Cass. crim., 24 mars 2015, n° 14-81.897
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guérin
Rapporteur :
M. Fossier
Avocat général :
M. Liberge
Avocats :
Me Rémy-Corlay, SCP Waquet, Farge et Hazan
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que M. Hervé Y... est le gérant de la société établissement Y... qui exerce notamment une activité de fabrication d'eau de javel ; qu'à quelque huit cents mètres de cet établissement, se trouve un cours d'eau rejoignant la Charente ; que le 12 mai 2011, des agents de l'Office nationale de l'eau et des milieux aquatiques ont décelé une odeur de chlore provenant de l'eau s'écoulant d'une buse dans le petit ruisseau ; qu'ils se sont rendus dans l'entreprise de M. Y... et ont dressé un constat et ont effectué des prélèvements d'eau ; que M. Y... et la société ont été poursuivis pour avoir jeté dans les eaux superficielles, souterraines ou les eaux de la mer dans la limite des eaux territoriales, une ou des substances, dont l'action ou les réactions ont, même provisoirement, entrainé des effets nuisibles sur la santé ou des dommages à la flore ou à la faune ; que par jugement du 9 juillet 2013, le tribunal correctionnel d'Angoulême a relevé la réalité du rejet, indiqué les substances en cause, décrit l'action ou les réactions ayant occasionné des dommages à la flore ou à la faune, mais a dénié la causalité entre les dommages et l'action ou l'inaction d'un représentant de la société suffisamment identifié, a relaxé M. Y... et la société ; qu'appel a été interjeté par le procureur de la République et par les parties civiles ;
En cet état :
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 121-2, L. 123-3, L. 216-6 al. 1, L. 211-2, L. 216-12, L. 432-2 du code de l'environnement, 591 et 593 du code de procédure pénale, 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, défaut de motifs et manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré M. Y... et la société Y... coupables des faits de déversement de substances nuisibles dans les eaux souterraines ou superficielles, commis le 12 mai 2011 et les a condamnés en répression à des peines d'amende délictuelle, des dommages-intérêts envers les parties civiles, et la société Y... à la peine complémentaire de publication ;
" alors que l'article L. 216-6 du code de l'environnement est contraire à l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme pour définir en termes trop vagues l'infraction qu'il édicte, faute de précision suffisante sur les substances « visées » et sur les « effets nuisibles sur la santé » ou les « dommages à la flore et à la faune » incriminée ; que faute de répondre au principe de légalité des délits et des peines, un tel texte ne peut pas fonder une condamnation pénale ; que la cassation interviendra sans renvoi " ;
Attendu que les dispositions critiquées sont suffisamment claires et précises pour permettre leur interprétation et leur sanction, qui relèvent de l'office du juge, sans que quiconque puisse être condamné pour une action ou une omission qui ne constituerait pas une infraction ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être admis ;
Sur le premier moyen pris de la violation des articles L. 121-2, L. 121-3, L. 216-6, alinéa 1, L. 211-2 L. 216-12, L. 432-2 du code de l'environnement, 591 et 593 du code de procédure pénale, manque de base légale, défaut de motifs, 591, 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré M. Y... et la société Y... coupables des faits de déversement de substances nuisibles dans les eaux souterraines ou superficielles, commis le 12 mai 2011 et les a condamnés en répression à des peines d'amende délictuelle, des dommages et intérêts envers les parties civiles, et la société Y... à la peine complémentaire de publication ;
