raisons de l'offre et l'utilisation du produit, que « (...) l'opération est destinée à permettre à la société de disposer des fonds nécessaires à l'exercice de son activité de capital risque et de capital développement ».

De plus, elle se définissait elle-même dans une plaquette de présentation produite par la société Arkéon Finance (pce. 69), ainsi que dans une lettre adressée aux services fiscaux en 2008 (pce EP 5), comme étant une société de capital-risque, sans qu'importe sur ce point le fait qu'elle n'ait pas souhaité en avoir le statut fiscal.

Les autres actes de démarchage du public concernant les titres de la société Alternative Post, invoqués par la société E-Premier, ne sont démontrés ni par la lettre adressée à la seule société Evysem le 5 août 2009, ni par les pages de présentation produites par la société E-Premier, ni par le courrier électronique adressé dans le cadre d'une circulation interne à la société Arkéon Finance, ni par l'article publié sur un blog dont la société Alternative Post est l'auteur et qui ne peut être imputé à la société Arkéon Finance.

Aucune faute n'est en conséquence établie sur ce point

Défaut de vérification de la qualité d'investisseur qualifié des personnes physiques ayant souscrit à l'augmentation de capital de la société Alternative Post

La société E-Premier reproche à la société Arkéon Finance de ne pas avoir vérifié la qualité d'investisseurs qualifiés des personnes physiques ayant souscrit à l'augmentation de capital de la société Alternative Post.

Elle indique sur ce point que si l'offre au public de titres financiers n'est pas réalisée auprès d'investisseurs qualifiés, elle ne se situe alors pas dans un régime dérogatoire, et aurait dû faire l'objet d'un visa de l'AMF. Elle en conclut que la société Arkéon Finance n'ayant pas vérifié la qualité d'investisseurs privés des souscripteurs, l'offre des titres de la société Alternative Post était devenue, dans ces conditions, illicite.

Il résulte des pièces produites par la société Arkéon Finance que sur les 75 personnes physiques et morales qui ont souscrit à l'augmentation de capital, 31 opérations ont été réalisées par l'intermédiaire de banques ou de sociétés de gestion, lesquelles avaient la qualité d'investisseurs qualifiés. À ces 31 personnes doivent être ajoutées les souscriptions de la société Evysem, de la société Patrival, investisseur qualifié de droit en sa qualité de société de gestion, comme en justifie la société Arkéon Finance (Pce 57).

S'agissant des autres souscripteurs, il n'est pas anormal que la société Arkéon Finance n'ait produit que 46 bulletins de souscription et non 75, puisque 31 souscriptions ont été réalisées pour le compte de personnes sous mandat de gestion par l'intermédiaire du gestionnaire de leur portefeuille, dont 27 par un ordre groupé émanant de la Société Générale, ce dont la société Arkéon Finance justifie par un relevé dont la force probante n'est pas contestée.

Par ailleurs, le seul bulletin rempli qui ne comporte pas de mentions selon laquelle l'offre est réservée aux investisseurs qualifiés concerne une personne dont il est justifié qu'elle est bien inscrite en tant que telle sur le fichier de l'AMF (pce A. 58).

S'agissant des bulletins précisant la réservation de l'offre aux investisseurs qualifiés, mais ne comportant pas de déclaration des investisseurs attestant avoir cette qualité, l'intimée produit pour chacun d'entre eux, soit une attestation de leur inscrition au fichier des investisseurs qualifiés (pce. A. 58), soit une demande d'inscription à ce fichier par laquelle le souscripteur déclare sur l'honneur satisfaire à au moins deux critères posés par l'article D. 411-1 du code monétaire et financier ou encore, pour deux d'entre eux, l'attestation d'avoir fait les démarches nécessaires à cette inscription. Le fait que certains souscripteurs n'aient pas transmis à la société Arkéon Finance le certificat d'inscription au fichier des investisseurs qualifiés de l'AMF, une fois cette formalité réalisée, ne peut en l'espèce être retenu comme une faute de sa part dans la réalisation de l'opération, puisqu'il n'est pas contesté que ces inscriptions sont rétroactives. Enfin toutes ces personnes ont rempli une fiche de 'connaissance client' par laquelle elles ont reconnu avoir reçu les informations nécessaires sur les investissements en cause, notamment, sur leurs risques et ont indiqué que ceux-ci étaient en adéquation avec leur expérience et leur objectif.

