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Décisions

Cass. com., 1 juillet 2020, n° 18-26.350

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Rapporteur :

Mme Bélaval

Avocat général :

Mme Guinamant

Avocats :

SARL Cabinet Briard, SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol

Amiens, du 18 oct. 2018

18 octobre 2018

Désistement du pourvoi incident

1. Il est donné acte à la société Crédit du Nord du désistement de son pourvoi incident.

Faits et procédure

2. Selon les arrêts attaqués (Amiens, 14 mars 2017 et 18 octobre 2018), M. T... a souscrit deux prêts auprès de la société Crédit du Nord (la banque), l'un, le 28 mai 2005, de 85 000 euros, remboursable en 84 mensualités, et le second, le 15 novembre 2005, de 75 000 euros remboursable in fine vingt-quatre mois plus tard. Les premiers incidents de paiement sont survenus en 2008. Le 2 novembre 2010, la banque a dénoncé une facilité de trésorerie et une convention de compte courant, et le 12 janvier 2011, a prononcé la déchéance du terme des deux prêts.

3. Le 8 juillet 2013, après avoir déclaré son état de cessation des paiements, M. T... a été mis en redressement judiciaire. Les créances de la banque ont été admises au passif.

4. M. T... a engagé une action en responsabilité contre la banque sur le fondement de l'article L. 650-1 du code de commerce. Le 15 avril 2016, il a été mis en liquidation judiciaire, la société [...] étant désignée liquidateur.

Examen du pourvoi, en ce qu'il est formé contre l'arrêt du 14 mars 2017

Vu l'article 978 du code de procédure civile :

5. Le mémoire en demande ne contenant aucun moyen dirigé contre cet arrêt, il y a lieu de constater la déchéance du pourvoi en ce qu'il est formé contre cette décision.

Examen du pourvoi, en ce qu'il est formé contre l'arrêt du 18 octobre 2018

Examen du moyen unique

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. M. T... et la société [...], ès qualités, font grief à l'arrêt de limiter la condamnation de la banque à la somme de 3 525,97 euros alors « que, lorsqu'une procédure collective a été ouverte à l'encontre du débiteur, l'établissement de crédit engage sa responsabilité pour avoir consenti un crédit ruineux au moyen d'une immixtion caractérisée dans la gestion de l'entreprise, se traduisant par des actes positifs de direction ou l'exercice d'une influence décisive sur la gestion du débiteur ; qu'en jugeant, à propos du prêt contracté le 28 mai 2005, qu'aucun soutien abusif n'avait été commis par la banque dès lors que les opérations de débit, conventionnelles à chaque échéance du prêt, et de re-crédit quasi-immédiat faute de provision suffisante, n'avaient pas généré d'intérêts débités du compte-courant, et que cette situation était connue du débiteur, sans rechercher, comme elle y était invitée, si ces contre passations opérées à la seule initiative de la banque ne constituaient pas un soutien abusif consenti au moyen d'une immixtion caractérisée dans la gestion de l'entreprise, dès lors que la banque avait ainsi laissé fonctionner le compte en situation débitrice constante pendant près de trois ans sans accord du débiteur, ni même demande en ce sens de sa part, ce qui avait conduit à la ruine de son entreprise, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 650-1 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

7. L'arrêt retient que l'octroi du prêt du 28 mai 2005, en lui-même, n'était pas fautif, qu'à compter du début de l'année 2008 et en l'absence de facilité de trésorerie accordée dans le cadre de la convention de compte courant, les échéances de remboursement de ce prêt n'ont pu être payées, que c'était donc par une modalité d'écriture courante que les échéances portées au débit du compte à la date contractuelle avaient été re-créditées à la suite, afin d'annuler l'opération, et qu'il ressortait clairement de cette présentation du compte que les échéances du prêt qui faisaient l'objet d'un débit puis d'un crédit pour un même montant n'étaient pas payées par le débiteur, ce que ce dernier ne contestait pas et ne pouvait, alors, ignorer. Il retient encore qu'il n'apparaissait pas que ces opérations de débit, conventionnelles à chaque échéance du prêt, et de « re-crédit » quasi immédiat faute de provision suffisante, aient généré des intérêts débités du compte courant, les frais débités concernant des prélèvements distincts clairement identifiés et les intérêts se rapportant au découvert non autorisé du compte. Il retient enfin que ne constitue pas une faute la tolérance par la banque du fonctionnement débiteur d'un compte courant à une hauteur moyenne de 30 000 euros, s'agissant d'une entreprise qui a réalisé en 2008 un produit d'exploitation de 300 000 euros pour un résultat net de 18 516 euros, en hausse par rapport à l'année antérieure, un résultat net à nouveau positif en 2010 de 8 930 euros, en croissance en 2011, après une forte perte en 2009 de 36 375 euros. Ayant ainsi fait ressortir que le comportement de la banque, à propos de ce prêt, n'avait été fautif à aucun moment, la cour d'appel n'était pas tenue de rechercher si la banque avait commis, à l'occasion des opérations figurant sur le compte courant liées à ce prêt, une immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur.

8. Par conséquent, le moyen n'est pas fondé.

Mais sur le moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

9. M. T... et la société [...], ès qualités, font le même grief à l'arrêt alors « que le fournisseur de crédit qui consent un concours abusif et qui se rend coupable d'une immixtion caractérisée dans la gestion de l'entreprise est tenu de réparer l'aggravation de l'insuffisance d'actif qu'il a contribué à créer ; qu'en jugeant, à propos du prêt contracté le 15 novembre 2005, que le préjudice direct subi par M. T... du fait de l'immixtion fautive de la banque dans la gestion de son entreprise correspondait au seul montant des intérêts et frais prélevés lors de contre passations, soit la somme totale de 3 525,97 euros, quand ce préjudice ne pouvait correspondre qu'à l'insuffisance d'actif que la faute de la banque avait contribué à créer, la cour d'appel a violé l'article L. 650-1 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1382, devenu l'article 1240, du code civil :

10. L'établissement de crédit qui a fautivement retardé l'ouverture de la procédure collective de son client n'est tenu de réparer que l'aggravation de l'insuffisance d'actif qu'il a ainsi contribué à créer et le montant de l'aggravation de l'insuffisance d'actif est égal à la différence entre le montant de l'insuffisance d'actif à la date à laquelle le juge statue et le montant de l'insuffisance d'actif au jour de l'octroi du soutien abusif.

11. Pour condamner la banque à payer la somme de 3 525,97 euros, l'arrêt retient que le préjudice financier direct subi par M. T..., du fait du comportement fautif de la banque au titre du prêt du 15 novembre 2005, peut être évalué au montant total des « intérêts-frais arrêté de compte » dont il est justifié par les pièces produites, soit la somme de 3 525,97 euros (janvier 2008, janvier 2009, janvier 2010).

12. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CONSTATE la déchéance du pourvoi en ce qu'il est dirigé contre l'arrêt du 14 mars 2017 ;

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il reçoit la société [...], en qualité de liquidateur de M. T..., en son intervention volontaire, l'arrêt rendu le 18 octobre 2018, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai.