CA Montpellier, ch. com., 2 juin 2020, n° 17/05064
MONTPELLIER
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Caisse d'Epargne et de Prévoyance du Languedoc Roussillon (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Prouzat
Conseillers :
Mme Bourdon, Mme Rochette
Avocat :
SCP Inter-Barreaux Vpng
FAITS - PROCÉDURE-MOYENS et PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par acte sous seing privé du 15 décembre 2011, Chistophe B. s'est porté caution solidaire des engagements de la société à responsabilité limitée "Bruserpe", dont il était l'associé gérant majoritaire, envers la Caisse d'épargne Languedoc Roussillon au titre d'un prêt n°8093477 ( aujourd'hui n°1324378) de 95 000 euros remboursable en 84 mensualités de 1 307,30 euros au taux de 4,2 % consenti le même jour, dans la limite de 123 500 euros couvrant le paiement du principal, des intérêts et le cas échéant des pénalités ou intérêts de retard et pour une durée de 138 mois.
M. B. s'est encore porté caution, par acte sous seing privé du 21 mars 2013, des engagements de la société "Bruserpe" envers la Caisse d'épargne au titre d'un prêt n°8341333 de 20 000 euros remboursables en 60 mensualités de 362,85 euros au taux de 3,39 % consenti à la même date, dans la limite de 26 000 euros couvrant le paiement du principal, des intérêts et le cas échéant des pénalités ou intérêts de retard et pour une durée de 114 mois.
Le 21 juin 2014, la société "Bruserpe"a changé de dénomination pour devenir la société "Lbc".
Le 15 février 2015, ses deux associés ont cédé à la société "Milam", représentée par M.M., l'intégralité des parts sociales détenus dans 'Lbc', l''acte de cession prévoyant une substitution de caution au titre des prêts n°8093477 et n°8341333.
Cette substitution a été acceptée par la Caisse d'épargne sous trois conditions :
'enregistrement de la cession des parts sociales,
'production des nouveaux statuts enregistrés,
'Kbis modifié.
L'acte de cession a été enregistré au service des impôts et des entreprises de Montpellier le 24 février 2015 mais les nouveaux statuts de la société "Lbc" n'ont été déposés au greffe du tribunal de commerce que le 24 juin 2016.
Le 24 février 2015, M. M. s'est quant à lui porté caution solidaire des engagements de la société "Lbc" au titre d'une autorisation de découvert de 9 750 euros consentie par la Caisse d'épargne, dans la limite de 7 500 euros couvrant le paiement du principal, des intérêts et le cas échéant des pénalités ou intérêts de retard et pour une durée de 5 ans.
La société "Lbc" a fait l'objet le 16 novembre 2015 d'une procédure de redressement judiciaire prononcée par le tribunal de commerce de Montpellier, puis d'une liquidation judiciaire selon nouveau jugement du 29 janvier 2016.
Par lettre recommandée du 22 décembre 2015, la banque a déclaré une créance de 71 444,61 euros décomposée comme suit :
*Prêt n°8093477 à titre privilégié:
' 623,98 euros échus,
' 52 204,40 euros à échoir,
' outre les intérêts de retard sur les échéances impayées et le capital restant dû au taux contractuel majoré de 3 points, soit 7,2 %,
*Prêt n°8341333 à titre chirographaire:
' 370,88 euros échus,
' 10 725,65 euros à échoir,
' outre les intérêts de retard sur les échéances impayées et le capital restant dû au taux contractuel majoré de 3 points, soit 6,39 %,
*découvert en compte courant à titre chirographaire:
'7 519,70 euros,
' outre les intérêts à échoir calculés au taux de base + 4 points, soit 10,60 %.
Par lettres recommandées avec demande d'avis de réception des 25 et 26 janvier 2016, la Caisse d'épargne a informé les cautions de l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire et de sa déclaration de créance.
Par autres courriers recommandés avec demande d'avis de réception des 26 janvier 2016 ( M. M.) et 23 février 2016 (M. B.), elle a vainement mis en demeure les cautions d'avoir à honorer leurs engagements en invoquant le caractère exigible des sommes prêtées.
