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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 30 juin 2015, n° 14/05098

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

VERTIGO (SARL)

Défendeur :

ETEX FRANCE (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Monsieur RAJBAUT

Conseillers :

Madame GABER, Mme AUROY

Avocats :

Me Pascale F., Me Pierre G., AARPI FLP AVOCATS, Me Nathalie L., SAS C.

Paris, du 3 oct. 2013

3 octobre 2013

Considérant que la société Vertigo, qui a commencé son activité en 1989, est une agence spécialisée dans la création, la fabrication et la commercialisation de stands et l'aménagement d'espaces intérieurs ;

Que la société Etex France - ayant pour activité la proposition de solutions innovantes pour l'autonomie des personnes handicapées visuelles - a fait appel à ses services pour la réalisation de stands de salons, dans la filière optique-lunetterie, à compter de 2007 ; qu'en juillet 2009, la société Vertigo a réalisé pour elle un stand, exploité lors du salon SILMO (Mondial de l'Optique) en 2009 et 2010 et du salon ATONOMIC en 2010 ; qu'en 2011, la société Etex France n'a pas donné suite au devis de reconduction de la société Vertigo et a confié à M. M. - exerçant en libéral dans le secteur de la création artistique relevant des arts plastiques - la réalisation de son stand pour le salon SILMO, qui s'est tenu au Parc des expositions de Paris Nord Villepinte, du 29 septembre au 2 octobre 2011 ;

Qu'estimant que ce stand reproduisait strictement le sien, la société Vertigo a, le 29 septembre 2011, fait réaliser un constat d'huissier de justice, puis, dûment autorisée par ordonnance présidentielle du 30 septembre 2011, fait procéder le 1er octobre 2011 à une saisie-contrefaçon descriptive ; qu'enfin, par acte du 18 novembre 2011 ,elle a fait assigner la société Etex France et M. M. devant le tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon de ses droits d'auteur ;

Que dans son jugement du 3 octobre 2013, le tribunal a :

déclaré la demande de la société Vertigo recevable,
débouté cette société de sa demande de protection au titre du droit d'auteur,
dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,
condamné la société Vertigo aux dépens, dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile,
rejeté les demandes présentées sur le fondement de l'article 700 du même code ;

- sur la fin de non recevoir opposée par la société Etex France à la société Vertigo :

Considérant que la société Etex France soutient que la société Vertigo est irrecevable à agir dans la mesure où celle-ci, qui ne bénéficie d'aucune présomption de titularité, ne rapporte pas la preuve de sa qualité d'auteur du stand de 2009 ;

Que la société Vertigo lui oppose son devis du 22 juillet 2009 et sa facture du 23 juillet 2009 ;

Considérant que les documents précités, produits par la société Vertigo, établissent incontestablement sa qualité d'auteur du stand de 2009, qu'elle a entièrement réalisé ; que la discussion instaurée par la société Etex France sur les conditions de réalisation de ce stand, qu'elle prétend avoir été exécuté selon ses instructions et non créé par la société Vertigo relève du point suivant relatif à l'éligibilité de ce stand à la protection au titre du droit d'auteur, qui sera examiné ci-après ;

Qu'il convient donc de confirmer le jugement en ce qu'il déclare recevable la demande de la société Vertigo ;

- sur la protection du stand de la société Vertigo au titre du droit d'auteur :

Considérant que la société Vertigo revendique l'originalité de la combinaison des caractéristiques suivantes :

* trois ouvertures, l'une très large sur le devant et deux latérales plus petites dans

lesquelles sont accrochés des rideaux de fils,

* une réserve située dans le fond du stand, au centre, avec une cloison de couleur blanche, sur laquelle (en haut au milieu) est reproduit le logo de la société Etex France France et comportant sur la droite, une porte,

* deux alcôves encadrant cette réserve, situées en retrait, dont les murs sont recouverts de capitonnage blanc avec des boutons rouges et dans lesquelles sont

installées des banquettes également de couleur blanche, le plafond au-dessus des banquettes, dans lequel sont insérés des spots lumineux, étant de couleur rouge,

* deux colonnes d'angle, à chaque extrémité, sur le devant du stand, intégrant en leur centre une niche vitrée et sur lesquelles sont fixées une tablette formant un L avec la colonne,

