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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 31 octobre 2012, n° 11/01173

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

ALLIANZ VIE (SA), JAS (SCI)

Défendeur :

JEAN LUC MECHICHE (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme BARTHOLIN

Conseillers :

Mme BLUM, Mme REGHI

Avocats :

SCP GRAPPOTTE-BENETREAU-JUMEL, Me HAY, SCP GRAPPOTTE-BENETREAU-JUMEL, SELARL Sylvie MITTON-SMADJA, Me TAZE BERNARD

Paris, du 10 nov. 2010

10 novembre 2010

La Cie d'assurances le Monde aux droits de laquelle est venue la société Allianz vie a donné à bail suivant acte sous seing privé en date du 25 juin 1976, à la société Frederic Mechiche aux droits de laquelle vient la SA Jean Luc Mechiche des locaux commerciaux situé à [...] moyennant un loyer payable trimestriellement et révisable à chaque période triennale dans les formes et conditions du décret du 30 septembre 1953.

Le bail a été renouvelé successivement par avenant du 25 novembre 1996 puis par avenant du 10 juillet 2007 à compter du 1er janvier 2006 moyennant un loyer annuel en principal de 55 776,92 € hors taxes et hors charges, payable trimestriellement à terme échu et révisable tous les trois ans dans les termes du code de commerce et pour la première fois le 1er janvier 2009, l'indice de référence étant celui du 2ème trimestre 2005 dont la valeur est de 1 276.

Par courrier recommandé du 2 janvier 2009, la SA Allianz vie a informé la SA Jean Luc Mechiche de son intention de procéder à la révision du loyer au 1er janvier 2009 dans les conditions de l'article L 145-38 du code de commerce, soit en fonction de la variation de l'indice du coût de la construction intervenu depuis la dernière fixation de loyer. Elle a ainsi proposé de porter le loyer à la somme de 68.278,64 € résultant de la variation entre l'indice du deuxième trimestre 2005 prévu au bail et de l'indice du deuxième trimestre 2008, dernier indice publié au 1er janvier 2009.

La sa Jean Luc Mechiche a contesté les modalités de calcul de la révision et les parties ne parvenant pas à s'accorder, elle a notifié un mémoire le 31 mars 2010 et saisi le juge des loyers commerciaux.

Par un jugement en date du 10 novembre 2010, le juge des loyers du tribunal de grande instance de Paris a :

Fixé à 61.551,18 € en principal par an à compter du 1er janvier 2009, le loyer du bail renouvelé depuis cette date entre la SA Allianz vie et la SA Jean Luc Mechiche pour les locaux situés à [...], toutes autres clauses et conditions du bail expiré demeurant inchangées,

Condamné la SA Jen Luc Mechiche à payer à la SA Allianz vie les intérêts au taux légal sur les loyers arriérés depuis le 1 janvier 2009, à compter du prononcé du jugement du 10 novembre 2010,

Dit que les loyers seront capitalisés lorsqu'ils seront dus pour une année entière,

Ordonné l'exécution provisoire de la décision du 10 novembre 2010,

Condamné la SA Allianz vie aux dépens.

La sa Allianz vie a relevé appel de cette décision et, par ses dernières conclusions en date du 18 mai 2012 , demande à la Cour de :

Réformer le jugement de Monsieur le Juge des loyers commerciaux du 10 novembre 2010 en ce qu'il a fixé le loyer du bail révisé au 1er janvier à la somme de 61.551,18 euros annuels en principal,

Et statuant à nouveau de ce chef,

Fixer à la somme de 68.278,64 euros par an en principal à compter du 1er janvier 2009 le loyer révisé des locaux loués à l'intimée,

Condamner l'intimée aux intérêts légaux sur les loyers arriérés depuis le 1er janvier 2009 à compter de l'assignation de la concluante en date du 25 mai 2010,

Condamner l'intimée au paiement d'une somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la concluante,

La débouter de toutes ses demandes, fins et conclusions,

La condamner aux entiers dépens de l'instance qui pourront être recouvrés, conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.

