CA Bordeaux, 14 septembre 2015, n° 13/01657
BORDEAUX
Arrêt
Infirmation
FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES:
La SA Rhône-Alpes Granit, dénommée ci-après RAG, a pour activité le travail et la pose de tous granits, marbres et pierres destinés à tous usages.
Au cours des années 2010 et 2011, elle a livré diverses tranches en marbre et granit à la SAS Marbrerie B. Guadagnucci & cie.
Cette dernière a été placée en liquidation judiciaire le 23 juin 2011 et la SELARL Laurent M. a été désignée en qualité de liquidateur.
Par correspondance en date du 6 juillet 2011, la SA Rhône-Alpes granit a revendiqué auprès du liquidateur les matériaux livrés mais non payés et a déclaré sa créance de 49.549,30 €.
Le 19 juillet 2011, la SELARL L.M. ès qualités a rejeté cette revendication, et par requête du 1er septembre 2011, la SA Rhône-Alpes granit a saisi le juge commissaire de sa demande en revendication de propriété.
Par ordonnance en date du 28 mars 2012, la requête a été rejetée et la SA Rhône-Alpes granit a exercé un recours à l'encontre de cette décision le 24 avril 2012 devant le tribunal de commerce de Bordeaux .
Par jugement critiqué en date du 21 janvier 2013, le tribunal de commerce de Bordeaux a :
- constaté la non-comparution de la SAS Marbrerie B. Guadagnucci & cie et la SAS EG2F,
- confirmé l'ordonnance entreprise et rejeté la demande en restitution formulée par la SAS Rhône-Alpes granit,
- dit recevable la demande subsidiaire de la SA Rhône-Alpes granit de dommages et intérêts,
- condamné la SAS Rhône-Alpes granit à payer à la SELARL L.M. ès qualités de liquidateur de la SAS Marbrerie B. Guadagnucci & cie la somme de 2.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
Par déclaration en date du 14 mars 2013, la SA Rhône-Alpes granit a relevé appel de cette décision.
Par conclusions déposées et signifiées le 31 octobre 2013, la SA Rhône-Alpes granit demande à la Cour de :
Infirmant le jugement entrepris,
Vu les dispositions de l'article L624-16 du code de commerce,
Vu les articles R624-13 du code de commerce,
Vu l'ensemble des pièces versées aux débats,
Vu les dispositions de l'article 1382 du code civil,
Dire et juger que la SA Rhône-Alpes granit est recevable et fondée en son action en revendication de propriété,
En conséquence, Ordonner la restitution des marchandises livrées à la SAS Marbrerie Guadagnucci & cie par la SA Rhône-Alpes granit non payées,
S'il ressortait des débats que les marchandises livrées par la société Rhône-Alpes granit, objets de l'action en revendication avaient été cédées, Dire et juger que la société Rhône-Alpes granit serait alors recevable et fondée à revendiquer le prix de vente de l'ensemble des marchandises, soit la somme de 49.549,30 €,
Dire et juger que la SELARL L.M. a commis une faute de nature à engager sa responsabilité, sur le fondement de l'article 1382 du code civil,
Condamner la SELARL L.M. à payer et verser à la SA Rhône-Alpes granit la somme de 49.549,30 € à titre de dommages et intérêts correspondant à la valeur des marchandises revendiquées,
Condamner la SELARL L.M. à payer et verser à la SA Rhône-Alpes granit la somme de 3.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Par conclusions déposées et signifiées le 5 novembre 2013, la SELARL L.M. ès qualités de mandataire liquidateur à la liquidation judiciaire de la SAS Marbrerie B. Guadagnucci & cie demande à la Cour de:
Vu l'ordonnance du juge commissaire en date du 28 mars 2012,
Vu le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux en date du 21 janvier 2013
Vu les dispositions de l'article 9 du code de procédure civile,
Vu les dispositions des articles L 624-16 et L 624-18 du code de commerce,
Vu les dispositions de l'article 564 du code de procédure civile,
Vu les dispositions de l'article R 662-3 du code de commerce,
Débouter la société Rhône-Alpes granit de sa demande principale en revendication de marchandises,
Déclarer la société Rhône-Alpes granit irrecevable en sa demande de revendication de prix,
En toute hypothèse, débouter la société Rhône-Alpes granit de sa demande en revendication de prix
Constater que la SELARL L.M. en nom n'est pas partie à la procédure,
Déclarer la société Rhône-Alpes granit irrecevable en sa demande subsidiaire,
Confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Condamner la société Rhône-Alpes granit à payer à la SELARL L.M. es qualité de mandataire liquidateur à la liquidation judiciaire de la société Marbrerie B. Gudagnucci & cie la somme de 2.800 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamner la société Rhône-Alpes granit aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 1er juin 2015.
