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Décisions

Cass. crim., 2 juillet 1998, n° 97-83.286

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Schumacher

Rapporteur :

M. Grapinet

Avocat général :

M. Geronimi

Avocats :

SCP Ghestin, SCP Richard et Mandelkern

Besançon, ch. corr., du 22 mai 1997

22 mai 1997

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 591 et 592 du Code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt attaqué ne mentionne pas quelle était la composition de la cour d'appel lors de l'audience des débats ;

"alors que tout arrêt doit établir la régularité de la composition de la juridiction qui l'a rendu;

que l'arrêt attaqué mentionne la composition de la cour d'appel exclusivement lors de l'audience du prononcé mais ne comporte aucune mention sur la composition de la cour d'appel lors de l'audience des débats, qui était distincte, et dont la date n'est d'ailleurs pas mentionnée" ;

Attendu que l'arrêt attaqué mentionne que "l'affaire a été mise en délibéré et que le président a avisé les parties que l'arrêt sera rendu à l'audience publique du 22 mai 1997";

qu'il ajoute qu'à cette date, la cour d'appel, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu effectivement sa décision en précisant "qu'il a ainsi été jugé et prononcé publiquement à la susdite audience où siégeaient M. Waultier, conseiller faisant fonctions de président, M. Z... et M. B..., tous trois régulièrement désignés par ordonnance du premier président en date du 5 décembre 1996 (assistés de Mlle Mougin, greffier et en présence de M. X..., substitut général)" ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations et des dispositions de l'article 592, alinéa 1er, du Code de procédure pénale, les juges ainsi mentionnés comme ayant siégé lors du prononcé, en audience publique, de l'arrêt attaqué, sont présumés avoir assisté à toutes les audiences de la cause ;

Qu'il s'ensuit que le moyen doit être écarté ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 231-3, L. 231-6, L. 231-7 et L. 232-2 du Code rural, de l'article 22 de la loi du 3 janvier 1992, de l'article 121-3 du nouveau Code pénal, de l'article 11 bis A de la loi du 13 juillet 1983 et de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a relaxé Pierre D... et Robert Y... des fins de la poursuite et a, en conséquence, débouté les demanderesses de leur action civile ;

"aux motifs que les constatations opérées selon procès-verbal par les gardes-pêche assermentés et commissionnés font preuve des faits matériels relatifs aux infractions constatées et, selon l'article L. 237-4 du Code rural, jusqu'à inscription de faux;

que Pierre D... et Robert Y... avaient pour mission la mise en oeuvre du marché qui stipulait que les matériaux dragués devaient être déchargés sur des lieux de dépôts terrestres et éventuellement clapés en rivière;

qu'il n'est pas établi l'impossibilité matérielle du déchargement des boues et sédiments dans un dépôt terrestre alors que le clapage rivière n'était qu'une éventualité secondaire;

que le fait de déposer les boues et sédiments sur le talus du canal proche de la rivière, éléments qui se sont écoulés dans la rivière, pour former presqu'îles et colmatages, ne saurait s'analyser en un dépôt terrestre ou en un clapage en rivière;

que le dépôt sur le talus étroit devait inévitablement s'écouler dans la rivière proche;

que Pierre D..., qui dirigeait, coordonnait et surveillait les travaux et Robert Y..., qui assurait la surveillance sur le site, devaient respecter les termes du marché et éviter les risques de pollution;

que cette violation des dispositions du marché, en connaissance de cause, caractérise bien la faute d'imprudence ou de négligence exigée (arrêt attaqué p. 11, alinéa 5, p. 12, alinéa 2 à 6);

que la faute d'imprudence doit être écartée lorsque l'auteur des faits justifie d'une cause d'irresponsabilité dans l'accomplissement des diligences normales, c'est-à-dire celles adéquates que sa situation lui permettait de concevoir et de mettre en oeuvre pour prévenir les dommages;