En outre, il ne peut être déduit d'une phrase tronquée de ses conclusions déposées devant les premiers juges dans le cadre de l'incident de communication de pièces que la société Arkéon Finance aurait reconnu qu'il était sans intérêt de s'interroger sur la qualité des investisseurs, alors que replacée dans son contexte et retranscrite dans sa totalité, la phrase en cause n'a pas la signification que lui prête la société E-Premier.

Il se déduit de l'ensemble de ces éléments qu'il n'est pas démontré que la société Arkéon Finance aurait commis une faute en ne vérifiant pas la qualité d'investisseurs qualifiés des personnes ayant souscrit à l'augmentation de capital de la société Alternative Post.

Défaut de vérification de la situation personnelle et du profil de risque des clients

C'est de façon inopérante que la société E-Premier soutient que la société Arkéon Finance n'aurait pas respecté l'obligation que lui font les dispositions de l'article L. 533-13 II du code monétaire et financier de vérifier la situation personnelle et du profil de risque des clients. En effet, cette carence à la supposer constituée, n'est liée par aucune relation de causalité au préjudice qu'elle invoque d'une perte de chance liée à l'investissement en pure perte dans la société Alternative Post du fait de sa situation financière obérée ayant conduit à sa liquidation. À ce sujet, la cour relève que la société appelante n'invoque aucun dommage personnel qui lui aurait été causé par l'abstention d'évaluation que la société Arkéon Finance aurait commise à son sujet.

Manquements relatifs à l'information de la situation financière de la société Alternative Post

- Les règles applicables

Le mandat d'inscription sur le marché libre sans appel public à l'épargne, conclu entre la société Alternative Post et la société Arkéon Finance, précise que celle-ci accomplira sa mission, notamment, en mettant en œuvre les diligences recommandées par le code professionnel FBF/AFEI jointes en annexe I du contrat, laquelle ne comporte, comme le soutient la société Arkéon Finance, que la liste des diligences et non l'ensemble des règles énoncées en préambule de ce code professionnel.

Dans la présentation de l'offre 'IR et ISF 2010", transmise par la société Arkéon Finance à la société E-Premier le 5 août 2009, il est précisé que pour la sélection des sociétés présentées, la société Arkéon Finance a mis en œuvre les diligences professionnelles prévues en matière d'introduction en bourse.

Dès lors la société Arkéon Finance n'est pas fondée à soutenir qu'elle n'avait pas à se conformer, dans le cadre de ses relations avec la société E-Premier, aux règles juridiques énoncées par le code professionnel FBF-AFEI, au motif qu'elle ne s'est engagée à respecter que la liste des diligences et non l'ensemble des règles énoncées en préambule de ce code professionnel, qui ne s'appliquaient pas à l'opération en cause. En effet, la liste des diligences ne saurait être dissociée des règles professionnelles qui précèdent leur énoncé et en donnent le sens ainsi que la portée.

Par ailleurs, si l'article 9 de ces règles générales précise que le prestataire de services d'investissement n'a pas à vérifier la véracité et la sincérité des informations écrites et orales fournies par la société cible, ni porter de jugement quant à la probabilité de réalisation des prévisions de bénéfices, ou tout objectif, tendance, ou données prospectives de tous ordres, il n'en demeure pas moins qu'il doit mener ses diligences avec le soin requis d'un professionnel des activités de services d'investissement (Art. 5). Il doit à ce titre, vérifier sur pièces les informations transmises par son mandant (Art. 6) ainsi qu'il n'existe pas d'incohérences entre les éléments de l'information dont il a connaissance. Toute divergence relevée dans le cadre du contrôle de cohérence devant être signalée au mandant afin que le prestataire de services puisse les clarifier (Art. 8).