Par exploit d'huissier du 30 juin 2016, la banque les a fait assigner devant le tribunal de commerce de Montpellier qui par jugement du 11 septembre 2017, a :
- jugé défaillantes les conditions suspensives de la substitution de garantie,
- débouté M. B. de l'ensemble de ses demandes,
- condamné M. B. à payer à la Caisse d'épargne la somme de :
'50 857,50 euros portant à compter du 14 avril 2016 intérêts au taux contractuel majoré de 7,20% sur la somme de 47 515,79 euros et intérêts au taux légal sur celle de 2 386,10 euros au titre du prêt n°1324378,
'11 240,55 euros portant à compter du 14 avril 2016 intérêts au taux de 6,39% sur la somme de 10 529,39 euros et intérêts au taux légal sur celle de 528,04 euros au titre du prêt n°8341333,
- condamné M. M. à payer à la Caisse d'épargne la somme de 7 519,70 euros au titre du solde débiteur du compte [...] portant intérêt au taux de 10,60%,
- dit n'y avoir pas lieu à exécution provisoire,
- condamné in solidum M. B. et M. M. à payer à la Caisse d'épargne la somme de 700 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les dépens dont frais de greffe liquidés et taxés à la somme de 100,60 euros toutes taxes comprises.
M. B. a régulièrement relevé appel, le 26 septembre 2017, de ce jugement en vue de sa réformation.
Il demande à la cour, en l'état de ses conclusions déposées et notifiées le 6 octobre 2017 via le RPVA, de :
- dire que la substitution de caution est régulièrement intervenue,
- réformer en conséquence le jugement entrepris,
- condamner la Caisse d'épargne à payer à M.B. la somme de 5 000 euros au titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Au soutien de son appel, il fait essentiellement valoir que :
- les conditions posées par la Caisse d'épargne pour décharger M. B. de son engagement de caution sont réalisées,
- le dépôt des statuts au greffe du tribunal de commerce postérieurement à la délivrance de l'assignation n'est pas le fait de M. B. et les autres formalités ont été réalisées dans les meilleurs délais voire dans les délais d'usage,
- aucune mise en demeure comportant une interpellation suffisante sur la nature de l'obligation et la sanction encourue, ne lui a été adressée,
- l'engagement de la Caisse d'épargne, à savoir la substitution de caution, n'était pas limité dans le temps, en l'absence de terme extinctif de réalisation des conditions suspensives,
- le tribunal a fait une mauvaise interprétation de l'intention des parties en estimant que leur intention présumée était une modification de garantie qui devait intervenir dans un délai raisonnable.
Par acte d'huissier de justice en date du 24 octobre 2017 transformé en procès-verbal de recherches infructueuses , M. B. a signifié sa déclaration d'appel et ses conclusions avec pièces à M. M..
La Caisse d'épargne sollicite de voir, aux termes de ses conclusions déposées et notifiées via le RPVA le 18 décembre 2017 et signifiées à M. M. par acte d'huissier de justice du 31 janvier 2018, transformé en procès verbal de recherches infructueuses :
Vu les articles 1134, 1176 et 2288 du code civil
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé défaillante la condition suspensive de la substitution de garantie,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné M. B. à payer à la Caisse d'épargne :
'au titre du prêt n°1324378 : la somme de 50 857,50 euros portant à compter du 14 avril 2016 intérêts au taux contractuel majoré de 7,20% sur la somme de 47 515,79 euros et intérêt au taux légal sur celle de 2 386,10 euros,
'au titre du prêt n°8341333 : la somme de 11 240,55 euros portant à compter du 14 avril 2016 intérêts au taux majoré de 6,39% sur la somme de 10 529,39 euros et intérêts au taux légal sur celle de 528,04 euros,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné M. M. à payer à la Caisse d'épargne la somme de 7 519,70 euros au titre du solde débiteur du compte [...] portant intérêt au taux de 10,60%,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné M. B. et M. M. à payer à la Caisse d'épargne la somme de 1 500 euros (sic) au titre des frais irrépétibles,
- les condamner in solidum à payer à la Caisse d'épargne la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi aux entiers dépens, avec distraction au profit de la SCP V.-P. N. G. & associés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Elle expose en substance que :
- le défaut de terme fixé ne confère pas à son obligation un caractère perpétuel,
- l'accomplissement des formalités conditionnant la substitution devaient être réalisées dans un délai relativement bref afin de préserver la sécurité et l'équilibre de l'opération car ce n'est qu'à compter de leur réalisation, qu'elle aurait été en mesure de procéder à la substitution par le biais d'un avenant lui permettant ensuite de se prévaloir de la substitution à l'encontre du cessionnaire,
- les lettres adressées à M. B. par la banque l'ont suffisamment interpellé sur l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la société "Lbc", puis sur l'absence de réalisation des conditions suspensives de substitution de garantie, avant mise en demeure de payer et assignation plusieurs mois plus tard.