que l'article 11 bis de la loi du 13 juillet 1993 portant droits et obligations des fonctionnaires énonce que les fonctionnaires et les agents non titulaires de droit public ne peuvent être condamnés pour des faits non intentionnels, commis dans l'exercice de leurs fonctions, que s'il est établi qu'ils n'ont pas accompli les diligences normales compte tenu de leur compétence, du pouvoir et des moyens dont ils disposaient;

que Pierre D... et Robert Y..., fonctionnaires de l'Etat mis à la disposition des "Voies navigables de France", n'ont pas participé à l'établissement du marché en cause, étant chargés de son application sans disposer des moyens financiers propres à cette réalisation;

que l'avis du Conseil supérieur de la pêche, dont les prévenus avaient connaissance, s'adressait à leurs autorités de tutelle;

que les "Voies navigables de France" n'ont formulé aucune observation, laissant ses employés sans directive et sans moyens financiers;

qu'ainsi, Pierre D... et Robert Y... ont accompli les diligences normales que leur autorité de tutelle leur imposait, compte tenu du seul pouvoir de réalisation et des moyens insuffisants dont ils disposaient, n'ayant pas l'autorité suffisante pour opter pour une solution technique plus adaptée et permettant d'éviter la pollution;

que la cour d'appel déboute les parties civiles au regard de la décision de relaxe des prévenus (arrêt attaqué p. 13, alinéa 2 à 7, p. 14, alinéa 1) ;

1°)"alors que les fonctionnaires et agent non titulaires de droit public peuvent être condamnés sur le fondement du troisième alinéa de l'article 121-3 du nouveau Code pénal pour des faits non intentionnels commis dans l'exercice de leurs fonctions s'il est établi qu'ils n'ont pas accompli les diligences normales, compte tenu de leur compétence, du pouvoir et des moyens dont ils disposaient;

que la cour d'appel, qui relevait que Pierre D... et Robert Y... avaient sciemment violé les dispositions du marché en connaissance de l'écoulement inévitable des boues et sédiments dans la rivière et des risques de pollution qui en résultaient et dont ils avaient été préalablement informés par l'avis du Conseil supérieur de la pêche, ne pouvait pas faire application des dispositions de l'article 11 bis A de la loi du 13 juillet 1983, dont le bénéfice est réservé aux faits non intentionnels commis par des fonctionnaires et agents non titulaires de l'Etat dans l'exercice de leurs fonctions, sans violer les textes susvisés ;

2°)"alors que l'arrêt attaqué a relevé que Pierre D... et Robert Y... avaient commis une "violation des dispositions du marché en connaissance de cause" en déposant les boues et sédiments provenant du dragage du canal sur un étroit talus où ils devaient "inévitablement s'écouler dans la rivière proche, et cet élément ne pouvait être ignoré par les techniciens avertis que sont Pierre D... ... et Robert Y...";

qu'il en résultait que ces deux prévenus n'avaient pas accompli les diligences normales compte tenu de leurs compétences, du pouvoir et des moyens dont ils disposaient ;

qu'en énonçant néanmoins qu'ils ont accompli les diligences normales que leur autorité de tutelle, les "Voies navigables de France", leur imposait, la cour d'appel n'a pas tiré de ses propres constatations les conséquences qui en résultaient, en violation des textes susvisés ;

3°)"alors qu'il ne résulte ni des pièces du dossier ni des termes de l'arrêt attaqué relatant les moyens de défense de Pierre D... et Robert Y..., que ceux-ci auraient fait état ou justifié de l'insuffisance de moyens matériels et financiers nécessaires pour réaliser la mission qui leur était confiée dans des conditions techniques permettant d'éviter la pollution de la rivière;

qu'en relevant que les prévenus n'avaient "pas l'autorité suffisante pour agir différemment et les moyens financiers pour opter pour une solution technique plus adaptée à la réalisation de travaux permettant d'éviter les actes de pollution, sans préciser l'origine de cette constatation, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;

