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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 6 janvier 2017, n° 14/20793

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

SOCIETE PARIS LOOK (SAS)

Défendeur :

A HOTEL (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Présidents :

Mme BARTHOLIN, Mme GALLEN

Conseiller :

Mme FREMONT

Paris, du 16 sept. 2014

16 septembre 2014

Suivant acte sous seing privé en date du 11 juillet 1994, la société Hôtelière Lutetia Concorde désormais dénommée A Hôtel, a donné à bail à la société Paris Look divers locaux à usage de parfumerie situé [...], pour une durée de neuf années à compter rétroactivement du 1er juillet 1994 et moyennant un loyer annuel de 1 400 000 francs (213 428,62 euros) hors taxes, indexé annuellement sur l'indice INSEE du coût de la construction.

Le loyer du bail renouvelé au 1° juillet 2003 a été fixé par le juge des loyers en l'absence de motif de déplafonnement, à la valeur indiciaire soit la somme de 246 199,16 euros.

Le loyer s'élevait à la somme de 319 932,86 euros hors taxes au 1er juillet 2009 par application de l'indice INSEE du coût de la construction du 4ème trimestre 2008, soit l'indice 1523.

Par acte d'huissier du 23 décembre 2009, la société bailleresse a fait délivrer à la société Paris Look une demande de révision du loyer sur le fondement de l'article L. 145-39 du code de commerce à la valeur locative, estimée à 1 066 784 euros hors taxes et chargées.

C'est dans ces circonstances que la société A Hôtel a assigné la société Paris Look devant le juge des loyers du tribunal de grande instance de Paris par acte d'huissier du 29 juin 2010, en révision du loyer et fixation à la somme de 1 066 184 euros en principal par an au 23 décembre 2009.

Par jugement du 3 septembre 2012, le juge des loyers commerciaux s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de grande instance.

Par jugement en date du 16 septembre 2014, le tribunal de grande instance de Paris a notamment :

- débouté la société Paris Look de sa demande tendant à déclarer illicite la clause d'indexation,

- constaté que le montant du loyer par l'effet de l'application de la clause d'échelle mobile se trouve augmenté de plus du quart par rapport au prix précédemment fixé,

- dit que la demande en révision est recevable au regard des dispositions de l'article L. 145-39 du code de commerce,

- avant dire droit, désigné M. P. en qualité d'expert afin d'estimer la valeur locative des lieux au 23 décembre 2009,

- fixé le loyer provisionnel pour la durée de l'instance au montant du loyer contractuel,

- ordonné l'exécution provisoire,

- réservé les dépens et les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.

La société Paris Look a relevé appel de ce jugement le 16 octobre 2014.

Parallèlement, par acte du 22 mai 2012, la société Paris Look a sollicité le renouvellement du bail au 1er juillet 2012.

Les parties n'ayant pu s'accorder sur le prix du bail renouvelé, la société Paris Look a assigné la société A Hôtel devant le juge des loyers commerciaux qui a désigné M V., remplacée par Mme B., afin d'estimer la valeur locative au 1er juillet 2012, suivant jugement du 26 novembre 2013.

Par ses dernières conclusions signifiées le 2 septembre 2016 au visa des articles L. 145-39 du code de commerce, L. 112-1 du code monétaire et financier, 564 du code de procédure civile, elle demande à la cour de :

- la dire recevable et bien fondée en ses demandes,

- dire la société A Hôtel irrecevable et mal fondée en ses demandes,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a déboutée de sa demande tendant à déclarer illicite la clause d'indexation, constaté que le montant du loyer par l'effet de l'application de la clause d'échelle mobile se trouve augmenté de plus du quart par rapport au prix précédemment fixé et dit que la demande en révision est recevable au regard des dispositions de l'article L. 145-39 du code de commerce,

- dire que la clause d'indexation dont excipe la société bailleresse est réputée non écrite,

- dire en conséquence que la clause d'indexation n'a pu jouer, faute d'exister,

- dire irrecevable la demande de la société A Hôtel en fixation du loyer révisé au 23 décembre 2009 sur le fondement de l'article L. 145-39 du code de commerce,