" aux motifs que la société établissements Y... exerce une activité de fabrication et de conditionnement de produits d'entretien, tel que, eau de javel, détergents et encaustiques ; qu'à proximité de cette usine se trouve un petit cours d'eau, alimenté par la fontaine Poisson et rejoignant la Charente ; que le 12 mai 2011, des agents de l'Office National de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA) se trouvant en amont de la fontaine Poisson ont senti une odeur caractéristique de chlore provenant de l'eau s'écoulant d'une buse située sur la rive gauche ; que cherchant l'origine de cette odeur, ils se présentent à l'usine voisine, les établissements Y... où ils remarquent un flux important dans le fossé sortant de l'usine ; que les agents de l'ONEMA sont reçus aussitôt par M. Y... fils et M. Z..., responsable environnement de l'entreprise ; que sur les lieux de conditionnement à l'intérieur des bâtiments, les agents repèrent des flaques de liquide dégageant une odeur de chlore qui sont récupérées par des grilles au sol qui conduisent à une cuve ; que celle-ci est ensuite vidangée manuellement vers un dispositif de traitement : les lagunes ; que les agents de l'ONEMA ont constaté que le débit du fossé se trouvant à proximité de l'entreprise était plus conséquent juste après le passage d'un camion sur l'aire de lavage ; qu'ils ont alors réalisé un test pour déterminer l'origine de la pollution du cours d'eau ; qu'une vingtaine de litres d'eau a ainsi été déversée sur l'aire de lavage afin de vérifier le bon fonctionnement du dispositif : après seulement une minute d'attente, les agents de l'ONEMA et les deux responsables de l'entreprise précités ont constaté la hausse du débit dans le fossé, une forte odeur de chlore s'en dégageant ; que les agents de l'ONEMA ont dressé constat et effectué, en présence de M. Z..., des prélèvements d'eau en amont et en aval du fossé, de la buse et du ruisseau la Doue se déversant dans la Fontaine Poisson ; qu'il a été constaté par les agents et par M. Z...présent à leur côtés, notamment outre les odeurs prononcées de chlore, l'impact sur la vie aquatique du ruisseau et sur la flore naturelle en aval du rejet correspondant au fossé venant de l'usine Y..., celles-ci ayant totalement disparu, le ruisseau apparaissant comme décapé, dépourvu de mousses et autres organismes végétaux ; que lors des constatations faites sur les lieux par les agents de l'ONEMA, ceux-ci ont recueilli les déclarations de M. Z...responsable qualité environnement des établissements Y... ; qu'il a déclaré « ce jour, nous avons constaté le dysfonctionnement de l'aire de dépotage. Les effluents au lieu de rejoindre en totalité le bac de rétention prévu à cet effet s'écoulent en partie en direction du fossé qui lui est attenant et qui conduit par le bassin de tampon de réception des eaux de la ZA, à la Fontaine Poisson. J'ai constaté qu'à cet endroit et jusqu'à la Charente, le ruisseau est impropre à la vie aquatique. Présence de gammares morts et absence de diatomées » ; que lors de son audition par la gendarmerie le 12 septembre 2011, M. Z...a minimisé et relativisé ses déclarations du 12 mai 2011 relativement à la responsabilité des établissements Y... mais a cependant indiqué : « j'ai constaté ce jour là que le trop plein de l'aire de nettoyage s'écoulait dans le fossé et que je constatais qu'à la Fontaine Poisson, les pierres étaient propres et qu'il y avait des petites crevettes mortes sur le fond (¿) Je tiens à ajouter que tous les 15 jours, nous contrôlons que le trop plein d'eau ne se déverse pas dans le fossé » ; qu'il résulte de l'ensemble de ces constatations effectuées contradictoirement en la présence constante de M. Z...responsable environnement de l'entreprise Y... que le 12 mai 2011, le test pratiqué avec l'accord de ce dernier a démontré la réalité d'un rejet d'eau fortement chlorée provenant des installations de celle-ci ; que l'analyse des prélèvements effectués ce jour là a été réalisée par le laboratoire départemental d'analyses et de recherches de la Charente, organisme du conseil général de la Charente dépendant de la direction de l'animation et du développement durable ; qu'il a révélé pour ceux correspondant à l'aval du fossé de l'entreprise, une concentration très forte de chlore, ainsi le rejet au niveau de la buse numéro E2 contient 78, 1 mgl de chlore, soit 2 000 fois la présence naturelle de cette substance