4°)"alors que l'insuffisance de moyens ne peut être invoquée par le fonctionnaire ou l'agent non titulaire de l'Etat pour échapper à la responsabilité pénale encourue du fait de la faute d'imprudence ou de négligence qu'il a commise que si les faits reprochés sont restés dans le cadre de "diligences normales";

que l'arrêt attaqué constate que l'impossibilité matérielle du déchargement des boues et sédiments dans un dépôt terrestre n'a pas été établie et que les prévenus ont agi sans directives de leur autorité de tutelle ;

qu'en omettant de rechercher en quoi le fait pour les prévenus, qui étaient informés des risques de pollution, de s'être abstenus de suspendre les opérations litigieuses, dans l'attente d'instructions précises de leur autorité de tutelle ou de mise en place de moyens matériels et financiers nécessaires pour éviter la pollution de la rivière correspondait à des "diligences normales", la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision" ;

Vu l'article 593 du Code de procédure pénale;

;

Attendu que tout jugement ou arrêt doit être motivé;

que l'insuffisance ou la contradiction de motifs équivaut à leur absence ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que les prévenus Pierre D... et Robert Y..., poursuivis des chefs de pollution de cours d'eau pour avoir déversé des boues et sédiments extraits du canal du Rhône au Rhin dans la rivière l'Allan et nuisibles à la faune et à la flore, ont été déclaré coupables de ces délits par jugement du tribunal correctionnel, et condamnés à des peines d'amende ainsi qu'à des dommages et intérêts envers cinq associations constituées parties civiles ;

Attendu que, sur l'appel de Pierre D... et Robert Y..., du ministère public et de trois associations constituées parties civiles - La Fédération de pêche et de protection du milieu aquatique du Doubs, l'Association agréée de pêche et de protection du milieu aquatique Voujeaucourt/Bart/Bavans et la Commission permanente d'études et de protection des eaux, du sous-sol et des cavernes -, les juges du second degré ont relaxé les deux prévenus ;

Qu'ils retiennent que la pollution constatée est la conséquence du déversement, effectué par les prévenus, de manière délibérée, de 8 000 mètres cubes de boues et sédiments dans la rivière, en violation des clauses du marché de travaux publics en vertu duquel ils agissaient - lequel prévoyait, à titre principal, une évacuation de ces matériaux sur des dépôts terrestres, et, éventuellement, un "clapage en rivière -, et que ces déversements ont provoqué une dégradation de l'eau "notamment par apport notable de sels ammoniacaux préjudiciable à la vie piscicole", "portant atteinte au milieu physique, par la destruction, ainsi qu'à l'équilibre dynamique du cours d'eau" ;

Qu'ils relèvent que cette violation en connaissance de cause des dispositions du marché caractérise bien la "faute d'imprudence ou de négligence" exigée pour la constitution des délits poursuivis ;

Que, pour les déclarer néanmoins non coupables desdites infractions, en l'état des dispositions de l'article 11 bis A de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, les juges énonçent que Pierre D... et Robert Y..., "qui n'avaient reçu aucunes observations ou directives de leur autorité de tutelle sur les risques de pollution énoncés et avaient été laissés sans directives et sans moyens financiers pour en vérifier la réalité et éventuellement y remédier", "ont ainsi accompli, compte tenu des moyens insuffisants dont ils disposaient, les diligences normales que leur employeur, les "Voies navigables de France" leur imposaient ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel, qui ne pouvait, sans se contredire, affirmer que les prévenus avaient accompli les diligences normales qui leur incombaient, compte tenu des moyens insuffisants dont ils disposaient, alors qu'il résultait de ses constatations que ces derniers, dûment informés des conséquences de la technique utilisée, avaient agi "en connaissance de cause", et ainsi commis une faute professionnelle délibérée, insusceptible d'entrer dans les prévisions de l'article 121-3 du Code pénal ou dans celles de l'article 11 bis A de la loi modifiée du 13 juillet 1983, n'a pas donné de base légale à sa décision ;

Qu'il s'ensuit que la cassation est encourue;

que, toutefois, les parties civiles étant seules demanderesses au pourvoi, elle n'aura d'effet qu'au regard de l'action civile ;

Par ces motifs, CASSE et ANNULE l'arrêt n°362 de la cour d'appel de Besançon, en date du 22 mai 1996, mais en ses seules dispositions civiles ;

Et, pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Dijon, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Besançon, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.