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Décisions

CA Grenoble, ch. com., 17 septembre 2020, n° 18/02423

GRENOBLE

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Gonzalez

Conseillers :

Mme Blanchard, M. Bruno

T. com. Grenoble, du 4 mai 2018, n° 2017…

4 mai 2018

EXPOSE DU LITIGE :

Le 27 août 2015, MM Marc D., Fabien P. et José G. ont créé la société la Sas Racket time qui exerce une activité d'exploitation de terrains de squash, badminton et tennis, ainsi que l'enseignement et le coatching de ces disciplines, chaque actionnaire possédant 33,33 % des parts, M. D. étant désigné président et MM P. et G. directeurs généraux.

Un salarié était embauché en qualité de cuisinier.

Le 1er septembre 2015, la société Racket time a signé avec la Sci des Cours un bail commercial portant sur des locaux sis [...] et constitués d'une salle de squash et d'un restaurant.

Les relations entre les associés se sont dégradées et M. D. a proposé à M. P. de lui vendre ses parts, ce qui n'a pas été suivi d'effets.

Le 2 mai 2016, le bailleur a fait signifier un commandement de payer visant la clause résolutoire pour défaut de paiement des loyers.

Le 10 juin 2016, suite à des échanges de courrier, M. D. a fait connaître à M. P. qu'il lui avait retiré la procuration sur le compte bancaire et qu'il souhaitait récupérer les moyens de paiement.

Le 14 juin 2016, M. P. a fait constater par huissier la fermeture temporaire du club et le fait qu'il avait dû casser une chaîne pour permettre l'accès aux clients. Dans le même temps, M. D. a demandé au salarié de ne pas travailler jusqu'à nouvel ordre.

Le 20 juin 2016, M. P. a déposé plainte pour vol sans effraction de matériels dans les locaux de la société.

Le 22 juin 2016, M. D. a signé avec le bailleur un protocole transactionnel avec le bailleur, celui-ci renonçant à la totalité des arriérés de loyer. Il a le lendemain, déposé une demande d'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire.

Le 5 juillet 2016, le tribunal de commerce de Grenoble a ouvert une procédure de liquidation judiciaire simplifiée.

Le 18 juin 2017 est intervenue une clôture pour insuffisance d'actif.

Par acte d'huissier du 31 mai 2017, M. P. a fait assigner M. D. devant le tribunal de commerce de Grenoble en indemnisation de préjudices personnels nés des fautes de gestions de M. D..

Le Tribunal de commerce de Grenoble a, par jugement rendu le 4 mai 2018:

- dit que M. D. ne s'était pas rendu coupable de violations des prescriptions légales et réglementaires, ni de violations des stipulations statutaires de la société Racket Time, ni de fautes de gestion dans le cadre de son mandat de président de la société,

- dit que M. Fabien P. n'a subi aucun préjudice du fait de la gestion par M. D. de la société Racket Time,

- débouté M. P. de l'ensemble de ses prétentions,

- rejeté la demande de condamnation de M. P. sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile et de l'article 124à du code civil,

- condamné M. P. à payer à M. D. la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens.

M. P. a formé appel de cette décision par déclaration du 1er juin 2018.

La clôture est intervenue le 28 novembre 2019.

* * *

Aux termes de ses dernières conclusions déposées par voie électronique le 3 septembre 2018, M. Fabien P. demande à la cour de :

- infirmer le jugement rendu par le Tribunal de Commerce de Grenoble le 4 mai 2018;

- en conséquence :

- constater les fautes de gestion de M. Marc D. ;

- constater le préjudice subi personnellement par Monsieur Fabien P. en raison des fautes de gestion de M. D. ;

- condamner M. Marc D. à lui verser la somme de 26 900 euros au titre de la réparation de son préjudice ;

- condamner M. Marc D. à lui verser à la somme de 2 000 euros au titre de 1' article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.