La société Jas a acquis suivant acte notarié du 27 octobre 2010 de la société Allianz vie un ensemble de locaux à usage commercial situés au sous-sol, rez-de- chaussée et au 1er étage de la [...] donnés à bail à la société Jean Luc Mechiche ; la société Jas est intervenue volontairement à la procédure ; par conclusions signifiées le 18 juin 2012 elle demande de :

Lui donner acte de son intervention volontaire en sa qualité de propriétaire des locaux [...] donnés à bail à la société Jean Luc Mechiche,

Reformer le jugement déféré en ce qu'il a fixé le montant du loyer révisé à la somme de 61 551,18 € par an en principal,

Fixer le loyer révisé à la somme de 68 278,64 € pour les motifs développés par la société Allianz vie et pour les motifs exposés dans les conclusions, en prenant en considération pour déterminer ce loyer plafond la variation des indices du 2ème trimestre 2005 (1532) indice de référence stipulé dans l'avenant du 10 juillet 2007 et correspondant au denier indice publié à la date d'effet dudit avenant (1er janvier 2006) et comme indice de comparaison l'indice du 2ème trimestre 2008 (1276) dernier indice publié trois ans plus tard,

Dire que les arriérés de loyers qui résulteront de l'arrêt à intervenir produiront intérêts au taux légal à compter du 27 octobre 2010 pour ceux échus et à compter de chaque échéance pour ceux à échoir avec capitalisation des intérêts dus depuis plus d'un an en application de l'article 1154 du code civil,

Débouter la société Jean Luc Mechiche de ses demandes, fins et conclusions,

Condamner la société Jean Luc Mechiche à lui payer la somme de 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

La condamner aux entiers dépens de l'appel et de l'intervention qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

La société Jean Luc Mechiche, par ses dernières conclusions en date du 12 juin 2012, demande à la Cour de :

Dire que la Cour se trouve saisie d'une instance tendant à voir fixer le loyer dû en révision par la société intimée sur le fondement des dispositions des articles L 145-38 par l'ancien bailleur, la société Allianz vie, dans des conditions exclusives de toute ambiguïté, notamment de la mise en application d'une éventuelle clause d'indexation, en l'occurrence inexistante.

Dire que la majoration ou la diminution du loyer consécutive à une révision triennale implique la prise en considération selon l'article L145- 38, alinéa 3 du Code de commerce de la période comprise entre la prise d'effet du bail, le 1er janvier 2006, et la date de notification de la demande en révision le 2 janvier 2009, et ce à la lumière de la variation de l'indice trimestriel du coût de la construction pendant cette même période auquel le texte d'ordre public fait référence,

Dire que pour déterminer le loyer-plafond découlant du texte légal et permettre ainsi l'appréciation de la valeur locative des lieux loués dans la fourchette comprise entre le prix en vigueur et le prix plafond, il convient de prendre en considération la variation des indices des 1er trimestre 2006 et 1er trimestre 2009, soit le prix plafond d'un montant de 61.551,18 € retenu à bon droit par le jugement du 10 novembre 2010,

Dire que la stipulation litigieuse fondée sur la prise en référence permanente d'un indice antérieure à la prise d'effet du bail, soit en l'occurrence celui du 1ème trimestre 2005, ne répond à aucune des conditions prévues par la loi, soit à l'occasion de la première révision, au terme de la première période triennale, soit a fortiori à l'occasion de toute autre révision ultérieure,

Dire que la société intimée n'a pu valablement renoncer à se prévaloir du caractère illicite de la stipulation litigieuse par la seule signature de l'avenant de renouvellement, alors que celle-ci n'aurait pu procéder que de faits postérieurs à la notification de la demande, le 2 janvier 2009, ainsi que l'a relevé à bon droit le premier juge,

Déclarer en conséquence infondé en son appel la société Allianz vie de même que la SCI JAS, intervenante, et le débouter de leurs demandes tendant à voir fixer à 68.278,64 €, hors taxes et hors charges, le montant du loyer révisé,

Confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a fixé le loyer en révision selon le prix plafond découlant des indices qui seuls peuvent être pris en considération, soit 61.551,18 € hors taxes et hors charges,

Condamner l'appelante et l'intervenante au paiement de la somme de 3000 € chacune sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

Déclarer la société Allianz vie, appelante, infondée en ses prétentions au paiement d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, l'en débouter,

Déclarer la sci JAS, intervenante, infondée en ses prétention au paiement d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, l'en débouter,

Condamner en outre l'appelante et la sci JAS intervenante en tous les dépens, dont le recouvrement sera directement poursuivi, conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.

SUR CE

Il convient de donner acte à la société Jas de son intervention à la cause en tant que désormais propriétaire des locaux donnés à bail à la société Jean Luc Mechiche.