Enfin, il résulte, notamment, des courriers électroniques échangés par MM. P. et M. entre le 11 et le 31 mars 2009 (Pièce EP n° 11, 12 et 13) que l'investissement dans la société Alternative Post a été présenté par la société Arkéon Finance à la société E-Premier, par l'intermédiaire de son gérant la société Evysem. Dans ces conditions, la société Arkéon Finance était tenue envers la société E-Premier de respecter les obligations de bonne conduite prévues par le code monétaire et financier, ainsi que par le RG AMF.

- Les manquements invoqués relatifs à l'analyse financière

La société Arkéon Finance soutient avoir accompli toutes les diligences requises d'elle dans le cadre de l'analyse de la situation de la société Alternative Post et de sa valorisation. Elle fait valoir que les appelantes ne contestent pas la pertinence et l'enchaînement des diligences accomplies et qu'elles ne prétendent pas qu'elle aurait dû en faire davantage, mais qu'elles se contentent de déduire d'événements postérieurs à l'investissement que l'intimée aurait nécessairement dû savoir que ceux-ci devaient se produire.

C'est toutefois de manière infondée qu'elle soutient que le travail de valorisation qu'elle a accompli ne peut être qualifié d'analyse financière dans la mesure où elle a indiqué avoir procédé à une telle analyse dans plusieurs documents diffusés aux investisseurs, en particulier le document intitulé « Introduction sur le marché libre associée à une augmentation de capital ISF- Une stratégie » et la note sur les modalités de l'opération. Il importe peu à ce sujet que l'opération en cause n'ait pas été un appel public à l'épargne et que les animateurs de la société Evysem aient connu cette réserve. En effet, si l'analyse financière est obligatoire avant un appel public à l'épargne, cela n'empêche en rien qu'une telle analyse soit réalisée au sujet d'une société lançant une offre à des investisseurs qualifiés.

La société Arkéon Finance fait valoir qu'elle a accompli le travail d'analyse que requérait sa mission, c'est-à-dire d'organiser le montage de l'opération et préparer l'information requise en vue de l'inscription sur le marché libre. Cependant, la seule évocation des pièces demandées à la société Alternative Post ou de réunions téléphoniques hebdomadaires ne rapporte aucune preuve de l'analyse qu'elle aurait effectuée de la cohérence des informations données et de leur concordance avec les informations qu'elle a ensuite délivrées aux investisseurs qualifiés, ce dont elle s'est pourtant prévalue en indiquant, dans les documents diffusés, qu'elle avait procédé à une analyse financière.

La société Arkéon Finance conteste ensuite que puisse lui être reproché de ne pas avoir informé la société E-Premier de la situation financière obérée de la société Mailing Process, société s'ur de la société Alternative Post au sein du groupe de sociétés Demeter, mise en redressement judiciaire le 25 juin 2009 et de la mise en liquidation judiciaire de la société Cylcom quelques mois avant l'augmentation de capital.

Il peut être admis que la mise en liquidation judiciaire de la société Cylcom, société s'ur de la société Alternative Post, qui est intervenue en novembre 2008, soit avant que ne débute la mission de la société Arkéon Finance auprès de sa mandante et alors qu'il n'est pas démontré d'interactions entre les sociétés Cylcom et Alternative Post, n'ait pas été mentionnée dans la documentation délivrée aux investisseurs. En revanche, l'absence d'analyse relative à la société Mailing process et d'information de ceux-ci au sujet de la situation dans laquelle elle se trouvait, constitue une faute de la part de ce prestataire de services d'investissement.

