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Décisions

CA Reims, ch. civ. sect. 1, 8 juin 2009, n° 08/00593

REIMS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

Champagne Mansard Baillet (SA), SCP Dargent Morange Tirmant, Champagne Bricout et Koch (SA), DBM Caves (SNC), Rabobank International (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Maunand

Conseillers :

Mme Souciet, Mme Hussenet

Avoués :

SCP Six - Guillaume - Six, SCP Genet - Braibant, SCP Thoma Le Runigo Delaveau Gaudeaux

Avocat :

Selarl Billet Morel Billet-Deroi Lucas-Thibaut

T. com. Reims, du 26 févr. 2008

26 février 2008

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 08 Juin 2009 et signé par Monsieur Yves MAUNAND, Président de Chambre, et Madame THOMAS, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

La société ABC Gestion et le Crédit Lyonnais ont constitué le Fonds commun de créances Côte des Noirs (ci-après le FCC Côte des Noirs), lequel avait pour objet exclusif d'acquérir des créances en vue d'émettre des parts représentatives de ces créances. Il est représenté par la société ABC Gestion.

Le 20 décembre 2001, le FCC Côte des Noirs a acquis de la société Financière Martin & Fils une créance résultant d'un crédit intra-groupe d'un montant de 40.761.000 euros consentie par cette dernière à sa filiale la SNC DBM Caves.

Le jour même, cette société a nanti le stock de bouteilles de champagne lui appartenant au profit du FCC Côte des Noirs en garantie du paiement de sa créance. Le stock gagé a été confié à la garde de la S.A. Auxiga en qualité de tiers détenteur.

La société de droit néerlandais Rabobank International (ci-après la Rabobank) a acquis la majorité des titres émis par le FCC Côte des Noirs.

En mars 2003, la société ABC Gestion a mandaté la Rabobank pour le recouvrement et la gestion de toutes les créances cédées par la société Financière Martin & Fils au FCC Côte des Noirs.

Se prévalant de la dégradation de la situation financière du groupe Financière Martin & Fils et des manquements aux obligations d'information de la SNC DBM Caves, la Rabobank a, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception adressée à cette dernière le 13 mars 2003, exigé le paiement anticipé de l'intégralité de la créance de remboursement du prêt du FCC Côte des Noirs.

Le 14 janvier 2003, la S.A. Champagne Mansard Baillet a acquis auprès de la S.A. Champagne Bricout & Koch - société du groupe Financière Martin & Fils - 200.000 bouteilles de vin de champagne sur lattes de plus de quinze mois au prix de 7,16 euros hors taxes la bouteille, soit un prix total de 1.712.672 euros TTC.

La S.A. Champagne Bricout & Koch a émis le même jour une facture de ce montant, laquelle a été réglée le 15 janvier 2003 par la S.A. Champagne Mansard Baillet, après déduction d'un escompte de 6 %.

Un bon CIVC n° 1341 a été établi le 15 janvier 2003, sous couvert de l'administration des douanes, confirmant que la S.A. Champagne Mansard Baillet était sous-entrepositaire de ces 200.000 bouteilles chez Champagne Bricout à Avize.

Entre le 5 et le 11 février 2003, la S.A. Champagne Mansard Baillet a pris livraison de 108.971 bouteilles.

En dépit d'une mise en demeure adressée le 21 février 2003, elle n'a pas pu prendre possession des 91.029 bouteilles restantes.

Par ordonnance de référé rendue le 12 mars 2003 par le président du Tribunal de commerce d'Epernay, le S.A. Champagne Mansard Baillet a été autorisée à retirer les 91.029 bouteilles après accord des douanes et de la société Auxiga.

La S.A. Champagne Mansard Baillet a fait signifier cette ordonnance le 13 mars 2003 à la S.A. Champagne Bricout & Koch et lui a fait sommation d'avoir à lui remettre les 91.029 bouteilles sur lattes de plus de quinze mois.

