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Décisions

Cass. soc., 4 mars 2009, n° 07-45.344

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Collomp

Rapporteur :

M. Béraud

Avocat général :

M. Allix

Avocats :

SCP Gatineau et Fattaccini, SCP Waquet, Farge et Hazan

Rennes, du 9 oct. 2007

9 octobre 2007


Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X... a été engagé en qualité de chauffeur livreur le 23 août 1991 par la société Sofac relevant de la convention collective de la meunerie ; qu'à compter du 1er janvier 2005, la société Sofac a fusionné avec la société Tecnor pour donner naissance à la société Tecnor Sofac relevant de la convention collective des coopératives agricoles de céréales, de meunerie, d'approvisionnement d'alimentation du bétail et d'oléagineux, dite convention «cinq branches» ; que la société Tecnor Sofac a décidé de faire application immédiate et exclusive de la convention «cinq branches» aux salariés issus de la société Sofac dont le contrat de travail avait été transféré au nouvel employeur ; qu'élu délégué du personnel le 28 avril 2005, M. X... a, le 25 mai suivant, formé une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la société Tecnor Sofac fait grief à l'arrêt d'avoir dit recevable la demande de M. X... tendant à actualiser sa demande en dommages et intérêts pour violation de son statut protecteur et à produire une note en délibéré, alors, selon le moyen :

1°/ qu'une partie ne saurait augmenter le quantum de ses demandes par voie de note en délibéré, l'objet du litige étant fixé à la date de clôture des débats ; qu'en accueillant la demande d'actualisation des dommages et intérêts formée dans la note en délibéré, la cour d'appel a violé les articles 442, 444 et 445 du code de procédure civile ;

2°/ que le juge doit ordonner la réouverture des débats lorsqu'une des parties n'a pas pu s'expliquer contradictoirement à l'audience sur la demande d'actualisation du préjudice formulée par son adversaire dans une note en délibéré ; qu'en l'espèce, il résulte des constatations de l'arrêt que si le salarié avait signalé à l'audience qu'il venait d'être réélu délégué du personnel en mars 2008, il n'avait actualisé sa demande en dommages et intérêts que dans une note en délibéré ; qu'en accueillant cette demande sans avoir préalablement rouvert les débats pour permettre à l'employeur de s'expliquer contradictoirement sur cette demande, la cour d'appel a violé les articles 16, 444 et 445 du code de procédure civile ;

Mais attendu qu'il résulte de l'arrêt que c'est au cours des débats que M. X... a fait état de sa réélection en qualité de délégué du personnel et de la nouvelle période de protection en résultant et qu'il a été autorisé à procéder à un nouveau chiffrage de sa demande par une note en délibéré à laquelle son employeur a répondu ; qu'aucun texte n'exigeant la réouverture des débats lorsque les parties ont été à même de débattre contradictoirement des éléments de fait ou de droit sur lesquels le président leur a demandé de s'expliquer, la cour d'appel a fait une exacte application de l'article 442 du code de procédure civile et statué en considération de documents effectivement soumis à la discussion des parties ;

Que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu que la société Tecnor Sofac fait grief à l'arrêt d'avoir prononcé, avec effet au jour de l'arrêt et aux torts de l'employeur, la résiliation judiciaire du contrat de travail conclu entre elle et M. X..., dit que la rupture du contrat de travail concernant un salarié protégé produisait les effets d'un licenciement nul et de l'avoir en conséquence condamnée à payer au salarié des sommes représentant notamment le montant des salaires correspondant à la période du 9 octobre 2007 au 24 novembre 2010 à titre de dommages et intérêts pour violation du statut protecteur, sauf à en déduire les salaires versés entre le 9 octobre 2007 et le jour du départ effectif de M. X..., l'indemnité compensatrice de préavis, l'indemnité conventionnelle de licenciement, et une indemnité sur le fondement de l'article L. 122-14-4 du code du travail, alors, selon le moyen :

1°/ que l'évolution, à l'occasion du changement de statut conventionnel, du taux d'éléments de rémunération qui sont fixés par la convention ou l'accord collectif ne s'analyse pas en une modification du contrat de travail ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que la rémunération perçue par le salarié antérieurement à la fusion était celle qui «correspond ait au coefficient 190 de la convention collective de la meunerie», ce dont il résultait qu'elle avait une nature conventionnelle ; qu'elle a ajouté que le niveau global de cette rémunération n'avait pas enregistré de «baisse effective», ses constatations faisant au contraire apparaître une augmentation de ce niveau ; qu'en retenant que la seule variation du taux des éléments composant cette rémunération occasionnée par l'application de la convention collective des 5 branches devait s'analyser en une modification du contrat de travail, et en déduisant que la demande de résiliation judiciaire du contrat était justifiée, sans à aucun moment constater que le taux de ces éléments d'origine conventionnelle aurait fait l'objet d'une contractualisation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 et 1184 du code civil ;