A l'appui de ses demandes, la SA Rhônes-Alpes granit fait essentiellement valoir sur le fondement des dispositions de l'article L.624-16 du code de commerce :
Sur la parfaite information de la SAS Marbrerie B. Guadagnucci & cie de la clause de réserve de propriété :
- la clause de réserve de propriété doit avoir été convenue entre les parties par un écrit établi au plus tard au moment de la livraison ; afin d'être opposable à l'acheteur, il est nécessaire que la clause de réserve de propriété présente une spécification apparente ; l'essentiel est que le dispositif typographique choisi soit assez ostensible pour capter l'attention d'un acheteur normalement diligent et lui faire prendre conscience de l'existence de la clause ; il est donc préférable que la clause figure au recto des documents et soit encadrée ou rédigée en caractère gras, avec des intervalles significatifs (Cass. Com. 13/06/1989) ; aucune formule type de la clause de réserve de propriété n'est exigée par la loi ; les juges du fond doivent rechercher que la mention choisie soit lisible et ait pu être comprise de l'acheteur ;
- en l'espèce, il est incontestable que les clauses de réserve de propriété figurant à la fois sur les factures de la société Rhône-Alpes granit et sur les bons de commande sont formulées de manière parfaitement lisible ;
- par ailleurs, la clause de réserve de propriété doit être antérieure à la livraison ou à tout le moins, concomitante à celle-ci ;
- en l'espèce, la société Marbrerie B. Guadagnucci a bien été informée de l'existence et de la portée des clauses de réserve de propriété à tout le moins au moment de la livraison puisque lesdites clauses figurent sur les factures et sur les bons de livraison, lesquelles interviennent par définition au moment de la livraison ;
- en tout état de cause, l'ancienneté des relations contractuelles ayant existé entre la société Rhône Alpes granit d'une part et la Marbrerie B. Guadagnucci d'autre part, exclut que cette dernière ait ignoré l'existence des clauses de réserve de propriété qui étaient systématiques ;
Sur le sort des marchandises livrées et revendiquées par la SA Rhône-Alpes granit : incontestablement de leur existence en nature au jour de l'ouverture de la procédure collective du débiteur :
- par application des termes de l'article L624-16 alinéa 2 du code de commerce, l'action en revendication est subordonnée à l'existence en nature des bien vendus au jour de l'ouverture de la procédure collective du débiteur ;
- aux termes de sa correspondance en date du 19 juillet 2011, la SELARL L.M. a reconnu que les marchandises existaient bien, en nature au jour de la demande en revendication de la SA Rhône-Alpes granit; M. M. indique à tort que les marchandises doivent exister en nature au jour de la revendication ; dans sa correspondance en date du 19 juillet 2011, M. M. indique lui-même et sans aucune équivoque qu'à la date de sa correspondance à la société Rhône-Alpes granit, soit le 19 juillet 2011, les marchandises revendiquées par cette dernière existaient bien en nature; force est de constater que ces mêmes marchandises existaient à la date d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire de la société Marbrerie BG prononcée antérieurement, soit le 6 avril 2011 ;
- en conséquence, il ne peut être sérieusement soutenu que la concluante ne rapporte pas la preuve de l'existence en nature des marchandises revendiquées au moment de l'ouverture de la procédure collective ;
- les inventaires dressés les 26 avril 2011 et 13 juin 2011 sont mal rédigés puisque totalement incomplets, flous et imprécis ;
- enfin, si les marchandises livrées par la société Rhône-Alpes granit, objets de l'action en revendication avaient été cédés par la société Marbrerie BG, la concluante serait alors fondée à revendiquer le prix de l'ensemble des marchandises livrées et non payées par application des dispositions de l'article L624-18 ; sur ce point, la SELARL L.M. tente d'opposer l'irrecevabilité d'une telle demande au motif qu'elle serait soulevée pour la première fois devant la Cour ; or, par application des dispositions de l'article 565 du code civil, les prétentions de la société Rhône-Alpes granit sont parfaitement recevables en cause d'appel.