Le 14 mars 2003, la S.A. Champagne Mansard Baillet a fait délivrer une sommation interpellative à la S.A. Champagne Bricout & Koch d'avoir à lui désigner précisément à quel endroit se trouvait son stock et de le lui présenter physiquement pour qu'elle soit en mesure de le reconnaître et d'en assurer le comptage avant qu'il soit procédé à son enlèvement. Le responsable de la S.A. Champagne Bricout & Koch a répondu à l'huissier de justice dans les termes suivants : 'J'ai pris toute disposition avec la société Mansard Baillet ce matin pour que les livraisons promises soient effectuées le 18 mars 2003". Les bouteilles n'ont cependant jamais été livrées.

Par lettre du 14 mars 2003, l'administration des douanes a fait savoir à la S.A. Champagne Mansard Baillet qu'elle ne pouvait pas l'autoriser à enlever la quantité de 91.029 bouteilles de champagne au motif que le contrôle effectué par ses services les 12 et 13 mars 2003 chez Champagne Bricout à Avize n'avait 'fait apparaître dans les comptes de douane aucune quantité de vin appartenant à la société Mansard Baillet'.

La S.A. Financière Martin & Fils et plusieurs autres sociétés du groupe, dont la S.A. Champagne Bricout & Koch et la SNC DBM Caves, ont été placées en redressement judiciaire par jugements prononcés le 24 avril 2003 par le Tribunal de commerce de Reims.

Me Philippe Contant et Me Jean-Luc Mercier ont été désignés en qualité d'administrateurs judiciaires avec la mission la plus étendue et Me Jean-François Dargent, membre de la SCP Dargent Morange Tirmant, en qualité de représentant des créanciers.

Le Tribunal de commerce de Reims, par jugement du 19 août 2003, et la Cour d'appel de Reims, par arrêt du 18 novembre 2003, ont arrêté le plan de redressement par voie de cession, Me Contant et Me Mercier étant désignés en qualité de commissaires à l'exécution du plan.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 30 juin 2003, la société ABC Gestion et la Rabobank ont déclaré à titre privilégié la créance du FCC Côte des Noirs au passif de la SNC DBM Caves pour un montant de 42.016.663,25 euros, se décomposant ainsi :

- 40.761.000 euros en principal, correspondant au montant du crédit intra-groupe ;

- 389.755,31 euros au titre des intérêts échus à la date du jugement d'ouverture ;

- 563.053,94 euros au titre des intérêts échus après la date du jugement d'ouverture et jusqu'au 25 juin 2003

- 302.854 euros au titre des commissions et frais.

Il était précisé que la créance était garantie par un gage avec dépossession de lots de bouteilles de vin sur lattes appartenant à la SNC DBM Caves.

Seul le montant déclaré au titre des commissions et des frais a été contesté.

Par requête du 23 décembre 2003, le FCC Côte des Noirs a sollicité du juge-commissaire l'attribution judiciaire à son profit des 1.863.547 bouteilles qu'il détenait encore en gage à due concurrence de sa créance admise à titre privilégié.

Par ordonnance du 16 janvier 2004, le juge-commissaire a fait droit à la demande et dit que le transfert de propriété au profit du FCC Côte des Noirs sera effectif le lundi 16 février à 12 heures.

Par lettre du 16 janvier 2004, la Rabobank s'est portée fort des obligations éventuellement à la charge du FCC Côte des Noirs résultant de l'attribution judiciaire, à son profit, des bouteilles mises en gage par la société DBM Caves.

Les démarches effectuées par la S.A. Champagne Mansard Baillet auprès des administrateurs judiciaires ne lui ont pas permis de récupérer les bouteilles se trouvant à Avize.

