Cass. 3e civ., 25 mai 2005, n° 03-17.917
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Villien
Rapporteur :
M. Rouzet
Avocat général :
M. Bruntz
Avocat :
Me Cossa
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Orléans, 26 mai 2003), que les époux X..., adjudicataires le 27 janvier 1994 d'un immeuble dont ils sont entrés en possession le 20 octobre 1995, après expulsion des époux Y..., propriétaires saisis, les ont assignés en paiement de dommages-intérêts pour les dégradations qu'ils auraient commises avant de quitter les lieux ; qu'après un sursis à statuer, ordonné jusqu'à l'issue d'une plainte avec constitution de partie civile des époux X... et terminée par la relaxe des époux Y..., les débats ont repris sur un moyen relevé d'office tiré de l'inexécution par les saisis de leur obligation de délivrance ;
Sur le premier moyen :
Attendu que les époux Y... font grief à l'arrêt de les condamner solidairement à des dommages et intérêts, alors, selon le moyen :
1 / que les jugements de relaxe rendus par la juridiction pénale ont l'autorité absolue de la chose jugée ; qu'en imputant à la faute aux époux Y... des détériorations d'arbres pour lesquelles ils avaient été relaxés, parce qu'elles n'étaient pas établies, par le jugement définitif du tribunal correctionnel dont elle a elle-même fait état, la cour d'appel a violé l'article 1351 du Code civil ;
2 / que les juges du fond doivent trancher le litige qui leur est soumis conformément aux règles de droit qui lui sont applicables et donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux, sans s'arrêter à la dénomination que les parties en ont proposée ; que le jugement d'adjudication ne constitue pas un jugement constatant ou réalisant une vente, de sorte que le débiteur saisi ne peut se voir imposer les obligations découlant du contrat de vente ; qu'en considérant néanmoins les adjudicataires comme investis des droits de l'acheteur et les époux Y..., débiteurs saisis, comme tenus aux obligations du vendeur et en imposant par voie de conséquence à ces derniers une obligation de délivrance conforme de l'immeuble, la cour d'appel, qui s'est bornée à reprendre la qualification erronée que les parties avaient donnée au jugement d'adjudication et aux faits en litige, a violé l'article 12 du nouveau Code de procédure civile ;
3 / que l'étendue de l'obligation de délivrance du débiteur saisi dépend des éléments, et en premier lieu du but, en considération desquels les adjudicataires ont acquis l'immeuble ; qu'en outre, le saisi ne commet aucun manquement à cette obligation quand la non-conformité n'empêche pas l'utilisation de l'immeuble ; que la cour d'appel n'a nié, ni que les époux X... n'avaient jamais accepté de visiter le bien quand bien même une ordonnance de référé les y avait formellement invités, ni qu'ils n'avaient jamais habité l'immeuble après en avoir pris possession, puisqu'ils l'avaient continuellement loué depuis ; qu'il en résultait que les époux X... ne s'étaient pas portés adjudicataires en considération du bon état des arbres, que la santé de ceux-ci ne les empêchait en rien de disposer de l'immeuble et qu'ainsi, la chose livrée par les époux Y... correspondait en tous points au but par eux recherché ; qu'en jugeant néanmoins que les époux Y... avaient manqué à leur obligation de délivrance conforme, la cour d'appel a violé les articles 1603, 1604, 1611 et 1614 du Code civil ;
4 / que la responsabilité du débiteur saisi à raison du retard mis à délivrer l'immeuble à l'adjudicataire ne saurait résulter de l'exercice des différentes voies de recours qui lui sont ouvertes pour la défense de ses intérêts ; qu'en opposant aux époux Y... la livraison tardive de l'immeuble au seul motif, insusceptible de les constituer en faute et par conséquent radicalement inopérant, de l'exercice des différents recours qu'ils avaient exercés pour la défense de leurs droits de débiteurs saisis, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1611 du Code civil ;
5 / que dans leurs conclusions d'appel signifiées le 19 mars 2003, les époux Y... faisaient valoir que le retard dans la délivrance de l'immeuble avait déjà été réparé par l'allocation aux adjudicataires d'une indemnité d'occupation qu'ils leur avaient réglée ;
Qu’il y avait là un moyen déterminant, dès lors que l'indemnité d'occupation couvre à la fois le préjudice résultant du maintien du saisi dans les lieux après l'adjudication et le retard qu'il met à les libérer et qu'ainsi, condamner les époux Y... aboutissait à indemniser deux fois les adjudicataires du même préjudice, en méconnaissance du principe de la réparation intégrale ; qu'en ne répondant pas à un tel moyen, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu, d'une part, que les époux Y... n'ayant pas soutenu devant les juges du fond que la décision de relaxe avait l'autorité de la chose jugée, le moyen est nouveau, mélangé de fait et de droit ;
Attendu, d'autre part, que la cour d'appel, qui a exactement retenu que l'adjudicataire bénéficie du droit à délivrance des biens compris dans la saisie dès le prononcé du jugement d'adjudication et relevé que l'immeuble aurait été en bon état s'il avait été régulièrement libéré ce jour-là, a pu, sans procéder à la double indemnisation du même préjudice, en déduire que les époux Y... avaient manqué à leur obligation de délivrance ;
D'où il suit que le moyen, pour partie irrecevable, n'est pas fondé pour le surplus ;
Sur le second moyen :
Attendu que les époux Y... font grief à l'arrêt de les débouter de leur demande en dommages-intérêts, alors, selon le moyen :
1 / que les époux Y... n'ayant pas seulement invoqué une dénonciation calomnieuse, mais aussi le préjudice, indépendant d'une dénonciation, résultant pour eux, à leur grand âge, du traumatisme d'avoir été attraits devant la juridiction pénale, la cour d'appel a méconnu les termes du litige qui lui était soumis, violant ainsi l'article 4 du nouveau Code de procédure civile ;
2 / que la cour d'appel, qui n'a pas examiné si les conditions de la réparation de ce traumatisme étaient remplies, a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu qu'ayant constaté qu'il incombait aux intéressés de saisir le cas échéant la juridiction pénale et relevé qu'aucun élément ne permettait de retenir la mauvaise foi des époux X... à l'occasion de cette dénonciation, la cour d'appel a, sans modifier l'objet du litige, légalement justifié sa décision de ce chef ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne les époux Y... aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne solidairement les époux Y... à payer à Mme Z... et M. X..., ensemble, la somme de 2 000 euros et rejette la demande des époux Y... ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Troisième chambre civile, et prononcé à l'audience publique du vingt-cinq mai deux mille cinq, par M. Villien, conseiller doyen, conformément à l'article 452 du nouveau Code de procédure civile.