A l'appui de ses demandes, la SELARL L.M. ès qualités de mandataire liquidateur à la liquidation judiciaire de la SAS Marbrerie BG fait essentiellement valoir :
Sur la demande en restitution des marchandises : aux termes des dispositions de l'article L624-16 alinéa 2 du code de commerce et de l'article 9 du code de procédure civile, la société Rhône-Alpes granit ne démontre nullement le bien fondé de ses prétentions ;
- en premier lieu, la société Rhône-Alpes granit ne démontre pas que la clause de réserve de propriété invoquée ait été portée à la connaissance de la SAS Marbrerie BG & cie au plus tard au moment de la livraison des marchandises; la société Rhône-Alpes granit ne démontre pas que les factures litigieuses aient été émises et surtout adressées à la SAS Marbrerie BG antérieurement à la livraison ; il convient de constater que la même date est portée sur les factures et sur les bons de livraison correspondant émis par la société Rhône-Alpes granit ; aux termes d'une jurisprudence constante, le vendeur fait défaut dans la démonstration que la clause de réserve de propriété invoquée a été portée à la connaissance de l'acheteur lorsque cette clause est rédigée en petit caractère et figure au milieu des conditions contractuelles, sans aucune distinction particulière pouvant attirer l'attention de l'acheteur dans les conditions de rapidité exigées par l'accomplissement des opérations commerciales, et ce quand bien même il existe entre les deux sociétés des ventes antérieures avec réserve de propriété (Com. 14/06/1994 ; 11/07/1995; 17/02/1998 ; 19/12/2000) ; la société Rhône-Alpes granit ne démontre pas que la clause de réserve de propriété invoquée ait été portée à la connaissance de la SAS Marbrerie BG au plus tard au moment de la livraison des marchandises;
- en second lieu : aux termes de l'article L624-16 alinéa 2 du code de commerce, pour que la revendication puisse fonctionner, encore faut-il que les marchandises, objet de la clause de réserve de propriété, 'se retrouvent en nature au moment de l'ouverture de la procédure', étant rappelé qu'il appartient au revendiquant de prouver l'existence en nature des marchandises revendiquées au moment du jugement d'ouverture de la procédure collective du débiteur ; il s'avère impossible de déterminer si lesdites marchandises, non identifiées, existaient bien en nature au jour du jugement d'ouverture de la procédure collective de la SAS Marbrerie BG ; pour se soustraire de cet obstacle juridique, la société Rhône-Alpes granit prétend que M. M. aurait reconnu, dans sa lettre du 19 juillet 2011, que les marchandises existaient en nature, que les inventaires dressés et versés aux débats seraient incomplets et imprécis et qu'elle aurait elle-même identifié les marchandises revendiquées sur le 'récapitulatif d'inventaire' versé aux débats ;
- force est de constater que la société Rhône-Alpes granit ne démontre pas que la clause de réserve de propriété invoquée ait été portée à la connaissance de la SAS Marbrerie BG au plus tard au moment de la livraison des marchandises et que les marchandises qu'elle revendique existaient en nature à la date du jugement d'ouverture.
Sur la demande en revendication du prix :
- en premier lieu : la demande en revendication du prix présentée à titre subsidiaire par la société Rhône-Alpes granit devant la cour est une demande nouvelle au sens des dispositions de l'article 564 du code de procédure civile, pour n'avoir jamais été évoquée précédemment, ni devant le juge commissaire, ni devant le tribunal de commerce ;
- en second lieu : la revendication du prix des marchandises, trouvant son fondement dans la revendication des bien vendus avec réserve de propriété, ne peut être accueillie qu'aux mêmes conditions que la revendication des marchandises elles-mêmes avant leur revente, et notamment que dans la mesure où les marchandises existaient encore dans le patrimoine du débiteur à la date du jugement d'ouverture ; en l'espèce, la société Rhône-Alpes granit ne remplit pas les conditions nécessaires à l'action en revendication ;
Sur la demande subsidiaire visant la responsabilité de la SELARL L.M. : la responsabilité recherchée par la société Rhône-Alpes granit est la responsabilité professionnelle de la SELARL L.M. ; or, seule cette dernière, ès qualités de mandataire liquidateur à la liquidation judiciaire de la société Marbrerie BG est partie à la présente instance ; dès lors, la société Rhône-Alpes granit est irrecevable à formuler une demande à l'encontre d'une personne non présente à la procédure.