L'existence matérielle de ces bouteilles avait été confirmée à Me Contant par M. Jean-Louis Morlot, courtier assermenté, dans deux courriers adressés par ce dernier les 24 juillet 2003 et 3 février 2004. Me Contant a transmis ces courriers à la S.A. Champagne Mansard Baillet le 1er mars 2004, ainsi qu'un état des stocks de champagne Bricout établi le 31 mai 2003 mentionnant l'existence des 91.029 bouteilles vendus à la S.A. Champagne Mansard Baillet.

Cette dernière, s'appuyant sur la lettre du 24 juillet 2003, dans laquelle M. Morlot avait indiqué à Me Contant que 'les 91.029 bouteilles feraient partie des stocks gagés de la société DBM Caves sous contrôle de la société Auxiga, a estimé que le stock de 1.863.547 bouteilles attribué au FCC Côte des Noirs par l'ordonnance du 16 janvier 2004 comprenait les bouteilles litigieuses.

Par deux requêtes adressées respectivement les 13 mai 2004 et 1er octobre 2004 au juge-commissaire dans le cadre des procédures relatives à la S.A. Champagne Bricout & Koch et à la SCM DBM Caves, la S.A. Champagne Mansard Baillet, qui s'est prévalue de la reconnaissance de son droit de propriété aux termes d'une décision définitive avant l'ouverture des procédures collectives, a demandé qu'il soit statué sur sa demande de restitution au contradictoire de la Rabobank.

Par ordonnance du 2 mars 2006, le juge-commissaire s'est déclaré incompétent pour connaître de la demande et a renvoyé la S.A. Champagne Mansard Baillet devant le Tribunal de commerce de Reims que cette dernière a saisi par acte des 28 mars et 5 avril 2006.

Par jugement du 26 février 2008, le Tribunal de commerce de Reims a :

- dit que la S.A. Champagne Mansard Baillet n'avait pas à exercer l'action en revendication prévue par l'article L. 621-115 ancien du code de commerce ;

- déclaré l'ordonnance de référé du 12 mars 2003 opposable au redressement judiciaire de la S.A. Champagne Bricout & Koch ;

- déclaré la S.A. Champagne Mansard Baillet recevable et bien fondée en sa demande de restitution de ses 91.029 bouteilles d'un valeur de 651.767,64 euros ;

- constaté que ces bouteilles avaient bien été agréées et payées, mais qu'elles n'existent plus ;

- condamné les défendeurs à payer à la S.A. Champagne Mansard Baillet la contre-valeur de ces bouteilles, soit la somme de 651.767,64 euros ;

- condamné les défendeurs à payer à la S.A. Champagne Mansard Baillet la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté les parties de leurs autres demandes ;

- condamné les défendeurs aux dépens.

Me Mercier et Me Contant, agissant tant en qualité d'administrateurs judiciaires de la S.A. Champagne Bricout et Koch et la SCM DBM Caves qu'en qualité de commissaires au plan de cession de ces sociétés, ont relevé appel de ce jugement le 12 mars 2008.

Par dernières conclusions notifiées le 28 avril 2009, Me Mercier et Me Contant, ainsi que la SCP Dargent Morange Tirmant, prise en la personne de Me Dargent, agissant en qualité de représentant des créanciers des sociétés Champagne Bricout & Koch et DBM Caves, la S.A. Champagne Bricout et Koch, prise en la personne de son mandataire ad hoc, la SCP Crozat Barault Maigrot, prise en la personne de Me Jean-François Crozat, et la SCM DBM Caves, prise en la personne de son mandataire ad hoc, la SCP Crozat Barault Maigrot, prise en la personne de Me Jean-François Crozat, (ci-après les mandataires judiciaires) demandent à la Cour de déclarer l'appel recevable et bien fondé et de :

- donner acte à la SCP Dargent Tirmant Raulet de sa nouvelle dénomination ;

- donner acte à cette dernière de ce qu'en sa qualité de représentant des créanciers des sociétés Champagne Bricout & Koch et DBM Caves elle se joint à l'appel ;

