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Décisions

CA Toulouse, 2e ch. sect. 1, 24 juin 2015, n° 12/01748

TOULOUSE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Bordelaise de Crédit Industriel et Commercial (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cousteaux

Conseillers :

M. Sonneville, M. Pellarin

T. com. Montauban, du 22 févr. 2012, n° …

22 février 2012

FAITS ET PROCÉDURE

Madame Nadine H. était gérante de la société Le Colombier, entreprise de maçonnerie générale et gros-oeuvre en bâtiment.

Le 10 décembre 2008, la Société Bordelaise de Crédit Industriel et Commercial (SBCIC) a consenti à la société un prêt de trésorerie de 35.000 € sur une période de 12 mois, au taux effectif global de 10,838%, prêt avalisé par Nadine H. pour le même montant en principal, plus les frais, accessoires, commissions et intérêts, au moyen d'un billet à ordre.

Par jugement du 31 mars 2009, le tribunal de commerce de Montauban a ouvert une procédure de liquidation judiciaire simplifiée concernant la société Le Colombier et désigné Maître E. en qualité de mandataire liquidateur.

La SBCIC a déclaré sa créance pour un montant de 40.782 €.

Suivant exploit d'huissier en date du 28 janvier 2010, la SBCIC a fait assigner Nadine H. devant le tribunal de commerce de Montauban en paiement de la somme de 35.000 €, majorée des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure qu'elle lui avait adressée le 5 mai 2009.

Maître E., es qualité, est intervenu volontairement dans l'instance.

Par jugement du 22 février 2012, le tribunal a':

- dit que la responsabilité de la SB CIC ne peut être reprochée par Maître E. ès qualité que sur le fondement de l'article L 650-1 du code de commerce;

- dit qu'en l'espèce Maître E. ne rapporte pas la preuve certaine et indiscutable de la fraude qu'il impute à la SBCIC pas plus en tout état de cause que de I'existence d'un dommage et d'un lien de causalité entre la faute alléguée et le dommage;

- condamné Madame H. ès qualité d'avaliste de la SARL Le Colombier à payer à la SBCIC la somme principale de 35.000 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 5 mai 2009, date de la mise en demeure jusqu'au parfait règlement.

Par déclaration en date du 4 avril 2012, Nadine H. a relevé appel du jugement.

Une ordonnance de clôture est intervenue le 21 octobre 2014.

MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES.

* Par conclusions notifiées le 3 septembre 2012, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'examen du détail de l'argumentation, Nadine H. demande :

- à titre principal :

- de dire que son aval serait entaché de nullité pour cause de dol et ce sur le fondement de l'article 1116 du Code Civil

- d'annuler son engagement d'aval

- de condamner la SBCIC à lui payer la somme de 5.000 € à titre de dommages et intérêts;

- à titre subsidiaire :

- de dire que la SBCIC a commis une faute en ne satisfaisant pas à son devoir de mise en garde, de loyauté et de bonne foi et de la condamner à lui payer la somme de 35.000 €, majorée des intérêts à compter de la mise en demeure, sur le fondement des articles 1134 et 1147 du code civil, somme à compenser avec la créance de la banque,

- à titre plus subsidiaire,

- de dire qu'en application de I'article L 341-1 (L 341-4) du Code de la consommation et de l'article L 650-1 du code de commerce , la banque doit être déchue de son droit à se prévaloir du cautionnement et de la débouter de sa demande;

- de condamner la SBCIC à lui payer, en tout état de cause une somme de 2.500 € par application de l'article700 du code de procédure civile.

Elle soutient que le compte de la société serait à découvert depuis avril 2008, disposant alors pour cela d'une autorisation pour un montant de 20.000 €, porté à 25.000 € en mai; que la banque, après lui avoir demandé de régulariser cette situation avant fin juin lui aurait accordé une nouvelle autorisation à hauteur de 32.000 € en août, puis de 31.000 € en novembre, pour consentir ce prêt de 35.000 €, garanti par son aval.

L'attitude de la SBCIC serait dolosive pour avoir imaginé rompre tout concours afin de solliciter la garantie de l'avaliste, ce qu'elle a fait en janvier 2009 à l'échéance du billet à ordre, moins d'un mois après la souscription du prêt.

