CA Pau, 29 septembre 2020, n° 18/04040
PAU
Arrêt
Infirmation
FAITS ET PROCEDURE :
Monsieur Michel R. est propriétaire d'une parcelle en nature forestière sise à BEYLONGUE (40370) cadastrée Section A n°320, pour l'avoir héritée de sa mère, Madame Jeanne C..
Cette parcelle confronte celles en nature agricole cadastrées Section A n°315, 316, 317, 318, 319, 306, 305, 303, 301, 300 & 299, propriétés de M. Jean B. et son épouse, Mme Josette L..
La parcelle A 316 est constituée d'une partie boisée, jouxtant la parcelle 320 propriété de Monsieur Michel R..
Le litige porte sur cette partie boisée de la parcelle 316.
Les actes :
- acte authentique de vente en date du 6 janvier 1978, par lequel Madame Jeanne C., mère de Monsieur Michel R. a vendu à Monsieur Louis C. diverses parcelles, au nombre de 13, dont celle cadastrée A 316 objet du litige ; le bien est décrit comme ' une propriété agricole située à Beylongue (Landes), connue sous la dénomination de 'Andriou', comprenant bâtiment d'habitation et d'exploitation en mauvais état et terres de diverses natures' ;
- acte authentique de vente en date du 23 avril 1998, par lequel Monsieur Louis C. a vendu ces mêmes parcelles aux époux Jean et Josette B. ; ces parcelles sont décrites comme ' parcelles en nature de terre '.
M. R. invoque l'usucapion de la partie boisée de la parcelle A 316, jouxtant sa parcelle A320, elle-même constituée d'un bois.
Il a fait valoir que lors d'opérations de reboisement de sa parcelle, il s'est rendu compte que les limites apparentes ne correspondaient pas à la délimitation cadastrale.
S'en est suivie une procédure de bornage.
La procédure de bornage
Par assignation notifiée le 30 octobre 2015, M. R. a assigné les époux B. devant le tribunal d'instance de DAX sur le fondement des dispositions posées par l'article 646 du code civil afin de le voir ordonner le bornage judiciaire de la limite séparative des parcelles sise à BEYLONGUE (40370) lieux-dits « Andriou » & « Traque », cadastrées Section A n°320 et Section A n°315, 316, 317, 318, 319, 306, 305, 303, 301, 300 & 299.
Par jugement rendu le 10 décembre 2015, le tribunal d'instance de DAX a ordonné le bornage et donné mission à M. M., géomètre expert, de fixer les limites de propriété et de proposer un plan de bornage.
L'expert a déposé son rapport le 12 janvier 2017.
L'expert a conclu notamment qu'entre la parcelle cadastrée section A n°320 et celle cadastrée section A n°316, il n'existe pas de limite naturelle et que seule l'application du plan cadastral est possible.
Par jugement en date du 17 octobre 2017, le tribunal d'instance de DAX a homologué le rapport d'expertise et dit que la limite divisoire des propriétés respectives des parties était matérialisée par la ligne déterminée par l'expert dans son rapport.
La présente procédure
Par exploit d'huissier délivré le 9 juin 2017, M. R. a assigné les époux B. devant le tribunal de grande instance de DAX, sur le fondement des articles 2261 et 2272 du code civil pour demander qu'il soit dit et jugé qu'il est propriétaire de la partie forestière de la parcelle litigieuse cadastrée Section A n°316.
Par jugement contradictoire rendu le 14 novembre 2018 (RG n°17/00772), le tribunal de grande instance de DAX a :
- dit que M. R. est propriétaire de la partie forestière de la parcelle cadastrée section A n°316 sise commune de Beylongue d'une surface d'environ l2a 37 ca,
- dit qu'un document d'arpentage sera établi par M. M., expert inscrit sur la liste de la Cour d'appel de Pau, aux frais de M. R.,
- dit que ce document ainsi que le présent jugement seront publiés au Fichier lmmobilier,
- débouté M R. du surplus de ses demandes et les époux B. de l'ensemble de leurs demandes,
- dit que chacune des parties conservera la charge des dépens par elle exposés.
Par déclaration n°18/02914 régularisée le 20 décembre 2018 par leur conseil, les époux B. ont interjeté appel de cette décision qu'ils critiquent en toutes ses dispositions.