- donner acte à la SCP Crozat Barault Maigrot, prise en la personne de Me Jean-François Crozat, agissant en qualité de mandataire ad hoc des sociétés Bricout & Koch et DBM Caves, de ce qu'elle se joint également à l'appel ;

- faire droit à l'appel et infirmer le jugement déféré dans toutes ses dispositions ;

- dire et juger irrecevable et en tout cas mal fondée la demande de restitution de 91.029 bouteilles de champagne et 'à défaut, de paiement du prix' formée par la S.A. Champagne Mansard Baillet ;

- la débouter de l'intégralité de ses prétentions et la condamner à payer sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile la somme de 5.000 euros à Me Mercier et Me Contant, ès qualités, celle de 3.000 euros à la SCP Dargent Tirmant Raulet, ès qualités, et celle de 3.000 euros à la SCP Crozat Barault Maigrot, ès qualités ;

- condamner la S.A. Champagne Mansard Baillet aux entiers dépens.

Par dernières conclusions notifiées le 23 avril 2009, la société Rabobank International poursuit l'infirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions et demande à la Cour de :

- constater que la S.A. Champagne Mansard Baillet ne formule aucune demande à son encontre ;

- en toute hypothèse, dire irrecevables et mal fondées les demandes de la S.A. Champagne Mansard Baillet ;

- l'en débouter et la condamner au paiement de la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Par dernières conclusions notifiées le 8 avril 2009, la S.A. Champagne Mansard Baillet demande à la Cour de :

- lui donner acte de ce qu'elle ne formule aucune demande contre la Rabobank et rejeter l'intégralité des moyens d'irrecevabilité, demandes, fins et conclusions de celle-ci ;

- déclarer irrecevable l'exception d'irrecevabilité soulevée par les appelants pour la première fois en cause d'appel ;

- à titre subsidiaire, dire qu'elle n'avait pas à exercer l'action en revendication prévue par l'article L. 621-115 ancien du code de commerce ;

- en toute hypothèse, déclarer l'ordonnance de référé opposable au redressement judiciaire de la S.A. Champagne Bricout & Koch ;

- à défaut, dire que la réponse de M. Hauchart à la sommation délivrée le 14 mars 2003 vaut reconnaissance amiable de son droit de propriété et est opposable au redressement judiciaire ;

- déclarer recevable et bien fondée sa demande et lui déclarer inopposable le transfert de ses bouteilles dans les stocks gagés de la SCM DBM Caves ;

- dire que la SCM DBM Caves n'est pas un possesseur de bonne foi et dire qu'elle justifie que ses 91.029 bouteilles s'y trouvaient en stock au jour du redressement judiciaire ;

- en conséquence, faire droit à sa demande de restitution formulée tant à l'égard de la S.A. Champagne Bricout & Koch que de la SCM DBM Caves ;

- l'autoriser à reprendre possession des 91.029 bouteilles sur lattes de plus de quinze mois et, à défaut, condamner solidairement les appelants à lui en payer le prix, soit la somme de 651.767,64 euros hors taxes ;

- rejeter l'intégralité des demandes formulées par les appelants et les condamner au paiement de la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Le ministère public conclut à la confirmation du jugement déféré.

SUR CE, LA COUR,

Attendu qu'il sera donné acte à la SCP Dargent Tirmant Raulet de sa nouvelle dénomination ;

Attendu qu'il sera donné acte à la SCP Dargent Tirmant Raulet, ès qualités, et à la SCP Crozat Barault Maigrot, ès qualités, de ce qu'elles s'associent à l'appel relevé par Me Mercier et Me Contant, ès qualités ;

Attendu que c'est en vain que la S.A. Champagne Mansard Baillet oppose à la demande des mandataires judiciaires, tendant à voir déclarer irrecevables ses prétentions pour ne pas avoir préalablement exercé l'action en revendication prévue par l'article L. 621-115 ancien du code de commerce, une fin de non-recevoir tirée de l'application de l'article 74 du code de procédure civile au motif que cette 'exception d'irrecevabilité' n'aurait pas été soulevée en première instance ;

