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Décisions

CA Aix-en-Provence, 8e ch. A, 20 septembre 2018, n° 17/17810

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Messias

Conseillers :

Mme Durand, Mme Chalbos

Avocats :

Me André, Me Petroni, Me Jousset, Me Raffy, Me Ermeneux-Champly, Me Guichard

T. com. Aix-en-Provence, du 28 sept. 201…

28 septembre 2017

L'EURL Pharmacie X…, dont le gérant et associé unique est X…, exploitait une officine de pharmacie à Gardanne et s'approvisionnait en produits pharmaceutiques auprès de la SA Confraternelle d'exploitation et de répartition pharmaceutique Rhin Rhône Méditerranée dite CERP.

L'EURL Pharmacie X… a cédé son officine à l'EURL Pharmacie Marion par acte du 27 septembre 2007 et a été mise en sommeil à compter du 30 septembre 2007, X… poursuivant son activité en acquérant une nouvelle officine à Gémenos le 29 mai 2008 au travers d'une autre société, la SELARL Pharmacie des fontaines créée à cette fin.

L'EURL Pharmacie X… qui avait accumulé d'importants arriérés de paiement auprès de la CERP, partiellement apurés lors de la cession de son officine, restait débitrice envers cette société d'une somme principale de 247160,17 €, qui a fait l'objet d'une condamnation par jugement définitif du tribunal de commerce d'Aix-en-Provence en date du 29 mars 2010.

Par acte en date du 21 septembre 2012, la CERP a fait assigner l'EURL Pharmacie X… devant le tribunal de commerce d'Aix-en-Provence en liquidation judiciaire.

Par jugement du 30 mai 2013 intitulé 'désistement d'instance', le tribunal a constaté l'extinction de l'instance et s'est déclaré dessaisi par l'effet du désistement du demandeur.

Par acte en date du 26 août 2016, la CERP a fait délivrer à l'EURL Pharmacie X… une nouvelle assignation en liquidation judiciaire.

Par jugement du 28 septembre 2017, le tribunal de commerce d'Aix-en-Provence a rejeté l'exception d'irrecevabilité et entre autres dispositions, ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de l'EURL Pharmacie X… et désigné la SCP BR associés prise en la personne de Maître Rafoni ou de Maître Bes en qualité de liquidateur.

L'EURL Pharmacie X… a interjeté appel de ce jugement le 2 octobre 2017.

Par conclusions déposées et notifiées le 28 mai 2018, elle demande à la cour, vu les articles 455, 122 du code de procédure civile, 1355 nouveau (anciennement 1351) du code civil, R. 640-1, L. 620-1, L. 631-1, L. 640-1 du code de commerce de :

- à titre principal :

- annuler le jugement rendu le 28 septembre 2017 par le tribunal de commerce d'Aix-en-Provence pour défaut de motivation,

- dire et juger irrecevable la demande d'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire à défaut pour cette demande de présenter un caractère d'exclusivité, conformément à l'article R640-1 du code de commerce,

- dire et juger irrecevable la demande d'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire procédant de l'autorité de la chose jugée,

- en tout état :

- réformer le jugement rendu le 28 septembre 2017 par le tribunal de commerce d'Aix-en-Provence en ce qu'il a rejeté l'exception d'irrecevabilité, en ce qu'il a ouvert à l'encontre de l'EURL Pharmacie X… une procédure de liquidation judiciaire suivant les dispositions de l'article L640-1 du code de commerce et en ce qu'il a prononcé les mesures découlant de l'ouverture de la procédure collective,

- dire et juger irrecevable la demande d'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire à défaut pour cette demande de présenter un caractère d'exclusivité, conformément à l'article R640-1 du code de commerce,

- dire et juger irrecevable la demande d'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire procédant de l'autorité de la chose jugée,

- rejeter les entières demandes de la CERP,

- condamner la CERP au paiement d'une somme de 2500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- la condamner aux entiers dépens.

Par conclusions déposées et notifiées le 30 mai 2018, la SA CERP Rhin Rhône Méditerranée demande à la cour de :

- statuer ce que de droit sur la recevabilité de l'appel,

- au besoin, juger mal fondé l'appel,

- confirmer dans toutes ses dispositions la décision déférée,

- condamner l'appelante aux dépens de la procédure d'appel avec droit pour Maître Agnès Ermeneux de se prévaloir des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

- la condamner à verser la somme de 2000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la seule procédure d'appel.