Il fait valoir :

- que les assemblées générales n'ont pas été tenues depuis la création de la société, que M. D. a pris les décisions unilatéralement sans consultation des associés (fermeture du site et son obstruction, vol du matériel informatique et de matériels de pratique sportive, interdiction d'accès au salarié, retrait de sa procuration),

- qu'il y a eu violations statutaires en ce que la collectivité des associés est seule compétente pour prendre un certain nombre de décisions , dont tout ce qui concerne de manière générale les opérations de liquidation, que les règles de majorité n'ont pas plus été respectées, qu'il en est de même des cessions d'action,

- que M. D. a commis des fautes de gestion (révocation de sa procuration, fermeture du club, vol de matériel) ayant conduit à la liquidation judiciaire, que la révocation de procuration n'est pas justifiée, que M. D. a volé du matériel et fermé l'accès au club, qu'il a interdit l'accès au salarié, que le plan de M. D. était une liquidation rapide de l'entreprise dont l'intérêt n'a pas été respecté,

- qu'il a subi un préjudice du fait de du capital social non récupéré à l'issue de la liquidation judiciaire, de la perte du compte courant d'associé, d'une facture non réglée par la société et d'une perte de revenus professionnels, qu'il dispensait des cours de squash dans la société et devait être rémunéré par les dividendes mais qu'il n'en a jamais perçu, qu'il a émis une facture de 900 euros correspondant aux initiations de squash mais qu'il n'a jamais reçu remboursement, qu'il lui a été empêché d'exercer son activité professionnelle et qu'il a perdu une grande partie de sa clientèle, qu'il ne sera jamais rétribué pour ses cours ni rétribué de son apport lors de la création de la société, qu'il avait pris un congé pour reprendre l'entreprise et qu'il a subi une perte de salaires, ne pouvant revenir sur sa demande de congé.

* * *

Aux termes de ses dernières conclusions déposées par voie électronique le 26 novembre 2018, M. Marc D. demande à la cour de :

- vu les article L. 227-1 et suivants du Code de commerce, les articles 32-1 et 700 du Code de procédure civile et l'article 1240 du Code civil,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- dit qu'il ne s'est pas rendu coupable de violation des prescription légales et réglementaires, ni de violations des stipulations statutaires de la société Racket Time, ni de fautes de gestion dans le cadre de son mandat ;

- dit que M. Fabien P. n'a subi aucun préjudice du fait de la gestion, par le concluant, de la société Racket Time ;

- débouté M. Fabien P. de l'ensemble de ses prétentions ;

- condamné M. Fabien P. à verser à lui verser la somme de 2.000 euros au titre de l'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné M. Fabien P. aux entiers dépens.

- réformer le jugement entreprise en ce qu'il a rejeté la demande de condamnation de M. Fabien P. sur le fondement de l'article 32.1 du code de procédure civile et de l'article 1240 du Code civil ;

- statuant à nouveau :

- condamner M. P. à lui verser la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 32-1 du Code de procédure civile et de l'article 1240 du Code civil;

- condamner M. P. à lui verser la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, en cause d'appel ;

- condamner M. P. aux entiers dépens de la présente instance en cause d'appel.

Il fait valoir :

- que les associés n'ont pu que constater rapidement que l'activité de la salle de squash et du restaurant ne permettaient pas de dégager un chiffre d'affaires suffisant pour régler les charges et que les locaux présentaient des désordres,

- que la société n'était plus en mesure de payer les loyers et que M. P. courant juin 2010 avait tiré un chèque sans provision de 6.000 euros sur les comptes de la société, que M. P. a remis les chèques et fait savoir qu'il cessait son activité de professeur de squash d'où la fermeture temporaire de la structure et sa protection,

- que M. P. a forcé ensuite l'entrée, que les lieux ont été vidés après un accord avec le bailleur et que le matériel a été récupéré en présence de M. P., que les gendarmes saisi par M. P. d'un vol de matériel n'ont donné aucune suite,