Qu'en effet, une fin de non-recevoir, dont le régime n'est pas celui des exceptions de procédure, peut être soulevée en tout état de cause et, notamment, pour la première fois en appel ;

Que, par ailleurs, aucune décision au fond n'est passée en force de chose jugée tranchant dans son dispositif la contestation dont la cour d'appel est saisie ;

Attendu que la S.A. Champagne Mansard Baillet soutient qu'elle n'avait pas à exercer d'action en revendication dans les délais et selon les modalités prévus par les articles L. 621-115 et suivants du code de commerce en faisant tout d'abord valoir que l'action tendant à obtenir la livraison des bouteilles manquantes avait été engagée devant le juge des référés et avait été achevée avant le jugement d'ouverture de la procédure collective, peu importe que l'ordonnance ait seulement force de chose jugée et non autorité de la chose jugée au principal ;

Mais attendu que l'action en revendication prévue par les articles L. 621-115 et suivants du code de commerce, dans sa rédaction alors applicable, tend à la reconnaissance du droit de propriété aux fins d'opposabilité de ce droit aux créanciers de la procédure collective et à leur représentant en vue de la restitution d'un bien ;

Attendu qu'en l'espèce, la S.A. Champagne Mansard Baillet ne peut pas se prévaloir utilement d'une reconnaissance judiciaire définitive de son droit de propriété ayant autorité de la chose jugée antérieurement au jugement déclaratif ; qu'en effet, l'ordonnance de référé par laquelle elle a été autorisée à retirer les 91.029 bouteilles après accord des douanes et de la société Auxiga n'est pas un action pétitoire consistant à faire reconnaître un droit de propriété ; que cette ordonnance est, par ailleurs, privée de toute autorité de chose jugée au principal ; que son exécution était par ailleurs subordonnée à l'accord des douanes et de la société Auxiga ; que, par lettre du 14 mars 2003, l'administration des douanes n'a pas autorisé la S.A. Champagne Mansard Baillet à enlever les 91.029 bouteilles de champagne dans la mesure où le contrôle effectué par ses services les 12 et 13 mars 2003 chez Champagne Bricout à Avize n'avait 'fait apparaître dans les comptes de douane aucune quantité de vin appartenant à la société Mansard Baillet' ;

Que, par ailleurs, la S.A. Champagne Mansard Baillet n'avait pas engagé, avant l'ouverture de la procédure collective du débiteur détenteur des biens dont la restitution est demandée, une action au fond tendant à cette fin, laquelle aurait pu être poursuivie après l'ouverture de la procédure collective par la mise en cause du mandataire judiciaire sans qu'il fût nécessaire de procéder selon les modalités et délais prévus en matière de revendication ;

Attendu que, consciente de l'absence de reconnaissance judiciaire de son droit de propriété, la S.A. Champagne Mansard Baillet se prévaut d'une reconnaissance amiable de ce droit antérieure au jugement d'ouverture de la procédure collective ; qu'elle fait valoir, à cette fin, que dans le cadre de la procédure de référé, la S.A. Champagne Bricout & Koch s'est contentée de soulever l'indisponibilité des vins sans remettre en cause le droit de propriété de la S.A. Champagne Mansard Baillet sur les bouteilles vendues ; qu'elle se prévaut des énonciations de l'ordonnance de référé du 12 mars 2003 aux termes desquelles 'il n'est pas contestable ni contesté la propriété et le règlement des 91.029 bouteilles sur lattes de plus de quinze mois qui appartiennent à Champagne Mansard Baillet' ; qu'elle en conclut que le juge des référés a statué sur la propriété des bouteilles, même s'il a soumis leur enlèvement à l'accord des douanes et de la société Auxiga ; que la S.A. Champagne Mansard Baillet se prévaut enfin de la réponse faite par le responsable de la S.A. Champagne Bricout & Koch à la sommation interpellative délivrée le 14 mars 2003, à savoir qu'il avait pris toutes les dispositions pour que les livraisons promises soient effectuées le mardi 18 mars 2003 ; qu'elle estime que cette réponse vaut reconnaissance amiable de son droit de propriété, et ce, antérieurement à l'ouverture de la procédure collective ; que la S.A. Champagne Mansart Baillet soutient que les appelants confondent la vente à l'agréage et celle sur échantillons alors que si la première est un contrat par lequel l'acheteur réserve son acceptation définitive jusqu'au moment où il aura goûté ou agréé la marchandise, la seconde est définitivement formée après l'échange des consentements et l'acceptation de l'échantillon par l'acquéreur ; qu'elle fait valoir que la vente litigieuse était une vente sur échantillon et qu'aucun document contractuel ne subordonne la vente à l'agréage final du vin vendu ;