La société Allianz vie dont les motifs sont repris par la société Jas fait valoir qu'elle n'a pas entendu limiter la demande en révision au fondement de l'article L 145-38 du code de commerce mais que sa demande s'appuie sur les stipulations contractuelles, 'lesquelles peuvent s'entendre comme constitutives d' une clause d'indexation conventionnelle ou clause d' échelle mobile', que le loyer révisé, que ce soit en vertu d'une clause d'indexation contractuelle ou en vertu de la révision dite légale, ne connaît pas comme plafond la valeur locative à la différence du loyer renouvelé et cette valeur locative ne peut être invoquée en cas de révision qu'au visa de l'article L145-39 du code de commerce ou de l'article L 145-38 par exception, dans l'hypothèse d' une modification notable des facteurs locaux de commercialité ayant induit en elle même une modification de plus de 10 % de la valeur locative.

Les sociétés Allianz vie et Jas soutiennent que le juge des loyers commerciaux a donc fait une interprétation erronée de l'article L 145-38, que suivant les termes de l'avenant de renouvellement du 10 juillet 2007, le loyer est révisable en se référant à l'indice INSEE du coût de la construction du 2ème trimestre 2005 qui était l'indice publié au jour de la prise d'effet du bail renouvelé et qui devait donc être retenu puisque L 145-38 fait référence à « la variation de l'indice trimestriel du coût de la construction intervenu depuis la dernière fixation à l'amiable ou judiciaire du loyer », que quand même l'article 145-38 du code de commerce ne viserait que l'indice du trimestre de la date d'effet du bail et non l'indice en vigueur au jour de cette date d'effet, l'ordre public de l'article L 145-38 est un ordre public de protection auquel le bénéficiaire peut toujours renoncer, dès lors que son droit à l'invoquer est né, qu'au jour de l'avenant de renouvellement de 2007, les parties avaient la faculté de déroger en toute connaissance à une disposition d'ordre public de protection, puisque le droit invoqué par la société locataire était déjà né et qu'elle pouvait donc y renoncer, que ce n'est qu'à défaut de dispositions contractuelles visant un indice de référence, que le loyer peut être révisé en prenant comme indice d'arrivée celui du trimestre au cours duquel la demande est formée et comme indice de départ celui du trimestre où est intervenue la dernière fixation amiable ou judiciaire, que le recours à un indice fixe n'est pas prohibé et que la clause litigieuse peut enfin s'analyser comme une clause d'indexation contractuelle du loyer également appelée clause d'échelle mobile dont les parties sont libres de convenir entre elles.

La société Jas ajoute pour sa part que si le principe de révision est d'ordre public, la demande de révision étant soumise à des conditions de forme tenant à son auteur, sa transmission, son contenu ou encore de délai, le principe posé par l'article L 145-38 du code de commerce impose seulement que la majoration ou la diminution ne peut excéder la variation de l'indice intervenue depuis la dernière fixation amiable ou judiciaire, que les parties ont conventionnellement déterminé l'indice de base applicable lors de la révision, que l'article L 145-38 du code de commerce n'exclut pas que les parties puissent conventionnellement préciser l'indice de référence, ce qui fait partie de la fixation amiable du loyer par les parties, que dans le silence de la loi quant à l'indice de référence à retenir, rien n'interdit aux parties de convenir de se référer pour le calcul du loyer plafond au dernier indice publié à la date de la signature du bail, en l'espèce l'indice du 2ème trimestre 2005.

Or, les dispositions de l'article L 145-38 du code de commerce en édictant que, à moins d'une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné par elle-même une variation de plus de 10 % de la valeur locative, la majoration ou la diminution du loyer consécutive à une révision ne peut excéder la variation de l'indice du coût de la construction, ou celui de l'indice des loyers commerciaux s'il est applicable, organise un plafonnement du loyer révisé et les indices à prendre en compte pour le calcul de la révision légale sont ceux d'une part du trimestre au cours duquel la demande de révision est notifiée et d'autre part, du trimestre au cours duquel est intervenue la dernière fixation du loyer, sans qu'il soit possible d'organiser contractuellement un mode de calcul différent qui contreviendrait aux dispositions d'ordre public de la révision visant à contenir la révision des loyers.

En l'espèce, les parties ont bien prévu dans le bail renouvelé que le loyer serait révisable tous les trois ans 'dans les termes du code de commerce' de sorte que l'allégation par la bailleresse de l'intention des parties de vouloir déroger à l'ordre public de protection institué par le statut des baux commerciaux n'est nullement démontrée et la seule référence faite dans le bail renouvelé à un indice contractuel à prendre en compte lors de la révision qui soit antérieur à celui existant à la date d'effet du bail ne peut être considéré comme exprimant la volonté non équivoque du preneur de renoncer aux dispositions protectrices de l'article L 145-38 du code de commerce, étant observé que son droit au bénéfice des dispositions de l'article L 145-38 du code de commerce est né précisément à l'occasion de la première révision triennale de janvier 2009 et qu'il ne pouvait donc renoncer par avance à un droit qui n'était pas né.

