CA Rennes, Pôle 6 ch. 12, 30 juin 2020, n° 18/05844
RENNES
Arrêt
Confirmation
EXPOSÉ DU LITIGE
Simone C., née le 20 août 1932, veuve non remariée de René G., est décédée le 1er juin 2015, laissant pour lui succéder M. Jacques G., né le 2 août 1952, son fils unique. Elle avait le 23 septembre 2010, établi un testament olographe au profit de M. Robert L. et de Mme Jocelyne G., leur léguant ' les 3/4 de la disponibilité de [sa] succession'. Cependant ceux-ci ont, le 17 décembre 2015, renoncé à la succession tout en conservant le bénéfice des contrats d'assurance-vie souscrits par Mme C. à leur profit.
Mme Jocelyne G. épouse L. était titulaire d'une procuration générale sur le compte courant et le livret A de Simone C. veuve G. détenus à la Caisse d'Epargne de Bretagne-Pays de la Loire et ce, depuis le 12 octobre 2010.
Le 31 octobre 2016, M. Jacques G. a fait assigner Mme Jocelyne G. épouse L. aux fins de la voir condamner à lui régler la somme de 23.700 euros au titre des retraits opérés sur le compte de sa mère à la Caisse d'Epargne de Bretagne-Pays de la Loire.
Par jugement en date du 19 juin 2018, le tribunal de grande instance de Rennes a :
- rejeté la fin de non-recevoir tirée de la chose jugée soulevée par Mme Jocelyne G. épouse L. ;
- déclaré, en conséquence, recevable l'action engagée par M. Jacques G. à l'encontre de Mme Jocelyne G. épouse L. ;
- condamné Mme Jocelyne G. épouse L. à restituer à la succession de Simone C. veuve G. la somme de 22 200 euros avec intérêts au taux légal à compter du 31 octobre 2016 et capitalisation des intérêts ;
- condamné Mme Jocelyne G. épouse L. à régler à M. Jacques G. la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- rejeté toute demande plus ample ou contraire ;
- condamné Mme Jocelyne G. épouse L. aux dépens.
Mme L. a relevé appel de ce jugement, demandant à la cour de l'infirmer et de :
- déclarer irrecevables les conclusions de M. Jacques G. en application de l'article 961 du code de procédure civile, faute pour lui de justifier de son domicile ;
- débouter M. Jacques G. de toutes ses demandes ;
- subsidiairement, dire qu'elle est bien fondée à opposer la prescription en ce qui concerne le prélèvement du 13 octobre 2011 d'un montant de 1 200 euros ;
- condamner M. Jacques G. à lui payer la somme d'un euro à titre de dommages-intérêts pour son préjudice moral ;
- condamner M. Jacques G. à lui payer la somme de 5 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.
M. Jacques G. a formé un appel incident, demandant à la cour de confirmer le jugement sauf sur le montant des sommes dues par Mme G. et les frais irrépétibles et de :
- condamner Mme Jocelyne G. épouse L. à lui verser la somme de 23 700 euros, avec intérêt légal à compter de l'appropriation des sommes et anatocisme ;
- condamner Mme Jocelyne G. épouse L. à lui verser la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel outre 598 euros également au titre de l'article 700 du code de procédure civile afférents aux frais de recherche.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la Cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées par Mme G. épouse L. le 15 mai 2020 et par M. G. le 12 mai 2020.
L'affaire a été retenue sans débats avec l'accord des avocats dans le cadre des mesures prises en application de l'état d'urgence sanitaire.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Sur le moyen d'irrecevabilité des conclusions de M. G.
Mme L. invoque les dispositions de l'article 961 du code de procédure civile selon lesquelles les conclusions des parties ne sont pas recevables tant que les indications mentionnées à l'alinéa 2 de l'article précédent n'ont pas été fournies. Cependant cette fin de non-recevoir peut être régularisée jusqu'au jour du prononcé de la clôture ou, en l'absence de mise en état, jusqu'à l'ouverture des débats.
Il sera relevé qu'elle ne forme cette prétention que dans ses dernières conclusions datées du 15 mai 2020 alors qu'en application de l'article 910-4 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond.
En toute hypothèse, à la suite des conclusions dans lesquelles elle forme cette prétention, M. G. a communiqué sa nouvelle adresse qui est précisée dans ses dernières écritures, adresse dont l'inexactitude n'est pas établie. La fin de non-recevoir soulevée a dès lors été régularisée.
Sur l'existence d'une transaction
En demandant l'infirmation du jugement, Mme Jocelyne G. reprend devant la cour son moyen selon lequel les demandes de M. Jacques G. sont irrecevables dès lors qu'un accord transactionnel est intervenu entre les parties afin de mettre un terme définitif à leur différend quant à la liquidation de la succession de Simone C..
Mais à juste titre, le tribunal a rappelé que l'objet d'une transaction ne peut être étendu à ce qui n'a pas été expressément envisagé par les parties. Or si les pièces produites établissent l'existence d'un accord portant, d'une part, sur la renonciation de M. Jacques G. à se prévaloir du caractère manifestement exagéré des primes versées sur les contrats d'assurance-vie dont elle était bénéficiaire et, d'autre part et en contrepartie, la renonciation par les époux L. au bénéfice du testament, rien n'établit que l'exécution du mandat confié à Jocelyne G. ait fait partie des termes de cette transaction.
