CA Aix-en-Provence, 11e ch. ch. a, 13 décembre 2016, n° 15/16267
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
N. INVESTISSEMENTS (SARL)
Défendeur :
EAGLE (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme BEBON
Conseillers :
Mme BRUEL, Mme PEREZ
Avocat :
SCP G. - L. - V.
La Sarl Eagle a fait l'acquisition en août 1997, d'un fonds de commerce de prêt-à-porter de vêtements féminins de luxe, exploité aux termes de baux successifs dans des locaux commerciaux dépendant d'un immeuble situé à [...], et appartenant à la Sarl N. Investissements.
Le bail a été renouvelé pour 9 ans à compter du 1er juillet 2007 pour se terminer le 30 juin 2016, au loyer de 14 322,20 euros.
Invoquant une modification des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné une évolution de la valeur locative de plus de 10%, la Sarl N. Investissements a, le 11 octobre 2012, formé une demande de révision triennale du loyer en application de l'article L. 145-38 du Code commerce, proposant de porter le loyer annuel à la somme de 42 000 euros.
Une expertise a été ordonnée, confiée à Madame P.-B., laquelle a conclu a une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité ayant une incidence sur le commerce considéré et a fixé la valeur locative à la somme de 41 000 hors taxes.
Par jugement du 4 août 2015, le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Grasse a débouté la Sarl N. Investissements de sa demande de fixation du loyer à la valeur locative et fixé le loyer annuel révisé à la somme de 16 996,75 euros hors taxes à compter du 11 octobre 2012 en application de l'indice INSEE du coût de la construction.
Le premier juge a considéré que :
- si la population cannoise est passée de 70 829 habitants en 2007 à 73 671 habitants en 2011, il n'est pas établi d'augmentation significative dans le secteur considéré ;
- la [...] a toujours été commerçante et l'hypothèse de l'expert selon laquelle l'implantation de nouvelles enseignes de prêt-à-porter de luxe de forte renommée aurait considérablement développé la commercialité de la rue en drainant un flux de clients potentiels constitue une simple hypothèse qui n'est appuyée sur aucune étude de marché, d'autant que la rue comptait déjà des enseignes renommées avant 2007 et que les nouvelles enseignes dont l'expert fait état sont localisées à plus de 130 mètres du local, enseignes qui plus est concurrentes et présentant une plus forte visibilité pour les clients potentiels;
- concernant l'incidence de l'augmentation du nombre de croisiéristes, 142 631 en 2007 à 234000 en 2012, soit une progression de 64%, la dépense quotidienne moyenne est de 120 euros, restauration comprise, et présente un intérêt marginal pour une boutique qui commercialise des vêtements de luxe dont les prix vont de plusieurs centaines à plusieurs milliers d'euros, outre que les croisiéristes débarquent au [...], distant de la boutique d'1,5 km.
La Sarl N. Investissements a relevé appel du jugement et par conclusions déposées et notifiées le 18 octobre 2016, conclu à sa réformation, au débouté de la Sarl Eagle de ses demandes et statuant à nouveau, demandé à la cour la fixation du loyer annuel compter du 11 octobre 2012 à la somme de 41 000 euros hors taxes et hors charges retenue par l'expert, de condamner la Sarl Eagle au paiement des intérêts légaux sur les loyers révisés arriérés, conformément aux dispositions de l'article 1155 du code civil, les intérêts dus pour plus d'une année entière étant eux-mêmes capitalisés par application de l'article 1154 du même code ainsi qu'au paiement de la somme de 8 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par mémoire valant conclusions récapitulatives déposé et notifié le 12 octobre 2016, la Sarl Eagle a conclu à la confirmation du jugement en toutes ses dispositions, au débouté de la Sarl N. Investissements et demandé à la cour de dire et juger l'appelante irrecevable et mal fondée en sa demande de déplafonnement et en conséquence de dire et juger que la révision triennale devra être encadrée par la variation de l'indice trimestriel du coût de la construction et non pas sur le fondement de la valeur locative et statuant à nouveau, de condamner la Sarl N. Investissements au paiement de la somme de 6 000 euros à titre d'indemnité pour frais de procès.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Aux termes de l'article L.145-38 du Code commerce en sa version applicable à la date de la demande de révision triennale du loyer '...par dérogation aux dispositions de l'article l.145-33 et à moins que ne soit rapportée la preuve d'une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné par elle-même une variation de plus de 10% de la valeur locative, la majoration ou la diminution de loyer consécutive à une révision triennale ne peut excéder la variation de l'indice trimestriel du coût de la construction ou, s'ils sont applicables, de l'indice trimestriel des loyers commerciaux ou de l'indice trimestriel des loyers des activités tertiaires mentionnées aux premier et deuxième alinéas de l'article L.112-2 du Code monétaire et financier, intervenu depuis la dernière fixation amiable ou judiciaire du loyer'.