Par conclusions déposées et notifiées le 9 mai 2018, la SCP BR associés agissant en qualité de liquidateur judiciaire de l'EURL Pharmacie X… demande à la cour de :

- dire et juger recevables les conclusions du liquidateur,

- donner acte au liquidateur qu'il s'en rapporte à justice en qualité d'intimé mis à la cause aux fins d'opposabilité,

- débouter toutes parties de leurs demandes et frais d'article 700 à l'encontre du liquidateur en ce que cette instance n'est pas utile au déroulement de la procédure et ne peut rentrer dans les prescriptions de l'article L622-17 du code de commerce.

Suivant avis communiqué le 6 juin 2018, le ministère public déclare s'en rapporter à la décision de la cour au vu des éventuels éléments nouveaux susceptibles d'être produits par le débiteur et à défaut conclut à la confirmation de la décision entreprise.

MOTIFS :

L'examen de la procédure ne révèle aucune cause d'irrecevabilité de l'appel, les intimés ne soulevant par ailleurs aucun moyen en ce sens. L'appel sera en conséquence déclaré recevable.

Sur la demande d'annulation du jugement :

Il résulte des dispositions des articles 455 et 458 du code de procédure civile que le jugement doit être motivé à peine de nullité.

L'appelante soutient que le tribunal a rejeté la fin de non-recevoir qu'elle opposait à la demande de la CERP sans avoir répondu aux deux moyens qu'elle soulevait à cette fin, tirés d'une part, du défaut d'exclusivité de la demande d'ouverture de liquidation judiciaire et d'autre part, de l'autorité de chose jugée.

Le jugement dont appel mentionne expressément, dans l'exposé des prétentions et moyens des parties, que l'EURL Pharmacie X… soulève à titre principal l'irrecevabilité de la demande formée par la CERP au motif que l'assignation tend dans le même temps à la condamnation au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à l'ouverture d'une procédure collective, cette double demande violant le principe d'exclusivité édicté par l'article R640-1 du code de commerce. Il précise également que l'EURL Pharmacie X…, soulignant le caractère d'ordre public de la législation sur les procédures collectives, soulève par ailleurs l'irrecevabilité de la demande de la CERP en application de l'article 122 du code de procédure civile, le jugement du 30 mai 2013 statuant sur la demande d'ouverture de la liquidation judiciaire ayant autorité de la chose jugée en application de l'article 1355 du code civil.

La motivation du tribunal sur cette demande d'irrecevabilité est rédigée comme suit :

'Attendu que le tribunal constate tout d'abord que le jugement qu'il a rendu le 30 mai 2013, par lequel il s'est déclaré dessaisi de l'instance sur le fondement de l'article 384 du code de procédure civile, prend acte du désistement de la CERP de son instance.

Attendu ainsi que l'exception d'irrecevabilité soulevée par la CERP devra être écartée.'

Si le tribunal répond ainsi au moyen tiré de l'autorité de la chose jugée du jugement du 30 mai 2013, il n'énonce aucune motivation pour écarter le moyen tiré de la violation du principe d'exclusivité de la demande édicté par l'article R640-1 du code de procédure civile.

Le fait que le tribunal n'a pas statué sur la demande de la CERP fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ne permet pas d'affirmer, comme le fait la CERP, que le tribunal aurait implicitement considéré que cette partie s'était désistée de cette demande, puisque le jugement précise au contraire, dans l'exposé des prétentions des parties, que la CERP demande au tribunal de condamner la défenderesse au paiement d'une somme de 2000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et ne mentionne nullement que la CERP se serait désistée de cette demande.

En tout état de cause, le tribunal avait l'obligation de répondre sur le moyen tiré de la violation du principe d'exclusivité de la demande, en faisant état, le cas échéant, du retrait, par la CERP, de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

Le jugement sera en conséquence annulé, la cour demeurant saisie de la demande d'ouverture de la liquidation judiciaire en application des dispositions de l'article 562 du code de procédure civile.

Sur la demande d'ouverture de la liquidation judiciaire :

- Sur la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée du jugement du 30 mai 2013 :

Il résulte des articles 1355 du code civil et 480 du code civil que l'autorité de chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui fait l'objet d'un jugement et a été tranché dans son dispositif.

Le jugement rendu le 30 mai 2013 par le tribunal de commerce d'Aix-en-Provence sous l'intitulé 'désistement d'instance' est rédigé comme suit :

' Vu la déclaration de désistement du demandeur,

Attendu que le tribunal constate que le défendeur accepte, au moins tacitement, ce désistement,

PAR CES MOTIFS

Vu les articles 384 et suivants du code de procédure civile, le tribunal constate l'extinction de l'instance et se déclare dessaisi à compter de ce jour pour désistement du demandeur.