En effet, c'est seulement après l'exécution de la transaction concrétisée par la renonciation des époux L. au bénéfice du testament par déclaration au greffe du 17 décembre 2015 que la Caisse d'épargne a, le 5 avril 2016, communiqué les informations relatives aux conditions des retraits opérés sur le compte de la de cujus et que M. G. a ensuite pris connaissance, par la lettre adressée par Mme G. le 31 août 2016, de l'existence de la procuration dont elle bénéficiait. Rien ne permet dès lors d'affirmer que l'accord conclu en 2015 ait également porté sur la renonciation à exercer l'action en reddition de compte au titre du dit mandat. Le jugement sera en conséquence confirmé de ce chef.
Sur le fond
Mme G. ne conteste pas être l'auteur des retraits recensés dans l'assignation sauf à préciser que pour le retrait de 1 500 euros du 25 avril 2015, elle indique ne pas en conserver le souvenir. Elle explique avoir effectué ces retraits soit à la demande de Mme C. qui peinait à se déplacer, soit en sa présence, celle-ci restant alors en retrait en raison de son handicap. Elle fait valoir que la de cujus avait la pleine possession de ses moyens intellectuels, recevait ses relevés de compte et les vérifiait attentivement.
Mais il incombe au mandataire de justifier de l'utilisation des fonds qu'il a reçus ou prélevés.
En l'occurrence, les explications données par Mme Jocelyne G. ne sont étayées par aucune pièce probante, ni rendues vraisemblables par les circonstances de fait dont il est justifié. Ainsi si elle a reçu une procuration générale sur les comptes de la de cujus à la Caisse d'épargne le 12 octobre 2010, le premier retrait litigieux, d'un montant de 1 200 euros, n'est intervenu qu'un an plus tard le 13 octobre 2011 dans des circonstances inconnues, le délai écoulé entre le mandat et sa première utilisation ne permettant pas d'établir que ce mandat avait été consenti à cette fin.
Les retraits ont ensuite été opérés, pour des montants arrondis et importants, à des dates irrégulières, rien ne permettant de discerner une concordance entre ces retraits et des besoins potentiels de la titulaire du compte. Ainsi si un seul retrait de 1 200 euros a été réalisé en 2011, sept retraits représentant un total de 9 000 euros ont été effectués en 2012, dont sans explications deux le même jour. En 2013, six retraits pour un montant total de 4.500 euros ont été effectués dont cette fois, toujours sans explications, trois retraits de 500 euros le même jour. En 2014, deux retraits de 1 500 euros ont été effectués pour un montant total de 3 000 euros. En 2015, deux retraits de 1 500 euros imputables avec certitude à Mme G. ont été réalisés à une date rapprochée, les 6 et 19 février 2015, soit un total de 3 000 euros. Les dates très variables et irrégulières des retraits, les sommes en jeu et leur fractionnement à deux reprises qui laisse entrevoir une recherche de discrétion et une volonté de ne pas alerter la banque, sont sans lien avec des besoins avérés de Simone C., qui ne détenait pas à son domicile, à son décès, des espèces d'un montant important (le fait qu'elle ait souffert auparavant d'un cambriolage l'en aurait d'ailleurs dissuadé) et qui n'a pas eu l'occasion d'effectuer des paiements significatifs en liquide. Rien n'établit non plus que ces retraits correspondent à des habitudes déjà ancrées chez la de cujus avant qu'elle ne confie la procuration litigieuse à Mme G..
Ainsi contrairement à ce qui est soutenu, il n'est pas vraisemblable que ces retraits aient bénéficié à Simone C. qui payait seule ses dépenses par carte bancaire et chèques tirés de son compte au Crédit agricole et en retirait régulièrement les espèces, d'un montant bien moindre, dont elle avait besoin pour ses dépenses d'entretien. Sachant que Jocelyne G. avait pris en charge la gestion matérielle de ses relevés de comptes, il n'est pas non plus établi que la de cujus ait personnellement vérifié les opérations effectuées sur le compte litigieux et ait implicitement ratifié les retraits y effectués.
Ainsi Mme G., à qui incombe la charge d'établir que les espèces qu'elle a personnellement retirées grâce à l'usage de la procuration qui lui était confiée, ont été utilisées dans l'intérêt de la mandante, échoue à apporter cette preuve, aucun élément de fait ne rendant même seulement plausible ses affirmations. En revanche, la charge de l'imputabilité à la mandataire du dernier retrait, daté du 9 avril 2015, incombe à M. G., cette preuve n'étant pas rapportée par la seule concomitance des opérations bancaires réalisées le même jour. Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté la demande afférente au retrait opéré le 25 avril 2015 pour un montant de 1 500 euros.
Il n'y a pas lieu non plus au regard des pièces produites de part et d'autre de reporter le point de départ des intérêts à une date antérieure à l'assignation en justice.
Sur la prescription
En application de l'article 2224 du code civil, l'action en reddition de compte se prescrit par cinq ans. Cette prescription court, non du jour où chaque opération fondée sur le mandat a été réalisée, mais de celui où le mandat a pris fin. En l'espèce, le mandat ayant pris fin par le décès de Simone C. le 1er juin 2015, l'assignation en justice délivrée le 31 octobre 2016 est intervenue dans ce délai de sorte que la reddition de comptes est due pour toutes les opérations réalisées grâce à la procuration confiée le 13 octobre 2010 et non seulement pour celles réalisées dans les cinq années précédant la dite assignation.
PAR CES MOTIFS, LA COUR :
Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 19 juin 2018 par le tribunal de grande instance de Rennes ;
Y ajoutant,
Déclare recevables les conclusions déposées devant la cour par M. Jacques G. ;
Condamne Mme Jocelyne G. épouse L. à payer à M. Jacques G. une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de ses frais irrépétibles d'appel ;
Rejette toute autre demande.