L'article R.145-6 du même code précise que 'les facteurs locaux de commercialité dépendent principalement de l'intérêt que présente, pour le commerce considéré, l'importance de la ville, du quartier ou de la rue où il est situé, du lieu de son implantation, de la répartition des diverses activités dans le voisinage, des moyens de transport, de l'attrait particulier ou des sujétions que peut représenter l'emplacement pour l'activité considérée et des modifications que ces éléments subissent de façon durable ou provisoire'.
Ainsi, la variation de plus de 10% de la valeur locative doit être due à la seule modification des facteurs locaux de commercialité, à l'exclusion des autres éléments déterminant la valeur locative au sens de l'article L.145-33 du Code commerce.
Il en résulte qu'il n'est pas pris en considération les éléments relatifs aux caractéristiques des locaux ou aux obligations des parties et que la modification matérielle doit porter que des éléments concrets et existants et s'entend de la transformation des facteurs locaux de commercialité et non de leur évolution quantitative.
La période de référence pour la révision, au cours de laquelle cette modification doit être appréciée se situe entre le 1er juillet 2007 et le 10 octobre 2012.
Les locaux commerciaux sont situés à [...], à proximité immédiate de la [...], dans la partie supérieure de la [...], artère commerçante et semi-piétonne, dans laquelle sont implantées un grand nombre de boutiques dont des enseignes de renommée nationale voire internationale.
Se fondant sur le rapport d'expertise de Madame P.-B., la Sarl N. Investissements reprend les éléments développés devant le premier juge et comme justifiant sa demande de révision du loyer, à savoir :
- une évolution du nombre de croisiéristes de plus de 64%, étant établi que ceux-ci, principalement intéressés par les achats, dépensent en moyenne 120 euros par jour;
- l'augmentation du nombre de nuitées de plaisance/yachting ;
- l'augmentation de la population de 4% ;
- l'augmentation de la fréquentation touristique ;
éléments qui tels que présentés, relèvent d'une évolution des facteurs locaux de commercialité et non d'une modification matérielle de ces facteurs.
Concernant l'installation de nouvelles enseignes renommées, la Sarl N. Investissements expose qu'avant 2007, la [...] comptait une dizaine d'enseignes internationales et qu'en 2012, elle en comptait 22, pour la plupart implantées aux lieu et place de magasins de décoration, d'agence immobilière, galerie d'art, boulangerie ou magasins de prêt-à-porter de moyenne gamme ou commercialisant des vêtements de marques non reconnues, expliquant que l'arrivée de ces nouvelles enseignes a transformé la physionomie d'une rue aux commerces très hétérogènes à une rue devenant un haut lieu du shopping au regard de la présence de ces enseignes spécialisées dans le prêt-à-porter haut de gamme, ayant pour effet d'augmenter la fréquentation de cette rue en y attirant une nouvelle clientèle, bénéficiant au commerce considéré.
La Sarl Eagle fait justement observer, sur la base des procès-verbaux de constat versés aux débats, que la [...] reste une rue marquée par la diversité de ses commerces et que dans un précédent rapport établi en 2000, Madame P.-B. avait noté, concernant le même local, la forte commercialité de cette rue, transformée en voie semi-piétonne, en relevant la présence de commerces variés de qualité.
L'implantation de nouvelles enseignes dans un secteur à la notoriété acquise et fortement marchand comme le Carré d'Or à Cannes constitue certes une évolution, mais pas une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité.
Enfin, concernant l'ouverture du parking Saint Nicolas, le premier juge a justement relevé que ce parking était situé de l'autre côté de la voie rapide à proximité de la gare SNCF, à environ 550 mètres du local commercial et relié à l'[...], parallèle à la [...], par un passage souterrain peu engageant.
Il résulte des éléments qui précèdent que n'est pas rapportée la preuve par la Sarl N. Investissements d'une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité au sens de l'article L.145-38 du Code commerce, le jugement est en conséquence de quoi confirmé en ce qu'il a rejeté la demande du bail, le prix du bail commercial restant limité par l'évolution de l'indice INSEE du coût de la construction.
La Sarl N. Investissements est condamnée au paiement de la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La Cour,
Statuant publiquement, par décision contradictoire, en dernier ressort,
Confirme le jugement du 4 août 2015 prononcé par juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Grasse ;
Y ajoutant :
Condamne la Sarl N. Investissements à payer à la Sarl Eagle la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Condamne la Sarl N. Investissements aux dépens d'appel.