* un meuble central de couleur blanche, de forme elliptique dans sa partie basse, positionné sur l'avant du stand, au milieu duquel se trouve un renfoncement de couleur rouge et sur lequel est insérée une tablette en verre qui dépasse de part et d'autre du meuble où sont posées trois affiches sur cloison en 'plexi' transparent, la partie haute du meuble au-dessus de la tablette étant cubique, en rupture avec la partie basse, lui-même original,

* l'intérieur des deux ouvertures situées de chaque côté du stand, en forme de U inversé de couleur rouge, de même pour la bande supérieure du plafond qui se

trouve dans le prolongement des deux colonnes, au dessus du meuble, et dans

laquelle sont insérés des spots lumineux ; qu'elle fait valoir que si ces caractéristiques répondent à une fonction particulière, leur composition particulière révèle une préoccupation ornementale et confère au stand un aspect futuriste, épuré et aérien, en

parfait accord avec la ligne de création qu'elle s'était fixée ;

Que les intimés répondent que le stand est banal et dépourvu de toute originalité ; que la société Etex France, qui reproche à la société Vertigo de ne pas identifier précisément l'oeuvre pour laquelle elle revendique des droits d'auteurs - qui ne peut être, selon elle, que le stand de 2009 -, fait valoir que les éléments versés aux débats par la société appelante ne permettent pas d'établir l'existence d'un véritable processus de création, mais simplement celle d'un processus de fabrication d'un stand, réalisé selon ses instructions et son image ; qu'ils soutiennent - suivis en cela par le tribunal - que chacun des éléments dont la combinaison est revendiquée présente un caractère purement fonctionnel, certains d'entre eux étant en outre imposés par le règlement de l'organisateur du salon, et que les seuls éléments esthétiques (choix d'alliance des couleurs) correspondent à l'image de marque développée par la société Etex France ; qu'ils ajoutent que l'originalité de la combinaison revendiquée n'est pas démontrée ;

Considérant, ceci exposé, qu'il y a lieu de rappeler qu'en vertu de l'article L111-1 du code de la propriété intellectuelle, l'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous qui comporte des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial, et que ce droit est conféré, selon l'article L112-1 du même code, à l'auteur de toute oeuvre de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination ;

Que sont notamment considérées comme oeuvres de l'esprit, en vertu de l'article L112-2 de ce code, les oeuvres des arts appliqués ;

Qu'il se déduit de ces dispositions le principe de la protection d'une oeuvre, sans formalité, du seul fait de la création d'une forme originale, portant l'empreinte de la personnalité de son auteur ;

Considérant que la société Vertigo revendique sans ambiguïté une protection au titre du droit d'auteur pour le stand qu'elle a réalisé en juillet 2009 ; qu'il y a donc lieu d'exclure, dans la liste des éléments susvisés, les rideaux de fil accrochés dans les ouvertures latérales, ceux-ci n'étant apparus que dans l'adaptation du stand en 2010 et au lieu desquels étaient à l'origine posées des parois de séparation en 'plexi' transparent ;

Considérant que le devis estimatif du 22 juillet 2009, auquel se réfère en tous points la facture du 23 juillet 2009, s'intitule explicitement 'conception, étude technique, réalisation et installation en location pose et dépose de votre stand au prochain salon cité en référence d'après nos plans infographiques et perspectives couleurs' ; que la simple mention dans ce devis de la remise préalable d'un cahier des charges (non versé aux débats), dont le contenu n'est pas détaillé, et d'éléments graphiques relatifs au logo de la société Etex France et à certains éléments textuels, photographiques et décoratifs, ne suffit pas à contredire son intitulé et à démontrer que la société Vertigo aurait effectué son travail sans aucune liberté, en se bornant à exécuter de prétendues instructions de la société Etex France, dont celle-ci ne précise d'ailleurs pas la teneur ;

Que la circonstance que la société Vertigo soit tenue de respecter, non seulement un cahier des charges, mais le règlement édicté par l'organisateur du salon SILMO et l'image de la société Etex France ne saurait exclure en soi tout effort créatif de sa part ; que si l'existence d'une fonction utilitaire de chacun des éléments susvisés, justement relevée par le tribunal, n'est ni contestable, ni contestée, il n'en demeure pas moins que leur forme et leur disposition ne sont nullement asservies à cette fonction ;