Mais attendu que la S.A. Champagne Mansart Baillet ne peut pas se prévaloir utilement des motifs de l'ordonnance de référé du 12 mars 2003 lesquels n'ont aucune autorité de chose jugée, de surcroît au principal ; qu'en outre, comme le fait justement observer la Rabobank, ce que ne contestait pas la S.A. Champagne Bricout & Koch c'était l'existence même de la vente, et non le droit de propriété ;

Qu'il ressort du courrier du 14 janvier 2003 du Comptoir de courtage champenois que la vente intervenue entre la S.A. Champagne Mansart Baillet et la S.A. Champagne Bricout & Koch portait sur deux cent mille bouteilles sur lattes de plus de quinze mois 'conformes à l'échantillon' ; que ces bouteilles devaient être prises parmi le stock de bouteilles sur lattes qu'était censée détenir la S.A. Champagne Bricout & Koch ;

Que la vente, qui portait sur un nombre déterminé de choses de genre, était régie par l'article 1585 du code civil selon lequel lorsque les marchandises ne sont pas vendues en bloc, mais au poids, au compte ou à la mesure, la vente n'est point parfaite, en ce sens que les choses vendues sont aux risques du vendeur jusqu'à ce qu'elles soient pesées, comptées ou mesurées ; qu'en vertu de l'article 1587 du code civil, à l'égard du vin, de l'huile et des autres choses que l'on est dans l'usage de goûter avant d'en faire l'achat, il n'y a point de vente tant que l'acheteur ne les a pas goûtés ou agréés ;

Qu'il se déduit de ces dispositions, qu'en matière de vente sur échantillon de choses qu'il est d'usage de goûter, la vente est parfaite par l'agréage de l'échantillon par l'acquéreur ; que la S.A. Champagne Mansart Baillet ne peut pas valablement soutenir que la vente litigieuse n'entrait pas dans les prévisions de cet article alors qu'elle a adressé une lettre le 21 février 2003 au Comptoir ce courtage champenois dans laquelle elle écrivait : 'Le 14 janvier 2003, vous nous avez confirmé l'achat de 200.000 bouteilles de champagne + de 15 mois au Champagne Bricout à Avize représenté par Mr Pierre Martin.

Suite à l'agrément qualitatif par nos soins d'un échantillon qui portait la capsule (2A01) CVC. analyse n° 1, nous avons réceptionné ;

- les 5 et 6 février 55.344 bouteilles avec capsules beiges et flûte (analyse n° 2). Un lot qui n'a pas été agréé ni dégusté.

- le 10 février 20.000 bouteilles capsules vertes non agrées ni dégustées (analyse n° 3 toujours réalisée a posteriori).

- le 11 février 33.627 bouteilles avec capsules scell++ (analyse n° 3) dont la température de saturation (passage au froid) est 14,90 soit une tenue très médiocre au froid.