En effet, il résulte des documents de présentation de la société Alternative Post que son activité et ses perspectives étaient, au moins en partie, liées à l'activité de la société Mailing Process, spécialiste du routage qui, ainsi qu'il est précisé dans le dossier de présentation de la société Alternative Post, apportait à celle-ci un « marché captif », qui permettait «(...) d'exploiter les capacités d'Alternative Post et donner à l'avenir de cette société toutes les chances de réussite (...)». De plus, le président de la société Mailing Process, qui était aussi président de la société Alternative Post, a démissionné de cette fonction en expliquant par une lettre du 22 juillet 2009 que la mise en redressement judiciaire de la société Mailing Process avait des répercussions sur l'image de la société Alternative Post, ainsi que sur ses relations avec ses partenaires financiers. Les termes de cette lettre montrent ainsi les liens d'affaires entre les deux sociétés, mais aussi leur identification commune par les partenaires financiers. Cette proximité des deux sociétés, ainsi que le fait qu'elles aient eu le même dirigeant en la personne de M. C., lequel a assisté à plusieurs conférences téléphoniques hebdomadaires de travail de préparation de l'augmentation de capital avec la société Arkéon Finance (Cf. notamment les comptes rendus des 5, 20 et 27 mars 2009 - Pièces sté. AF n° 8), rend peu crédible l'affirmation de la société Arkéon Finance selon laquelle, elle ignorait les difficultés financières de la société Mailing Process. En tout état de cause et même si cette situation lui a été dissimulée, elle aurait dû, en raison de l'interaction entre les sociétés Mailing Process et Alternative Post, examiner, dans le cadre de l'analyse financière qu'elle indiquait avoir réalisée, la situation de la société Mailing Process qui était susceptible d'affecter la situation économique de la société Alternative Post.

Il n'est à ce sujet, et contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, pas démontré qu'il ait existé des liens d'amitié et de confiance entre M. C., précité, et M. M. dirigeant de la société Evysem. Le fait qu'ils aient fréquenté le même lycée à l'étranger et qu'ils aient été ensemble présents à une manifestation d'anciens élèves de cet établissement étant insuffisant à rapporter la preuve d'une telle relation que M. M., ainsi que son épouse, contestent et qui ne ressort pas des échanges par courriers électronique entre eux et qui n'est étayée par aucun autre élément du dossier.

Sur ce dernier point, la cour relève qu'il n'est pas démontré qu'une rencontre ait eu lieu entre MM. M. et C. en 2008 et le fait qu'ils se soient parlé dans le cadre du projet de la société E-Premier de participer à l'augmentation de capital de la société Alternative Post, ou les échanges qu'ils ont eu à ce sujet, ne témoignent en rien d'une relation d'amitié ou d'une « confiance sans borne » telle qu'invoquée par la société Arkéon Finance.

La société Arkéon Finance oppose encore que la situation financière fragile de la société Alternative Post n'a pas été dissimulée aux investisseurs et elle invoque pour le démontrer une mention de l'annexe de ses comptes 2008, remis le 28 avril 2009 à la société E-Premier, selon laquelle il était précisé que « Malgré les pertes importantes cumulées sur les 2 derniers exercices et les difficultés de trésorerie persistantes, le principe comptable de continuité de l'exploitation n'a pas été remis en cause, en raison des mesures prises afin d'assurer un retour à l'équilibre de l'exploitation. Cependant la situation de la société reste fragile et ce principe pourrait s'avérer, sur le prochain exercice, inapproprié ». Elle ajoute que le 30 mars 2009, le commissaire aux comptes certifiait ces comptes sous cette réserve expresse.

S'il n'est pas contesté que ces réserves aient été accessibles aux investisseurs, elles étaient néanmoins atténuées par la présentation de l'analyse financière présentée par la société Arkéon Finance, dans laquelle les postes intermédiaires ont été modifiés et présentés de façon à réduire le montant des besoins de trésorerie ainsi que les créances clients et à augmenter l'actif immobilisé sans augmenter les investissements, mais aussi, en modifiant les flux d'exploitation et en retenant une capacité financière d'autofinancement différente de celle du compte de résultat, validé par le commissaire aux comptes.