Aux termes de leurs dernières écritures en date du 14 septembre 2019, M. Jean B. et Mme Josette B. née L. demandent à la Cour, statuant sur le fondement des dispositions posées par les articles 646, 2258, 2261, 1626 et 1628 du code civil de :
- déclarer leur appel recevable et bien fondé,
- infirmer, en toutes ses dispositions, le jugement entrepris,
- constater qu'ils se sont rendus acquéreurs de la parcelle cadastrée A n°316 par acte du 23 avril 1998 et que cet acte a fait l'objet de la publicité foncière à la Conservation des Hypothèques de MONT DE MARSAN le 29 juin 1998 vol. 1998 P n°4408,
- dire que la prescription dont se prévaut M. R. a commencé à courir au plus tôt le 29 juin 1998, date de la publicité foncière,
- dire que la prescription dont se prévaut M. R. n'a pas été paisible, continue et trentenaire,
- dire que la possession de M. R. est équivoque en ce qu'il ne verse aucun acte, aucun document établissant qu'il se soit comporté en propriétaire depuis le 23 avril 1998,
- dire que M. R. est tenu de la garantie d'éviction,
- dire qu'ils sont propriétaires de la parcelle cadastrée section A n°316,
- débouter M. R. de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions,
- le condamner au paiement d'une indemnité de 3000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
Par conclusions déposées le 17 mai 2019, M. Michel R. demande à la Cour de :
- débouter les époux B. de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,
- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il :
* a dit qu'il est propriétaire de la partie forestière de la parcelle cadastrée section A n°316,
* a dit qu'un document d'arpentage sera établi, à ses frais, par M. M., expert inscrit sur la liste de la Cour d'Appel de PAU ; que ledit document ainsi que le présent jugement seront publiés au Fichier Immobilier,
* l'a débouté du surplus de ses demandes,
* a débouté les époux B. de l'ensemble de leurs demandes,
- infirmer le jugement en ce qu'il a dit que chacune des parties conservera la charge des dépens par elle exposés et, statuant à nouveau :
- condamner solidairement les époux B. aux entiers dépens de 1ère instance, en ce compris les frais d'expertise judiciaire de M. François M., pour la somme de 4.094,46€ TTC,
- y ajoutant, condamner solidairement les époux B. à lui régler la somme de 2500€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens d'appel pour lesquels il sera fait application du dispositif prévu par l'article 699 du code de procédure civile.
L'affaire a été fixée à l'audience du 8 juin 2020, suite à une ordonnance de clôturerendue le 06 mai 2020. Elle a été retenue en application des dispositions de l'article 8 de l'ordonnance 2020-304 du 25 mars 2020, par dépôt des dossiers, tous les avocats ayant expressément accepté le recours à cette procédure suite à laquelle l'affaire a été mise en délibéré.
SUR CE :
Pour retenir l'usucapion en faveur de M. R., le premier juge a :
- constaté que la qualité de propriétaires des époux B. quant à la parcelle cadastrée section A n°316 n'était pas discutée ;
- dit qu'il n'est pas discutable que la partie forestière de ladite parcelle est exploitée et l'a été par les ayants cause de M. R. puis M. R. lui-même, ainsi que cela résulte des photographies versées au débat ainsi que de l'attestation de Monsieur Louis C. ;
- relevé que suivant l'attestation de M C., les parties à l'acte en date du 16 janvier 1978 avaient convenu que l'acquéreur devenait propriétaire uniquement de la partie en nature de terres ;
- considéré que Monsieur Michel R. justifie d'une possession trentenaire à l'égard des époux Jean et Josette B. et avant lui de Monsieur Louis C. ;
- le fossé créé au travers de la parcelle 316 par les époux Jean et Josette B. en 1998 se trouve hors de la zone revendiquée, sa création n'a pas interrompu la possession ; au contraire, ce fossé fixe la limite de la zone boisée.
Pour contester le jugement, les époux Jean et Josette B. exposent, en résumé :
- la prescription, pour autant qu'elle ait commencé à courir, a été troublée à compter du 23 avril 1998 par leur acquisition de la parcelle A 316, l'acte ayant été rendu public et opposable aux tiers par sa publication à la conservation des hypothèques, empêchant la possession continue ;
- l'attestation de Monsieur Louis C. en date de janvier 2017 est contredite par une attestation de cette même personne, établie devant un notaire ;
- Monsieur Michel R. ne justifie pas avoir fait des actes de possession, à titre de propriétaire ;
- Monsieur Michel R., en sa qualité d'héritier de Madame Jeanne C., la venderesse originaire, est tenu à la garantie d'éviction.
Au soutien de la confirmation du jugement, Monsieur Michel R. expose :
- les photographies aériennes versées au débat montrent que la partie boisée de la parcelle A 316 s'intègre dans la parcelle forestière A 320 lui appartenant ;
- Monsieur Louis C. atteste de ce qu'il considère que la partie boisée était restée la propriété de Monsieur Michel R. ;
- les désignations des biens figurant aux deux actes de vente successifs ne font pas état de 'terres et landes' ou de 'parcelle mixte en nature de terre et forestière', mais de 'nature de terres' et de 'terres de diverses natures' ;
- sa possession a été continue et ininterrompue, la création d'un fossé par les époux Jean et Josette B., hors de la zone revendiquée est sans incidence,
- la possession a été paisible en ce que les Monsieur Michel R. ne lui ont jamais demandé de quitter les lieux ; elle s'est exercée publiquement, au vu de tous,
- la possession est non équivoque et à titre de propriétaire ; il mène une activité sylvicole dans le prolongement de sa parcelle 320. A l'origine l'ensemble immobilier appartenait à sa mère. L'exploitation de la partie boisée de A 316 s'est poursuivie même après la vente intervenue en 1978.