Il est renvoyé, pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
C'est en l'état que l'instruction a été clôturée par ordonnance du 5 février 2020.
Initialement fixée à l'audience du 26 février 2020, l'affaire a été renvoyée, en raison du mouvement de protestation des avocats à la réforme du régime des retraites, à l'audience du 22 avril 2020 puis à nouveau évoquée à cette dernière date selon la procédure sans audience prévue par l'article 8 de l'ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 prise en application de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur la défaillance des conditions suspensives :
L'article 1176 du code civil dans son ancienne rédaction applicable en la cause prévoit que ' Lorsqu'une obligation est contractée sous la condition qu'un événement arrivera dans un temps fixe, cette condition est censée défaillie lorsque le temps est expiré sans que l'événement soit arrivé. S'il n'y a point de temps fixe, la condition peut toujours être accomplie ; et elle n'est censée défaillie que lorsqu'il est devenu certain que l'événement n'arrivera pas .
Il est cependant constant que la stipulation d'une condition suspensive sans terme fixe ne confère pas à l'obligation un caractère perpétuel prohibé quoique que le contrat subsiste aussi longtemps que la condition n'est pas défaillie.
Dans son attestation du 12 février 2015, la Caisse d'Epargne et de Prévoyance du Languedoc Roussillon a écrit : ' Notre direction a donné son accord à la substitution des cautions actuelles des prêts 8093477 et 8341333 consentis à la SARL Lbc par la CPSI de Mr Patrick M.. Cette modification de garantie interviendra dès l'enregistrement de la cession des parts sociales, de la production des nouveaux statuts enregistrés et du Kbis modifié.
Il n'est pas discuté qu'il s'agissait de trois conditions suspensives à l'engagement de la banque de substituer la CPSI de M. M. à M. B..
Par contre, les parties s'opposent sur la question de savoir si ces conditions devaient être réalisées dans un délai raisonnable. Il convient donc de rechercher qu'elle a été leur commune intention sur ce point, M. B. affirmant que les parties n'avaient jamais eu l'intention de fixer un quelconque délai eu égard à l'équilibre global de l'opération, au contraire de la Caisse d'Epargne soutenant que la réalisation des conditions suspensives devait intervenir dans un court délai pour préserver ses intérêts et lui permettre de régulariser l'engagement de caution du cessionnaire.
Il est établi et non discuté que :
- l'enregistrement des parts sociales a été réalisé dès le 24 février 2015,
- les nouveaux statuts ont été déposés au greffe du tribunal de commerce le 24 juin 2016,
- l'extrait K Bis modifié est en date du 27 septembre 2016.
Si l'enregistrement de la cession des parts sociales est intervenu très rapidement, moins d'une semaine après l'acte de cession, tel n'a pas été le cas de l'enregistrement au greffe des statuts intervenu plus d'un an après cette attestation. Il n'est pas contredit ensuite que la banque n'a eu communication de l'intégralité des documents justifiant de la réalisation des trois conditions que le 30 octobre 2016 après l'engagement de son action en paiement et il ne peut être retenu qu'elle aurait été fautive pour ne s'être pas enquis de l'accomplissement de formalités qui ne lui incombaient pas.
Le cautionnement n'est accordé qu'en fonction de la confiance accordée par celui qui s'engage dans les capacités financières du débiteur principal et M.B. ne pouvait ignorer que l' engagement de substitution de M. M. ne lui avait été donné qu'en considération de la situation financière de la société au jour de l'acte de cession des parts sociales.
Il ne peut davantage avoir ignoré que la banque, tiers à l'acte de cession et aux engagements qu'il stipule, n'aurait aucun moyen de contraindre M. M. à régulariser un cautionnement en garantie de la société débitrice à partir du moment où la situation financière de celle-ci se serait dégradée au point d'anéantir toute volonté de quiconque d'engager un patrimoine personnel.
Il apparaît évident dans ces conditions, que la commune intention des parties intégrait la réalisation à bref délai des conditions suspensives à l'acceptation de la banque.
