CA Paris, Pôle 5 ch. 8, 12 février 2018, n° 18/01421
PARIS
Arrêt
Autre
PARTIES
Défendeur :
SCP BTSG
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Hebert-Pageot
Sur assignation de la Scp BTSG, prise en la personne de Maître G., es qualités de liquidateur de la Sarl Conseil et Stratégie, le tribunal de commerce de Paris, par jugement du 5 décembre 2017, assorti de l'exécution provisoire, a condamné solidairement Mme Françoise L. en sa qualité de gérante de droit et M. Dominique S., en sa qualité de gérant de fait, à payer au liquidateur, es qualités, la somme de 827.742 euros au titre de leur contribution à l'insuffisance d'actif, a ordonné toute mesure conservatoire utile à l'égard des biens de M.S. et de Mme L. en application de l'article L 651-4 du code de commerce , a prononcé la faillite personnelle de M.S. pour une durée de 10 ans et à l'encontre de Mme L. une interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute personne morale, d'une durée de 7 ans.
Mme L. a relevé appel de cette décision selon déclaration du 14 décembre 2017.
Par actes des 17 et 22 janvier 2018, Mme L. a fait assigner devant le délégataire du premier président la Scp BTSG, es qualités, et M.S. pour voir arrêter l'exécution provisoire attachée au jugement et condamner la Scp BTSG, es qualités, aux entiers dépens.
Dans ses conclusions développées à l'audience, Mme L., se fondant sur les articles 524 du code de procédure civile et R661-1 du code du commerce, fait valoir que l'exécution provisoire aurait pour elle des conséquences manifestement excessives, que le tribunal de commerce n'avait pas compétence dans sa formation de jugement pour faire application de l'article L 651-4 du code du commerce et qu'elle justifie de moyens sérieux pour contester les fautes de gestion qui lui sont reprochées.
La Scp BTSG, prise en la personne de Maître G., es qualités de liquidateur de la société Conseil et Stratégie sollicite le rejet de la demande d'arrêt de l'exécution provisoire et la condamnation de Mme L. à lui payer, ès qualités, 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans son avis écrit du 23 janvier 2018, le ministère public s'oppose à l'arrêt de l'exécution provisoire, dès lors que Mme L. ne démontre pas dans quelle mesure la condamnation solidaire au paiement de 827.742 euros et les mesures conservatoires à l'égard de ses biens au titre de l'article L651-4 du code du commerce risquent d'entraîner des conséquences manifestement excessives.
M.S., assigné en l'étude de l'huissier n'a pas comparu et ne s'est pas fait représenter.
Vu l'article R 661-1 du code de commerce,
SUR CE
Il sera rappelé que seul l'article R 661-1 du code du commerce, qui déroge à l'article 524 du code de procédure civile, est applicable en l'espèce, s'agissant d'arrêter l'exécution provisoire d'un jugement rendu en matière de procédure collective, de sorte que seule l'existence de moyens sérieux au soutien de l'appel permettent d'arrêter l'exécution provisoire de la décision déférée.
S'agissant de la mesure d'interdiction de gérer, Mme L. fait incontestablement état de moyen sérieux au soutien de son appel, en ce qu'il n'est pas contesté que le tribunal, qui n'était saisi par la Scp BTSG que d'une action en responsabilité pour insuffisance d'actif, a également prononcé d'office à son encontre une sanction personnelle, alors qu'il ne disposait pas du pouvoir de s'auto-saisir, et qu'il a été porté atteinte au principe de la contradiction.
S'agissant de la condamnation au paiement de la somme de 827.742 euros au titre de la contribution à l'insuffisance d'actif, elle a été prononcée solidairement à l'encontre de Mme L. en sa qualité de dirigeante de droit et de M.S. en sa qualité de dirigeant de fait de la société Conseil et Stratégie.
Le président du tribunal de commerce ayant seule compétence, en application de l'article L 651-4 du code de commerce pour ordonner toute mesure conservatoire utile à l'égard des biens du dirigeant, le moyen pris de ce que le tribunal faisant application de cette disposition, a excédé ses pouvoirs, constitue également un moyen sérieux. L'exécution provisoire sera arrêtée concernant cette disposition.
Sur le fond, Mme L. fait valoir que l'existence de fautes de gestion ne peut être appréciée, en ce qui la concerne, qu'au regard de la durée très limitée de ses fonctions de gérante, du 14 septembre 2011 au 17 décembre 2011, que les faits reprochés trouvent leur origine antérieurement à sa prise de fonctions et qu'il n'est pas établi qu'elle a contribué durant sa gestion à l'aggravation du passif :
- le bail pour la villa de Chatou a été conclu le 22 octobre 2008
- ni la date de l'exigibilité des créances sociales et fiscales, ni la date à laquelle elle en a eu connaissance ne sont établies
La Scp BTSG, ès qualités, soutient au contraire que le retard dans la déclaration de cessation des paiements, le passif né durant la période du 27 juin 2010 au 17 décembre 2011 étant de 447.550 euros, le non-paiement des dettes sociales et fiscales, et le transfert d'un total de 1 million d'euros au profit de la holding Discovery, qui a asséché la trésorerie de Conseil et Stratégie, constituent des fautes de gestion.