À ce sujet, la société Arkéon Finance soutient que sa mandante, la société Alternative Post, a dû affiner, comme il est d'usage, ses hypothèses et ses projections pour parvenir, sous sa seule responsabilité, aux tableaux communiqués aux investisseurs potentiels. Elle ne produit cependant pas d'élément de preuve de ce que ces données trompeuses lui auraient été communiquées par la société Alternative Post et qu'elle se serait bornée à les retranscrire. Le courrier électronique adressé le 13 avril 2012 par l'avocat de sa mandante ou les modifications demandées dans les échanges de courriers électroniques, entre les 6 et 13 avril, n'apportant à ce sujet aucune confirmation de cette allégation. Elle ne saurait, en tout état de cause, s'abriter derrière la seule responsabilité de la société Alternative Post, alors même que le travail de contrôle de cohérence qu'elle indique avoir accompli aurait dû la conduire à constater ces modifications trompeuses pour les investisseurs.

Sur l'information relative à l'inscription de la société Alternative Post sur le marché libre

Lors d'une réunion tenue le 12 juillet 2010, la société Arkéon Finance a informé la société E. Premier que les résultats de la société Alternative Post au deuxième trimestre 2009 ne permettaient pas de transformer cette société en participation en société anonyme, en raison de ce que ses capitaux propres n'étaient pas supérieurs à son capital, cette situation conduisant à retarder l'inscription de la société Alternative Post sur le marché libre puisqu'elle ne pouvait l'être qu'après la transformation de sa nature juridique en application de l'article L. 227-2 du code de commerce.

La société E-Premier observe que le planning des opérations établi en mars 2009 prévoyait la réunion d'une assemblée générale pour réduire le capital afin de l'égaliser aux capitaux propres avant le 7 juin 2009, et qu'aucune assemblée n'a jamais été convoquée avant cette date afin de procéder à cette opération. Elle en déduit que la société Arkéon Finance savait, dès le début du mois de juin, soit avant qu'elle souscrive à l'augmentation de capital que la transformation ne serait pas réalisée et qu'elle l'a ainsi faussement laissée croire que l'augmentation de capital serait suivie d'une inscription sur le marché libre.

Elle expose qu'en ne l'ayant pas informée, avant la souscription, de ce que cette inscription ne pourrait pas se faire, la société Arkéon Finance a gravement méconnu les règles professionnelles qui lui étaient applicables.

Toutefois, si cette analyse des dates et des comportements apporte un indice complémentaire de ce que la société Arkéon Finance connaissait la situation financière fragile de la société Alternative Post, puisque si elle avait effectivement ignoré que la situation financière de sa mandante se heurtait à des difficultés, elle n'aurait pas manqué de l'alerter sur la nécessité de procéder à la modification de son statut qui était prévu par le planning au plus tard le 7 juin 2009, le manquement invoqué par la société E-Premier ne constitue pas une faute propre, isolée des autres manquements détaillés ci dessus envers la société E-Premier. Par ailleurs, celle-ci n'a pas, avant de souscrire à l'augmentation de capital, mentionné ou montré que l'inscription sur le marché libre constituait un élément déterminant de sa décision. La précision apportée dans sa lettre du 27 janvier 2010 selon laquelle cette information était essentielle pour elle car elle aurait rendu le titre liquide et lui aurait permis de céder ses participations à tout moment est sans portée dans la mesure où, en application des conditions de la loi TEPA, elle était contrainte de garder les titres pendant une durée de 5 ans.

Sur la nature contractuelle ou délictuelle de la responsabilité de la société Arkéon Finance

Le fait que la société Arkéon Finance ait perçu des frais de commercialisation des souscripteurs à l'augmentation de capital de la société Alternative Post n'a pas pour conséquence que ce prestataire de services d'investissement soit lié contractuellement à la société E-Premier, dont elle n'a pas perçu de tels frais. Dans la mesure où aucune convention n'a été conclue entre ces parties la responsabilité de la société Arkéon Finance envers la société E-Premier est en conséquence de nature délictuelle.