Il apparaît ainsi que contrairement à ce que soutient l'appelante, le tribunal n'a fait que constater l'extinction de l'instance par l'effet du désistement de la CERP.

L'argument selon lequel le tribunal se devait, en considération du caractère d'ordre public du droit des procédures collectives, d'analyser les conditions d'ouverture de la liquidation judiciaire quand bien même la CERP se désistait de sa demande, est inopérant, dès lors qu'il est manifeste que de fait, le tribunal n'a pas abordé le fond et n'a pas statué, même implicitement, sur l'ouverture de la procédure collective.

Le jugement du 30 mai 2013 qui ne tranche pas dans son dispositif tout ou partie du principal n'a pas autorité de chose jugée.

La fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée du jugement du 30 mai 2013 sera en conséquence rejetée.

- Sur la fin de non-recevoir tirée de la violation du principe d'exclusivité de la demande :

Aux termes de l'article R640-1 alinéa 2 du code de commerce, la demande d'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire présentée par un créancier est à peine d'irrecevabilité, qui doit être soulevée d'office, exclusive de toute autre demande, à l'exception d'une demande d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire formée à titre subsidiaire.

L'EURL Pharmacie X… soulève l'irrecevabilité de la demande de la CERP en ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire à défaut pour cette demande de présenter un caractère d'exclusivité, la CERP formant en même temps une demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

Ces dispositions s'appliquent devant toutes les juridictions et en toutes matières.

Les dispositions de l'article R640-1 du code de commerce n'interdisent pas au créancier poursuivant de solliciter l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, une telle demande ne constituant pas une demande autonome.

La fin de non-recevoir tirée de la violation du principe d'exclusivité de la demande sera également rejetée.

Sur la demande d'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire :

Alors que la CERP dispose d'un titre exécutoire constatant une créance exigible de 247160,17 € outre intérêts au taux légal à compter du 30 septembre 2008, l'EURL Pharmacie X… ne conteste pas être dans l'impossibilité de payer cette somme en l'absence d'actifs disponibles.

Il résulte des explications des parties concordantes sur ce point que L'EURL Pharmacie X…, qui a cédé son fonds le 27 septembre 2007 a été mise en sommeil à compter du 30 septembre 2007 et n'a plus aucune activité depuis cette date, de sorte que tout redressement est manifestement impossible.

La liquidation judiciaire de l'EURL Pharmacie X… doit en conséquence être prononcée.

L'EURL Pharmacie X…, qui n'est propriétaire d'aucun bien immobilier, n'a employé aucun salarié et n'a réalisé aucun chiffre d'affaires depuis 2007, de sorte qu'il sera fait application de la procédure de liquidation judiciaire simplifiée conformément aux dispositions de l'article L641-2 du code de commerce.

La date de cessation des paiements sera fixée au 19 avril 2017, date de la formalisation, par courrier de son conseil, du refus de la CERP de la proposition transactionnelle proposée par X….

Les dépens seront employés en frais privilégiés de la procédure collective sans qu'il y ait lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, contradictoirement,

Déclare l'EURL Pharmacie X… recevable en son appel,

Annule le jugement rendu le 28 septembre 2017 par le tribunal de commerce d'Aix-en-Provence,

Rejette les fins de non-recevoir soulevées par l'EURL Pharmacie X…,

Ouvre à l'égard de l'EURL Pharmacie X… une procédure de liquidation judiciaire simplifiée,

Fixe la date de cessation des paiements au 19 avril 2017,

Désigne en qualité de juge commissaire Y…,

Désigne en qualité de liquidateur la SCP BR associés prise en la personne de Maître Dominique Rafoni ou Maître Laura Bes, 7 rue Joseph d'Arbaud 13100 Aix-en-Provence,

Dit qu'il sera procédé à l'inventaire des biens de la société débitrice par le liquidateur,

Fixe à six mois le délai aux termes duquel la clôture de la procédure sera examinée,

Renvoie les parties devant le tribunal de commerce d'Aix-en-Provence pour la poursuite de la procédure,

Dit que le greffier de la cour d'appel transmettra dans les huit jours du prononcé de l'arrêt une copie de celui-ci au greffier du tribunal de commerce d'Aix-en-Provence pour l'accomplissement des mesures de publicité prévues à l'article R621-8 et notifiera l'arrêt aux parties et, par remise contre récépissé, au procureur général,

Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Ordonne l'emploi des dépens en frais privilégiés de la liquidation judiciaire.