Qu'ainsi, si la présence d'ouvertures sur chaque façade était imposée par le règlement, leur largeur dépasse largement le tiers minimum exigé, pourtant suffisant pour satisfaire la clientèle malvoyante de la société Etex France (soit 8 mètres au lieu des 2,70 m exigés pour la façade centrale et de 4 mètre au lieu de 1,30 m exigés), conférant effectivement au stand un aspect très aérien et épuré ; que, de même, si le règlement prévoit expressément la présence de réserves sur les stands pour l'entrepôt des marchandises et que les stands pré-équipés proposés par l'organisateur du salon présentent eux-mêmes une réserve avec une porte, son emplacement au centre du fond du stand, entre les deux alcôves ne peut se réduire à son aspect pratique et procède aussi d'une recherche esthétique d'équilibre ; que la décoration intérieure de ces alcôves, certes utiles à la réception des visiteurs et respectant le code couleur de la société Etex France, est néanmoins personnalisée par les petits choix esthétiques opérés (capitonnage des murs blancs par des boutons rouges associé à des banquettes blanches et à un plafond rouge dans lequel sont insérés des spots lumineux) ; que la forme rectangulaire des colonnes d'angle, dont la présence s'explique par la structure du stand, ne répond à aucun impératif technique et traduit, dans ses proportions, une préoccupation ornementale ; qu'il en est de même pour ses équipements intégrés (vitrines d'exposition, tablettes en forme de L) ; qu'enfin, il n'est pas justifié de la pré-existence de meuble identique au meuble blanc central, dont la partie haute, cubique, est en rupture avec la partie basse, de forme elliptique, comportant en son centre un renfoncement de couleur rouge, dont elle est séparée par une tablette en verre ; que, par ailleurs, si les couleurs sont imposées par le code couleur de la société Etex France, leur organisation peut différer, comme en atteste le stand réalisé par la société Vertigo pour cette même société en 2007, où le rouge domine, contrairement à celui de 2009, où le blanc est mis en avant ;

Qu'ainsi les choix opérés par la société Vertigo dans la composition et la combinaison de ces éléments confèrent à cette dernière une physionomie propre traduisant un parti pris esthétique qui porte l'empreinte de la personnalité de son auteur ; qu'il convient donc, infirmant le jugement de ce chef, de dire que le stand créé en juillet 2009 par la société Vertigo pour la société Etex France est original et, partant, éligible à la protection au titre du droit d'auteur ;

- sur la contrefaçon :

Considérant que la société Vertigo soutient que la société Etex France et M. M. ont commis des actes de contrefaçon en exploitant lors du Silmo 2011 un stand reproduisant à l'identique et dans ses moindres détails le sien ;

Que la société Etex France lui répond que le stand litigieux ne reproduit pas les caractéristiques du stand revendiqué et fait valoir des différences tenant à la forme et l'emplacement des enseignes (deux en son centre, en hauteur, l'une au fond, l'autre dominant le stand, à la différence du stand réalisé par la société Vertigo, où la seule enseigne apparaît en retrait), au traitement des ouvertures latérales (rideau de fils rouges contre simple bande de plexiglas rouge), à l'habillage des colonnes (vitrines plus hautes et plus larges, tablettes en bois mélaminé avec bords arrondis sans pied au lieu de tables rectangulaires en verre transparent avec pieds métalliques) et enfin à l'éclairage (spots lumineux répartis différemment autour de l'enseigne principale, rampe métallique traversant toute la longueur du stand, inexistante sur le stand revendiqué)

Que M. M. ajoute que l'impression d'ensemble différente, de face, de côté et par l'éclairage ;

Considérant, ceci exposé, qu'il suit des dispositions de l'article L122-4 du code de la propriété intellectuelle que la contrefaçon d'une oeuvre de l'esprit est réalisée à raison de la reprise des caractéristiques essentielles qui sont au fondement de l'originalité de l'oeuvre ;

Considérant que, contrairement à ce que soutient M. M., la cour constate que les différences signalées qui, à l'exception de celles tenant à l'emplacement de l'enseigne principale et, partant à l'emplacement des spots lumineux, ainsi qu'à l'existence d'une rampe lumineuse, correspondent aux évolutions apportées par la société Vertigo à son propre stand en 2010, n'entachent pas l'impression d'ensemble de ressemblance qui s'en dégage, les caractéristiques qui sont au fondement de l'originalité du stand de 2009 étant reproduites à l'identique ;

Que, par voie de conséquence, il y a lieu, infirmant le jugement de ce chef, de dire qu'en reproduisant et en exploitant lors du salon SILMO 2011 un stand qui est la contrefaçon de celui créé en 2009 par la société Vertigo, M. M. et la société Etex France ont commis des actes de contrefaçon ;