- que le défaut de consultation des associés ne peut que relever des stipulations statutaires et non légales, que les statuts ne prévoient pas d'assemblées générales pour les décisions alléguées par l'appelant, qu'il a pris les décisions qui s'imposaient concernant le seul salarié et que l'appelant avait été informé du caractère imminent du dépôt de bilan pour courriel auquel aucune réponse n'a été apportée,

- que l'article 22 des statuts visent la liquidation amiable et aucunement la liquidation judiciaire qui doit être demandée dans un délai de 45 jours et est une obligation légale du débiteur, que la décision de liquidation judiciaire n'a aps été contestée via l'article 24 des statuts ,

- que selon l'article 16 des statuts les cessions et transmissions entre actionnaires s'effectuent librement,

- que M. P. ne devait pas disposer en principe de procuration et que des commandes ont été passées dans une situation obérée, qu'il a seulement autorisé le salarié à ne pas venir, alors que les cours de squash n'étaient plus assurés, qu'il a simplement déplacé du matériel en vue de la résiliation du bail et qu'il ne s'est approprié aucun bien de la société,

- qu'il n'existe aucun lien de causalité entre le préjudice invoqué et les prétendues fautes, que M. P. n'a pas qualité pour agir quant au capital social, que l'absence de remboursement du capital social et du solde du compte courant sont la conséquence de la cessation des paiements,

- qu'aucun exercice n'a été clôturé d'où l'absence de constat de dividendes, lesquels exigent un résultat distribuable, que la facture n'avait pas à être remboursée puisque la rémunération intervenait sur les dividendes.

Il convient pour un plus ample exposé des prétentions et arguments des parties de se référer aux conclusions susvisées conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Il convient de reprendre les griefs de M. P. à l'encontre de M. D..

* les infractions aux dispositions légales et réglementaires et la violation des dispositions statutaires

Selon l'article L 227-9 du code de commerce, " les statuts déterminent les décisions qui doivent être prises collectivement par les associés dans les formes et conditions qu'ils prévoient".

Aux termes des statuts (article 17) de la société Racket time, "le président dirige la société et la représente à l'égard des tiers. A ce titre, il est investi de tous les pouvoirs nécessaires pour agir en toutes circonstances au nom de la société, dans la limite de l'objet social et des pouvoirs expressément dévolus par les dispositions légales et les présents statuts aux décisions collectives des associés".

Il appartient à la cour de vérifier si un manquement du responsable de la société aux dispositions statutaires et notamment à celles se rapportant à la prise des décisions collectives obligatoires a pu causer un préjudice personnel à M. P..

L'article 22 donne la liste des décisions devant obligatoirement être prises en assemblée générale par la collectivité des associés, notamment l'approbation des comptes.

Il est relevé de manière liminaire que la vie de la société a été particulièrement courte entre sa création et l'ouverture d'une procédure collective, soit une dizaine de mois, ce qui n'a pu donner lieu à l'approbation des premiers comptes.

Le tribunal de commerce a, à juste titre, retenu que la fermeture du site d'exploitation, les décisions se rapportant aux salariés, le retrait de procuration, ne devaient pas faire l'objet d'une décision collective obligatoire et relevaient des pouvoirs du dirigeant. Aucun comportement fautif violant les statuts n'est donc caractérisé sur ces points.

De même, il a été justement relevé que M. D. avait adressé un courrier à M. P. l'avisant de l'imminence d'une procédure collective, ce qui n'avait pas suscité d'opposition, qu'il ne peut lui être reproché la volonté d'avoir entretenu une gestion opaque et secrète.

S'agissant de l'agrément des cessions d'action, il n'est pas contesté que M. D. a proposé à M. P. de lui céder ses titres, cette proposition étant restée sans effet ; aucune violation des statuts n'est cependant caractérisée au visa de l'article 22 alors que selon l'article 13les cessions et transmissions entre actionnaires s'effectuent librement.

Quant aux opérations de liquidations visées par l'article 22, elles se réfèrent nécessairement à une procédure de liquidation amiable qui n'est pas en cause.

* les fautes de gestion

Il appartient à M. P. de démontrer que M. D. a adopté un comportement contraire à l'intérêt social.