- condamner en conséquence la société A Hôtel à lui restituer les sommes versées par application de la clause d'indexation réputée non écrite, avec intérêt au taux légal, outre capitalisation, à compter du 28 octobre 2013,

- dire que la désignation d'un expert avec mission de donner son avis sur le montant de la valeur locative au 23 décembre 2009 est sans objet et dès lors infirmer le jugement du 16 septembre 2014 en ce qu'il a désigné M. P., tous les chefs du dispositif relatifs aux modalités et conditions d'accomplissement de la mission de l'expert, d'une part et sur la fixation d'un loyer provisionnel, d'autre part,

- subsidiairement, dire que l'indexation du loyer au 23 décembre 2010 prendra nécessairement en compte l'indice fixe (4ème trimestre 1993) jugé licite par la Cour, la révision devant être effectuée sur le montant du loyer au 1er juillet 1994,

- à titre très subsidiaire, débouter la société A Hôtel de sa demande de fixation par la Cour du loyer révisé au 23 décembre 2009, mais également de sa demande de fixation d'un loyer provisionnel « pour le cas où une mesure d'instruction serait ordonnée »,

- à titre encore plus subsidiaire, surseoir à statuer jusqu'au dépôt du rapport d'expertise de M. P., et une fois le rapport déposé, renvoyer la procédure devant le conseil de la mise en état pour permettre aux parties de signifier leurs conclusions sur le montant du loyer révisé au 23 décembre 2009, par application de l'article 16 du code de procédure civile,

En toute hypothèse :

- débouter la société A Hôtel de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

- dire que la société A Hôtel formule devant la Cour des demandes nouvelles, en ce que la bailleresse demande à la Cour « de constater que la prochaine date d'indexation interviendra le 1er juillet 2010, afin de respecter la volonté des parties », « sollicite la résiliation pure et simple du bail, par application de l'article 6 du bai » et la condamnation de la société Paris Look aux dépens de première instance,

- juger en conséquence, que par application de l'article 564 du code de procédure civile, ces nouvelles demandes sont irrecevables,

- condamner la société A Hôtel à lui payer la somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de première instance et d'appel, lesquels, s'agissant des dépens d'appel seront recouvrés par Me G. dans les conditions de l'article 699 du même code.

Par ses dernières conclusions signifiées le 29 septembre 2016 au visa des articles L. 145-39, L. 145-57, R.145-22, R. 145-23, L.145-33, R.145-7 du code de commerce, 1134, 1156, 1728, 1155 du code civil, L.112-1 du code monétaire et financier, la société A Hôtel demande quant à elle à la cour de :

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,

- dire que la clause 6 « INDEXATION DU LOYER » du bail est licite et conforme aux dispositions de l'article L 112-1 du code monétaire et financier,

- dire que l'article L.145-39 du code civil est applicable en l'espèce,

- fixer le montant du loyer du bail à la valeur locative à la somme de 1.066.184 euros hors taxes et charges, en principal et par an à compter du 23 décembre 2009,

- ordonner la fixation d'un loyer provisionnel, pour le cas où une mesure d'instruction serait ordonnée, au montant de 1.066.974 euros annuel pour prendre effet également le 23 décembre 2009,

- condamner la société Paris Look à lui payer la différence entre le loyer actuellement réglé et le loyer fixé par le présent arrêt, augmenté des intérêts sur le fondement de l'article 1155 du code civil,

À titre subsidiaire :

- si la clause d'indexation était réputée illicite, constater que la prochaine date d'indexation interviendra le 1er juillet 2010,

À titre infiniment subsidiaire :

- en cas d'illicéité de la clause d'indexation, prononcer la résiliation du bail, en application de l'article 6 du bail,

En tout état de cause :

- condamner la société Paris Look à lui payer la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction pour ces derniers au profit de la SCP G.B. conformément aux dispositions de l'article 699 du même code.

SUR CE,

La société Paris Look appelante demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit la demande de révision recevable et de juger qu'en présence d'un loyer augmenté de plus d'un quart par rapport au prix précédemment fixé contractuellement par l'effet des indices, la révision ne peut tendre à obtenir un loyer supérieur à l'augmentation de 25 % mais uniquement à un loyer inférieur à celui résultant d'une telle augmentation.