Or tel n'a pas été le cas, puisque la seconde condition n'a été réalisée que le 24 juin 2016 après la liquidation judiciaire survenue le 29 janvier 2016 et que la réalisation de la troisième condition est encore postérieure.
Il convient de constater en conséquence que la condition suspensive a défailli et que la substitution de caution n'a pas eu lieu.
Ainsi, la liquidation judiciaire a entraîné en vertu de la clause insérée dans les actes de cautionnement existants, la déchéance du terme à l'égard de M. B. qui reste donc tenu de la dette en vertu de ses engagements de cautions.
Sur la mise en demeure :
L'article 1139 du code civil, dans son ancienne rédaction applicable à la cause dispose ' Le débiteur est constitué en demeure, soit par une sommation ou par autre acte équivalent, telle une lettre missive lorsqu'il ressort de ses termes une interpellation suffisante, soit par l'effet de la convention, lorsqu'elle porte que, sans qu'il soit besoin d'acte et par la seule échéance du terme, le débiteur sera en demeure
En l'espèce, la banque a informé M. B. de la liquidation judiciaire de la société 'Lbc' par une lettre recommandé avec accusé de réception en date du 23 février 2016.
Il était précisé en paragraphe 4, que M. B. était appelé en sa 'qualité de caution personnelle et solidaire' à régler 'sous quinzaine la totalité des sommes dues, soit la somme de 50 377,70 euros'. Lesdites sommes sont 'dues au titre du prêt équipement à taux fixe n°P0008093477".
La banque a ainsi précisé la nature, l'étendue et la cause de l'obligation.
Les conséquences d'un défaut d'exécution sont clairement mentionnées au paragraphe 5 dudit document : 'à défaut de règlement dans le délai imparti, nous serons contraints de procéder au recouvrement de notre créance par les voies de droit appropriées'.
La lettre du 23 février 2016 permettait une interpellation suffisante de M. B. et constituait dès lors une mise en demeure.
Sur la demande en paiement de la banque :
Au vu de ce qui précède, et les montants alloués n'étant pas autrement contestés, la décision de première instance sera confirmée en ce qu'elle a condamné M. B. à payer à la Caisse d'Epargne et de Prévoyance du Languedoc Roussillon les sommes de :
'50 857,50 euros portant à compter du 14 avril 2016 intérêt au taux contractuel majoré de 7,20 % sur la somme de 47 515,79 euros et intérêt au taux légal sur celle de 2386,10 euros au titre du prêt n°1324378,
'11 240,55 euros portant à compter du 14 avril 2016 intérêt au taux de 6,39 % sur la somme de 10 529,39 euros et intérêt au taux légal sur celle de 528,04 euros au titre du prêt n°8341333.
M. M. n'ayant pas relevé appel de la décision, la cour n'est pas saisie du chef du jugement le concernant.
Sur les autres demandes, les frais et dépens :
M. B. qui succombe, sera débouté de sa demande en dommages-intérêts; il devra supporter les dépens de l'instance et payer à la Caisse d'Epargne une somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile en sus de la somme allouée en première instance
PAR CES MOTIFS :
La cour statuant publiquement et par arrêt rendu par défaut,
Confirme le jugement du tribunal de commerce de Montpellier en date du 11 septembre 2017 en ce qu'il a condamné M. B. à payer à la Caisse d'Epargne et de Prévoyance du Languedoc Roussillon les sommes :
'50 857,50 euros portant à compter du 14 avril 2016 intérêt au taux contractuel majoré de 7,20 % sur la somme de 47 515,79 euros et intérêt au taux légal sur celle de 2386,10 euros au titre du prêt n°1324378,
'11 240,55 euros portant à compter du 14 avril 2016 intérêt au taux de 6,39 % sur la somme de 10 529,39 euros et intérêt au taux légal sur celle de 528,04 euros au titre du prêt n°8341333,
'700 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
Dit n'y avoir lieu à statuer sur la demande de la Caisse d'Epargne et de Prévoyance du Languedoc Roussillon tendant à la confirmation des autres dispositions du jugement du tribunal de commerce de Montpellier en date du 11 septembre 2017 concernant M. M., qui n'est pas appelant,
Déboute M. B. de l'intégralité de ses demandes,
Condamne M. B. à payer à la Caisse d'Epargne et de Prévoyance du Languedoc Roussillon la somme de 1500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Dit que les dépens d'appel seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du même code.