dans l'eau tandis qu'en amont du rejet de la buse, l'eau du ruisseau est exempte de chlore ; qu'il convient de rappeler que ces prélèvements ont été effectués en présence du représentant de l'entreprise Y... ; que les analyses faites à la requête des prévenus postérieurement, par le laboratoire Analysys sur des prélèvements pratiqués de façon non contradictoire et à d'autres dates que celles des faits objets de la poursuite, ne sont pas de nature à contredire celles effectuées sur les prélèvements du 12 mai 2011 ; que les agents de l'ONEMA ont suivi le trajet des effluents de l'entreprise pour réaliser leurs constatations et prélèvements ; qu'aucun élément ne permet de les remettre en cause ; qu'au contraire, il ressort du rapport établi par l'APAVE à la demande des établissements Y... en juin 2012, que « la fosse recevant les eaux de lavage de l'entreprise est reliée au fossé dirigeant les eaux vers le bassin d'orage de la zone artisanale puis le ruisseau situé à proximité de la Fontaine Poisson » ; qu'ainsi est-ce de façon inopérante que les prévenus contestent que les effluents provenant de leur usine aboutissent au ruisseau La Doue qui alimente la Fontaine Poisson ; que concernant l'attestation du maire de la commune de Mansle, relative aux pollutions de la Fontaine Poisson par d'autres causes et notamment le lavage de voitures et la réception d'eau de lavage de surfaces commerciales situées sur le parcours du ruisseau La Doue, elle n'est pas de nature à contredire les constatations précises faites le 12 mai 2011 ; que par ailleurs, a été versé au dossier pénal, un avenant au procès-verbal du 12 mai 2011, réalisé par les agents de l'ONEMA le 20 juin 2013, il révèle photos à l'appui que les problèmes constatés deux ans auparavant persistent au niveau du rejet de la buse E2 ; qu'il ressort également du dossier que l'entreprise a déjà été alertée sur les rejets de chlore, notamment un procès verbal de 2001, ainsi qu'en 2008 lors de visites réalisées par la Mission Inter Service de l'Eau de la direction départementale de l'agriculture et de la forêt et l'ONEMA sur le site de la Fontaine Poisson et de l'entreprise Y... ; qu'il résulte donc clairement de l'ensemble de ces constatations objectives qu'aucun doute ne subsiste sur l'origine de la pollution constatée le 12 mai 2011 par les agents de l'ONEMA ; qu'en conséquence, les éléments matériels et moraux des infractions sont établis à l'encontre tant de M. Y... que de la société Y... qui seront déclarés coupables des faits objets de la poursuite ; que le jugement entrepris sera infirmé dans toutes ses dispositions » ;
" 1°) alors que l'article 216-6 du code de l'environnement est contraire à la Constitution pour définir en termes trop vagues l'infraction qu'il édicte, faute de précision suffisante sur les « substances » visées et sur les « effets nuisibles sur la santé » ou les « dommages à la flore et à la faune » incriminés ; que la déclaration d'inconstitutionnalité à intervenir dans le cadre de la question prioritaire de constitutionnalité posée par mémoire distinct et séparé entraînera l'annulation sans renvoi de la condamnation prononcée ;
" 2°) alors que le délit de pollution des eaux n'est caractérisé que s'il existe un lien de causalité certain entre les déversements reprochés aux prévenus et les dommages constatés dans les eaux ; qu'en l'espèce, les prévenus soutenaient que la pollution du site ¿ distant de plus de huit cents mètres de leur entreprise ¿ pouvait être liée à de nombreuses autres causes, telles les réceptions d'eaux de lavage de surfaces commerciales situées sur le parcours du ruisseau ou l'activité de la société de traiteur jouxtant les établissements Y... ; qu'en se bornant en l'espèce, à estimer que ces faits seraient inopérants à exonérer les prévenus de leur responsabilité, la cour d'appel n'a pas suffisamment motivé sa décision sur l'existence d'un lien de causalité certain et exposé celle-ci à la censure ;