Elle sollicite également l'infirmation de ce chef sur le fondement de l'article L. 112-1 du code monétaire et financier, au motif que la clause d'indexation stipulée à l'article 6 du bail crée une distorsion contraire aux dispositions d'ordre public précitées et doit être réputée non écrite, de sorte qu'aucune demande de révision ne saurait être accueillie.

En réponse à la partie adverse, elle affirme que ce moyen n'est pas nouveau en cause d'appel et qu'en toute hypothèse la nouveauté du moyen est indifférente par effet des dispositions de l'article 565 du code de procédure civile. Elle s'oppose par ailleurs à l'application d'un nouvel indice et à toute forme de réécriture de la clause par la cour, considérant qu'il n'appartient pas ici au juge de modifier l'économie du contrat.

Elle demande ainsi de dire que les demandes adverses tendant à voir constater que la prochaine indexation interviendra le cas échéant le 1er juillet 2010 et tendant à voir constater la résiliation de plein droit du bail sont nouvelles en cause d'appel et partant irrecevables par effet de l'article 564 du code de procédure civile.

Sur la demande subsidiaire de la bailleresse tendant à voir fixer la prochaine révision au 1er juillet 2010, elle soutient au surplus qu'elle ne saurait prospérer faute de clause d'indexation valide au bail et que l'arbitrage contractuellement prévu pour pallier la disparition de l'indice en l'absence d'accord entre les parties ne s'applique pas au cas présent.

Sur la demande subsidiaire de résiliation, elle relève que la clause réputée non écrite n'ayant jamais existé ne peut motiver la mise en œuvre d'une clause de résiliation de plein droit désormais sans objet.

À titre subsidiaire, elle demande à la cour de surseoir à statuer sur la demande de fixation dans l'attente du dépôt du rapport P..

***

La société A. Hôtel intimée sollicite la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a jugé que les dispositions de l'article L. 145-39 du code de commerce trouvaient à s'appliquer par effet du jeu de la clause d'échelle mobile stipulée au bail (loyer augmenté de 49,9 % entre le 1er juillet 2003, date de fixation du prix du bail renouvelé, et le 1er juillet 2009) et constater que le loyer révisé devait être fixée suivant la valeur locative des lieux au 23 décembre 2009, date de la demande de révision.

Elle réfute en conséquence toute distorsion délibérée générée par l'application stricte de ces stipulations.

Elle soutient à titre subsidiaire que la clause et les indexations subséquentes sont valides jusqu'à la date de révision et qu'il appartient au juge de rechercher la commune intention des parties à compter de cette date, laquelle était bien d'opérer une indexation annuelle à la date d'anniversaire de la prise d'effet du bail. Elle demande en conséquence à la cour d'adapter le jeu de la clause d'échelle mobile en la suspendant et en jugeant qu'elle pourra être appliquée au 1er juillet 2010. À défaut, elle indique que les parties sont convenues de recourir à l'arbitrage dans l'hypothèse où un nouvel indice doit être fixé et demande à titre subsidiaire à la cour de maintenir une clause d'indexation adaptée et réécrite, conformément à la volonté des parties de voir le loyer indexé.

À titre plus subsidiaire, pour le cas où la cour ferait droit à l'appel principal, elle demande à la cour de constater la résiliation de plein droit du bail par application de son article 6. En réponse à l'irrecevabilité soulevée par la partie adverse, elle soutient que sa demande de résiliation n'est pas nouvelle mais d'une réponse à l'argumentation de la locataire.

Ceci expose, il convient de rappeler que la clause d'indexation contenue dans le bail liant les parties est libellée de la façon suivante :

'Les parties conviennent d'indexer le loyer sur l'indice de construction INSEE . Le loyer sera réajusté tous les ans en fonction de la variation de cet indice et pour la première fois le 1° janvier 1995.

En raison du décalage existant entre la date de publication de l'indice et le jour d'échéance de la révision, celle-ci s'effectuera en prenant pour indice de référence l'indice de départ du 4° trimestre 1993 et pour indice de comparaison, celui du 4° trimestre de l'année civile précédant le jour anniversaire de la révision, c'est-à-dire pour la première révision au 1° juillet 1995, l'indice du 4° trimestre 1994. Il en sera ainsi tous les ans.