Sur le lien de causalité

Le préjudice invoqué par la société E-Premier consiste dans la perte de chance d'investir autrement les fonds qu'elle a versés en pure perte pour participer à l'augmentation de capital de la société Alternative Post.

Ce n'est en conséquence pas la mise en liquidation judiciaire de cette dernière qui se trouve à l'origine de son préjudice, mais les carences de la société Arkéon Finance dans la présentation de la société cible, ainsi que les données financières erronées qu'elle a diffusées au sujet de celle-ci, sans lesquelles il est certain que la société E-Premier n'aurait pas souscrit à l'augmentation de capital, puisqu'ainsi qu'il est indiqué dans le prospectus d'offre au public d'actions à émettre, elle s'était engagée à n'investir que dans des sociétés saines.

Il s'en déduit qu'il existe bien un lien de causalité entre les fautes commises par la société Arkéon Finance et le préjudice invoqué par la société E-Premier.

Sur les fautes de la société E-Premier

Par un courrier électronique du 6 mai 2009 (Pce. AF n°25), M. M. dirigeant de la société Evysem, gérant de la société E-Premier, a demandé à M. C., dirigeant de la société Alternative Post, un certain nombre de pièces pour préparer le comité d'investissement auquel devait être présentée l'offre de participation à l'augmentation de capital de cette dernière. Parmi ces pièces figurait le business plan et, à ce titre, le compte de résultat, le bilan, le tableau de flux et le tableau de trésorerie prévisionnels, ainsi que les comptes annuels approuvés (bilans, compte de résultat, annexes, comptes sociaux et consolidés), et, enfin, la présentation aux investisseurs.

En possession de ces éléments, la société E-Premier qui est un investisseur qualifié, dirigé par deux experts de l'analyse financière, aurait, si elle les avait analysés, pu déceler les incohérences entre les comptes sociaux, d'un côté, et les documents prévisionnels ainsi que l'analyse financière de la société Arkéon Finance, de l'autre, qu'elle invoque dans le cadre du litige.

Or ainsi que le fait valoir la société Arkéon Finance, la société E-Premier a indiqué dans son acte introductif d'instance qu'elle « (...) ne disposait pas du temps nécessaire pour mener seule les diligences professionnelles d'usage préalables à la souscription au capital d'une société non cotée ». Par ailleurs, son gérant, la société Evysem, a précisé dans un échange entre les conseils des parties, par une lettre du 13 mai 2011 , ne pas avoir « effectué de démarche particulière sur Alternative Post ». Cette carence, alors que la société E-Premier est un investisseur qualifié, et a elle même précisé dans son prospectus du 14 avril 2014, établi pour l'offre de ses titres au public, que dans le cadre de son processus d'investissement, elle procède à une analyse approfondie du projet qui se traduit par « (...) des rendez-vous réguliers avec les principaux interlocuteurs de la cible et une analyse du business plan et une étude de valorisation ». Le fait que le projet ait été porté et présenté par un prestataire de services d'investissement ne la dispensait pas d'accomplir les vérifications que la prudence réclamait. Par ailleurs, les études que la société Evysem indique avoir accomplies sur les ratios financiers ne suffisaient pas à garantir la sécurité de la décision à prendre.

Il s'en déduit qu'en ne procédant pas à un examen approfondi des éléments dont elle disposait et qui lui auraient permis de relever les incohérences qu'elle dénonce, la société E-Premier a contribué, tout au moins en partie, à la réalisation de son préjudice. En revanche, l'échec relatif de l'offre au public d'actions à émettre n'est, contrairement à ce que soutient la société Arkéon Finance, en rien intervenu dans la réalisation de son préjudice.

