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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 9, 30 juin 2016, n° 15/16033

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Compagnie des Bateaux Mouches (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Franchi

Conseillers :

Mme Picard, Mme Rossi

Avocats :

Me Boccon Gibod, Me Etevenard, Me Leprêtre

T. com. Paris, du 12 juin 2015, n° 20140…

12 juin 2015

La sa Compagnie des Bateaux Mouches, ci-après CBM, exploite des bateaux mouches permettant la visite de Paris. Son capital est historiquement détenu par la famille de madame Charlotte B.. Cette dernière détient 99,77% de la sas Fleet Fly, société mère à 99,05% de la société CBM.

Le conseil d'administration de la sa CBM était composé de madame B., président directeur général, monsieur Radé M., son époux et monsieur S.M., frère de Radé, madame B. leur ayant prêté deux actions à chacun.

Par lettre du 10 juin 2014, les frères M. ont convoqué le conseil d'administration à une réunion le 13 juin suivant. Était joint à la convocation un document intitulé 'Mémorandum" formulant des critiques sur la gestion de la société et proposant des mesures destinées à remédier aux dysfonctionnements prétendus.

Le 11 juin 2014, le président du tribunal de commerce de Paris, à la demande de messieurs M., a désigné un huissier audiencier et un sténotypiste pour assister à la réunion du conseil d'administration prévue.

Par une ordonnance du 12 juin 2014, le président du tribunal de commerce de Paris saisi par madame B. a désigné, d'une part, maître Le Guernevé en qualité de mandataire ad hoc, et, d'autre part, un huissier audiencier avec mission de prendre note des déclarations des personnes présentes à la réunion du conseil d'administration.

Le 13 juin 2014 s'est déroulée la réunion du conseil d'administration à la fin de laquelle madame B. a été révoquée de ses fonctions de président directeur général de la société CBM et monsieur Radé M. nommé à cette fonction.

Par ordonnance du 15 juillet 2014, le président du tribunal de commerce de Paris a modifié la mission de maître Le Guernevé, en le désignant en qualité d'administrateur provisoire pour trois mois, en vue de convoquer une assemblée générale au plus tard le 30 septembre 2014.

Une assemblée générale s'est réunie le 15 septembre 2014, lors de laquelle messieurs R. et S. ont été révoqués de leur mandat d'administrateur. Deux nouveaux administrateurs ont été désignés, monsieur François S. et monsieur Damien P.. Madame B. a été désignée président du conseil d'administration et monsieur B. directeur général.

Messieurs R. et S. ont tous deux étés licenciés pour faute grave.

Madame B. a assigné messieurs M. en responsabilité et aux fins d'annulation des délibérations du conseil d'administration de la société CBM du 13 juin 2014 et de l'ensemble des actes accomplis en conséquence.

Par un jugement du 12 juin 2015, le tribunal de commerce de Paris a condamné messieurs M. in solidum à payer à madame B. la somme d'un euro de dommages et intérêts et a débouté les parties de leurs autres demandes.

Madame B. et la sa Compagnie des Bateaux Mouches a interjeté appel le 23 juillet 2015.

Dans leurs dernières conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 16 février 2016, madame B. et la sa Compagnie des bateaux mouches demandent à la cour d'appel d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a jugé valable la délibération du conseil d'administration du 13 juin 2014, dire et juger nulle et inopposable la délibération du conseil d'administration du 13 juin 2014, confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a jugé que les intimés ont engagé leur responsabilité à raison de leur comportement lors de la convocation et la tenue du conseil d'administration du 13 juin 2014, les condamner chacun à régler à Charlotte B. 50.000 euros au titre de leurs fautes, confirmer le jugement en ce qu'il a condamné Radé et S.M. à verser 7.000 euros à Charlotte B. au titre des frais irrépétibles, infirmer le jugement en ce qu'il a débouté la Compagnie des Bateaux Mouches de ses demandes au titre du préjudice lié à la faute, condamner solidairement les intimés à lui verser les sommes de 124.769,89 euros au titre des frais supportés par la société en conséquence de leur comportement illicite, de 50.000 euros au titre du préjudice lié à sa désorganisation consécutive à leur tentative de prise de pouvoir et celle de 18.000 euros correspondant aux honoraires de leur comptable et les condamner solidairement à leur verser la somme de 20.000 euros chacune au titre des frais irrépétibles d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens avec distraction au profit de la selarl Lexavoué Paris Versailles et les débouter de leur appel incident.