S'agissant du retrait de la procuration, le jugement querellé rappelle à juste titre que les moyens de paiement relèvent du dirigeant et ne rentrent pas dans les pouvoirs du directeur général. Il ne peut être reproché à M. D., dans la mesure où l'activité de la société s'avérait déficitaire de limiter les dépenses en reprenant le contrôle total de celles-ci en révoquant la procuration, comme il pouvait le faire.

Les éléments versés aux débats révèlent les difficultés de la société et les mesures devant être prises pour limiter la dette de loyer et éviter une résiliation du bail par jeu de la clause résolutoire et M. P. ne démontre par aucun élément autrement que par affirmations que l'activité du club,ne permettant pas le paiement des dettes essentielles telles la dette de loyer, pouvait être néanmoins pérenne ; il ne peut être reproché à M. D. dans ce contexte d'avoir pris des mesures rapides pour arrêter l'exploitation déficitaire, protéger les biens de l'entreprise en sécurisant le club et transiger avec le bailleur pour limiter les dettes sociales.

M. P. ne démontre par ailleurs nullement par ses seules déclarations devant les services de police non corroborées par l'enquête qui a suivi des agissements frauduleux et notamment de vols qui auraient été commis par le dirigeant. Les opérations de liquidation ne l'ont manifestement pas montré non plus, ce qui n'aurait pas manqué d'alerter le mandataire. Il est relevé à juste titre par le tribunal de commerce que M. P. a été avisé par le dirigeant de sa possibilité de récupérer ses effets personnels et de la nécessité de préserver les biens de l'entreprise de la reprise du bailleur.

Enfin, M. D. a autorisé le salarié à ne pas venir travailler en l'absence d'activité du club, ce qui n'apparaît pas fautif.

C'est d'autre part à juste titre que le tribunal de commerce a relevé que M. D. avait en application des dispositions de l'article L 640-4 du code de commerce procédé à la déclaration de cessation des paiements dans un délai de 45 jours, laquelle ne nécessite pas l'autorisation de l'assemblée générale et s'impose au dirigeant qui commettrait une faute dans le cas contraire.

De même, la perte du capital social et du compte courant pour M. P. sont la conséquence de la procédure de liquidation judiciaire ayant abouti à une clôture pour insuffisance d'actif et non d'agissements fautifs de M. D. et ne relèvent pas d'un préjudice personnel distinct du préjudice subi par la société.

S'agissant de la facture qui n'aurait pas été remboursée, cette demande de M. P. est tout à fait contraire à son affirmation selon laquelle il ne devait être rémunéré qu'en percevant des dividendes et, en tout état de cause, il n'a formulé aucune demande à ce titre dans le cadre des opérations de liquidation.

La non distribution de dividendes résulte à l'évidence de la situation déficitaire de la société et non d'une faute de gestion du dirigeant.

Quand aux choix professionnels de M. P. (congé de création ou reprise d'entreprise) et qui lui auraient porté préjudice, ils procèdent d'une décision personnelle et ne sont en rien causés par une attitude fautive de M. D..

Il résulte de tout ce qui précède qu'aucune faute ayant généré un préjudice personnel à l'appelant et commise par M. D. n'est caractérisée de sorte que le jugement est confirmé dans son intégralité.

Sur les dommages intérêts sollicités par M. D.

L'article 32-1 se rapporte à l'amende civile et ne bénéficie pas à une partie.

Bien que M. P. soit débouté de ses prétentions dans leur intégralité, il n'est pas justifié du caractère dilatoire et abusif de ses prétentions et le jugement est confirmé sur le rejet de sa demande de dommages intérêts sur le fondement de l'article 1240 du code civil.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

M. P. qui succombe sur ses prétentions supportera les dépens d'appel et sera condamné à indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, par décision contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Confirme la décision querellée.

Dit n'y avoir lieu à application de l'article

Condamne M. Fabien P. aux dépens d'appel et à payer à M. Marc D. la somme de 3.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

Prononce par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.