Cass. 1re civ., 27 mai 1986, n° 84-14.154
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Joubrel
Rapporteur :
M. Béteille
Avocat général :
M. Rocca
Avocats :
Me Choucroy, SCP Lyon-Caen, Fabiani et Liard
Sur le premier moyen, pris en ses deux branches :
Attendu que, selon les juges du fond, M. Y..., producteur de films, et M. Z..., auteur de la pièce de théâtre intitulée La Cage aux folles, ont saisi par requête conjointe le tribunal de grande instance de Paris pour qu'il tranche leur litige " au sujet des droits respectifs de chacun d'eux sur l'exploitation dérivée de (cette) pièce " ; que dans la requête, qui fait corps avec le jugement rendu comme celui-ci le déclare expressément, les parties ont précisé, d'une part, qu'elles demandaient au tribunal de statuer sur leurs prétentions " selon les règles de droit conformément aux articles 12 et 57 du nouveau Code de procédure civile ", et, d'autre part, qu'elles renonçaient à l'avance à leur faculté d'appel ; que, s'étant dès lors directement pourvu contre la décision des juges -et les termes et visas ci-dessus de la requête montrant que ceux-ci n'ont pas été saisis et n'ont donc pas pu statuer comme amiables compositeurs, contrairement à ce que soutient M. Z... pour en déduire que leurs motifs, quelle qu'en soit la valeur, échapperaient au contrôle de la Cour de cassation-, M. Y... reproche d'abord au jugement attaqué d'avoir dit que M. Z... ne lui avait cédé aucune exclusivité portant sur le titre "La Cage aux folles ", qu'il s'agisse du droit de reproduction, du droit de représentation ou des droits d'utilisation secondaire des films que les contrats intervenus lui permettaient de réaliser ;
Attendu que M. Y... rappelle, en premier lieu, à cet égard, que le contrat du 25 novembre 1981 comportait une clause suivant laquelle M. Z... lui avait cédé " le droit unique et exclusif de vendre, louer, concéder, distribuer, exploiter, sous-traiter et tirer profit de toute façon et d'autoriser des tiers à le faire, le droit de mettre sur pied des ententes commerciales publicitaires avec tous patronages, la fabrication, la distribution et l'utilisation de tout article, produit ou service basés sur ou mis au point ou créés d'après une partie ou l'ensemble des films La Cage aux folles ou leur titre, ou leur scénario, sur lesquels il sont basés, et naturellement l'intrigue, les personnages, les péripéties, les objets ou éléments contenus dans lesdits scénarios ou les films, et parallèlement à utiliser le nom de Jean Z... et l'image en accord avec cela " ; qu'il est soutenu que le tribunal a refusé d'appliquer cette clause et a donc violé l'article 1134 du Code civil ; qu'en second lieu, M. Y... prétend que le tribunal a violé l'alinéa 3 du même texte qui dispose que les conventions doivent être exécutées de bonne foi ;
Mais attendu, au contraire, qu'en constatant que si elle conférait à M. Y... une exclusivité quant au droit de produire, représenter et utiliser des adaptations cinématographiques de la pièce, la clause ci-dessus ne lui en conférait aucune sur le titre -M. Z... conservant le droit de s'en servir pour les autres utilisations de cette pièce que lui réservaient les contrats intervenus-, le tribunal a fait application de ladite clause, et que, sa seconde branche n'étant pas davantage fondée, ce premier moyen doit être écarté ;
Le rejette ;
Mais, sur le second moyen :
Vu l'article 1625 du Code civil ;
Attendu que, invoquant le fait que M. Z... lui avait cédé " tous les droits cinématographiques " sur sa pièce et disposait seulement du droit d'adaptation de celle-ci pour une comédie musicale, un ballet ou un opéra, M. Y... demandait au tribunal de dire que son cocontractant avait manqué à son obligation de garantie d'éviction en autorisant le producteur américain Allan X... à faire un film " basé sur la comédie musicale en langue anglaise " produite par celui-ci outre-Atlantique ; que le jugement attaqué a rejeté ce chef de demande au motif que M. Z... " a usé, sans fraude prouvée, d'un droit qui lui était resté propre " ;
Attendu, cependant, que le même jugement a préalablement constaté l'accord des deux parties sur le fait que " Marcello Y... est seul et unique titulaire pour le monde entier (...) des droits d'adaptation cinématographique ou télévisée de la pièce (...), à l'exception du droit de réaliser une adaptation cinématographique directe de (celle-ci) en vue de la production et de la distribution, par un producteur américain, d'un film de cinéma de langue anglaise tourné avec des acteurs américains ou anglais " et que " Marcello Y... a conservé pour cette exception le droit de préférence à tout autre producteur " ; qu'en statuant dès lors comme ils ont fait, sans rechercher si M. Z... n'avait pas contrevenu à son obligation de garantie en autorisant Allan X... à porter à l'écran une oeuvre dérivée de sa pièce, c'est-à dire une adaptation cinématographique de celle-ci qui n'était pas " directe ", les juges du fond n'ont pas donné de base légale à leur décision au regard de l'article susvisé ;
Et sur le troisième moyen :
Vu l'article 4 du nouveau Code de procédure civile ;
Attendu que le tribunal a dit n'y avoir lieu à statuer sur de prétendus emprunts illicites qu'Allan X..., pour les besoins de sa comédie musicale, aurait faits aux deux films que Y... avait tirés de la pièce de M. Z... en conformité avec les conventions le liant à celui-ci ;
Attendu, cependant, que la requête conjointe demandait aux juges du fond de trancher la question de savoir si M. Z... avait ou non contrevenu à ses obligations contractuelles à l'égard de M. Y..., leurs conventions réservant au premier le droit d'adaptation de sa pièce pour une comédie musicale, un ballet ou un opéra " à condition qu'il ne soit fait aucun emprunt à l'un des films ou oeuvres télévisuelles produits par " le second ; qu'en écartant le chef de demande dont il était saisi à ce sujet par M. Y..., au seul motif que le débat se déroulait hors la présence d'Allan X... et que M. Z... ne pouvait ni représenter celui-ci ni être le contradicteur légitime de M. Y..., alors que ce débat portait sur la garantie de possession paisible due par le vendeur et non pas sur la responsabilité d'Allan X..., le tribunal a méconnu les termes du litige et violé l'article susvisé ;
Et attendu que, le pourvoi ayant été formé contre une décision du tribunal de grande instance de Paris saisi par une requête conjointe des parties, il y a lieu de renvoyer devant la même juridiction autrement composée ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE et ANNULE, mais seulement dans les limites des deuxième et troisième moyens, le jugement rendu le 30 mai 1984, entre les parties, par le tribunal de grande instance de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit jugement et, pour être fait droit, les renvoie devant le tribunal de grande instance de Paris.