La clause du bail prévoyant la révision tous les trois ans dans les termes du code de commerce ne saurait au surplus s'analyser en une clause d'indexation, la société Allianz vie ne procédant à aucune démonstration à cet égard ; elle a d'ailleurs suivi la procédure applicable en matière de révision du loyer à laquelle le bail fait référence en formant sa demande du 2 janvier 2009 par lettre recommandée, conformément aux dispositions applicables à la révision, la lettre ne comportant aucune ambiguïté à cet égard, puisqu'elle y fait expressément référence à l'article L 145-38 du code de commerce en ajoutant que les conditions légales de la révision sont réunies.

A considérer, comme le soutiennent les société Allianz vie et Jas, que la mise en oeuvre de la clause de révision pourrait en quelque sorte être assimilée à celle de la clause d'indexation ou clause d'échelle mobile et si comme le soutient la société Jas partie intervenante, la référence à un indice de base fixe qui n'est qu'une modalité concrète de l'application de la clause d'indexation, n'est pas prohibé, la prise en compte de l'indice de référence fixe du 2ème trimestre 2005 organiserait une distorsion dans la mise en oeuvre de la révision ;

En effet, la période comprise entre l'indice de base (dernier indice publié à la date d'effet du bail) et l'indice applicable au jour de la demande de révision notifiée le 2 janvier 2009 serait supérieure à la période de trois ans visée dans la demande de révision et si l'article L 112-1 alinéa 2 du code monétaire et financier n'interdit pas la prise en considération d'un indice de base fixe, il prohibe l'organisation contractuelle d'une telle distorsion entre la période de variation de l'indice et la durée s'écoulant entre deux révisions quand la première est supérieure à la seconde ; la proposition de la société Allianz vie de prendre alors pour référence l'indice publié à la date de la demande soit celui du 2ème trimestre 2008 au lieu de celui du 1er trimestre 2009 pour échapper à la critique de distorsion est inopérante en ce qu'elle contrevient au principe même de la révision à l'issue de laquelle le nouveau loyer prend effet en principe au jour de la demande en révision, sauf accord des parties sur une date plus ancienne ou plus récente qui, en l'espèce n'existe pas, ce qui induit que le loyer révisé ne peut, à défaut d'accord, se référer à un indice antérieur à la demande ;

L'allégation que les baux à loyer variable sont exclus du champ d'application des dispositions statutaires relatives à la révision du loyer est sans portée dès lors que le bail dont s'agit ne prévoit pas un loyer variable ; de même est sans portée l'invocation des dispositions relatives au renouvellement du bail qui n'excluent pas la prise en compte d'un indice de référence fixé contractuellement par les parties pour permettre de déterminer le prix du loyer plafonné, dès lors que les deux mécanismes-fixation du loyer du bail renouvelé et fixation du loyer révisé obéissent à des modalités de mise en oeuvre parfaitement différentes.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a, pour fixer le prix du loyer révisé à la somme de 61 551,18 €, tenu compte de l'indice du coût de la construction applicable à la date d'effet du bail renouvelé et de celui publié à la date de la demande de révision.

Les compléments de loyer dus depuis le 1er janvier 2009 porteront intérêts au taux légal à compter de la demande en fixation soit du 25 mai 2010 et au fur et à mesure des échéances avec capitalisation pour ceux dus depuis plus de un an dans les conditions de l'article 1154 du code civil.

Les sociétés Allianz vie et Jas qui succombent en leur recours supporteront les dépens de première instance et d'appel et paieront à la société Jean Luc Mechiche la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, à l'exception de celles concernant les intérêts au taux légal dus sur les arriérés de loyers,

Condamne la société Jean Luc Mechiche à payer à la SA Allianz vie puis à la société Jas les intérêts au taux légal sur les arriérés de loyers au fur et à mesure de leurs échéances, avec capitalisation pour ceux dus depuis plus d'un an dans les conditions de l'article 1154 du code civil,

Condamne in solidum les sociétés Allianz vie et Jas aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile et les condamne sous la même solidarité à payer à la société Jean Luc Mechiche la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.