CA Bourges, ch. civ., 22 novembre 2018, n° 17/01484
BOURGES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Centre France Automobile (SAS), Conseils et Services Automobiles du Cher (SARL), Banque CIC Ouest (SA)
Défendeur :
Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Centre Loire
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Sarrazin
Conseillers :
M. Foulquier, M. Perinetti
Exposé :
Afin de financer l'acquisition de stocks automobiles, la société Centre France Automobiles a souscrit chez plusieurs partenaires des lignes de crédit à court terme à hauteur de 2 245 000 € ainsi qu'il suit :
- 525 000 € auprès du Crédit Agricole,
- 500 000 € auprès du CIC Ouest,
- 350 000 € auprès de la Banque populaire de l'Ouest,
- 620 000 € à la Caisse d'épargne Loire centre,
- 150 000 € auprès de la Société Générale,
- 100 000 € auprès de la banque NUGER.
Suite à des difficultés économiques sur le marché automobile, la société Centre France Automobiles a entrepris de mettre un terme aux contrats de concession s'agissant des véhicules de marque Seat et Suzuki.
À réception des comptes clôturés au 31 décembre 2012, la banque CIC Ouest a dénoncé l'intégralité des lignes de crédit .
Le 24 mai 2013, la société Centre France Automobiles a saisi le médiateur du crédit auprès de la Banque de France.
Un accord est intervenu le 5 février 2014 aux termes duquel le CIC Ouest et le Crédit Agricole ont accepté d'accorder des lignes de crédit à court terme pour des montants respectifs de 350 000 € et 367 500 €.
Le 2 octobre 2014, le Crédit Agricole a notifié à la société Centre France Automobiles la fin de l'ouverture de crédit à durée indéterminée de 367 500 € à l'expiration d'un délai de préavis de 60 jours, ce qui a par ailleurs été dénoncé le même jour à sa holding, la société Conseils et Services Automobiles du Cher.
Le 2 février 2015, la banque CIC Ouest a dénoncé son concours à durée indéterminée d'un montant de 350 000 € à l'issue d'un délai de 60 jours.
Par décision rendue le 21 avril 2015, le tribunal de commerce de Bourges a placé la société Centre France Automobiles en liquidation judiciaire et a désigné la SCP P. pour conduire les opérations de la procédure collective.
La société Conseils et Services Automobiles du Cher a, quant à elle, fait l'objet d'une mesure de sauvegarde selon jugement du 9 juin 2015.
Par assignation en date du 13 janvier 2016, les sociétés Centre France Automobiles et Conseils et Services Automobiles du Cher et la SCP P. en qualité respectivement de mandataire liquidateur de la première et de mandataire à la procédure de sauvegarde de la seconde, ont demandé au tribunal de commerce de Bourges, au visa des articles 1134 et 1147 du Code civil et de l'article L 313 - 12 du code monétaire et financier, de dire que la rupture du crédit à court terme par les banques est abusive et de condamner en conséquence solidairement le Crédit Agricole et le CIC Ouest à verser :
- à la société Centre France Automobiles représentée par la SCP P. en qualité de mandataire liquidateur, les sommes de 120 000 € au titre de la perte des concessions Subaru et Mazda, 239 062 € au titre de la perte des stocks de pièces accessoires et des véhicules et 410 835 € au titre de la perte de la société Centre France Automobiles,
- à la société Conseils et Services Automobiles du Cher la somme de 607 477 € au titre de la dévaluation de ses fonds propres.
Par jugement rendu le 5 septembre 2017, le tribunal de commerce a déclaré irrecevable l'action diligentée par les sociétés Centre France Automobiles et Conseils et Services Automobiles du Cher et la SCP P. ès qualités à l'encontre de la Caisse régionale de Crédit Agricole et de la banque CIC Ouest et a dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.
Le tribunal a estimé, en effet, qu'il résultait de la lecture de l'article L 650-1 du code de commerce que la mise en cause des établissements bancaires du chef des concours accordés échappe aux personnes soumises à une procédure collective, sauf à établir la fraude, l'immixtion dans la gestion des affaires du client ou la disproportion - conditions qui n'étaient pas réunies en l'espèce s'agissant d'une action en responsabilité du fait de la rupture abusive de crédit .
Il a ajouté que l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire emporte dessaisissement de l'intégralité des droits du débiteur au profit du mandataire liquidateur, de sorte que la société Centre France Automobiles ne pouvait valablement intenter de procès au jour de l'exploit introductif d'instance, peu important qu'il soit indiqué qu'elle est représentée par son administrateur dès lors que celui-ci agit exclusivement dans l'intérêt des créanciers.