L'augmentation ou la diminution en résultant sera applicable chaque année et pour la première fois le 1° juillet 1995.

Si pour une raison quelconque, l'indice pris pour base de notification devenait inapplicable, il sera remplacé par un nouvel indice équivalent choisi d'un commun accord entre les parties. A défaut d'accord amiable, cet indice sera déterminé par arbitrage.

La clause d'indexation du prix du loyer constitue une clause essentielle et déterminante sans laquelle la bailleur n'aurait pas contracté. En conséquence, sa non application partielle ou totale pourra autoriser le bailleur seul à résilier de plein droit sans qu'il soit besoin de formuler une demande en justice si bon lui semble par lettre recommandée avec accusé de réception.'

L'appelante demande de dire sur le fondement de l'article L. 112-1 du code monétaire et financier que cette clause est illicite au motif qu'elle crée une distorsion contraire aux dispositions d'ordre public de l'article précité et qu'elle doit être réputée non écrite, de sorte qu'aucune demande de révision ne saurait être accueillie. Elle admet que si la jurisprudence ne condamne pas la référence à un indice de base fixe, c'est à la condition qu'il n'existe pas de distorsion entre période de révision et période de variation de l'indice, que tel n'est pas le cas en l'espèce dés lors que la prochaine indexation contractuelle après fixation du loyer révisé au 23 décembre 2009 interviendra le 23 décembre 2010 en prenant en compte l'indice du 4ème trimestre 1994 et celui du 4ème trimestre 2009 soit une période de variation de l'indice de 16 années pour un temps écoulé entre deux révisions de 16 ans, 5 mois et 23 jours entre les deux termes ; qu'en prenant en compte le loyer fixé judiciairement au 1er juillet 2003, la distorsion existe, de la même façon qu'en prenant en compte le loyer fixé judiciairement au 23 décembre 2009 ;

Or l'appelante n'opère aucune démonstration convaincante de la distorsion prétendue entre périodes de variation de l'indice et périodes de révision dés lors que si l'indice de référence a été constamment celui du 4° trimestre 1994 comme le prévoit la clause contenue dans le bail initial ainsi que dans les baux renouvelés, l'indice de comparaison lors des révisions successives tel que prévu dans le bail a été celui du 4° trimestre précédant la date de révision (1er janvier de chaque année) de telle sorte qu'il n'y a eu aucune distorsion organisée entre périodes de variation de l'indice et périodes de révision contrairement à ce qui est soutenu ;

S'agissant de la révision à venir, à supposer que le juge de la révision fixe le loyer révisé à une date distincte de celle prévue par la clause d'indexation, il lui appartiendra également d'adapter le jeu de la clause d'échelle mobile à la valeur locative par application de l'article R 145-22 du code de commerce de sorte que la révision du loyer ne peut elle-même organiser la distorsion prohibée.

En conséquence et compte tenu de la présence dans le bail de la clause d'échelle mobile, la bailleresse est recevable à solliciter ainsi qu'il a été jugé que le loyer ayant augmenté de plus du quart depuis la dernière fixation -ce point n'étant pas contesté - il doit être fixé à compter de la demande à sa valeur locative.

C'est à tort au surplus que la locataire invoque sur le fondement de l'article L. 145-39 du code de commerce qui déroge à l'article L. 145-38 du même code, que la valeur locative ne saurait être supérieure au montant du loyer indexé qui constituerait en quelque sorte le montant plafond au-delà duquel ne pourrait être fixé le loyer révisé.

Les premiers juges seront approuvés enfin d'avoir, en présence d'expertises amiables contradictoires et faute d'éléments d'appréciation suffisants permettant de connaître la valeur locative des lieux loués au 23 décembre 2009, ordonné une expertise et d'avoir dit que pendant la durée de l'instance, le loyer provisionnel sera celui du loyer contractuel en cours en principal.

La société Paris Look qui succombe en son recours supportera les dépens d'appel, ceux de première instance ayant été réservés et paiera à la société A. Hôtel la somme de 4 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

CONFIRME le jugement déféré,

CONDAMNE la société Paris Look aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile et la condamne à payer à la société A. Hotel la somme de 4500 euros sur le fondement de l'article 699 du même code.