Vu l'ensemble des problèmes rencontrés, je vous ai demandé de me remettre un échantillon homogène conforme pour solder le compte soit 91.029 bouteilles. A ce jour et après analyse (§ 4 & 5) trois des échantillons proposés (ECCC Lot 3, ECO85, EC159) confirment des températures de saturation égales à 15,2 ou supérieure à 20 signifiant que ces lots ne sont pas protégés contre le froid.

Cette situation est inadmissible et n'est pas conforme au contrat que nous avons passé entre nous !

Nous sommes en sous-entrepôt au Champagne Bricout encore pour un volume de 91.029 bouteilles que nous avons payées comptant depuis le 21 janvier 2003.

Afin de régler cette situation intolérable, je vous demande de me livrer, dès mardi 4 mars 2003, au Champagne Mansard-Baillet, les 91.029 bouteilles correspondant au lot agréé capsule CVC 2A01 ou alors de nous rembourser 7,16 euros par 91.029 bouteilles soit un montant total de 651.767,64 euros.' ;

Qu'il n'y a donc pas lieu d'opposer, comme le fait à tort la S.A. Champagne Mansard Baillet vente sur échantillon et vente à l'agréage ; qu'en effet, quand la vente se fait, comme en l'espèce, sur échantillon, celui-ci sert tout d'abord à définir les caractéristiques qui vont déterminer le consentement de l'acquéreur, puis, dans un second temps, à vérifier que le bien livré est bien conforme à ce qui avait été prévu ;

Attendu, en revanche, qu'une vente définitivement conclue par l'agréage de l'échantillon par l'acquéreur n'emporte cependant ni transfert de propriété ni transfert des risques dès lors que l'objet de la vente est une chose de genre non encore individualisée ; que c'est en effet l'opération de pesage, de comptage ou de mesurage qui va permettre l'individualisation de la chose vendue et le transfert de la propriété et des risques ;

Qu'il est constant, en l'espèce, que les 91.029 bouteilles dont la S.A. Champagne Mansard Baillet poursuit la restitution n'ont jamais été individualisées, en ce sens qu'elles n'ont jamais fait l'objet d'un groupage ou d'un référencement ; qu'elles n'étaient pas 'encapsulées 2A01", comme le mentionne à tort le ministère public dans ses conclusions, dans la mesure où ce numéro de capsule était celui de l'échantillon qui avait fait l'objet de l'agrément ainsi que cela ressort de la lettre du 21 février 2003 ; que les bouteilles n'ont par ailleurs jamais été comptées ; que la S.A. Champagne Mansard Baillet en était parfaitement convaincue dans la mesure où elle a fait délivrer une sommation interpellative à la S.A. Champagne Bricout & Koch dans laquelle l'huissier de justice demandait notamment que le stock de 91.029 bouteilles lui fût présenté physiquement afin de pouvoir 'reconnaître' les vins dont s'agit et d'en assurer le comptage avant qu'il soit procédé à son enlèvement ;

Qu'il s'ensuit que, en l'absence d'individualisation des bouteilles à la suite d'un comptage qui devait s'opérer au moment de la livraison, l'engagement du représentant de la S.A. Champagne Bricout & Koch en réponse à la sommation interpellative qui lui a été délivrée le 14 mars 2003 de prendre toutes les dispositions pour que les livraisons promises soient effectuées le 18 mars 2003 ne peut valoir reconnaissance amiable du droit de propriété de la S.A. Champagne Mansard Baillet, laquelle ne peut se prévaloir que d'un droit de créance sur la S.A. Champagne Bricout & Koch et ne peut pas prétendre à une restitution par équivalent ;