Il a par ailleurs estimé qu'il n'y avait pas lieu d'accueillir la société Conseils et Services Automobiles du Centre en ses prétentions dès lors que les préjudices de la société en déconfiture et de ses associés étaient identiques et qu'en sa qualité de holding, elle avait nécessairement ladite qualité d'associé.
La société Centre France Automobiles, représentée par la SCP P. mandataire liquidateur, la société Conseils et Services Automobiles du Cher et la SCP P. en qualité de mandataire judiciaire à la procédure de liquidation judiciaire de cette société, ont interjeté appel de cette décision et demandent à la cour, au visa des articles 1134 et 1147 du Code civil et de l'article L 313-12 du code monétaire et financier, d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris et, statuant à nouveau, de :
- Dire que la rupture du crédit court terme par le Crédit Agricole est abusive ,
- Dire que la rupture du crédit court terme par le CIC Ouest est également abusive ,
- Condamner in solidum le Crédit Agricole et le CIC Ouest à verser à la SCP P. ès qualités de mandataire liquidateur de la société Centre France Automobiles, et à la société Centre France Automobiles représentée par la SCP P. ès qualités de mandataire liquidateur, les sommes suivantes :
- 120 000 € au titre de la perte des concessions Subaru et Mazda,
- 239 062 € au titre de la perte des stocks de pièces accessoires et de véhicules,
- 410 835 € au titre de la perte du fonds de commerce Select Cars.
- Condamner in solidum le CIC Ouest et le Crédit Agricole à verser à la société Conseils et Services Automobiles du Cher représentée par la SCP P. ès qualités de mandataire liquidateur et à la SCP P. ès qualités de mandataire judiciaire à la procédure de liquidation judiciaire de la société Conseils et Services Automobiles du Cher, la somme de 607 477 € au titre de la dévaluation des fonds propres de la société Conseils et Services Automobiles du Cher,
- Condamner in solidum la banque CIC Ouest et le Crédit Agricole à verser à la SCP P. ès qualités de mandataire liquidateur de la société Centre France Automobiles et à la société Centre France Automobiles représentée par la SCP P. ès qualités de mandataire liquidateur ainsi qu'à la société Conseils et Services Automobiles du Cher représentée par la SCP P. ès qualités de mandataire liquidateur et à la SCP P. ès qualités de mandataire judiciaire à la procédure de liquidation judiciaire de la société Conseils et Services Automobiles du Cher la somme de 10 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Les appelants reprochent principalement au tribunal de commerce d'avoir fait application des dispositions de l'article L 650-1 du code de commerce pour déclarer irrecevables leurs prétentions alors qu'en l'espèce la responsabilité des banques se trouve recherchée, non pas sur le fondement de ce texte, mais en application de l'article L 313-12 du code monétaire et financier pour rupture abusive de concours.
Ils estiment par ailleurs que leur action apparaît parfaitement recevable dès lors qu'elle a été diligentée par le mandataire liquidateur en la personne de la SCP P., et donc dans l'intérêt des créanciers, ainsi que par le débiteur représenté par le mandataire liquidateur.
Ils ajoutent que la SCP P. ès qualités de mandataire liquidateur de la société Conseils et Services Automobiles du Cher et la société Conseils et Services Automobiles du Cher représentée par la SCP P. ès qualités de mandataire liquidateur de cette dernière tend à l'indemnisation de la dépréciation des fonds propres de ladite société, ce qui constitue un préjudice distinct et propre et en aucun cas un préjudice résultant de la diminution ou de l'aggravation du passif de la société Centre France Automobiles.
Ils reprochent aux deux banques la rupture fautive des concours financiers en application des articles 1134 et 1147 du Code civil et L 313-12 du code monétaire et financier aux motifs :
- que les engagements pris dans le cadre de l'accord intervenu devant le médiateur du crédit ont été respectés,
- qu'elle a transmis tous les mois aux banques les situations comptables pour prouver le respect du prévisionnel,
- que le CIC Ouest a également été tenu informé de l'évolution de l'entreprise et a pourtant procédé à des rejets de chèques pour des motifs fallacieux,
- que le lien de causalité entre les ruptures abusives des lignes de crédit à court terme et la liquidation judiciaire de la société Centre France Automobiles se trouve suffisamment établi.
La banque CIC Ouest conclut pour sa part à la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions et demande à titre subsidiaire à la cour de rejeter les prétentions formées à son encontre en raison de l'absence de preuve d'une faute qui pourrait lui être reprochée, ni même d'un préjudice qui en découlerait.
Sollicitant par ailleurs une indemnité de 3 000 € au titre des frais irrépétibles exposés, la banque CIC Ouest soutient principalement qu'il convient de faire application des dispositions de l'article L 650-1 du code de commerce selon lequel «lorsqu'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte, les créanciers ne peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis, sauf les cas de fraude, d'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou si les garanties prises en contrepartie de ces concours sont disproportionnées à ceux-ci».