" 3°) alors que la relaxe était sollicitée notamment sur la constatation de l'absence de preuve de la moindre communication entre les évacuations de l'entreprise Y... et le fossé busé aboutissant dans le ruisseau pollué ; que selon la Cour d'appel, le rapport de l'APAVE établi un lien entre « la fosse recevant les eaux de lavage de l'entreprise, et le fossé dirigeant les eaux vers le bassin d'orage de la zone artisanale puis le ruisseau situé à proximité de la Fontaine Poisson » ; que le rapport de l'APAVE établi le 11 juillet 2012, après les opérations de décembre 2011 à juin 2012 ne comporte pas cette constatation, le cours d'eau y étant décrit comme « l'exutoire des eaux pluviales du site, voire des eaux de lavage réalisé sur le site en raison d'un dysfonctionnement des réseaux enterrés du site » ; que la cour d'appel a donc dénaturé ce document, et que faute de constater un « dysfonctionnement des réseaux enterrés du site », susceptibles de créer un lien entre les eaux de lavage et la buse, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
" 4°) alors, que le délit de pollution des eaux par rejet de substances nuisibles suppose que cette pollution ait entraîné des effets nuisibles sur la santé ou des dommages à la flore ou à la faune ; que si l'analyse des prélèvements a confirmé la présence d'un taux anormal de chlore dans l'eau, la cour d'appel n'a à aucun moment constaté que l'impact sur la faune ou la flore aquatique qu'elle relevait était la résultante de cette présence de chlore prétendument imputable aux déversements reprochés aux prévenus ; qu'en retenant néanmoins les prévenus dans les liens de la prévention sans constater l'existence d'un dommage avéré à la faune ou à la flore résultant sans conteste des déversements reprochés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;
" 5°) alors que la personne physique à laquelle est imputée une faute d'imprudence ou de négligence ayant contribué à créer la situation ayant permis la réalisation du dommage, mais dont il est constaté qu'elle n'a pas créé directement le dommage, ne peut être pénalement responsable que si est établie à sa charge la commission d'une faute caractérisée d'une particulière gravité qu'elle ne pouvait ignorer ; qu'en se bornant en l'espèce à énoncer, pour entrer en voie de condamnation à l'encontre de M. Y..., que les déversements reprochés au prévenu étaient établis, sans caractériser plus avant les fautes prétendument commises par celui-ci ni relever aucun fait positif à son encontre, la cour d'appel, qui a statué par voie de simple affirmation sans établir l'existence d'une faute caractérisée à la charge de M. Y..., a exposé sa décision à la censure au regard des textes susvisés ;
" 6°) alors que les personnes morales ne peuvent être déclarées responsables pénalement que s'il est établi qu'une infraction a été commise pour leur compte, par leurs organes ou représentants ; qu'en se bornant à entrer en voie de condamnation à l'encontre de la société établissements Y... sans identifier la personne physique qui en aurait été précisément l'auteur, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de cassation en mesure de s'assurer que l'infraction aurait été commise par son organe ou son représentant et a ainsi privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés " ;
Vu l'article 593 du code de procédure pénale ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu que, pour retenir les prévenus dans les liens de la prévention, l'arrêt attaqué énonce que les éléments matériels et moraux des infractions sont établis à l'encontre de M. Y... et de la société éponyme ;
Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, sans caractériser les fautes non intentionnelles commises par la personne physique ni relever aucun fait positif à son encontre, et sans rechercher par quel organe ou représentant le délit reproché à la personne morale avait été commis pour son compte, la cour d'appel, n'a pas justifié sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Bordeaux, en date du 11 février 2014, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Bordeaux autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Bordeaux et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.