Mme L. a été gérante de Conseil et Stratégie trois mois, soit du 14 septembre 2011 au 17 décembre 2011, elle a succédé à 5 gérants successifs depuis 1991.
C'est donc à l'aune de cette période limitée que sa responsabilité de gérante de droit peut être recherchée, au titre de fautes de gestion ayant contribué à insuffisance d'actif.
La date de cessation des paiements, remontée au 27 juin 2010 par le jugement d'ouverture du 17 décembre 2011, est devenue définitive et ne peut plus être contestée dans le cadre de la procédure de sanction. Il s'ensuit que la déclaration de cessation des paiements n'a pas été effectuée dans le délai de 45 jours, le passif ayant augmenté durant la période suspecte. Cependant, le retard de déclaration imputable à Mme L. ne peut remonter au-delà du 14 septembre 2011. Ainsi, au regard de la version applicable de l'article L 653-8 du code de commerce à la date d'ouverture du jugement de liquidation, Mme L. ne peut sérieusement contester l'existence de ce manquement, même s'il existe un débat sérieux sur la part de l'aggravation du passif qui peut lui être imputée de ce chef, le tribunal n'ayant pas opéré de ventilation sur ce point.
S'agissant du grief relatif à la prise en charge, par la société, du loyer de la villa occupée par M.S., indépendamment du débat sur la caractérisation d'une faute, s'agissant d'un logement de fonction, Mme L. fait utilement valoir que le bail a été signé par un précédent gérant, le 22 octobre 2008, de sorte que si une faute de gestion était en définitive retenue à ce titre, il pourrait seulement lui être reproché de ne pas avoir dénoncé le bail au cours des trois mois de son mandat de gérante.
Cependant, la Scp BTSG reproche également à Mme L. tout comme à M.S., outre le manquement au paiement des créances fiscales et sociales, d'avoir asséché la trésorerie de Conseil et Stratégie, au travers de prêts consentis à la holding Discovery, d'un montant cumulé de l'ordre d'un million d'euros, pour financer le fonctionnement d'une autre filiale, gérée par le fils de M.S., exploitant un club de tennis.
Mme L. a déclaré devant le tribunal de commerce avoir répondu aux sollicitations du fils de M.S. pour subvenir aux besoins de son club de tennis et avoir à cet effet émis, au nom de Conseil et Stratégie, des chèques au bénéfice de la holding Discovery, dont elle n'a précisé le nombre, mais pour des montants pouvant atteindre 40 000 à 50.000 euros.
L'existence d'une convention de trésorerie entre les deux sociétés, dont se prévaut Mme L. pour justifier ces versements, ne suffit pas à écarter toute faute de gestion, dès lors qu'un gérant doit s'assurer que les flux financiers qu'il valide, ne compromettent pas la pérennité de la société qu'il dirige, étant précisé que le solde du compte courant de la holding Discovery dans les livres de Conseil et Stratégie était, en décembre 2011, débiteur de plus d'un million d'euros.
En cet état, le débat sur l'existence de fautes de gestion de la gérante ayant contribué à l'insuffisance d'actif, reste très sérieux en appel, étant relevé qu'au vu du passif vérifié et purgé des contestations (plus de 2.4 millions d'euros), l'insuffisance d'actif s'élève à minima à 2.3 millions, que la condamnation prononcée n'excède pas le montant de cette insuffisance d'actif et que le délégataire du premier président n'a pas à se substituer à la cour sur l'appréciation du quantum.
En conséquence, l'exécution provisoire sera arrêtée uniquement en ce qui concerne la mesure d'interdiction de gérer et l'application qui a été faite de l'article L 651-4 du code de commerce, Mme L. étant déboutée de sa plus ample demande.
Aucune considération d'équité ne justifie de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de quiconque.
Les dépens du référé suivront la sorte de ceux de l'appel.
PAR CES MOTIFS
Arrêtons pour partie l'exécution provisoire attachée au jugement du 5 décembre 2017, en ce qu'il a prononcé une mesure d'interdiction de gérer et en ce qu'il a ordonné toute mesure conservatoire utile à l'égard des biens de Mme L. en application de l'article L 651-4 du code de commerce,
Déboutons Mme L. du surplus de sa demande,
Déboutons la Scp BTSG, ès qualités, de sa demande au titre des frais irrépétibles de procédure,
Disons que les dépens du référé suivront le sort de ceux de l'appel.