Compte tenu de la gravité des fautes commises, d'un côté, par la société Arkéon Finance, consistant dans la dissimulation de l'élément substantiel de la situation financière précaire de la société Mailing Process, mais aussi des modifications apportées aux données de l'analyse financière, de l'autre, par la société E-Premier qui consiste dans une faute de négligence, la participation de celle-ci à la réalisation de son propre dommage, sera évaluée à la proportion d'un tiers.

Le jugement sera en conséquence, réformé sur ces points.

Sur la faute reprochée par la société Arkéon Finance à la société Evysem

La société Arkéon Finance soutient que la société Evysem qui a, de façon occulte, conclu le 11 juin 2009 avec la société Alternative Post un contrat d'apporteur d'affaire, rémunéré par une somme de 15 000 euros, a conduit la société E-Premier à souscrire à l'augmentation de capital dans un intérêt purement personnel et non par le résultat d'une sélection reposant sur des critères objectifs, commis une faute.

Mais le fait qu'elle n'ait pas été informée de ce contrat et de sa rémunération ne les rend pas pour autant occultes et elle n'apporte aucun élément, en dehors de conjectures non étayées, qui démontrerait que la société Evysem a procédé à des manœuvres de chantage auprès de la société Alternative Post.

Le fait que la société n'ait communiqué ce contrat dans le cadre du présent litige, qu'à la suite d'une injonction ne rapporte pas la preuve d'une volonté de dissimulation, ni le fait qu'il n'ait pas été mentionné dans son annexe au bilan et dans son rapport de gestion. Enfin, la conclusion de ce contrat qui n'est en rien illicite, et qui, ainsi que l'attestation du commissaire aux comptes de la société E-Premier permet de le constater, n'a pas été réalisée en fraude des droits des actionnaires de celle-ci, ne conduit pas à considérer que ce serait par intérêt purement personnel que la société Evysem aurait proposé à la société E-Premier d'investir dans la société Alternative Post plutôt que dans une des douze autres cibles que la société Arkéon Finance avait sélectionnées.

Par ailleurs, l'absence d'étude financière accomplie par la société Evysem, préalablement à la décision prise par la société E-Premier d'investir dans la société Arkéon Finance, n'est pas constitutive d'une faute à l'égard de celle-ci qui ne saurait lui reprocher de ne pas avoir accompli un travail qui aurait permis de déceler les fautes qu'elle même avait commises. De plus, ce manquement à le supposer constitué, ne caractériserait pas une faute séparable du gérant comme le prévoit l'article L. 223-22 du code de commerce.

Il s'en déduit qu'aucune faute propre à la société Evysem envers la société Arkéon Finance n'est établie.

Sur le montant du préjudice de la société E-Premier

La société E-Premier invoque au titre de son préjudice la perte d'une chance d'investir la somme de 115 017,80 euros dans un autre placement. Elle indique qu'elle ne pourra jamais récupérer ce capital et que le principe de la réparation intégrale du préjudice commande que lui soit allouée la même somme à titre de réparation.

Cependant, la perte de chance d'investir un capital autrement que de la façon qui a conduit au litige est soumise à plusieurs facteurs aléatoires et ne saurait être de la totalité du montant de la somme investie.

En revanche, le fait que la société E-Premier ait réduit son capital par absorption de ses pertes n'a pas fait disparaître pour elle le dommage résultant de la perte de chance relevée ci-dessus et dont les conséquences l'ont conduite, d'ailleurs, à réduire son capital.

Il n'y a pas lieu de déduire du préjudice de la société E-Premier la somme de 15 000 euros, contrairement à ce que soutient la société Arkéon Finance, puisque cette somme due par la société Alternative Post à la société Evysem en vertu de la rémunération d'un contrat d'apporteur d'affaire ne devait pas lui revenir. Il n'est pas non plus justifié de réduire l'évaluation du préjudice en raison d'une évolution du personnel de la société E-Premier, ni de celle des autres investissements qu'elle a pu faire. Ces deux considérations qui ne présentent aucun lien avec le préjudice invoqué, ni ne témoignent particulièrement d'une prétendue incompétence de la société E-Premier, n'apportent aucun élément devant entrer dans l'appréciation du montant du dommage subi en l'espèce.