L'article L 624-16 du code de commerce dispose que 'peuvent également être revendiqués, s'ils se retrouvent en nature au moment de l'ouverture de la procédure, les biens vendus avec une clause de réserve de propriété. Cette clause doit avoir été convenue entre les parties dans un écrit au plus tard au moment de la livraison. Elle peut l'être dans un écrit régissant un ensemble d'opérations commerciales convenues entre les parties';
Sur l'opposabilité de la clause de réserve de propriété :
M° M. prétend comme l'avait retenu le juge commissaire que la clause de réserve de propriété n'a pas été portée à la connaissance de la marbrerie Guadagnucci au plus tard au moment de la livraison des marchandises, ce que réfute la société RAG ;
Il est acquis que l'exigence que la clause soit convenue est satisfaite lorsque la clause figure sur le bon de commande signé par l'acheteur lors de la livraison; en l'espèce, la clause figure dans les conditions générales annexées par renvoi aux bons de livraison de façon indistincte et donc insuffisamment évidente ;
Par contre, la cour constate à l'examen des pièces n° 10, 10-2, 10-4, 10-6, 10-8, 10-10 notamment que la clause de réserve de propriété figure bien au recto des factures en caractères gras et que ces factures sont datées du même jour que les bons de livraison dont la signature par la marbrerie Guadagnucci attestent de la réception des marchandises ;
Elle en déduira, contrairement au tribunal, que les factures dont il n'est pas contesté qu'elles ont été remises lors de la livraison suffisent à établir l'opposabilité de la clause de réserve de propriété, outre le fait que des relations commerciales régulières et fournies depuis 1998 permettent de considérer que la marbrerie Guadagnucci ne pouvait en ignorer l'existence ;
Sur la présence des marchandises à l'ouverture de la procédure de redressement :
La société RAG affirme que M° M. a reconnu dans un courrier qu'il lui a adressé le 19 juillet 2011 que les marchandises revendiquées existaient en nature, ce que ce dernier conteste formellement ;
Malgré cette affirmation péremptoire, la cour recherche en vain ce qui dans ce courrier pourrait valoir reconnaissance que les marchandises litigieuses existaient en nature à la date d'ouverture de la procédure de redressement; cet argument doit donc être écarté ;
Quant à l'inventaire du 26 avril 2011 et au recollement du 13 juillet suivant, la société RAG reconnaît elle-même qu'il est insuffisamment précis pour établir la provenance des marchandises énumérées ;
Elle argue que 'l'imprécision est imputable à l'administrateur qui ne peut faire échec à la revendication en se bornant à affirmer qu'aucune des fournitures revendiquées n'existait au jour de l'ouverture de la procédure collective' ;
En droit, s'il était de principe que la charge de prouver l'existence des marchandises incombait au revendiquant, il est désormais acquis qu'en l'absence d'inventaire, c'est au liquidateur qu'il appartient de démontrer que les biens n'existaient pas au moment de l'ouverture de la procédure ;
La même solution doit logiquement être retenue en présence d'un inventaire imprécis; en l'espèce, la société RAG avance avec force détails que les pièces de marbre qu'elles a livrées figurent au récapitulatif d'inventaire, indiquant même qu'elle est distributeur exclusif de certaines marques; sauf à rappeler que l'entreprise a fait l'objet d'un plan d'un plan de cession par le ministère d'un autre mandataire, M° M. ne le conteste guère ;
Dans ces conditions, la cour considère que le liquidateur n'établit pas que les marchandises litigieuses n'existaient pas à l'ouverture de la procédure et que l'action en revendication peut aboutir, d'autant plus que les modalités de la cession sus évoquée excluent expressément les biens faisant l'objet d'une clause de réserve de propriété, qui est donc opposable au repreneur ;
En conséquence, la cour fera droit à cette demande, sans qu'il soit besoin d'examiner la recevabilité ou le bien fondé de l'action en revendication du prix et encore moins celle en responsabilité professionnelle à l'égard du mandataire, qui n'est en la cause qu'es qualité de liquidateur de la société Guadagnucci et non à titre personnel;
Le jugement sera donc entièrement infirmé; l'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du code de procédure civile à cette affaire, tant au premier qu'au second degré; les dépens de première instance et d'appel, à la charge de la liquidation qui succombe, seront employés en frais privilégiés de procédure collective ;
LA COUR statuant publiquement par arrêt de défaut
INFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions
DÉCLARE l'action en revendication de propriété de la SA Rhône Alpes granit recevable et fondée
ORDONNE la restitution des marchandises livrées à la SAS Marbrerie Guadagnucci par la Rhône Alpes Granit et non payées
REJETTE toutes les autres demandes
DIT que les dépens de première instance et d'appel seront employés en frais privilégiés de la procédure de liquidation de la société Marbrerie Guadagnucci.