Que, pour les mêmes raisons tenant à l'absence d'individualisation et d'identification des bouteilles, la S.A. Champagne Mansard Baillet ne peut pas valablement soutenir que celles dont elle avait fait l'acquisition seraient sorties du patrimoine de la S.A. Champagne Bricout & Koch au motif qu'elles auraient été sous-entreposées à son nom depuis le 15 janvier 2003 ; qu'il ne ressort, en effet, d'aucune des pièces versées aux débats que le sous-entrepôt dont se prévaut la S.A. Champagne Mansard Baillet dans les caves de la S.A. Champagne Bricout & Koch aurait été accompagné d'une individualisation de la marchandise ;

Attendu que la S.A. Champagne Mansard Baillet ne peut par ailleurs se prévaloir utilement d'aucune reconnaissance préalable du droit de propriété qu'elle revendique à l'encontre de la SCM DBM Caves ;

Attendu qu'il ne ressort pas des pièces versées aux débats que les bouteilles vendues et non livrées à la S.A. Champagne Mansard Baillet seraient comprises dans le stock de bouteilles gagé par la SCM DBM Caves au profit du FCC Côte des Noirs ; qu'en effet, la preuve de cette affirmation formulée par la S.A. Champagne Mansard Baillet ne peut pas résulter de la seule lettre adressée le 24 juillet 2003 par M. Morlot, courtier, dans la mesure où ce dernier utilise le conditionnel et se borne à rapporter une information qui lui aurait été fournie sans qu'il ne l'ait vérifiée ; que M. Morlot écrit en effet : 'Toutefois, selon ce qui m'a été indiqué, les 91.029 bouteilles feraient partie des stocks gagés de la société DBM Caves sous contrôle Auxiga' ; que les pièces produites par Rabobank établissent que le stock gagé au profit du FCC Côte des Noirs en décembre 2001 a été placé sous le contrôle de la S.A. Auxiga, tiers détenteur ; que cette société a établi, tous les mois, un certificat de tierce détention faisant apparaître les entrées et les sorties de bouteilles du stock placé sous sa garde ; que, pour la période comprise entre le 31 décembre 2002 et le 30 avril 2003 - période au cours de laquelle aurait eu lieu le prétendu transfert - ont seulement été comptabilisées trois entrées en février 2003 suivies de trois sorties en mars 2003 concernant les mêmes qualités et les mêmes quantités ; qu'il n'y a donc pas lieu de déclarer inopposable à la S.A. Champagne Mansard Baillet le transfert de ses bouteilles dans les stocks gagés de la SCM DBM Caves dès lors que la preuve de ce transfert n'est pas rapportée ;

Attendu qu'il résulte de ce qui précède que les demandes de restitution formées par la S.A. Champagne Mansard Baillet tant à l'encontre de la procédure collective de la S.A. Champagne Bricout & Koch que de celle de la SCM DBM Caves sont irrecevables faute pour la requérante d'avoir préalablement initiée une procédure de revendication dans les délais et selon les modalités prévus par l'articles L. 621-115 et suivants anciens du code de commerce ;

Que le jugement déféré sera infirmé en toutes ses dispositions et la S.A. Champagne Mansard Baillet déclarée irrecevable en ses demandes ;

Attendu que, succombant dans ses prétentions, la S.A. Champagne Mansard Baillet sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel ;

Qu'aucune considération d'équité ne commande l'application aux parties des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS,

Statuant publiquement et par arrêt contradictoire ;

Donne acte à la SCP Dargent Tirmant Raulet de sa nouvelle dénomination et à la SCP Dargent Tirmant Raulet, ès qualités, et à la SCP Crozat Barault Maigrot, ès qualités, de ce qu'elles s'associent à l'appel relevé par Me Mercier et Me Contant, ès qualités ;

Infirme en toutes ses dispositions le jugement déféré et statuant à nouveau ;

Déclare la S.A. Champagne Mansard Baillet irrecevable en ses demandes de restitution ;

Rejette les demandes formées par les parties au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la S.A. Champagne Mansard Baillet aux dépens de première instance et d'appel et, pour ces derniers, admet la SCP Six Guillaume Six et la SCP Thoma Delaveau Gaudeaux, avoués, au bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.