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Décisions

Cass. com., 17 juin 2020, n° 18-23.088

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rémery

Rapporteur :

Mme Brahic-Lambrey

Avocats :

SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, SCP Piwnica et Molinié

Douai, du 5 juill. 2018

5 juillet 2018

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Douai, 5 juillet 2018), que la société [...], ayant pour dirigeant M. B..., a été mise en redressement puis liquidation judiciaires les 8 juillet 2013 et 3 septembre 2013, la société H... T... étant désignée liquidateur ; que la société H... T... a assigné M. B... en responsabilité pour insuffisance d'actif et prononcé d'une mesure d'interdiction de gérer ;

Sur le premier moyen, pris en ses première et troisième branches :

Attendu que M. B... fait grief à l'arrêt de le condamner à supporter l'insuffisance d'actif de la société [...] à hauteur de 300 000 euros, et de prononcer à son égard une interdiction de gérer d'une durée de six ans alors, selon le moyen :

1°/ qu'un dirigeant social ne peut être condamné à combler les dettes sociales de la société en liquidation judiciaire que s'il est établi un lien de causalité entre la faute de gestion retenue et l'insuffisance d'actif constatée ; qu'en se bornant à relever que la carence de M. B... dans la tenue d'une comptabilité régulière avait contribué à l'aggravation de l'insuffisance d'actif en ne permettant pas le recouvrement de certaines des créances, la cour d'appel s'est prononcée par des motifs impropres à caractériser le lien de causalité entre l'absence de tenue régulière de la comptabilité et l'insuffisance d'actif, privant sa décision base légale au regard de l'article L. 651-2 du code de commerce, dans sa rédaction applicable ;

2°/ qu'un dirigeant social ne peut être condamné à combler les dettes sociales de la société en liquidation judiciaire que s'il est établi un lien de causalité entre la faute de gestion retenue et l'insuffisance d'actif constatée ; qu'en se bornant à relever que le défaut de coopération de M. B... avec le mandataire judiciaire avait contribué à l'aggravation de l'insuffisance d'actif en ne permettant pas le recouvrement de certaines des créances, la cour d'appel s'est prononcée par des motifs impropres à caractériser le lien de causalité entre cette faute et l'insuffisance d'actif, privant sa décision base légale au regard de l'article L. 651-2 du code de commerce, dans sa rédaction applicable ;

Mais attendu, d'une part, que l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que la légèreté du dirigeant à tenir une comptabilité complète et actualisée ne lui a pas permis une gestion efficace et sincère de sa société à laquelle se doit tout chef d'entreprise, ce qui a eu pour effet de ramener l'actif réalisé à une somme de 47 803,39 euros, le passif atteignant à 1 684 049,36 euros, montants en complet décalage avec les sommes de 250 000 euros d'actif et 325 000 euros de passif avancées par M. B... lors de la déclaration de cessation des paiements, et a fait obstacle à la possibilité de recouvrer une partie des créances de la société, contribuant ainsi à l'aggravation de l'insuffisance d'actif ; que par ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui a caractérisé le lien de causalité entre la faute de gestion tenant à l'absence de tenue d'une comptabilité régulière et l'insuffisance d'actif, a légalement justifié sa décision ;

Et attendu, d'autre part, que l'arrêt ne retenant qu'une seule faute de gestion, correspondant à l'absence d'élaboration et conservation de documents comptables réguliers par M. B..., et non son absence de collaboration avec les organes de la procédure, le moyen, pris en sa troisième branche, qui porte sur l'absence de lien de causalité entre cette prétendue faute et l'insuffisance d'actif, est inopérante ;

D'où il suit que le moyen, inopérant en sa troisième branche, n'est pas fondé pour le surplus ;

Sur le second moyen :

Attendu que M. B... fait le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen :

1°/ que la poursuite d'une activité déficitaire par le dirigeant d'une personne morale ne peut entraîner une interdiction de gérer que sous la condition de caractériser la poursuite d'un intérêt personnel de la part de celui-ci ; que la cour d'appel a constaté que la société créée en 2004 n'avait connu des difficultés qu'en 2012 en raison des impayés des clients, que M. B... était un professionnel reconnu dans son secteur d'activité, qu'il s'était impliqué dans la gestion de la société pour résoudre les difficultés, ayant entrepris courant 2012 des démarches amiables et judiciaires pour recouvrer les créances de la société, procédé à des licenciements économiques dès août 2012, pris l'attache de ses principaux créanciers pour obtenir un échéancier, qu'il ne s'était rendu coupable d'aucun détournement d'actif ; qu'en retenant, cependant, pour prononcer une interdiction de gérer de six années à l'encontre de M. B..., qu'il avait poursuivi une activité déficitaire dans un intérêt personnel aux fins de continuer à percevoir une rémunération de 2 300 euros et utiliser le véhicule loué par la société pour un montant de 1 686,04 euros, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé les articles L. 653-4-4° et L. 653-8 du code de commerce ;

2°/ que les sanctions doivent être proportionnées à la gravité des faits reprochés ; que la cour d'appel a constaté que la société créée en 2004 n'avait connu des difficultés qu'en 2012 en raison des impayés des clients, que M. B... était un professionnel reconnu dans son secteur d'activité, qu'il s'était impliqué dans la gestion de la société pour résoudre les difficultés, ayant entrepris courant 2012 des démarches amiables et judiciaires pour recouvrer les créances de la société, procédé à des licenciements économiques dès août 2012, pris l'attache de ses principaux créanciers pour obtenir un échéancier, qu'il ne s'était rendu coupable d'aucun détournement d'actif ; qu'en retenant, cependant, pour prononcer une interdiction de gérer de six années à l'encontre de M. B..., en sus d'une condamnation au paiement de 300 000 euros au titre de l'insuffisance d'actif, qu'il avait poursuivi une activité déficitaire aux fins de continuer à percevoir une rémunération de 2 300 euros et utiliser le véhicule loué par la société pour un montant de 1 686,04 euros, la cour d'appel a violé le principe de proportionnalité, ensemble les articles L. 651-2, L. 653-4-4° et L. 653-8 du code de commerce ;

Mais attendu, d'une part, que la cour d'appel a relevé, par motifs propres et adoptés, que M. B... n'avait pas remis en question la location de son véhicule dont le montant était manifestement disproportionné au regard des capacités financières de la société, ni les sommes qu'il s'était versé consécutivement et qui s'avéraient sans rapport avec la trésorerie de l'entreprise, les versements de ces loyers et de son salaire, dont la diminution du montant avait été concomitante avec un virement à son profit, ayant perduré nonobstant les difficultés de l'entreprise ; que la cour d'appel a ainsi caractérisé l'intérêt personnel de M. B... ;

Et attendu, d'autre part, que la cour d'appel a retenu le montant de l'insuffisance d'actif mis à la charge du dirigeant dans les limites de cette insuffisance et au regard de sa qualité de professionnel reconnu dans son secteur d'activité, de la naissance des difficultés et du nombre et de la nature des fautes retenues ; que de ces constatations et appréciations, il ressort que la cour d'appel a apprécié le principe et le quantum de l'interdiction de gérer au regard de la gravité des fautes commises par M. B... et a fixé sa contribution à l'insuffisance d'actif dans la limite de cette insuffisance ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.