En revanche, si la réussite d'un investissement réalisé dans des PME « en phase d'amorçage de démarrage ou d'expansion » (P. 33 du prospectus relatif à l'offre au public d'actions à émettre par la société E-Premier) est soumise à un aléa qui n'est pas négligeable, il convient aussi de prendre en compte dans l'évaluation de la perte de chance en cause que d'après un document publié par la société Arkéon Finance, sa campagne ISF 2009, qui est celle dans le cadre de laquelle est intervenu le litige de l'espèce, a été bénéficiaire de 21,79 % en moyenne arithmétique.

Par ailleurs, la société E-Premier qui invoque la perte de clients à la suite de la mise en liquidation judiciaire de la société Alternative Post n'en rapporte pas de preuve, cet élément ne sera donc pas pris en compte dans l'appréciation de la cour.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, la perte de chance sera fixée à 70 000 euros et compte tenu de la participation à son propre préjudice par la société E. Premier pour un tiers, les dommages-intérêts seront fixés à la somme de 46 666 euros.

Il n'y a pas lieu, compte tenu de la responsabilité partagée des parties dans le cadre du présent litige, de publier l'arrêt.

Sur les demandes relatives à l'abus d'agir en justice

Ni l'action en réparation menée par la société E-Premier, ni celle d'appel en garantie qui s'inscrivent l'une et l'autre dans le cadre d'un litige complexe entre les parties ne sont constitutives d'un abus d'agir.

Contrairement à ce que soutient la société Arkéon Finance, la transformation de la société E. Premier de société en commandite par actions en société par actions simplifiée ne démontre pas que celle-ci aurait voulu « (...) occulter l'existence du prospectus lui fixant des obligations ainsi qu'à son gérant Evysem», ni qu'elle aurait voulu masquer que celle-ci était sa gérante, ni enfin qu'elle aurait d'une quelconque façon voulu tromper les juridictions appelées à trancher leur différend.

Les demandes de la société Arkéon Finance, ainsi que la société Evysem seront en conséquences rejetées.

Sur les frais irrépétibles

Il serait inéquitable de laisser à la charge de la société E-Premier la totalité des frais irrépétibles qu'elle a dû engager pour faire valoir ses droits. Compte tenu toutefois du partage de responsabilité, la somme que la société Arkéon Finance devra supporter au titre de l'article 700 du code de procédure civile sera réduite à la somme de 10 000 euros.

Il serait aussi inéquitable de laisser à la charge de la société Evysem la totalité des frais de procédure qu'elle a dû engager pour se défendre et la société Arkéon Finance sera condamnée à lui verser la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

- Rejette les fins de non recevoir invoquées par les sociétés Arkéon Finance et Evysem

- Infirme le jugement déféré en ce qu'il a rejeté les demandes de la société E-Premier ;

Statuant à nouveau de ce chef,

- Constate que la société E-Premier a engagé sa responsabilité à l'égard de la société E. Premier ;

- Constate que la société E-Premier a toutefois participé dans la mesure d'un tiers à son propre dommage ;

- Condamne la société Arkéon Finance à verser à la société E-Premier la somme de 46 666 euros à titre de dommages-intérêts avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 7 décembre 2010 ;

- Dit que les intérêts seront capitalisés dans les conditions prévues par l'article 1154 du code civil ;

- Rejette la demande de publication de la société E-Premier ;

- Condamne la société Arkéon Finance à verser à la société E-Premier la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamne la société Arkéon Finance à verser à la société Evysem la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Rejette toute demande autre, plus ample ou contraire des parties ;

- Condamne la société Arkéon Finance aux dépens qui seront recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.