- sur les mesures réparatrices :

Considérant que la société Vertigo demande à la cour de condamner la société Etex France à lui payer la somme de 135 000 € en réparation de son préjudice commercial, correspondant à hauteur de 120 000 € au montant du chiffre d'affaire qu'elle aurait réalisé si leurs relations commerciales s'étaient poursuivies comme usuellement pendant encore quatre ans et à hauteur de 15 000 € au montant pratiquée par elle pour une cession temporaire de ses droits de reproduction et de représentation, et de condamner M. M. à lui payer la somme de 15 000 € en réparation du préjudice subi du fait de l'usurpation de son travail de création, évalué au montant du prix de cession précité ;

que tant le principe que le montant de ces préjudices sont formellement contestés par les intimés ;

Considérant que la société Vertigo ne peut prétendre à la réparation d'un préjudice simplement éventuel, la poursuite de ses relations commerciales avec la société Etex France n'étant nullement acquise d'une année sur l'autre ; que son préjudice économique réellement subi doit être évalué au manque à gagner pour la seule année 2011, soit, d'après son devis du 30 juin 2011, à la somme de 28 200 €, sans qu'il y ait lieu de le cumuler avec la redevance qu'elle aurait pu percevoir en cas de cession temporaire de ses droits ; qu'il convient donc de condamner la société Etex France à lui payer cette somme à titre de dommages et intérêts ;

Considérant qu'en utilisant pour son propre compte les plans de la société Vertigo sans faire référence à son travail de création et en profitant de ses efforts, M. M., qui se présente pourtant lui-même comme directeur artistique et n'ignorait pas, à ce titre, les droits de propriété intellectuelle existant sur ce type de création, a causé à celle-ci un préjudice moral qui sera justement réparé par l'octroi d'une somme de 15 000 € à titre de dommages et intérêts ;

Considérant que la société Vertigo n'explicitant pas les raisons pour lesquelles elle sollicite la communication des coordonnées de la société menuisier ayant procédé à la fabrication de son stand pour le SILMO 2011, il y a lieu de la débouter de cette demande ; qu'une mesure de publication ne s'avère pas justifiée eu égard aux circonstances de l'espèce ;

Considérant qu'il convient en revanche d'accueillir les demandes de mesures d'interdiction et de destruction sollicitées dans les termes précisés au dispositif du présent arrêt ;

Considérant que le sens de la présente décision commande d'infirmer le jugement dans ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens ; qu'il y a lieu de statuer à nouveau de ces chefs, comme précisé au dispositif ;

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement en ce qu'il déclare la demande de la société Vertigo recevable,

L'infirme pour le surplus,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Dit que le stand créé en juillet 2009 par la société Vertigo pour la société Etex France est éligible à la protection au titre des droits d'auteur,

Dit qu'en reproduisant et en exploitant lors du salon SILMO 2011 un stand qui est la contrefaçon de celui créé en 2009 par la société Vertigo pour la société Etex France, M. M. et la société Etex France ont commis des actes de contrefaçon,

Condamne M. M. et la société Etex France à payer à la société Vertigo respectivement les sommes de 15 000 € et 28 200 € en réparation de ses préjudices subis du fait des actes de contrefaçon,

Interdit à M. M. et à la société Etex France toute reproduction, représentation et/ou diffusion de quelque façon que ce soit, du stand reproduisant le stand créé en 2009 par la société Vertigo pour la société Etex France et d'une manière générale en reproduisant les caractéristiques dont la combinaison a été jugée originale et ce, sous astreinte de 10 000 € par infraction constatée à compter de la signification du présent arrêt,

Ordonne la destruction du stand reconnu comme contrefaisant sous le contrôle d'un huissier de justice, aux frais de la société Etex France, et ce, dans le mois suivant la signification du présent arrêt, sous astreinte de 100 € par jour de retard pendant 3 mois,

Rejette toutes autres demandes,

Vu l'article 700 du code de procédure civile , rejette les demandes de M. M. et de la société Etex France et les condamne in solidum à payer à la société Vertigo la somme de 10 000 € incluant les frais d'huissier relatifs aux procès-verbal de constat et de saisie-contrefaçon descriptive,

Condamne in solidum M. M. et la société Etex aux dépens,

Accorde à Maître Pascale F. le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.