CA Orléans, ch. com. économique et financière, 15 janvier 2015, n° 14/01242
ORLÉANS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Défendeur :
Synergy (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Raffejeaud
Conseillers :
Mme Hours, M. Monge
Avocats :
Me Brillatz, Me Garnier, Me Prieto
EXPOSÉ :
Franck H. détenait 3.300 des 15.000 actions de la S. A.S. Synergy, société holding contrôlant une S. A.S. Profitec dont il était le directeur général. L'article 16 des statuts de Synergy prévoyant la possibilité d'exclure un associé qui cesse définitivement ses fonctions de mandataire social au sein de la société ou d'une filiale majoritairement détenue par elle, et M. H. ayant été révoqué le 29 septembre 2011 de ses fonctions dans Profitec, une assemblée générale des associés a décidé le 14 novembre 2011 son exclusion de la S. A.S. Synergy et autorisé celle-ci à racheter la totalité de ses actions. M. H. a alors saisi la juridiction consulaire, par acte du 27 février 2013, en sollicitant la nullité de la décision prise par l'assemblée générale extraordinaire du 14 novembre 2011 et celle, subséquente, de toutes les assemblées ultérieures, ainsi que l'allocation de 150.000 euros de dommages et intérêts eu égard aux difficultés de retrouver une situation du fait de la clause de non-concurrence stipulée aux statuts en cas de départ de la société d'un associé, quelle qu'en soit la cause.
Par jugement du 25 mars 2014, le tribunal de commerce de Tours a dit que la décision prise lors de l'assemblée générale extraordinaire du 14 novembre 2011 était valable et a débouté M. H. de toutes ses prétentions en le condamnant aux dépens avec indemnité de procédure.
M. H. a relevé appel.
Les dernières écritures des parties, prises en compte par la cour au titre de l'article 954 du code de procédure civile, ont été déposées :
- le 30 septembre 2014 par M. H.
- le 20 août 2014 par la société Synergy.
Monsieur H. soutient que la clause des statuts de la société Synergy stipulant que l'associé dont l'exclusion est susceptible d'être prononcée ne participe pas au vote et que ses actions ne sont pas prises en compte pour le calcul de la majorité doit être réputée non écrite, par application des dispositions d'ordre public de l'article 1844 du code civil. Il fait valoir qu'aucune décision sur son exclusion ne pouvait donc être prise sans qu'il participât au vote, et affirme ne pouvoir être regardé comme y ayant participé, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, dès lors qu'une telle participation suppose de pouvoir exprimer son opinion avant qu'une décision soit prise, puis de participer au vote, alors qu'il n'y eut pas de débat et que son vote n'a pas été pris en compte, comme l'implique nécessairement le fait que son exclusion a été adoptée à l'unanimité, et non pas à 78% compte tenu des 22% que lui-même détient. En réponse aux contestations adverses, il tient pour indifférent d'avoir été physiquement présent à cette assemblée et d'avoir fait porter sur le procès-verbal, après la clôture, son opposition à la décision adoptée, de même qu'il est selon lui sans incidence sur la nullité encourue que la décision ait pu être de toute façon adoptée à la majorité requise si les choses avaient été faites dans les règles. Il infère de la nullité de cette décision celle de toutes les décisions prises ultérieurement par les assemblées générales des associés de la société Synergy puisqu'il n'y fut pas convoqué. Il réclame 150.000 euros de dommages et intérêt en exposant que, déjà privé de la rémunération attachée à ses fonctions de directeur général de Profitec et sans accès au régime légal d'indemnisation du chômage, il se trouve en outre empêché de travailler par une clause de non-concurrence très large et dépourvue de contrepartie financière.
La société Synergy admet que l'article 16-1 de ses statuts doit être réputé non écrit, mais soutient que le mécanisme prévu pour l'exclusion d'un associé ne s'en trouve pas affecté, et que la collectivité des associés a valablement pu la prononcer. Elle fait valoir à cet égard, que M. H. avait bien été convoqué, que c'est de son propre fait s'il n'utilisa pas la faculté de venir présenter ses observations à la réunion préalable à laquelle tous les associés s'étaient déplacés, qu'il était présent à l'assemblée générale extraordinaire, qu'il n'a pas usé de son droit d'y prendre la parole avant le vote lorsque la faculté lui en fut donnée comme l'attestent les autres participants, et qu'il put y manifester sa position, laquelle est retranscrite au pied du procès-verbal. Elle qualifie de simple coquille la mention du procès-verbal énonçant que l'exclusion de M. H. fut votée à l'unanimité, et demande à la cour de dire et juger qu'elle le fut à la majorité requise des voix exprimées soit 78%, qui était effectivement suffisante. Elle s'oppose à la demande de dommages et intérêts en faisant valoir que l'appelant n'en précise pas le fondement, qu'il procède forfaitairement, et qu'il n'établit pas le lien de causalité qui existerait entre l'irrégularité alléguée du vote et sa situation financière et professionnelle, qui résulte uniquement de sa révocation, étrangère au présent litige, des fonctions de dirigeant de Profitec.
Il est référé pour le surplus aux conclusions récapitulatives des plaideurs.
L'instruction a été clôturée par une ordonnance du 23 octobre 2014, ainsi que les avocats des parties en ont été avisés.