Elle ajoute que le crédit était excessif et inadapté, que la SBCIC aurait augmenté ses concours alors que les précédents n'étaient pas remboursés, aux seuls fins d'obtenir une garantie.

L'aval serait assimilable au cautionnement et les dispositions de l'article L.341-1 du code de la consommation seraient applicables, or la fiche de renseignements ne mentionnerait pas ses revenus, ceux-ci étaient limités à 2.000 € mensuels et son patrimoine serait affecté par l'existence de prêts.

* Par conclusions notifiées le 31 octobre 2012, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'examen du détail de l'argumentation, la Société Bordelaise de Crédit Industriel et Commercial demande :

- de débouter Madame H. de l'intégralité de ses demandes,

- de confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de commerce de Montauban le 22 février 2012 condamnant Madame H. à payer à la SBCIC la somme principale de 35.000,00 € augmentée des intérêts au taux légal à compter du 5 mai 2009 et ce jusqu'au parfait paiement (mémoire)

- de condamner Madame H. à payer à la SBCIC la somme de 2.500 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile;

- de condamner Madame H. aux entiers frais et dépens de première instance et d'appel.

L'intimée développe principalement les observations suivantes :

- en sa qualité de gérante de la société, l'appelante ne peut sérieusement prétendre avoir été dans l'ignorance de la situation économique et financière de son entreprise;

- fin septembre 2008 le compte courant de la société Le Colombier présentait un solde débiteur de 3.618,74 €., dans les 2 mois qui ont suivi, la situation financière de cette entreprise s'est dégradée en raison de l'inactivité de Monsieur H., seul salarié de l'entreprise, qui a été confronté à des ennuis de santé qui |'ont empêché de travailler pendant quelques temps au cours du dernier trimestre 2008; pour pouvoir passer ce cap difficile, Mme H. a sollicité es qualité de gérante un crédit de trésorerie que la SBCIC a accepté de consentir,

- à la fin novembre, le solde débiteur était toujours de 29.792,69 € d'où le crédit de trésorerie de 35.000 € accordé début décembre; Au mois de janvier 2009, le compte a continué à fonctionner en ligne débitrice puisqu'au 31 janvier il était négatif de 5.646,90 €; au 27 février le solde débiteur est passé à 7.993,94 €; au 31 mars il était de 5.782,00 €; il est donc incontestable qu'entre le 10 décembre 2008 et le 31 mars 2009, date de la mise en liquidation judiciaire, le compte courant de la société Le Colombier a fonctionné en ligne débitrice de telle sorte que Mme H. est mal venue de soutenir qu'après la souscription du crédit de trésorerie la banque aurait cessé tout concours au profit de la société.

- I'aval de 35.000 € demandé par la SB CIC à la défenderesse n'était pas à l'époque disproportionné par rapport au prêt accordé à la société Le Colombier qui était du même montant; sur la base de l'article L 650-1 Madame H. ne peut donc prétendre que sa garantie qu'elle a donnée à la BANQUE devrait être annulée;

- l'article L 341-1 (L. 341-4) est applicable en matière de cautionnement donné par une personne physique à un établissement financier; en l'espèce ce texte n'est pas applicable, l'aval donné par Mme H. étant un engagement de payer relevant du droit cambiaire et plus précisément des articles L 512-4 du code de commerce;

- Mme H. a régularisé une fiche de renseignements remise à la banque de laquelle il résulte qu'elle était mariée sous le régime de la séparation des biens et était propriétaire de 3 immeubles dont 2 d'une valeur estimée par elle-même à 370.000 € non frappés d'une hypothèque.

- lorsqu'elle est un dirigeant de la société débitrice la caution, qui doit être qualifiée d'avertie, n'est pas fondée à mettre en œuvre la responsabilité du banquier créancier pour soutien abusif du débiteur principal sauf à démontrer qu'à la date à laquelle elle a accordé le crédit à la société débitrice, la banque savait ou aurait dû savoir que la situation de cette société était irrémédiablement compromise et que, par suite de circonstances exceptionnelles, elle l'ignorait

MOTIFS DE LA DÉCISION .

A) Sur le dol.

Le dol est une cause de nullité de la convention, lorsque les manoeuvres pratiquées par l'une des parties sont telles qu'il est évident que, sans ses manoeuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté; il ne se présume pas, mais, s'agissant d'un fait juridique, sa preuve peut être rapportée par tous moyens.