Elle soutient que l'action de la société Conseils et Services Automobiles du Cher apparaît irrecevable dès lors que celle-ci ne justifie aucunement d'un intérêt personnel puisque les préjudices de la société en déconfiture et de ses associés sont identiques.
À titre subsidiaire, elle indique sur le fond avoir respecté les dispositions de l'article L 313-12 du code monétaire et financier et estime que le préjudice invoqué n'a aucune relation causale avec la prétendue faute qui lui est reprochée.
La Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Centre Loire demande pour sa part à la cour de confirmer le jugement entrepris et, à titre subsidiaire, de dire que les appelants ne rapportent pas la preuve d'une faute de la banque ni d'un préjudice prétendument occasionné par la brutalité de la rupture .
Sollicitant le versement d'une indemnité de 10 000 € au titre des frais irrépétibles exposés, le Crédit Agricole soutient en effet que le texte de l'article L 650-1 du code de commerce , d'une portée très générale, vise tous les préjudices résultant des concours consentis à une entreprise, ce qui est le cas en l'espèce puisque les appelants invoquent un préjudice subi du fait de la rupture de ce concours.
Elle estime en conséquence que l'action des appelants doit être déclarée irrecevable et soutient que la demande de la société holding Conseils et Services Automobiles du Cher et de son liquidateur judiciaire concerne un préjudice indirect, de sorte qu'une telle demande ne peut être formulée que par la SCP P. agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Centre France Automobiles.
Le Crédit Agricole conteste toute faute dans la rupture du concours, faisant observer que la société Centre France Automobiles ne lui a jamais demandé d'indiquer les motifs de la dénonciation conformément au texte de l'article L 313-12 du code de commerce .
Elle fait observer, notamment, que la société Centre France Automobiles ne lui a communiqué son bilan de l'exercice clos le 31 décembre 2013 que le 16 octobre 2014, alors même que ce résultat contredisait totalement le prévisionnel qui avait été présenté pour obtenir le concours des banques puisque la perte qui était initialement prévue à hauteur de 90 377 € était désormais de 458 000 €.
Le Crédit Agricole conteste également le lien de causalité entre la faute invoquée et le préjudice allégué.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 4 septembre 2018.
SUR QUOI :
Attendu que selon l'article L 650-1 alinéa premier du code de commerce , «lorsqu'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte, les créanciers ne peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis, sauf les cas de fraude, d'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou si les garanties prises en contrepartie de ces concours sont disproportionnées à ceux-ci» ;
Que les dispositions de ce texte, issues de la loi numéro 2005-845 du 26 juillet 2005 et modifiées par l'ordonnance numéro 2008-1345 du 18 décembre 2008, ont une portée générale et instaurent un régime d'exclusion de la responsabilité des créanciers ayant consenti des concours à une entreprise sauf dans les hypothèses limitativement prévues par le texte de fraude, immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou disproportion des garanties prises en contrepartie des concours ;
Qu'il est constant, en l'espèce, que la société Centre France Automobiles a été placée en liquidation judiciaire par jugement rendu le 21 avril 2015 par le tribunal de commerce de Bourges ; que la société Conseils et Services Automobiles du Cher a quant à elle fait l'objet d'une mesure de sauvegarde par jugement du 9 juin 2015 ;
Que les demandes formées par les appelants en application des dispositions de l'article L 313-12 du code monétaire et financier, tendant à l'octroi de dommages-intérêts en raison de la rupture du crédit court terme par le Crédit Agricole et le CIC Ouest qu'elles estiment abusive , doivent nécessairement s'analyser comme constituant, au sens de l'article L 650-1 précité, des demandes tendant à ce que les créanciers soient «tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis» ;
Attendu par ailleurs qu'il n'est ni établi ni même allégué que les banques intimées se seraient rendues coupables de fraude, d'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou que les garanties prises en contrepartie des concours auraient été disproportionnées à ces derniers ;
Que les prétentions des appelants se heurtent dès lors, nécessairement, aux dispositions de l'article L 650-1 précité, ainsi que l'a pertinemment relevé le premier juge ;
Qu'en conséquence, il y aura lieu de confirmer la décision prise le 5 septembre 2017 par le tribunal de commerce de Bourges ayant déclaré irrecevables les actions des appelants ;
Attendu par ailleurs qu'aucune considération d'équité ne commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;
PAR CES MOTIFS :
La Cour,
- Confirme, en toutes ses dispositions, le jugement entrepris ;
Y ajoutant,
- Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;
- Dit que les entiers dépens d'appel seront supportés par les appelants.