Dans leurs dernières écritures récapitulatives notifiées par voie électronique le 21 décembre 2015, messieurs R. et S. demandent à la cour d'appel de dire et juger que madame B. a bénéficié d'un délai suffisant lui permettant d'assister au conseil d'administration du 13 juin 2014, que ce dernier s'est déroulé sans fraude et que madame B. avait eu préalablement complète connaissance des sujets à l'ordre du jour, dire et juger que ni monsieur Radé M. ni monsieur S. ne sont responsables de la nullité de la composition du conseil d'administration, la nullité n'a jamais été relevée par le commissaire aux comptes de la sa CBM depuis au moins septembre 2009, dire et juger qu'aucune fraude qui leur serait imputable n'est établie ; en conséquence, débouter madame B. de sa demande en nullité des délibérations du conseil d'administration du 13 juin 2014 et confirmer le jugement déféré sur ce point ; dire et juger qu'en convoquant un conseil d'administration pour le 13 juin 2014, les intimés n'ont commis aucun abus de droit ou de fonction, dire et juger que les sujets évoqués dans le mémorandum joint à la convocation éclairaient l'ordre du jour et qu'il était soumis au conseil d'administration des sujets de sa compétence, dire et juger que la révocation de madame B. de ses fonctions de président directeur général est la conséquence de son refus de prendre des mesures de nature à sauvegarder l'intérêt social et la responsabilité des mandataires sociaux, dire et juger que suite à sa nomination comme président directeur général monsieur M. a tenté de mettre en œuvre les mesures précédemment demandées à madame B., dire et juger qu'il n'est rapporté la preuve d'aucun abus de droit de messieurs R. et S. dans l'exercice de leur fonction d'administrateur, dire et juger qu'ils n'ont commis aucune faute vis-à- vis de madame B., aucune violence et aucune attitude vexatoire n'étant établie, infirmer le jugement déféré dans ses dispositions faisant grief à messieurs M. en ce qu'ils auraient commis une faute dans les circonstances de la révocation, dire et juger que la sa CBM n'établit aucune faute à l'encontre de messieurs M. dans l'exercice de leur fonction d'administrateur, ceux-ci ayant agi sans intérêt personnel dans le seul souci de défendre l'intérêt social de la sa CBM ; en conséquence, débouter la sa CBM de l'ensemble de ses demandes, confirmer le jugement dont appel sur ce point, et statuant à nouveau condamner madame B. et la sa CBM à leur payer chacun la somme de 35.000 euros au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux entiers dépens directement recouvrés par maître Frédérique Etevenard conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

SUR CE,

Sur la demande tendant à l'annulation des délibérations du conseil d'administration du 13 juin 2014

En application de l'article L. 235-1 du code de commerce, la nullité des délibérations ne peut résulter que de la violation de dispositions impératives.

L'article 10 alinéa 5 des statuts stipulent que 'le Conseil se réunit, au siège social, sur la convocation de son Président, aussi souvent que l'intérêt de la société l'exige. Des Administrateurs, constituant au moins le tiers des membres du Conseil, peuvent, en indiquant l'ordre du jour de la séance, convoquer le Conseil si celui-ci ne s'est pas réuni depuis plus de deux mois.'

Madame B. et la société CBM soutiennent que la réunion du conseil d'administration du 13 juin 2014 est intervenue par fraude et relèvent en particulier en ce sens la précipitation selon elles injustifiée de la convocation, soit 48 heures avant la tenue du conseil et l'imprécision de cette convocation qui ne faisait pas clairement état de la révocation de madame B. dans l'ordre du jour. Elles font encore valoir la présence des conseils personnels de messieurs M. en violation des statuts lors de la réunion du conseil d'administration, le climat tendu qui y régnait, la violence des propos tenus.

Cependant, et comme l'a constaté le tribunal de commerce, d'une part, les statuts autorisaient une convocation du conseil d'administration qui ne s'était pas réuni depuis plus de deux mois, d'autre part, le très court délai de convocation n'était pas interdit par les statuts et madame B., en mesure d'assister à la réunion et même de s'assurer la présence d'un huissier de justice et d'une sténotypiste, était au fait des questions à débattre puisque relatives à des désaccords entre les parties à propos de points déjà discutés, bien connus de celles-ci et tels que précisément visés à l'ordre du jour.

Ainsi, la fraude alléguée par madame B. n'est aucunement caractérisée étant encore observé que la convocation avait été adressée tant en recommandé que par lettre simple, messieurs M. ayant fait diligence pour s'assurer de la présence de madame B. et ayant eux-mêmes obtenu la désignation d'un huissier de justice pour assister à la réunion.

Quant aux conditions particulièrement tendues dans lesquelles la réunion s'est tenue, elles résultent largement du contexte contentieux existant entre les parties, pour partie imputable à chacune et seront ci-après examinées dans le cadre des demandes présentées par madame B. relativement à sa révocation. Étant ajouté que si madame B. impute à messieurs M. d'avoir voulu prendre le pouvoir et s'approprier la société CBM, il ne peut qu'être constaté en tout état de cause qu'une telle prise de contrôle était au demeurant impossible alors qu'elle est actionnaire majoritaire.

Il en résulte que les appelantes ne caractérisent pas de causes de nullité, étant encore relevé que la présence des conseils de messieurs M. et la désignation de l'un d'eux en qualité de secrétaire de manière non conforme aux statuts, ceux-ci stipulant qu'un secrétaire peut être désigné par le conseil en dehors des administrateurs et des actionnaires, ce qui n'a pas été le cas en l'espèce, ne sauraient fonder l'annulation réclamée.