MOTIFS DE L'ARRÊT :
Attendu, s'agissant en premier lieu de la décision d'exclusion de M. H., qu'en application de l'article 1844 du code civil, tout associé a droit de participer aux décisions collectives, et a donc droit de voter ;
Qu'il en résulte que l'associé d'une société par actions simplifiée dont l'exclusion est demandée en vertu des statuts, comme le permet l'article L.225-16 du code de commerce, ne peut être privé par ces statuts, lorsque ceux-ci subordonnent la mesure à une décision collective des associés, de son droit de participer à cette décision et de voter sur la proposition portant sur son exclusion (cf Cass C.. 23/10/2007 P n°06-16.537 et 06/05/2014 P n°13.14960), peu important qu'il ait été admis à prendre part au vote ;
Que la clause de l'article 16-1 des statuts stipulant que l'associé dont l'exclusion est susceptible d'être prononcée ne participe pas au vote et que ses actions ne sont pas prises en compte pour le calcul de la majorité, est contraire à une disposition impérative des articles 1832 à 1844-9 du code civil, et doit être réputée non écrite, comme en convient désormais l’intimée ;
Or attendu que M. H. a certes été convoqué à l'assemblée générale du 14 novembre 2011 appelée à statuer sur son exclusion, et s'y est rendu, mais il n'a pu participer à la décision en exprimant un vote, comme l'atteste la mention du procès-verbal des délibérations selon laquelle la résolution mise aux voix a été adoptée à l'unanimité', alors qu'il est titulaire de 22% des actions, que le président avait constaté que les associés présents et représentés possèdent 15.000 actions sur les 15.000 actions émises par la société' et qu'il n'a donc manifestement pas pu prendre part au vote, l'intimée qualifiant aujourd'hui gratuitement de simple coquille cette mention qui relate le vote et son décompte, pour lequel il est manifeste qu'elle a tout simplement appliqué la clause illicite des statuts en écartant du vote M. H. et en neutralisant ses actions, l'intéressé ayant d'ailleurs porté au pied du procès-verbal une mention manuscrite pour indiquer qu'il n'avait pas pu prendre part au vote d'exclusion' (cf sa pièce n°2) ;
Attendu que ce constat n'est pas remis en cause par les attestations que produit l'intimée, d'autant qu'elles émanent des associés qui ont procédé de la sorte, et dont l'intérêt personnel n'est pas étranger au litige ; qu'il importe peu, à cet égard, que M. H. se soit vu proposer de s'exprimer sur le projet de l'exclure ;
Et attendu que l'action en nullité est recevable même si le nombre de voix dont dispose l'associé qui l'exerce était insuffisant pour faire échec à la décision contestée ;
Que M. H. est donc fondé à voir prononcer l'annulation de la décision ainsi adoptée, par application des articles 1844-10 du code civil et L.235-1, alinéa 2, du code de commerce, ce qui implique sa réintégration dans ses droits d'associé ;
Qu'il n'est en revanche pas fondé à solliciter, sans les individualiser, l'annulation de toutes les décisions prises postérieurement par les assemblées générales d'associés, la nullité de la décision d'un organe social n'opérant pas de plein droit et ne pouvant porter que sur des actes déterminés, dont l'annulation judiciaire requiert une identification dans le dispositif de la décision qui la prononce ;
Attendu, s'agissant en second lieu de la demande de dommages et intérêts formulée par M. H., que si la méconnaissance de ses droits d'associés et l'irrégularité de son exclusion lui ont certes causé un préjudice moral qui sera utilement réparé par l'allocation d'une somme de 5.000 euros, il n'existe, en revanche, aucune relation causale entre ces atteintes et la perte de la rémunération qu'il percevait en sa qualité de mandataire social de la société Profitec, laquelle perte procède de sa révocation de ces fonctions et non pas de son exclusion de la société Synergy;
Que s'agissant de sa difficulté à retrouver une situation professionnelle du fait de la clause de non concurrence stipulée à l'article 17 des statuts de Synergy, elle ne présente pas de lien de causalité suffisant avec la méconnaissance de ses droits d'associé, eu égard à l'existence d'une majorité suffisante d'associés résolus à l'exclure, et à son aptitude à passer outre à cette clause et à en invoquer l'absence d'effets par voie d'exception, étant ajouté que l'appelant ne démontre au surplus nullement avoir dû renoncer à un poste effectif en raison de cette clause de non concurrence ;
PAR CES MOTIFS
la cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire :
INFIRME le jugement entrepris
et statuant à nouveau :
ANNULE la décision prise par l'assemblée générale des associés de la S. A.S Synergy le 14 novembre 2011 d'exclure M. Franck H. de la société
REJETTE la prétention de M. H. à voir prononcer l'annulation de toutes les décisions prises postérieurement à cette date par les assemblées générales des associés de la S. A.S. Synergy
CONDAMNE la S. A.S. Synergy à payer 5.000 euros à M. H. à titre de dommages et intérêts
DÉBOUTE M. H. du surplus de sa demande indemnitaire
CONDAMNE la S. A.S. Synergy aux dépens de première instance et d'appel, ainsi qu'À PAYER 3.500 euros à M. Franck H., par application de l'article 700 du code de procédure civile
ACCORDE à la SCP Arcole, avocat, le droit à recouvrement direct reconnu par l'article 699 du code de procédure civile.