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Décisions

Cass. crim., 2 juin 1999, n° 98-81.454

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gomez

Rapporteur :

M. Martin

Avocat général :

M. Di Guardia

Avocats :

SCP Boré et Xavier, SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez

Bordeaux, du 10 févr. 1998

10 février 1998

CASSATION sur le pourvoi formé par X... Didier, contre l'arrêt de la cour d'appel de Bordeaux, 3e chambre, en date du 10 février 1998, qui, pour banqueroute et prise illégale d'intérêts, l'a condamné à 18 mois d'emprisonnement avec sursis, 5 ans d'interdiction du droit de diriger toute entreprise commerciale, artisanale ou toute personne morale, 5 ans d'inéligibilité, l'a relevé de l'incapacité d'exercer une fonction publique, et a prononcé sur les intérêts civils.

LA COUR,

Vu les mémoires produits en demande, en défense et en réplique ; 

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il confirme que le Syndicat intercommunal d'adduction d'eau potable de Vélines (SIAEP), présidé par Didier X..., conseiller général et maire de Saint-Vivien, a décidé en avril 1988 la création d'une usine de mise en bouteilles de l'eau de source de Vélines en vue de sa commercialisation ; que l'exploitation s'est effectuée tout d'abord sous le régime de la régie, puis, à compter de janvier 1991, par une société anonyme d'économie mixte dénommée la Source de Vélines (SEM), dont Didier X..., qui y représentait le syndicat, titulaire de 80 % des actions, a été élu président du conseil d'administration ;

Que, l'exploitation n'ayant cessé d'être déficitaire, par suite notamment de l'embauche d'une centaine d'employés alors qu'une vingtaine était suffisante, la dissolution de la SEM a été décidée le 10 juillet 1992 ; que, sur déclaration de cessation des paiements du liquidateur amiable, le tribunal de commerce de Bergerac a prononcé le 14 août 1992 la liquidation judiciaire de la société, l'insuffisance d'actif s'élevant à 30 millions de francs ;

En cet état ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation de l'article 196 de la loi du 25 janvier 1985, L. 1521-1 du Code général des collectivités territoriales, et 591 à 593 du Code de procédure pénale :

" en ce que l'arrêt attaqué a jugé Didier X... coupable du délit de banqueroute ;

" aux motifs que la société d'économie mixte locale de la source de Vélines était une personne morale de droit privé et que Didier X... a employé des moyens ruineux pour se procurer des fonds dans l'intention d'éviter ou de retarder l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire ;

" alors qu'aux termes de l'article 196 de la loi du 25 janvier 1985 le délit de banqueroute n'est applicable qu'aux personnes ayant dirigé une personne morale de droit privé ayant une activité économique ; qu'en l'espèce la société d'économie mixte locale agissait dans un but d'intérêt collectif, comme toutes les sociétés d'économie mixte ; que son activité économique ne présentait qu'un caractère secondaire ; qu'ainsi, il résulte des propres constatations des juges du fond que 80 % de son capital appartenait à une personne publique, et que l'actionnaire majoritaire d'une entreprise publique peut légalement décider de poursuivre l'activité de cette entreprise dans un but d'intérêt général, même si celle-ci est déficitaire ; qu'en jugeant néanmoins Didier X..., directeur de la société d'économie mixte, coupable du délit de banqueroute, la cour d'appel a violé les textes susvisés " ;

Attendu que, pour déclarer Didier X... coupable de banqueroute par emploi de moyens ruineux, les juges relèvent que l'intéressé, parfaitement informé de la situation déficitaire de la régie puis de la SEM, laquelle se trouvait en cessation des paiements, sinon dès sa constitution, tout au moins 6 mois plus tard, a, pour retarder le dépôt de bilan, recouru à des emprunts et découverts bancaires qui ont généré en 1991 des frais financiers atteignant 53 % de la valeur ajoutée produite et près de 10 % du chiffre d'affaires, et signé en 1992 un contrat d'affacturage dont le coût s'est élevé, sur 4 mois, à 1 150 000 francs ;

Qu'en cet état, la cour d'appel a justifié sa décision ;

Qu'en effet, le fait qu'une société d'économie mixte locale, personne morale de droit privé régie par les articles L. 1521-1 et suivants du Code général des collectivités territoriales, relevant également des dispositions de la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales et de celle du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises, poursuive un but d'intérêt général et que la majorité de son capital soit détenue par une collectivité locale ou un groupement de communes, n'exclut pas que ses dirigeants puissent être poursuivis pour banqueroute, dès lors que cette société exerce, comme en l'espèce, une activité économique au sens de l'article 196 de la loi du 25 janvier 1985 ;

Mais sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 112-1, alinéa 3, et 432-12 du Code pénal, L. 1524-5 du Code général des collectivités territoriales, et 591 à 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué a jugé Didier X... coupable du délit de prise illégale d'intérêts ;

" aux motifs que Didier X..., qui était à la fois conseiller général, maire de Saint-Vivien, président du Syndicat intercommunal d'adduction d'eaux potables de Vélines et président du conseil d'administration de la société d'économie mixte de la source de Vélines, a fait prendre au Syndicat intercommunal, dont il était président dans le cadre d'un mandat électif public, des décisions favorables à la société d'économie mixte qu'il dirigeait également et qui lui versait des indemnités ;

" alors que l'article L. 1524-5 du Code des collectivités territoriales autorise expressément les collectivités territoriales ou groupements de collectivités territoriales actionnaires à désigner un élu local en qualité de représentant au sein du conseil d'administration d'une société d'économie mixte locale ; qu'il n'interdit pas à cet élu local de faire prendre par la collectivité territoriale une décision favorable à la société d'économie mixte locale ; qu'en reprochant néanmoins à Didier X... d'avoir fait prendre au Syndicat intercommunal dont il était président des décisions favorables à la société d'économie mixte au sein de laquelle il représentait le Syndicat, la cour d'appel a violé les textes susvisés " ;

Vu l'article 593 du Code de procédure pénale ;

Attendu que tout jugement ou arrêt en matière correctionnelle ou de police doit constater l'existence de tous les éléments constitutifs des infractions qu'il réprime ; que l'insuffisance des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu que, pour déclarer le prévenu coupable de prise illégale d'intérêts, pour avoir, courant 1991 et 1992, en qualité de président du SIAEP, reçu ou conservé un intérêt quelconque dans la SEM qu'il dirigeait, faits prévus et réprimés tant par l'article 175 ancien que par les articles 432-12 et 432-17 nouveaux du Code pénal, les juges, après avoir relevé qu'il détenait la réalité du pouvoir et décidait le plus souvent seul au sein de ces 2 structures, se bornent à énoncer qu'il a poursuivi une exploitation déficitaire pour continuer à percevoir une rémunération en tant que président de la SEM et en retirer un avantage électoral ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, sans examiner les faits poursuivis au regard de l'article 1524-5 du Code général des collectivités territoriales, issu de la loi du 6 février 1992 applicable en la cause, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

Qu'il s'ensuit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le troisième moyen relatif aux intérêts civils,

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Bordeaux, en date du 10 février 1998, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Toulouse.