2°/ que ne commet aucune faute susceptible de justifier la résiliation judiciaire du contrat à ses torts l'employeur qui applique celle des conventions collectives en concurrence au sein de l'entreprise qui est la plus favorable à la collectivité des salariés ; qu'est la plus favorable, s'agissant de la rémunération, la convention collective qui leur assure une rémunération globale plus élevée, sans que les salariés ne puissent cumuler l'application de ces dispositions avec celles de l'autre convention en concurrence ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a expressément admis que l'application de la convention collective des 5 branches n'avait entraîné de modification ni dans la structure, ni dans le niveau global de la rémunération, ces dispositions conventionnelles ayant même garanti au salarié une rémunération supérieure ; qu'à supposer qu'elle ait imputé à faute de l'employeur l'application d'une convention collective moins favorable en relevant que le taux horaire brut était passé de 9,92 euros à 9,51 euros, lorsqu'il résultait de ses propres constatations que les nouvelles dispositions conventionnelles fixant le montant de l'ensemble des éléments de rémunération étaient plus avantageuses aux salariés que celles de la convention collective mise en cause, la cour d'appel a violé les articles L 132-4 et suivants du code du travail ;

3°/ que le juge ne peut prononcer la résiliation du contrat de travail à raison d'une faute de l'employeur que si elle présente une gravité suffisante ; qu'en l'espèce, si la cour d'appel a constaté que si le changement de convention collective avait entraîné une modification du montant des éléments de la rémunération, elle a également retenu qu'il n'y avait eu ni «de baisse effective de rémunération ni de modification dans la structure de la rémunération toujours constituée d'un salaire de base et d'une prime d'ancienneté» ; qu'elle a ajouté que le montant du rappel de salaire dû au salarié pour la totalité de la période du mois de janvier 2005 au mois de juin 2006 se limitait à la somme totale de 207,41 euros ; qu'enfin, elle a retenu que «la faiblesse du rappel de salaire ne permet de retenir un quelconque préjudice moral» ; qu'en adoptant les motifs des premiers juges selon lesquels «les manquements précités de la société Tecnor Sofac sont suffisamment graves pour que les juges fassent droit à la demande de résolution judiciaire du contrat de travail de M. X... aux torts de l'entreprise», sans aucunement expliquer cette appréciation au regard de ses dispositions propres ayant réduit à un montant modique le rappel de salaire sur la période litigieuse, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1184 du code civil ;

Mais attendu que la cour d'appel a relevé que la société Tecnor Sofac avait pris la décision de procéder à une application immédiate et exclusive de la convention collective «cinq branches» aux salariés dont le contrat de travail avait été transféré, caractérisant ainsi une violation par le nouvel employeur de ses obligations fixées par l'article L. 132-8, alinéa 7, devenu l'article L. 2261-14 du code du travail, dont elle a souverainement apprécié la gravité pour prononcer la résiliation du contrat de travail de M. X... ;

Que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le quatrième moyen :

Attendu que ce moyen qui invoque une cassation par voie de conséquence de celle à intervenir sur le deuxième moyen devient sans objet ;

Mais sur le troisième moyen :

Vu les articles 1184 du code civil et L. 2421-3 du code du travail ;

Attendu que pour fixer l'indemnisation due au salarié en raison de la résiliation judiciaire de son contrat de travail devant produire les effets d'un licenciement nul, la cour d'appel retient que M. X... ayant été réélu délégué du personnel en cours d'instance, il convient de prendre en compte la durée de la nouvelle période de protection dont il bénéficie ;

Qu'en statuant ainsi alors que le salarié protégé dont la demande de résiliation judiciaire est accueillie n'a droit, au titre de la violation de son statut protecteur, qu'au paiement d'une indemnité égale à la rémunération qu'il aurait dû percevoir jusqu'à l'expiration de la période de protection en cours au jour de la demande, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, pour déterminer l'indemnisation de M. X..., l'arrêt a pris en compte la période de protection résultant de sa réélection en qualité de délégué du personnel en cours de procédure, l'arrêt rendu le 9 octobre 2007, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Caen.