Il appartient à Nadine H., qui prétend que son consentement a ainsi été vicié, de rapporter la preuve que la banque avait, au moment de l'obtention de l'aval, l'intention de cesser tout concours à la SARL Le Colombier pour actionner la garantie et le lui avait caché.

Le compte courant de la société Le Colombier présentait au 28 novembre 2008 un solde débiteur de 29.792,59 €; après l'accord d'un prêt de trésorerie pour une durée d'un an le 10 décembre 2008, garanti par l'aval, pour une valeur de 35.000 €, il était au 31 décembre 2008, débiteur de 6.599,21 €.

Plusieurs autorisations de découvert avaient auparavant été données à la société, à titre temporaire, depuis le mois d'avril 2008 et renouvelées sur de courtes périodes; l'entreprise de maçonnerie connaissait une baisse d'activité, notamment en raison de l'état de santé du mari de Nadine H., salarié de l'entreprise, et l'octroi d'un prêt de trésorerie garanti par un aval du même montant de sa dirigeante constituait une solution adaptée aux difficultés de trésorerie rencontrées par la société.

Le compte a continué à fonctionner en position débitrice jusqu'à la date d'ouverture d'une liquidation judiciaire simplifiée le 31 mars 2009, présentant un solde négatif de 5.646 € fin janvier 2009, 7.993 € fin février 2009, 5.792 € le 31 mars 2009.

Nadine H. ne peut dès lors prétendre que la banque aurait cessé tout concours dès l'aval donné en décembre 2008, puisque le compte a fonctionné à découvert sans incidents jusqu'à l'ouverture de la procédure collective, intervenue sur déclaration de cessation des paiements par Nadine H. le 27 mars 2009, et non sur assignation de créanciers.

La preuve de manoeuvres frauduleuses et d'un dol n'est pas rapportée.

B) Sur les manquements de la banque à ses obligations.

L'article L. 650-1 du code de commerce dispose que lorsqu'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte, les créanciers ne peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis, sauf les cas de fraude, d'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur, ou si les garanties prises en contrepartie de ces concours sont disproportionnées à ceux-ci. Il doit en outre être établi que l'établissement a commis une faute en accordant le concours.

Ces dispositions ont seules vocation à s'appliquer en l'espèce.

Le concours a été sollicité par la gérante du débiteur et la garantie qu'elle a apportée était d'un montant égal à celui du concours accordé sous forme d'un prêt de trésorerie; elle n'était donc pas disproportionnée par rapport à ce concours.

Il résulte par ailleurs de ce qui précède que n'ont pas été caractérisées la fraude, ni l'immixtion dans la gestion du débiteur, la banque n'ayant fait qu'accorder des facilités et un prêt de trésorerie et que la faute de l'établissement n'est pas plus établie.

La responsabilité de la Société Bordelaise de Crédit Industriel et Commercial pour manquement à ses obligations de loyauté et de mise en garde ne peut être retenue, ce qu'a justement relevé le premier juge.

C) Sur la disproportion manifeste entre l'aval et les ressources de l'avaliste.

Les dispositions de l'article L. 341-4 du code de la consommation, et non L.341-1 comme indiqué par erreur dans leurs conclusions par les parties, prévoient qu'un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.

L'aval constitue un engagement cambiaire autonome à l'égard du rapport fondamental, en l'espèce un prêt de trésorerie, et garantit seulement le paiement du billet à ordre, abstraction faite de l'opération économique qui lui sert de cause et a conditionné sa création.

Les dispositions de l'article L. 341-4 du code de la consommation ne lui sont donc pas applicables et Nadine H. ne peut invoquer l'existence d'une disproportion manifeste entre ses ressources et le montant garanti.

Le jugement, qui a condamné Nadine H. à payer à la Société Bordelaise de Crédit Industriel et Commercial la somme de 35.000 €, majorée des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 5 mai 2009, sera confirmé.

Nadine H., qui succombe, supportera la charge des dépens de la présente instance et ses propres frais; en raison de la disparité des situations économiques respectives des parties, il apparaît équitable de ne pas faire application à l'espèce des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Confirme le jugement

Y ajoutant,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel;

Condamne Nadine H. aux dépens, qui seront recouvrés conformément aux dispositions applicables à l'aide juridictionnelle, dont elle est bénéficiaire.