Le jugement déféré sera en conséquence confirmé en ce qu'il a rejeté la demande d'annulation.

Sur la demande de dommages et intérêts formée pour madame B.

À toutes fins, il sera relevé que si madame B. en première instance a réduit sa demande de dommages et intérêts à un euro, elle est recevable conformément à l'article 564 du code de procédure civile à porter sa prétention devant la cour à un montant supérieur.

Aux termes de l'article L. 225-47 alinéa 3 du code de commerce, le conseil peut révoquer le président à tout moment, sans préavis ni motifs, toute disposition contraire étant réputée non écrite. Pour autant, la révocation ne peut être décidée dans des conditions brutales ou vexatoires. Or, le procès-verbal établi au cours de la réunion du 13 juin 2014 démontre que les circonstances dans lesquelles madame B. a été révoquée de ses fonctions ont revêtu un caractère offensant et vexatoire imputable à messieurs M.. En effet, monsieur Radé M. employait des termes abaissants et outrageants, et affirmait une position manifestement humiliante à l'égard de l'intéressée, renforcé dans cette attitude fautive par la présence à ses côtés de son frère S. M.

Il convient dès lors de condamner messieurs M. au paiement chacun à titre de dommages et intérêts de la somme de 5.000 euros à madame B. en réparation du préjudice par elle subi résultant directement des fautes ci avant définies.

Sur la demande de dommages et intérêts formée pour la société CBM

Il est réclamé le remboursement de la somme de 55.000 euros représentant le coût de la mission de maître Le Guernevé, d'une facture de 65.769,89 euros émise par un cabinet d'expertise comptable mandaté par ce dernier et d'une facture de 4.000 euros représentant les honoraires de l'avocat mandaté par l'administrateur pour assister la CBM.

Cependant, d'une part, les appelantes ne démontrent pas que la désignation à leur demande d'un mandataire ad hoc devenu administrateur provisoire soit imputable à messieurs M., alors qu'il ressort largement des développements qui précèdent qu'une mésentente importante régnait entre les parties et qu'une telle désignation s'est avérée nécessaire, ces dernières s'opposant sur de multiples points et s'imputant réciproquement des défaillances dans la gestion de l'entreprise. S'agissant de la facture des honoraires de l'expert-comptable 8Advisory, les appelantes ne démontrent pas davantage son inutilité ni qu'elle serait imputable aux intimés dont elles n'établissent pas qu'ils auraient mis fin sans fondement à la mission du comptable jusqu'ici en charge des comptes de la société. Aussi la CBM sera-t-elle déboutée de sa demande en paiement de dommages et intérêts, faute de caractériser des fautes à l'encontre de messieurs M. en lien causal avec les préjudices qu'elle allègue.

Enfin, pour réclamer la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts, la société CBM prétend que messieurs M. auraient été à l'origine de sa désorganisation, alors qu'il résulte des développements qui précèdent qu'aucune faute n'est démontrée à leur encontre hormis les conditions de la révocation de madame B., et qu'il n'est de plus apporté aucun élément au soutien de la demande d'indemnisation d'un montant pourtant conséquent étant seulement fait état de l'inquiétude suscitée par la désignation de maître Le Guernevé parmi les salariés, fournisseurs et clients. Cette prétention sera rejetée.

S'agissant de la demande en remboursement de la somme de 18.000 euros, la société CBM ne démontre pas que les factures qu'elles contestent aient été établies en paiement de prestations réalisées pour messieurs M. personnellement, et si ce paiement n'a pas été autorisé par maître Le Guernevé auquel à sa demande devait être soumise préalablement toute dépense supérieure à 10.000 euros, il n'est pas plus justifié de ce que ladite dépense ait été inutile pour CBM et partant lui ait préjudicié. Le jugement sera ici encore confirmé.

Sur les dépens et les frais irrépétibles de première instance et d'appel

La solution retenue fonde de confirmer la décision de première instance s'agissant des dépens mis à la charge de messieurs M. dont la responsabilité à l'égard de madame B. a été admise.

En revanche, il sera fait masse des dépens qui seront supportés par moitié par madame B. et pour l'autre moitié par messieurs M., étant souligné que madame B. avait limité en première instance sa demande de dommages et intérêts à la somme d'un euro.

L'équité justifie de confirmer la décision de première instance relative à l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et de laisser à chaque partie la charge de ses frais irrépétibles d'appel.

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement rendu le 12 juin 2015 mais seulement en ce qu'il a condamné in solidum monsieur Radé M. et monsieur S. à payer à madame Charlotte B. la somme d'un euro à titre de dommages et intérêts ;

Y substituant,

Condamne monsieur Radé M. et monsieur S. à payer, chacun, à madame Charlotte B. la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts ;

Condamne monsieur Radé M. et monsieur S. aux dépens d'appel ;

Rejette toute autre demande.