Suivant les dispositions de l'article 2261 du code civil, pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire.
Il est constant que :
- les parcelles A320, propriété de Monsieur Michel R. et A 316 objet du litige, appartenaient précédemment à la vente de la parcelle A 316 le 6 janvier 1978, à une seule personne, Madame Jeanne C., l'ensemble formant une même exploitation.
- Monsieur Michel R. tient ses droits sur la parcelle A 320 de sa mère, Madame Jeanne C., dont il a hérité. La date du décès et les actes subséquents ne sont pas produits, mais ce mode d'acquisition de la propriété par Monsieur Michel R. n'est pas discuté.
- Madame Jeanne C. a vendu la parcelle A 316 le 6 janvier 1978 à Monsieur Louis C. qui l'a revendue aux époux Jean et Josette B. le 23 avril 1998.
Les époux Jean et Josette B. disposent d'un titre qu'ils tiennent de Monsieur Louis C. (acte de vente en date du 23 avril 1998). Ce dernier disposait également d'un titre qu'il tenait de Madame Jeanne C. (acte de vente en date du 6 janvier 1978). Monsieur Michel R. en qualité d'héritier de Madame Jeanne C. continue sa personne.
En vendant la parcelle A 316 sans restriction en 1978 à Monsieur Louis C., Madame Jeanne C. a cessé de la posséder dans sa totalité. Son héritier, Monsieur Michel R., ne saurait avoir plus de droit qu'elle n'avait.
Il n'est donc pas fondé à invoquer une quelconque possession.
De plus, le vendeur d'un bien doit garantie d'éviction à l'acquéreur. Il ne peut postérieurement à la vente évincer l'acquéreur en invoquant une prescription acquisitive pour se faire reconnaître propriétaire de la chose vendue dont il aurait conservé la possession, étant précisé que le caractère perpétuel de la garantie d'éviction permet à l'acquéreur et le cas échéant au sous acquéreur de lui opposer la garantie.
Or, Monsieur Michel R., en qualité d'héritier de Madame Jeanne C. vient aux droits et obligations de cette dernière. Il se trouve donc tenu de la garantie d'éviction envers les époux Jean et Josette B., ce qui exclut toute revendication contre eux au titre de l'usucapion.
Enfin et à titre surabondant, le principe même des actes de possession n'est pas suffisamment établi par Monsieur Michel R.. Les seules photographies aériennes des lieux à différentes périodes ne permettent pas de se convaincre d'actes positifs de possession à titre de propriétaire.
L'attestation de M. D., artisan qui a réalisé le fossé à la demande des époux Jean et Josette B., suivant laquelle il a travaillé pour Monsieur Michel R. et déplacé ses engins jusqu'au fossé (qui borde la zone revendiquée) sans remontrances, qu'il a toujours vu les entreprises forestières évoluer sur cet espace est insuffisante en ce qu'elle n'est pas corroborée par d'autres éléments, tels des justificatifs d'assurance ou de paiement de taxes. A elle seule cette attestation est insuffisante pour démontrer des actes de possession.
L'attestation de Monsieur C. (acquéreur en 1978 de la parcelle A316) en date du 6 janvier 2017, outre qu'elle ne remplit pas les prescriptions de l'article 202 du code de procédure civile, est dépourvue de force probante en ce qu'elle vient contre son titre et se trouve en outre contredite par une autre attestation de cette personne en date du 17 décembre 2018.
Par suite, les conditions de la prescription acquisitive ne sont pas réunies, les époux Jean et Josette B. sont propriétaires de l'ensemble de la parcelle A 316. Le jugement dont appel sera infirmé. Monsieur Michel R. sera débouté de l'ensemble de ses demandes.
Monsieur Michel R. qui succombe supportera les dépens.
Au regard de l'équité, Monsieur Michel R. sera condamné à payer aux époux Jean et Josette B. la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Infirme la décision dont appel,
Statuant à nouveau,
Dit que les époux Jean et Josette B. sont propriétaires de la totalité de la parcelle litigieuse A 316,
Déboute Monsieur Michel R. de l'ensemble de ses demandes,
Condamne Monsieur Michel R. à payer aux époux Jean et Josette B. la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne Monsieur Michel R. aux dépens d'appel et de première instance.